Robert Badinter garde des Sceaux 1981-1986

À l’occasion de la cérémonie d’entrée au Panthéon de Robert Badinter organisée le 9 octobre 2025, le ministère de la Justice revient sur les avancées majeures qu’il a permises lorsqu’il était ministre de la Justice.

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Robert Badinter est une figure majeure de la vie politique et intellectuelle française, engagée contre la peine capitale et en faveur des droits de l’Homme. Né en 1928 et mort en 2024, il a été professeur de droit et avocat au barreau de Paris. Il est nommé garde des Sceaux lors du premier septennat de François Mitterrand, le 23 juin 1981, et le restera jusqu’au 19 février 1986. Fidèle à ses combats pour une justice humaniste, il a permis, lors de son passage place Vendôme, des avancées sociétales importantes et laissé un riche héritage à la justice française.

« Tout au long de ma vie judiciaire, j’avais rêvé qu’un jour il me serait donné de transformer la justice française, de lui donner, au sein de l’Europe des libertés, une place éminente. »

Robert Badinter, "Les Épines et les Roses"

Photo en noir et blanc de Robert Badinter souriant devant le ministère de la Justice

Une cérémonie d’hommage organisée le 9 octobre 2025, date anniversaire de la loi abolissant la peine de mort, marque son entrée au Panthéon.

Faire progresser l’État de droit

Parmi les premières actions de Robert Badinter en tant que ministre de la Justice figure la suppression des juridictions d’exception, notamment de la Cour de sûreté de l’État. Ce tribunal d’exception, créé en 1963 à la suite de la guerre d’Algérie, était perçu comme un outil de répression politique. Robert Badinter fait également abroger deux lois considérées comme portant atteinte aux libertés fondamentales : la loi anticasseurs de 1970, qui rendait possible la condamnation de manifestants pour des actes qu’ils n’avaient pas commis, et la loi « sécurité et liberté » de 1981, qui restreignait les pouvoirs des magistrats et les droits des justiciables.
Autre disposition que l’on doit au garde des Sceaux : la possibilité pour les citoyens de présenter un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

« Il fallait mettre la justice française au service des libertés et la rendre à cet égard exemplaire. »

Robert Badinter, "Les Épines et les Roses"

Les enjeux relatifs à l’univers carcéral sont également centraux pour Robert Badinter, qui souhaite améliorer le quotidien des personnels pénitentiaires et lutter contre des conditions de détention jugées indignes. Il instaure également le travail d’intérêt général dès 1982 pour lutter contre la surpopulation carcérale.

L’abolition de la peine de mort

L’abolition de la peine de mort a été portée par Robert Badinter bien avant son arrivée à la Chancellerie. L’exécution en 1972 de son client Roger Bontems, condamné pour prise d’otages et complicité d’assassinats, est un moment décisif dans ce qui devient le combat de sa vie.

« J’ai mené jusqu’à la guillotine un homme qui n’avait jamais tué. Quand je suis sorti de là, je me suis juré que je n’accepterai jamais plus une justice qui tue. »

Robert Badinter dans "Les Repères de l’histoire", diffusée le 7 octobre 2001 sur France 5

En 1977, il défend Patrick Henry, reconnu coupable de l’enlèvement et du meurtre d’un enfant. Robert Badinter a fait de ce procès celui de la peine de mort et met les jurés face à leurs responsabilités : « Moi je vous dis : si vous le coupez en deux, cela ne dissuadera personne. » Son client échappe à la peine capitale et se voit condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, suscitant l’indignation de l’opinion publique.

Bien qu’impopulaire, l’abolition de la peine de mort est une promesse de campagne du candidat à la présidentielle François Mitterrand. Après son élection en mai 1981, Robert Badinter est nommé garde des Sceaux dans le deuxième gouvernement Mauroy. Le nombre de condamnations à mort est en hausse, et il y a alors huit condamnés à mort dans les prisons françaises. Pour Robert Badinter, il y a urgence : il faut s’emparer du sujet de l’abolition avant que l’année judiciaire ne reprenne, le 1er octobre. Le 17 septembre 1981, il présente son projet de loi portant abolition de la peine de mort devant l’Assemblée nationale.

« Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. »

Robert Badinter à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981

Photo en noir et blanc de Robert Badinter en plein discours pour l'abolition de la peine de mort

Le 18 septembre 1981, l’abolition de la peine de mort est adoptée à l’Assemblée nationale, avec 363 voix pour et 117 contre. Le 30 septembre 1981, le Sénat vote également en faveur de l’abolition, avec 161 voix pour et 126 contre.

« Je regardai l’horloge : il était douze heures et cinquante minutes, ce 30 septembre 1981. Le vœu de Victor Hugo, "l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort", était réalisé. La victoire était complète. »

Robert Badinter, "L’Abolition"

La loi portant abolition de la peine de mort est promulguée le 9 octobre 1981.

