En 1986, sous l’impulsion de Robert Badinter, alors ministre de la Justice, et de Jack Lang, ministre de la Culture, le premier protocole interministériel définissant la politique en matière de participation à la vie culturelle des personnes placées sous main de justice était signé. Depuis près de 40 ans, ce partenariat est renouvelé et participe pleinement à la mission de réinsertion de l’administration pénitentiaire. Par ailleurs, le code pénitentiaire prévoit une obligation d’activité en détention : l’art et la culture en font partie, au même titre que le travail, le sport ou la formation professionnelle.
Qui sont les publics concernés ?
Toutes les personnes placées sous main de justice doivent pouvoir accéder à l’art et à la culture : sous réserve de certaines décisions judiciaires, la participation à la vie culturelle est un droit dont elles ne sont pas privées. Les personnes mineures ou majeures, en milieu fermé (détention, centre éducatif fermé) ou ouvert, peuvent ainsi prendre part aux activités culturelles en fonction de leur appétence et de leurs besoins.
Quel cadre pour la pratique culturelle et artistique des personnes sous main de justice ?
Le quatrième protocole entre les ministères de la Justice et de la Culture a été signé en 2022 pour une durée de cinq ans. Ce texte prévoit notamment :
- la mise en place d’espaces dédiés aux pratiques culturelles au sein des établissements pénitentiaires ;
- la professionnalisation des personnels pénitentiaires, des intervenants extérieurs ainsi que des bénéficiaires dans le cadre de leur réinsertion professionnelle ;
- l’excellence artistique et culturelle des activités proposées aux personnes placées sous main de justice.
Le protocole Justice-Culture se décline au niveau territorial via la signature de conventions entre les services déconcentrés des deux ministères pour mettre en place des actions associant le tissu culturel de chaque région.
Qui met en œuvre la politique culturelle d’un établissement pénitentiaire ?
Au sein de chaque établissement, la direction du service pénitentiaire d’insertion et de probation décide de la politique culturelle, en partenariat étroit avec la direction de l’établissement. Des coordonnateurs d’activités sont chargés de sa mise en œuvre, en fonction des besoins et des souhaits exprimés par les personnes détenues qui doivent être impliquées dans la vie de l’établissement. Au sein des établissements, les coordonnateurs travaillent en lien avec les personnels pénitentiaires et les enseignants intervenant en détention.
Le déploiement de la politique culturelle implique de nombreux partenaires publics ou associatifs, nationaux ou régionaux : les collectivités territoriales, les institutions culturelles (musées, bibliothèques…), les réseaux d’artistes et compagnies de théâtre...
Pour mettre en œuvre le protocole Culture-Justice, l’administration pénitentiaire a mis en place un dispositif humain d’envergure composé de référents dédiés à la conception et à l’accompagnement de la politique culturelle aux niveaux national et interrégional, ainsi que de coordonnateurs d’activités déployés localement.
Quelles sont les activités proposées ?
Les activités proposées aux personnes placées sous main de justice, au sein d’espaces adaptés, représentent l’ensemble des champs culturels : danse, théâtre, musique, cinéma, arts plastiques, lecture et écriture…
Le festival Vis-à-Vis, dont le développement est porté par le théâtre Paris Villette, permet par exemple aux personnes détenues de participer à la création d’un spectacle avec un metteur en scène ou un chorégraphe, puis d’en donner une représentation au sein du théâtre. Dans ces créations partagées, des professionnels – comédiens, danseurs – évoluent sur scène avec des personnes détenues. Pour ces dernières, il s’agit souvent du premier contact avec le théâtre, et d’une première sur scène. Les conditions professionnelles dans lesquelles s’inscrit ce festival participent à donner aux créations le statut d’œuvres à part entière, ce qui est valorisant pour les participants. Cette initiative, qui a vu le jour en Île-de-France, s’est déployée en Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2023, et s’étendra à d’autres régions à partir de 2026.
Autre exemple : le concours Transmurailles, créé en 2009 et dédié à la bande dessinée. Autour d’un thème imposé, les personnes détenues réalisent, individuellement ou collectivement, des planches de BD lors d’ateliers encadrés, parfois avec l’accompagnement d’artistes. Ce médium a le bénéfice de pouvoir être pratiqué par les personnes ne maîtrisant pas totalement la langue française. Un jury récompense les créations les plus remarquables, qui sont ensuite exposées lors du festival de la bande dessinée d’Angoulême. Ce concours permet de travailler des compétences en dessin et en narration et de stimuler l’imagination.
L’administration pénitentiaire favorise également la déclinaison en détention d’événements culturels destinés au grand public, comme La Fête du court métrage, créée en 2016, qui a déjà permis d’organiser des projections ainsi que des ateliers et rencontres professionnelles dans une quarantaine d’établissements pénitentiaires.
Le canal vidéo interne : diffuser la culture en détention
Plus de 80 établissements sont dotés d’un canal vidéo interne. Il s’agit d’une chaîne interne qui diffuse des informations sur la vie en détention, mais sert également de canal de diffusion pour des contenus culturels. Des personnes détenues, accompagnées d’un coordonnateur d’activités, peuvent être chargées de la programmation et parfois même de la création de contenus dédiés.
