[Archives] Premier bilan de la Loi de sauvegarde

Publié le 29 janvier 2007

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux lors des entretiens de la sauvegarde

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Monsieur le Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation,
Monsieur le Président de l’Institut Français des Praticiens des Procédures Collectives,
Monsieur le Président de l’Association des Avocats Conseils d’Entreprise,
Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de me trouver parmi vous aujourd’hui pour clore cette journée, qui a eu pour objet de tirer un premier bilan des conditions d’application de la loi de sauvegarde des entreprises.

J’attache, comme vous le savez, le plus grand prix au succès de cette loi, essentielle pour les entreprises et les emplois.

En organisant les « Entretiens de la sauvegarde », dans la continuité de la journée consacrée, le 30 janvier 2006, à l’entrée en vigueur de cette loi et dont le succès a été exemplaire, l’Institut Français des Praticiens des Procédures Collectives et l’association des Avocats Conseils d’Entreprise se sont inscrits résolument dans la perspective d’un rendez-vous annuel. Je tiens à les en féliciter très vivement.
Cette initiative est excellente car les bienfaits d’une réforme, au même titre que les difficultés d’application qu’elle fait naître, apparaissent progressivement aux praticiens. Le partage des expériences acquises, l’analyse de la jurisprudence et les débats doctrinaux sont une nécessité. Ils rejoignent l’impératif de formation dont chacun reconnaît l’évidence.

Permettez-moi de saluer les maîtres d’œuvre de cet ambitieux projet, Maître Thierry Montéran et Monsieur le Professeur Pierre-Michel Le Corre.
Je sais combien ils se sont attachés, non seulement à organiser vos travaux, en coordonnant les interventions d’un nombre impressionnant de spécialistes reconnus, mais à tout mettre en œuvre pour les pérenniser. Je me fais votre interprète à tous pour les assurer de notre gratitude et de nos encouragements.

D’ores et déjà, le bilan qui peut être fait de l’application de la loi de sauvegarde des entreprises, un an après son entrée en vigueur, est celui d’une grande réussite.

Vous avez choisi, comme le législateur, de faire de la sauvegarde l’emblème de la réforme. Vous avez eu raison. La sauvegarde est la procédure phare du dispositif nouveau. Il faut souligner qu’elle est nouvelle et qu’elle ne peut être engagée qu’à l’initiative du chef d’entreprise.

Elle doit ainsi convaincre et non être imposée. Et justement, le message selon lequel il est préférable de demander à temps la protection de la justice plutôt que d’attendre de devoir déposer le bilan a été bien reçu par les entrepreneurs.

En effet, 147 tribunaux statuant en matière commerciale sur 213 (soit 70% d’entre eux) ont ouvert au moins une procédure de sauvegarde. Le tribunal de commerce de Lyon à lui seul en a ouvert plus de 30. Après la région Rhône Alpes, les régions Provence Alpes Côte d’Azur, Ile de France, Aquitaine et Bretagne sont celles qui en ont connu le plus grand nombre.

Au total, en l’état actuel des publications faites des décisions, plus de 500 procédures ont été ouvertes en 2006. Ce nombre est en augmentation constante.

La procédure de sauvegarde intéresse toutes les entreprises, non seulement celles de la taille d’Eurotunnel, dont les 17 sociétés du groupes ont pu être sauvées grâce à la sauvegarde, mais aussi les plus petites.
Je compte sur vous pour faire savoir au plus grand nombre que 50% des sauvegardes ont été ouvertes au bénéfice d’entreprises de moins de 10 salariés.

En 2006, la procédure de sauvegarde a sauvé de nombreuses entreprises et de nombreux emplois.
D’une part, même si les chiffres ne sont pas définitifs, le nombre des licenciements intervenus dans le cours des procédures collectives ne cesse de baisser.
D’autre part, plus de 11.000 salariés ont vu leur emploi préservé par les 500 sauvegardes. Souhaitons que ce mouvement très positif se poursuive en 2007.

La confiance qui conduira à un usage encore plus important des nouvelles procédures viendra de leur issue. Si cette confiance fait défaut au redressement judiciaire, c’est que 30% seulement de ceux-ci aboutissent habituellement à un plan. Au contraire, à ce jour, 85% des sauvegardes ouvertes sont toujours en cours ou ont abouti de manière positive.

Tout laisse penser que pour elles le taux d’échec sera considérablement réduit. La sauvegarde pourra bénéficier de l’avantage que lui procurera le caractère public de ses succès : à cet égard, l’impact sur nos concitoyens de la réussite de la procédure Eurotunnel est et sera un atout pour sa promotion.

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A la différence de la sauvegarde, il est difficile de dresser un premier bilan statistique de la procédure de conciliation. Cette procédure est, en effet, par principe confidentielle. Les premiers échos des juridictions sont cependant, là aussi, très positifs. Chacun a bien conscience de l’avantage d’avoir recours à une procédure amiable.