Le 19 février 2007, le Parlement, réuni en Congrès à Versailles à l’initiative du président de la République Jacques Chirac, se prononce favorablement à l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution. En vertu de l’article 66-1 de la loi constitutionnelle n°2007-239 du 23 février 2007, « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Dépénaliser l’homosexualité

Le délit d’homosexualité datait du régime de Vichy et de la loi du 6 août 1942. Depuis cette loi, l'âge de la majorité sexuelle était différent pour les personnes homosexuelles. Ainsi, jusqu’en 1982, les relations homosexuelles étaient de fait interdites aux personnes mineures. Près de 10 000 personnes auraient été condamnées en application de cette loi. Dès le mois d’août 1981, Robert Badinter demande aux parquets de limiter le recours à cette loi.

« Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d’un grand pays de liberté comme le nôtre. »

Robert Badinter à l’Assemblée nationale, le 20 décembre 1981

Rapportée par l’avocate et défenseure des droits des femmes Gisèle Halimi, la loi Forni, du nom du président de la commission des lois de l’époque, est promulguée le 4 août 1982. Elle met fin à toute discrimination légale envers les personnes homosexuelles, en fixant l’âge de la majorité sexuelle à 15 ans pour tous.

Protéger les victimes

Pour avoir côtoyé de près la souffrance des victimes au cours de sa carrière d’avocat, Robert Badinter est particulièrement sensible à leur situation. Il œuvre dès son arrivée à la Chancellerie pour améliorer leur prise en charge.

« J’étais toujours indigné par l’indifférence bureaucratique de l’institution judiciaire à la condition douloureuse des victimes : attentes interminables dans les couloirs d’instruction, absence de tout service d’accueil. Elles paraissaient perdues dans ces lieux hostiles. »

Robert Badinter, "Les Épines et les Roses"

Un axe majeur de son action en faveur des victimes concerne leur indemnisation : la loi du 8 juillet 1983 reconnait ainsi la nécessité d’indemniser les victimes de violences sexuelles. Celle du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », rend obligatoire l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation par le conducteur ou son assureur. Faisant suite à la vague d’attentats qui touchent le pays au début des années 1980, la loi du 9 septembre 1986 crée le fonds de garantie des victimes d’attentats terroristes (FGVAT), devenu le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI).

Le soutien et l’accompagnement des victimes par des professionnels formés capables d’accueillir, d’écouter et d’informer est l’autre axe de sa politique en faveur des victimes, qui se traduit par la création d’un réseau national d’aide aux victimes.

Filmer pour l’histoire

La loi du 11 juillet 1985 promue par Robert Badinter a permis de faire entrer les caméras dans les prétoires pour enregistrer à des fins historiques et pédagogiques les procès les plus notables, qui « revêtent une dimension événementielle, politique ou sociologique ». En 1987, un premier procès historique est filmé : celui de Klaus Barbie, ancien SS et chef de la Gestapo lyonnaise durant la Seconde Guerre mondiale.

« Je pensais à tous les procès qui auraient pu être filmés (...) Quelle mine d’informations pour l’historien ! »

Robert Badinter, "Les Épines et les Roses"

Photo en noir et blanc de Robert Badinter souriant devant le ministère de la Justice

Cette loi a révolutionné les pratiques judiciaires et contribue au travail de mémoire et des historiens. Les archives audiovisuelles de la justice, versées aux Archives nationales, représentent aujourd’hui 6 500 heures de captations couvrant 32 procès : auteurs de crimes contre l’humanité, de génocides, de crimes de guerre, d’actes de terrorisme, mais aussi de scandales sanitaires ou d’accidents industriels majeurs.

Une vie d’engagement

Robert Badinter, marqué par le traumatisme de la Shoah et la perte de son père durant la Seconde Guerre mondiale, a placé la lutte contre l’antisémitisme au cœur de son engagement public, faisant de la justice et du droit des remparts contre la haine et la barbarie. Il a défendu sans relâche le devoir de mémoire, considérant la transmission de l’histoire de la Shoah comme essentielle pour prévenir la résurgence de l’antisémitisme et de toutes les formes de racisme, et a contribué concrètement à l’élaboration de lois majeures telles que la loi Gayssot contre le négationnisme et la loi Pleven contre les discriminations raciales.

Après avoir quitté la place Vendôme, il a poursuivi son combat en présidant le Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, puis en tant que sénateur socialiste des Hauts-de-Seine jusqu’en 2011, tout en consacrant une partie de sa vie à l’écriture et à la promotion de l’abolition universelle de la peine de mort et à la lutte contre l’antisémitisme.


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