[Archives] Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Publié le 25 septembre 2007

Discours de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice - Assemblée nationale

J'ai à nouveau l'honneur de me présenter devant vous au nom du Gouvernement. Vous allez examiner en première lecture le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté.

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Monsieur le Président,

Monsieur le Président de la Commission des Lois

Monsieur le Rapporteur,

Mesdames et Messieurs les Députés,

J'ai à nouveau l'honneur de me présenter devant vous au nom du Gouvernement. Vous allez examiner en première lecture le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté.

 

La République doit montrer qu'elle ne s'arrête pas aux portes des lieux de privation de liberté.

Elle doit pouvoir s'assurer du respect des droits fondamentaux de ceux qu'elle a décidé d'isoler.

Elle doit pouvoir garantir l'équité de traitement et le respect de la personne humaine dans tous les lieux de privation de liberté.

 

Mesdames et Messieurs les Députés, le projet de loi que vous examinez aujourd'hui s'attache à répondre à ces exigences.

Je sais que vous souhaitez l'améliorer. Les débats au Sénat ont déjà permis de clarifier certains points. Votre commission des lois a des amendements avisés à vous soumettre. Je veux dire au président Warsmann que je suis très sensible à la qualité des contributions de la commission. Je veux aussi remercier Philippe Goujon, votre rapporteur : sa réflexion et sa connaissance du sujet apportent constamment un éclairage très pertinent. Elles seront fort utiles tout au long de l'examen du projet de loi.

Ce projet a une genèse. Il porte une volonté. Il fixe des principes.

  • 1. La genèse du projet

L'idée d'un contrôle extérieur a mûri depuis une dizaine d'années. Elle doit beaucoup aux réflexions du Parlement. Elle résulte des engagements de la France.

Je voudrais rappeler ici les grandes étapes de cette genèse. C'est en 1999 qu'Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, a pris l'initiative de réunir une commission. Cette commission était chargée d'étudier les modalités du contrôle extérieur des prisons. Elle était présidée par le Premier président de la Cour de Cassation. Dans son rapport remis en mars 2000, Guy Canivet préconisait l'instauration d'un organe de contrôle indépendant.

Ses conclusions ont nourri vos réflexions. Elles ont donné l'impulsion à plusieurs initiatives parlementaires.

A l'Assemblée nationale, une commission d'enquête a été créée sur la situation dans les prisons françaises. Différentes propositions de loi ont été ensuite déposées, à l'initiative de deux de vos collègues : je pense aux propositions de Marylise Lebranchu ou à celle de Michel Hunault.

Au Sénat, les travaux d'une autre commission d'enquête a débouché sur le vote d'une proposition de loi en 2001.

Toutes ces initiatives ont été déterminantes dans la genèse de notre projet. Elles ont enrichi la réflexion. Elles ont conduit à s'interroger sur les autres lieux d'enfermement que les prisons. Elles témoignent aussi de la qualité de vos investigations, au travers d'une mission peu connue de nos concitoyens : je pense à la visite des prisons.

Enfin, ce projet est directement issu des engagements européens et internationaux de la France.

La France a en effet signé en 2005 le protocole facultatif à la Convention des Nations-Unies contre la torture, les traitements inhumains, cruels ou dégradants.

Ce protocole préconise l'instauration d'un « mécanisme national de visites régulières dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté sur décision de l'autorité publique ».

En adoptant ce projet de loi, vous mettrez notre pays en position de ratifier cet engagement international au premier semestre de l'année 2008.

J'ajoute que nous voulons mettre en œuvre les nouvelles Règles Pénitentiaires Européennes. Ce sont des recommandations du Conseil de l'Europe. Parmi elles figure la nécessité d'un « contrôle indépendant, mené par une autorité qui rendra publiquement compte de ses conclusions ».

Vous le voyez, les conditions sont aujourd'hui réunies pour instituer dans notre pays un contrôle indépendant et global des lieux de privation de liberté.

C'est la volonté que porte notre projet de loi.

  • 2. La volonté portée par le projet

Il est en effet porteur d'une volonté de transparence et d'humanité.

La transparence, elle est au cœur de notre conception de la République. La République doit pouvoir rendre compte de ce qu'elle voit et de ce qu'elle fait.

L'institution du contrôle par une autorité indépendante marque une avancée de notre Etat de droit. Un Etat de droit n'a pas à craindre le contrôle d'une autorité indépendante du pouvoir exécutif. Au contraire, il a tout à redouter du soupçon d'opacité qui pèserait, sans cela, sur le fonctionnement de ses institutions.