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Permettez-moi, après ces quelques mots destinés à vous faire savoir combien je crois au succès de la loi de sauvegarde, de faire porter mes propos sur les thèmes choisis pour les tables rondes et pour les ateliers qui ont eu lieu cette journée, afin de vous livrer quelques observations qui m’apparaissent importantes.

« Un an après : constat, difficultés, remèdes ». Je viens de vous exposer le constat que j’ai fait du succès de la réforme au cours de ses premiers mois d’application. Vous connaissez bien tous la complexité du droit des entreprises en difficulté. Il ne sera jamais simple, car il est dérogatoire au droit commun et doit tenir compte d’intérêts contradictoires tout en protégeant les intérêts de chacun.
Bien sûr, une législation qui ouvre des choix est plus complexe à appliquer qu’une législation qui impose la voie à suivre. Cette capacité de choix est une chance pour ceux d’entre vous qui conseillez les chefs d’entreprise.

Vous avez ainsi sans doute déjà découvert que l’homologation des accords amiable en conciliation est très utile lorsque le débiteur les a négociés en cessation des paiements. Vous êtes également déjà sûrement convaincus que les contraintes qui s’imposent au débiteur en sauvegarde, telles que l’interdiction qui lui est faite de céder son patrimoine sans autorisation judiciaire liée à l’inventaire qui permet qu’elle soit respectée, sont des garanties pour les créanciers.

Le fait que la sauvegarde soit une procédure collective a permis son inscription parmi les procédures de l’Annexe A du règlement européen relatif aux procédure d’insolvabilité. J’en viens ainsi au thème de votre seconde table ronde. C’est une grande chance pour cette procédure.

Notre principe d’anticipation est ainsi reconnu dans toute l’Union Européenne et il ne fait pas de doute qu’il va y faire des émules.
Bien sûr, le Gouvernement n’a pu demander une telle inscription pour la conciliation qui ne répond pas aux critères définissant les procédures d’insolvabilité.

Je vous rappelle également que l’objet du règlement est d’éviter le forum shopping et je vous mets donc en garde contre toutes les pratiques qui viseraient à voir reconnaître la compétence des juridictions au-delà des règles de droit. S’engager dans cette voie serait un exercice très dangereux dont l’amplification causerait le plus grand tort aux entreprises et aux emplois.

Vous avez, après ces tables rondes, poursuivi vos travaux en ateliers, organisés chacun autour de l’un des thèmes principaux issus de la loi de sauvegarde.

Je suis impressionné par le nombre des intervenants à ces ateliers, qui manifeste combien la mobilisation est toujours grande autour du sujet qui nous rassemble.

D’une part, vous vous êtes interrogés sur ce que pouvait être une prévention efficace. Vous avez eu le grand mérite de poser une question essentielle pour les droits de nos concitoyens entrepreneurs : celle de savoir comment concilier l’impartialité du juge appelé à juger et le fait qu’il puisse être appelé, antérieurement, à rencontrer, dans le secret de son cabinet, le dirigeant de l’entreprise en cause.

La crédibilité de la justice commerciale serait gravement atteinte si une stricte séparation des rôles n’était pas respectée. Je ne mésestime pas les difficultés qui peuvent en résulter pour les plus petites juridictions à mettre en place une politique de détection des difficultés des entreprises. Mais, à trop vouloir concilier l’inconciliable elles prendraient le risque de se voir reprocher un défaut d’impartialité et, en conséquence, le juge se trouverait conduit à devoir se déporter.

Bien sûr, dans la sauvegarde, vous avez traité des comités de créanciers. Vous avez choisi comme intervenants les meilleurs spécialistes de cette possibilité nouvelle d’élaboration des plans. Ces comités de créanciers ont connu récemment les feux de l’actualité.

Pour la première fois, dans un dossier de toute première importance, il a été possible d’imposer une règle majoritaire pour définir les conditions de la remise de la dette. Il peut désormais être mis fin aux situations de blocage qui ont porté le plus grand préjudice à de nombreuses entreprises.

Seule la volonté des créanciers, exprimée au sein de groupes homogènes, pouvaient permettre un tel résultat. Le rôle du juge est redéfini comme étant celui de garantir le respect des droits de chacun.

Le débiteur et la majorité des créanciers s’accordent sur les modalités d’un plan. Le tribunal examine scrupuleusement si l’intérêt des créanciers minoritaires et celui de ceux qui n’étaient pas dans les comités a été respecté.

La procédure Eurotunnel a démontré que l’alliance de deux dispositifs nouveaux peut produire d’excellents résultats : d’une part, la sauvegarde, c'est-à-dire l’anticipation, et d’autre part, les comités, c'est-à-dire la négociation et la reconnaissance du droit aux créanciers de prendre des décisions impératives dans le cours des procédures.

