Typologie de contenus: Discours du ministre

Temps de lecture :

11 minutes

Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,

Monsieur le Procureur général,

Mesdames et Messieurs les directeurs,

Mesdames et Messieurs les hauts magistrats,

Mesdames et Messieurs, en vos titres et qualité, personnels des SPIP, partenaires associatifs, représentants des élus et membres de l'administration pénitentiaire,

Je vous accueille bien volontiers chez vous au ministère de la Justice pour ouvrir ce chantier majeur et espérons modestement, fondateur pour notre politique pénale et pour les SPIP et pour l'identité même de notre ministère, les États généraux de l'insertion et de l'approbation.

Ces états généraux sont d'autant plus essentiels qu'ils s'inscrivent dans une situation incontestable de surpopulation carcérale dans notre pays. 84 000 personnes sont actuellement détenues. La densité carcérale moyenne est de 134 %, jusqu'à 164 % en maison d'arrêt.

Et je voudrais ici saluer Monsieur le Directeur général, bientôt je l'espère, et l'ensemble des agents pénitentiaires qui travaillent dans ce contexte extrêmement difficile auprès des détenus et leur assurer mon soutien, et le plus important je suis sûr de l'ensemble de la Maison Justice et de la Nation.

Les récentes réformes pénales, en renforçant la réponse judiciaire, ont conduit incontestablement à cette hausse d'incarcérations, surtout plus longues et plus effectives. Sans pour autant offrir, nous le constatons, de réponses lisibles et claires en milieu ouvert.

La République ne se juge pas seulement à sa capacité à punir, c'est évidemment très important et demandé par nos concitoyens. Elle se mesure aussi à sa capacité à réinsérer. Or, aujourd'hui, cette capacité est fragilisée. Chacun le sait, même si tous les pays européens ont à peu près les mêmes problèmes que nous. La France est à un carrefour de sa politique pénale. Nous avons renforcé notre arsenal contre les violences contre la criminalité organisée notamment très récemment par la loi narcotrafic, contre les trafics de tout genre.

Nous avons décidé de construire des prisons de haute sécurité pour couper court à l'emprise des narcotrafiquants dans nos établissements, avec un régime carcéral nouveau dont nous allons inaugurer le 31 juillet prochain, la première prison à Vendin-le-Vieil.

Nous avons investi massivement depuis plusieurs gardes des Sceaux dans la modernisation carcérale, mais toutefois nous constatons la difficulté d'exécuter des peines, des peines exécutées trop lentement, des SPIP sous tension aux marges floues et parfois, il faut le dire, aux moyens dérisoires.

En toile de fond, une récidive trop fréquente, une société qui doute de sa Justice et des professionnels qui s'épuisent. Cela se comprend puisqu'à ce jour, 180 000 personnes sont suivies par des SPIP en milieu ouvert. Contre, je l'ai dit, 84 000 personnes en détention. Face à un tel écart. Il est urgent de renforcer le rôle structurant de la probation dans la politique pénale, de lui donner des moyens d'agir plus vite, plus directement et sans doute encore plus efficacement.

C'est pourquoi nous avons pris la décision, dès mon arrivée place Vendôme, de convoquer ces États généraux. Je sais qu'il y a eu déjà beaucoup de réunions d'États généraux de la Justice, des réflexions nombreuses, et c'est pour ça que je souhaite - nous verrons ça dans les tables rondes et je remercie les missions qui y travaillent - que le plus rapidement possible très concrètement, des moyens, des changements puissent avoir lieu pour l'ensemble de ceux qui travaillent dans la probation.

Ce moment est une écoute, une main tendue particulière aux professionnels de terrain qui font un travail difficile et formidable, une invitation à repenser l'avenir de nos services pénitentiaires d'insertion et de probation. Et au moment où je vais proposer cet été au Premier ministre une réforme de notre législation pénale et au moment où nous travaillons budgétairement à l'avenir 2026 et 2027, Madame la secrétaire générale, cette réflexion actuelle est importante pour les jours, pour les semaines qui viennent.

De très nombreux rapports convergent, du ministère de la Justice, de la Cour des comptes et d'autres institutions qui soulignent la même faiblesse. La peine en France souffre d'un déficit de lisibilité, d'efficacité et parfois, il faut le dire, de sens. Nous peinons à articuler prévention, exécution et réinsertion.