Quels sont les liens entre la politique culturelle et l’enseignement en détention ?
L’accès à la culture et l’enseignement sont souvent imbriqués, et de nombreux enseignants intervenant en détention s’appuient sur l’art et la culture pour favoriser les apprentissages.
La lecture en est un bon exemple : les livres, premiers objets de culture à avoir été introduits en détention, sont une porte d’entrée dans la culture, mais aussi un support indispensable à l’apprentissage de la lecture. Si le taux d’illettrisme est aujourd’hui équivalent parmi les personnes détenues que dans le reste de la population (de l’ordre de 4 %), l’acquisition des savoirs de base reste une priorité pour les pouvoirs publics (Éducation nationale et Justice) dans la mesure où le taux de personnes en grande difficulté avec l’écrit, ou avec la langue française, reste très élevé en détention (13 % de la population carcérale).
Chaque établissement pénitentiaire est doté d’au moins une bibliothèque. Unique lieu culturel permanent en détention, la bibliothèque pénitentiaire accueille aussi une partie de la programmation culturelle de l’établissement.
Le prix Goncourt des détenus, reflet de l’importance accordée à la lecture en détention
Organisé en partenariat avec le Centre national du livre et sous le haut patronage de l’Académie Goncourt, le prix Goncourt des détenus, lancé en 2022, a pour ambition de développer le goût de la lecture, l’esprit critique, la capacité à argumenter et à écouter – autant de compétences qui pourront participer à la réinsertion des personnes détenues.
Ce prix implique chaque année des dizaines d’établissements pénitentiaires, qui organisent, avec l’ensemble de leurs partenaires, des séances de lecture et de débats autour des ouvrages sélectionnés par l’Académie Goncourt, ainsi que des rencontres avec les auteurs pour nourrir leur réflexion. À l’issue de délibérations interrégionales puis nationales, le lauréat du prix Goncourt des détenus est proclamé.
Concernant les sciences, un partenariat national a été signé en 2022 avec le Muséum national d’histoire naturelle de Paris : il met à disposition de l’administration pénitentiaire quatre expositions itinérantes autour de la culture scientifique, qui viennent utilement compléter les programmes d’enseignement. Le Muséum propose également des visites aux personnes placées sous main de justice qui pourraient bénéficier de permissions de sortir accordées par le juge.
Art et culture : quels bénéfices pour les personnes détenues ?
L’art et la culture sont des moyens d’expression et de création qui permettent de travailler sur soi, de renouer avec le collectif, de développer des compétences psycho-sociales indispensables pour le retour à la vie en société. Ils offrent des représentations plurielles du monde et font le lien dedans-dehors : par l’accès aux savoirs, aux actualités, grâce à la présence d’intervenants issus de la société civile. Les actions culturelles permettent aussi d’aller vers d’autres champs de la réinsertion : le sport, la citoyenneté, la nutrition…
L’art et la culture peuvent également contribuer au maintien du lien familial, élément essentiel de la réinsertion. Cela peut se traduire par le partage des créations avec les proches, des visites au musée en famille… La pratique culturelle peut être un outil de médiation au service du lien entre l’enfant et son parent placé sous main de Justice.
En valorisant à l’extérieur les projets culturels conçus par des personnes placées sous main de justice, il s’agit aussi de changer le regard porté sur elles.
Plus largement, les activités artistiques et culturelles contribuent à faire de la détention un temps utile pour préparer la sortie et participer à la lutte contre la récidive. En travaillant sur les compétences de chacune et de chacun, sur l’estime de soi, la capacité à s’ouvrir aux autres et à communiquer sans violence, elles permettent une relation plus apaisée avec l’ensemble des intervenants et personnels.
Quels sont les débouchés professionnels possibles ?
L’une des ambitions de la politique culturelle de l’administration pénitentiaire est d’ouvrir de nouveaux horizons aux personnes détenues, avec la volonté que les pratiques culturelles initiées puissent perdurer une fois la peine purgée. Cet accès à l’art et à la culture peut aussi susciter des vocations et représenter un champ d’insertion professionnelle possible.
À Marseille, l’association Lieux fictifs propose aux personnes détenues du centre pénitentiaire des Baumettes une formation professionnelle aux métiers de l’image. Au centre pénitentiaire de Saint-Maur, une formation aux métiers du son s’est développée grâce à l’association Les Musiques de la boulangère, tout comme à Fresnes où l’association La Lucarne d’Ariane a implanté un studio d’enregistrement en partenariat avec l’INA.
En plus des formations professionnelles, l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip) offre de plus en plus de missions de travail d’intérêt général au sein de structures culturelles, en partenariat avec les Directions régionales des affaires culturelles (Drac) : 660 postes sont proposés, au musée des Beaux-Arts de la ville de Rennes, à l’Opéra national de Bordeaux, à la bibliothèque municipale de Mulhouse, au Centre dramatique national de Montluçon…