Certes les comités peuvent être réunis en redressement judiciaire et j’espère qu’ils le seront. Mais les conditions du succès de leur réunion seront meilleures en sauvegarde.

Leurs règles de fonctionnement ont volontairement été laissées peu contraignantes. Seule l’expérience d’un nombre suffisant de précédents permettra de les préciser utilement.

Vous n’avez pas négligé les situations dans lesquelles l’entreprise devait changer de mains pour demeurer pérenne. Les cessions forcées d’entreprises ont été au cœur de nombreuses critiques faites à notre droit, le débiteur comme le créancier contestant les conditions dans lesquelles elles étaient décidées. Personne ne regrette qu’une plus grande rigueur accompagne désormais celles qui ont lieu dans le cours des liquidations judiciaires.

Néanmoins, il est apparu indispensable de les permettre dans celui des redressements judiciaire, plus propices à leur préparation. Cette dualité fait partie du principe selon lequel les procédures doivent être choisies en fonction des avantages qu’elles procurent dans une situation donnée.
Il aurait été d’une rare complexité de construire deux droits différents pour la cession d’entreprise. La combinaison des règles du redressement et de la liquidation judiciaire nécessitent ainsi un temps d’adaptation. Je n’émets aucun doute sur la capacité avec laquelle les praticiens sauront l’abréger.

L’un de vos ateliers s’est intéressé au sort des créanciers dont les droits ont été modifiés, d’une part par la réforme du droit des sûretés, d’autre part, par la meilleure reconnaissance de leur légitimité lors des procédures collectives. Ainsi, a-t-il été admis que celui qui omet de déclarer sa créance en temps utile ne perd plus l’intégralité de ses droits et a-t-il été réservé le privilège de la procédure à celui qui y a effectivement contribué en supportant un risque d’impayé en connaissance de cause.

Les conséquences économiques et sociales des défaillances d’entreprise sont telles qu’il ne peut être question d’éluder la question de savoir si certains n’en n’ont pas, par des comportements fautifs ou frauduleux, été responsables. Vous avez eu raison de vous intéresser aux conditions dans lesquelles les responsabilités pouvaient être invoquées dans le cours des procédures.

Le principe d’impartialité, dont je viens de vous rappeler, à l’occasion d’un autre sujet l’importance, rendait nécessaire l’abandon des saisines d’office aux fins de sanctions, en conséquence le rôle du ministère public a été amplifié. J’ai demandé aux procureurs généraux qu’ils prennent toutes mesures utiles à remplir cette mission nouvelle.

Le sixième de vos ateliers a été consacré à l’application des procédures rénovées aux professionnels libéraux exerçant à titre individuel.
La prise de conscience de la nécessité de cet aspect essentiel de la loi de sauvegarde me semble avoir été tardive. Elle s’imposait néanmoins et est désormais une réalité. Au-delà des questions de procédure, j’appelle l’attention des ordres ou des autorités professionnelles sur l’importance de leur rôle en ce domaine. Il est crucial, non seulement lors des procédures mais également en amont, en matière de prévention.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée d’évoquer ce sujet pour vous redire que je suis ouvert à une réflexion sur l’opportunité de permettre la cession des actifs incorporels des professionnels libéraux en liquidation judiciaire.

Avant de conclure mes propos, je me permets de vous suggérer un thème supplémentaire pour les Entretiens de la sauvegarde de l’année 2008 : celui de la prise en compte des principes fondamentaux de la procédure civile par le droit des entreprises en difficulté.

J’ai été conduit à me référer plusieurs fois au principe de l’impartialité qui s’impose au juge, j’aurais pu tout autant évoquer celui du contradictoire, des droits de la défense et de l’office du juge.

La célérité et la confidentialité, qui sont gage de succès dans une matière ou, beaucoup plus qu’ailleurs, le temps est destructeur, doivent être conciliées avec le respect de ces principes. Le pragmatisme a ses limites lorsque le patrimoine tout entier du justiciable est en jeu. L’investigation dans la vie privée, même professionnelle, ne peut être légitime que lorsqu’elle est indispensable etaccompagnée d’une information très précise de celui qui est concerné. Voilà pourquoi, le décret d’application de la loi de sauvegarde des entreprises a rappelé que les règles du nouveau code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI du code de commerce.

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Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,

Au-delà de mon souhait de vous voir organiser les Entretiens de la sauvegarde de l’année 2008 et mon désir qu’ils deviennent un événement habituel et attendu, je tiens à conclure mes propos par une note d’un grand optimisme.

Grâce à vous, la loi de sauvegarde commence à être mieux connue de nos concitoyens. Elle produit des premiers effets très positifs. Tant mieux pour nos entreprises et nos emplois.

Je vous remercie.