25 ans après leur création, les SPIP ont atteint une maturité certaine, mais leur identité professionnelle reste souvent floue. Leur reconnaissance inégale, c'est le moins qu'on puisse dire, et leur marge d'action contrainte. C'est une richesse ignorée, une ressource qu'il nous faut affirmer et redéployer en lui donnant un cap politique plus clair, une reconnaissance statutaire solide et une visibilité publique assumée.

D'abord, la catégorisation des personnes détenues manque d'efficience et de bon sens. La durée de la peine et le statut juridique devant le juge restent souvent le seul critère d'affectation dans le milieu carcéral, qu’il soit d'ailleurs dans le milieu fermé ou dans le milieu ouvert. Or, nous savons, comme nos amis anglais ou nos amis allemands, que seule une différenciation selon la dangerosité des profils des détenus et leur capacité à se réinsérer permet une gestion carcérale humaine plus sûre et plus efficace.

C'est le sens de la doctrine que nous défendons depuis plusieurs semaines : des établissements spécialisés, des régimes de détention adaptés, une affectation sur mesure qui ne dépend pas simplement des maisons d'arrêt aux personnes définitivement condamnées.

Enfin, la récidive demeure notre échec collectif. Tant que nous ne briserons pas le cycle de l'incarcération rejet récidive, nous continuerons à courir après des chiffres au lieu de construire la société plus sûre pour les Français et pour les personnes qui ont été condamnées.

Trop souvent donc la peine se résume à sa durée. Pourtant, ce qui manque le plus cruellement aujourd'hui - vous êtes très nombreux à me l’avoir dit depuis six mois de rencontres sur le terrain, les agents des SPIP, les agents pénitentiaires, les magistrats - c'est le contenu même de la peine, si peu évoqué qu'il en devient dans des cas souvent, voire trop souvent inexistants. Or, une peine sans contenu est une peine vide de sens. C'est aussi, trop souvent une peine illisible, perdue dans un empilement de mécanismes et de régimes dérogatoires. C'est pourquoi nous avons engagé une réflexion ambitieuse sur la refonte de l'échelle des peines. Cette réforme vise à recentrer notre droit autour de quatre piliers clairs, comme nos amis allemands : la peine de prison, la peine de probation, l'amende, notamment sous forme de jours amendes et les interdictions et obligations.

Il s'agit de reconstruire ou de construire un système plus lisible, plus efficace et véritablement dissuasif. Plus simple pour le magistrat et plus compréhensible pour le citoyen. La peine de probation est donc au cœur de cette évolution. Elle est, elle est ou elle devra être unique, autonome, lisible et se substituer aux mesures dispersées du milieu ouvert. Elle est prononcée par le juge mais exécutée sous la responsabilité du SPIP et elle permet l'évaluation en amont de la condamnation. Elle est modulable, exigeante et doit être reconnue absolument comme une véritable peine à part.

Pour que cette peine soit efficace, nous devons donc simplifier. Trop souvent, les SPIP doivent attendre une décision du juge d'application des peines pour ajuster la mesure. Nous devons inverser cette logique, permettre au SPIP d'agir, de réévaluer, de moduler sans formalisme excessif, tout en informant le magistrat et permettre une plus grande efficacité et une plus grande rapidité.

Cette responsabilisation à droit constant est un levier immédiat de crédibilité pour l'ensemble des agents qui travaillent dans les SPIP, comme pour notre politique pénale. Cela suppose aussi de renforcer la place et le rôle du SPIP dans les juridictions dès la phase pré-sentencielle, avec des enquêtes sociales rapides, puis des décisions de justice, comme le fait le Bureau d'exécution des peines. L'objectif étant que le juge ait une visibilité sur les capacités d'accompagnement dès l'audience, j'allais dire même dès la garde à vue, et que l'exécution de la peine commence sans rupture.

C'est pourquoi il est urgent de replacer au cœur de nos pratiques le travail partenarial entre les magistrats et les services pénitentiaires d'insertion et de probation. En amont, pour construire la peine adaptée, individualisée qui tient compte de la trajectoire de la personne condamnée et en aval, pour que l'exécution de cette peine ne soit pas un simple mécanisme, mais un parcours structurant, exigeant et surtout porteur de sens.