Un soupçon qui serait injuste pour les personnels en charge des lieux de privation de liberté. Je pense aux fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, aux policiers et aux gendarmes, aux douaniers, aux personnels hospitaliers, aux militaires. Tous s'acquittent de missions essentielles, dans des conditions souvent difficiles, parfois dangereuses.

Je tiens à leur rendre hommage.

Depuis mon entrée en fonction, j'ai rencontré beaucoup de fonctionnaires de l'administration pénitentiaire. Ils m'ont conforté dans ce projet ; leurs organisations syndicales me l'ont dit : ils sont les premiers à souffrir de l'image de leur métier et de leurs missions qui est parfois dévalorisée.

Ils ont besoin d'un regard extérieur sur un univers par nature isolé. Un regard extérieur sur un monde intérieur. Cela vaut tout autant pour les personnes qui sont privées de liberté.

La transparence est au cœur de notre conception de la République. L'humanité est au cœur de nos valeurs.

La privation de liberté est parfois nécessaire. En contester le bien-fondé, c'est refuser de voir en chacun un être responsable de ses actes. Un citoyen. Un être humain. C'est aussi dénier le droit à la réinsertion et à la réhabilitation qu'elle rend possible.

Pour autant, toutes les personnes privées de liberté gardent des droits fondamentaux. Il faut les respecter.

Ces droits, je vous proposerai de les renforcer pour les détenus. Ils feront l'objet du projet de loi pénitentiaire que je vous soumettrai en novembre.

Sans attendre, nous pouvons nous donner les moyens de les faire respecter. C'est la mission du contrôleur général que je vous propose d'instituer aujourd'hui.

Nous n'instituons pas un contrôle, mais un contrôleur des lieux de privation de liberté. Les mots ont leur importance. Nous allons conférer une autorité à un homme ou à une femme. L'humanisation des conditions de vie dans les lieux de privation de liberté commence peut-être par là.

Notre volonté d'humanité est à l'origine même du projet de loi. Venons-en aux principes qu'il fixe.

  • 3. Les principes du projet de loi

L'examen des articles sera l'occasion de détailler le contenu du texte. Je veux insister sur les deux principes essentiels que nous avons retenus :

  • 1/ Nous voulons donner au contrôleur général le statut d'autorité indépendante ;
  • 2/ Ses missions s'exerceront à l'égard de tous les lieux de privation de liberté.

Le contrôleur général, nommé par le Président de la République, aura le statut d'autorité indépendante. Cela signifie qu'il en aura la légitimité et l'efficacité.

Son indépendance sera garantie par un mandat de six ans, non renouvelable. Elle est renforcée par les incompatibilités prévues par le projet de loi.

Elle se manifestera aussi dans la constitution de son équipe : le contrôleur général disposera de toute la latitude nécessaire pour organiser une équipe pluridisciplinaire. Il recrutera les contrôleurs qui l'assisteront : recrutement par voie de détachement s'il s'agit d'agents publics ; par voie de contrat s'ils viennent du secteur privé. Il en aura les moyens.

On le dit souvent : c'est l'homme (ou la femme) qui fait la fonction. C'est vrai ! La légitimité et l'efficacité du contrôleur général viendront aussi de son action. Il s'imposera par la qualité de ses recommandations.

L'exemple du médiateur de la République est parlant : les personnalités successives qui ont exercé cette fonction éminente ont enraciné le médiateur dans notre paysage institutionnel. Ils lui ont donné une notoriété et une efficacité que l'on n'imaginait sans doute pas au départ. Jean-Paul Delevoye me l'a confié : il apportera toute son aide au futur contrôleur général. Le projet de loi, amendé par le Sénat, prévoit d'ailleurs qu'il pourra le saisir.

Le second point sur lequel je souhaite insister, ce sont l'étendue et les modalités du contrôle : les missions du contrôleur général s'exerceront à l'égard de tous les lieux de privation de liberté.

C'est, me semble-t-il, la force du projet présenté par le Gouvernement. C'est son originalité.

La mission du contrôleur général porte bien au-delà des frontières du monde carcéral.

La sanction pénale n'est pas la seule cause de privation de liberté. On peut aussi retenir quelqu'un contre sa volonté, pour le protéger de lui-même et d'une fragilité qui le met en danger à l'extérieur.

C'est pourquoi le projet de loi concerne tous les lieux de privation de liberté sur le territoire de la République : depuis les zones d'attente des aéroports jusqu'aux secteurs psychiatriques des établissements hospitaliers. 5 788 lieux ont été recensés. Le projet de loi évite leur énumération. Il en donne une définition suffisamment large pour s'adapter à toute évolution.