L'échelle des peines ne doit donc plus être une collection hétéroclite de sanctions - jusqu'à 235 pour le magistrat - mais un outil cohérent et intelligible pour le citoyen, les magistrats eux-mêmes et les professionnels du SPIP, ainsi que pour la personne condamnée.

En affirmant que toute peine prononcée est une peine exécutée, qu'elle soit brève ou alternative. Nous redonnons de la valeur au prononcé judiciaire, à l'autorité de l'État et nous restaurons l'autorité de la décision pénale et du juge.

Redonner du corps à la peine, c'est refonder notre ambition en matière de justice pénale. Ces États généraux doivent donc être un moment de décision, mais aussi un moment pour rendre visible ce qui est trop souvent invisible : les réussites silencieuses des SPIP, le travail quotidien des CPIP, les ponts que vous bâtissez entre les personnes condamnées et la société. C'est un moment pour dire ce que nous attendons : une justice pénale exigeante et une probation qui n'est ni une indulgence ni une impasse, mais une alternative crédible, encadrée, ambitieuse pour favoriser le parcours de chacun et éviter au maximum le lieu carcéral.

Cette philosophie, pour être efficace et crédible, doit prendre corps au sein même de notre administration. C'est pourquoi j'ai décidé la création de la Direction générale de l'administration pénitentiaire en octobre prochain. Je remercie les services de Monsieur le Premier ministre et le Secrétaire général du Gouvernement de nous accompagner. Première direction générale du ministère qui consacrera une administration à deux jambes : la sécurité et la probation.

Ces deux jambes doivent marcher ensemble pour répondre à un seul et même objectif commun, concilier la rigueur de la détention et l'exigence de la réinsertion de l'autre.

Quel est l'enjeu ? C'est d'abord de donner le contenu le plus robuste possible à la peine. Redire que la peine ne s'arrête pas au prononcé du jugement, mais qu'elle commence au prononcé du jugement.

Elle s'exécute, se comprend, se transforme. Elle porte un message pour la société et un chemin pour la personne condamnée. Il s'agit donc de renforcer la lisibilité et la crédibilité de notre chaîne pénale. Les citoyens ne comprennent plus l'enchevêtrement des régimes, l'enlisement des délais, la faible cohérence entre sanction et réinsertion. Trop de professionnels perdent le sens de leur mission par cette complexité. Le temps de la probation comme parent pauvre de la chaîne pénale doit enfin être révolu.

C'est enfin redonner toute sa place à l'insertion dans la sécurité publique. Car oui, une réinsertion réussie est une protection durable pour toute la société. Elle est le rempart contre la récidive, l'outil de la paix sociale, l'expression concrète de notre idéal républicain.

Comment allons-nous conduire ces États généraux ? Avec méthode, mais surtout avec vous ? Je remercie chacune et chacun d'être présents ce matin. La mission d'appui confiée à l'Inspection générale, chère Stéphane, pilotera cette démarche en lien avec la DAP et la DACG que je remercie et que je salue pour leur présence et leur travail malgré les très nombreux textes et travaux engagés depuis quelques mois.

Cette mission s'appuiera sur un calendrier clair, une consultation large et une mobilisation à tous les échelons.

D'abord d'avril à juillet donc, nous terminons quasiment cette phase, la phase de diagnostic, de rencontres, d'enquêtes et d'auditions. Dix directions interrégionales, des dizaines de sites visités, des centaines de professionnels déjà entendus. Je remercie très franchement la mission pour ce travail en un temps record.

De septembre à novembre, les tables rondes locales et nationales qui concernent les SPIP, les magistrats, les élus, les partenaires, les chercheurs. Partout, la parole sera donnée au terrain par des professionnels de terrain.

Et tout début décembre un rapport de synthèse formulera des propositions innovantes, consensuelles. Certaines mises en œuvre à droit constant, d'autres appelant des ajustements législatifs. Et je rendrai évidemment public ce rapport dès qu'il nous sera rendu.

Nous ferons aussi appel à l'intelligence collective, à l'écoute active, à toutes les expérimentations de terrain, elles sont nombreuses, chacun le sait, dans chacun des services délocalisés de notre administration.

Quels sujets allons-nous aborder ? Deux tables rondes, vous le constaterez, vont structurer les échanges de cette matinée.

La première posera la question simple en apparence, mais en réalité centrale : qu'est-ce que l'insertion et la probation aujourd'hui ? Quels outils, quelles méthodes, quelle ambition pour accompagner les personnes condamnées vers la sortie durable de la délinquance ?

La seconde s'attachera à la réflexion, plus prospective. Comment repenser la peine et redéfinir le rôle de la probation dans la nouvelle échelle des peines ? C'est là un chantier essentiel si nous voulons bâtir une justice plus efficace, plus humaine et réellement tournée vers la prévention de la récidive. Mais cela concernera tous les sujets que vous jugerez aussi utiles et également ceux que nous devons collectivement poser sur la table, comme la création de la peine unique de probation, lisible et modulable, l'émergence ou non d'un officier de probation, pivot opérationnel du SPIP, la pluridisciplinarité : comment mieux intégrer les psychologues, les assistants sociaux, les éducateurs au sein de nos équipes ? La place du SPIP en pré-sentenciel, de l'évaluation initiale et en post-sentenciel sur la durée, les liens avec la société civile, les associations, les élus locaux garants d'une réinsertion ancrée dans toutes les communes de France.

Rien n'est décidé. Je veux dire qu'aucun de ces dispositifs ne verra le jour dans le projet de loi que je propose à Monsieur le Premier ministre, des articles, cependant, seront laissés libres, peut-être dans un premier temps sous forme de propositions d'ordonnances, pour que justement ces États généraux, ensemble, avec conférences, syndicats et professionnels, nous décidions de l'ensemble de ces questions très importantes que j'évoque devant vous.

Nous voulons faire aussi entendre la voix des usagers, des anciens condamnés, des victimes. L'expérience qu'ils ont vécue éclaire nos angles morts et leur parole sera précieuse.

Ce que nous lançons aujourd'hui, c'est une démarche que j'espère rapide et audacieuse, qui ne connaît pas de censure, qui propose, qui interroge, qui disrupte, qui bouscule, avec un besoin collectif d'exercice concret et formel et des décisions avant la fin de l'année.

Le droit ne suffira pas, ne suffira jamais à résoudre toutes les impasses de la société. Mais il nous faut une politique pénitentiaire plus claire, plus compréhensible, plus efficace, une politique pénale de la même augure, plus lisible, plus compréhensible.

Pour cela, le regard du terrain est irremplaçable. Et je veux vous redire à l'ensemble des professionnels du ministère de la Justice, magistrats, greffiers, agents pénitentiaires, agents d'insertion et de probation, tous ceux qui travaillent au sein des structures du ministère de la Justice, ma confiance et mon profond respect devant la difficulté de la tâche, tant il est vrai qu'il n'est pas simple de porter le nom d'une vertu.

Je sais l'engagement qui est le vôtre et celui du service public dans les temps où il est loisible de le critiquer. Je veux que les États généraux que nous avons aujourd'hui soient l'occasion de valoriser la profession des SPIP, votre savoir-faire, votre contribution essentielle à la Justice et la société de demain.

Nous ouvrirons à l'issue de ces États généraux le temps d'arbitrages et de décisions où chacun sera de nouveau consulté.

Il n'y aura pas de suites molles, il y aura des mesures fortes et des suites concrètes. Et évidemment, à la fin trancher un arbitrage qui se fera de manière le plus consensuel possible, je me bats pour ça et pour des moyens supplémentaires.

Je veux dire que les États généraux d'insertion et de probation sont donc l'autre pilier de notre politique pénale. A côté de la refondation sécuritaire nécessaire portée par les nouvelles prisons de haute sécurité et les dispositions législatives que je proposerai au Parlement.

Ces deux démarches, la sécurité et la réinsertion ne sont pas substituables, elles ne sont pas simplement complémentaires. Elles incarnent en une seule exigence, celle de la République qui punit, qui protège, humaine, conforme à ses principes, fidèle à ses valeurs et qui ne renonce jamais à accompagner et à reconstruire.

Mesdames, Messieurs, je déclare ouverts les États généraux d'insertion et de probation et je vous remercie de votre travail collectif. Merci à vous.