Ces lieux dépendent de différents ministères : 219 relèvent du ministre de la justice. Les autres relèvent des ministres de l'Intérieur, de l'Immigration et de l'Intégration, de la Défense, de la Santé et du Budget.

Ces lieux n'ont pas les mêmes raisons d'être.

Leurs populations n'ont parfois rien en commun, sinon un trait essentiel : la dignité humaine que chacun conserve, malgré sa situation, malgré la sanction pénale, malgré la maladie mentale.

« Une société se juge à l'état de ses prisons », disait Albert Camus. En ce début de XXIe siècle, nous devons étendre ce constat à l'ensemble des lieux d'enfermement. Il sera à l'honneur de la France de faire respecter les droits fondamentaux partout où se trouvent des personnes privées de liberté.

Les établissements pénitentiaires ne sont pas les seuls à répondre de cet impératif.

Les étrangers en centre de rétention doivent être pris en charge avec dignité. Un interprète doit pouvoir être présent pour les aider à comprendre leur situation.

Les personnes gardées à vue ont des droits fondamentaux qu'il convient de respecter.

La vulnérabilité des malades, dans les hôpitaux psychiatriques, appelle un surcroît particulier de vigilance pour le respect de leurs droits. Leur faiblesse ne doit pas interdire le maintien de relations avec le monde extérieur. Ils doivent avoir la possibilité de garder une vie de famille.

La mission du contrôleur général sera d'y veiller. C'est une mission globale, confiée à une autorité nouvelle.

Nous aurions pu faire d'autres choix. Le protocole facultatif à la convention de l'ONU nous en donnait la possibilité.

Je crois sincèrement qu'il était nécessaire de donner une lisibilité à l'action des différents organismes qui veillent déjà au respect de la dignité humaine dans les lieux de privation de liberté.

Des mécanismes de contrôle interne existent déjà depuis longtemps. Ils se doublent de contrôles extérieurs. Je pense par exemple à la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité. Depuis 2001, ses avis et rapports ont eu un impact réel sur les services et les lieux qu'elle a visités.

Comme la CNDS, les organismes et les inspections qui font du contrôle accomplissent un travail rigoureux et indispensable. La fréquence variable des interventions, la diversité des modes de saisine, la disparité des compétences posent problème. Ils expliquent l'effet d'éclatement de la perception de leur mission.

Le contrôleur général n'aura pas vocation à se substituer à ces organes. Il travaillera au contraire en coordination avec eux. En prêtant un nom et une voix forte à leur cause, il renforcera l'efficacité de leur action. La voix d'un homme porte plus haut et plus loin que les conclusions d'un rapport.

 

J'étais en juillet, avec Philippe Goujon, à Londres. Nous avons rencontré Mme Anne Owers, inspectrice en chef des prisons britanniques.

ette fonction existe depuis 1981. Mme Owers nous a fait partager ses observations. Son analyse m'a confortée dans le choix d'un contrôle concentré autour d'une personnalité unique et d'une équipe pluridisciplinaire.

 

Le modèle britannique a inspiré notre projet. Il m'amène à évoquer les visites et les pouvoirs du contrôleur général.

En Grande-Bretagne, chaque visite de l'inspecteur en chef donne lieu à une information préalable, puis à un rapport, accompagné de recommandations aux autorités.

95 % de ces recommandations sont admises par l'administration. 75 % en moyenne sont suivies d'effet dans les deux ans. L'inspecteur en chef le vérifie à l'occasion d'une visite inopinée.

Vous le savez, il y a eu un débat en France sur cette possibilité de « visites inopinées ». Le Sénat a souhaité que toute ambiguïté soit levée. Le Gouvernement a donné un avis favorable à cet amendement. Le contrôleur général pourra, sous réserve de motifs graves et bien identifiés, effectuer des visites à tout moment.

*

Mesdames et Messieurs les Députés, j'ai conscience des efforts que la mise en œuvre de ce contrôle demandera aux administrations concernées.

Je suis convaincue qu'un dialogue bénéfique pourra s'établir à l'occasion des investigations. Ce dialogue est d'ailleurs la meilleure promesse de résultats concrets.

Je sais que ce projet fait naître une grande attente. Nous avons la volonté de le faire aboutir rapidement. Si l'Assemblée nationale l'adopte, le Sénat est prêt à l'examiner en deuxième lecture dès le 23 octobre. Mon souhait est que le contrôleur général puisse entrer en fonction au début de l'année 2008 pour accomplir la mission que vous lui aurez confiée.

« L'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics », proclame en préambule la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen.

Je vous propose de marquer ensemble un nouveau progrès aujourd'hui, en veillant au respect des droits fondamentaux jusque dans les lieux où l'on est privé de liberté.

Je vous remercie.