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Quand le divorce était interdit (1816 - 1884)

Publié le 21 décembre 2009

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Quand le divorce était interdit (1816 - 1884)

Réformes historiques du divorce

Pétitions relatives au divorce : introduction

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Quand le divorce était interdit (1816 - 1884)

Au gré des régimes politiques successifs, la législation sur le divorce a été l'objet de nombreux remaniements. Il a fallu passer par de nombreuses étapes d'évolution du droit avant d'aboutir à l'actuelle dédramatisation du divorce.

Au cours de cette histoire mouvementée, l'interdiction du divorce au XIXème siècle constitue un épisode méconnu : admis très provisoirement sous la Révolution, le divorce est aboli dès 1816 et ne sera rétabli que 68 années plus tard, en 1884. Mais cette interdiction a provoqué de fortes critiques.

En témoigne un dossier conservé dans les archives du ministère (direction des affaires civiles et du sceau, sous la cote provisoire FA1240). Pendant toute la période de 1816 à 1884, de nombreuses pétitions réclament aux autorités des changements de législation et le rétablissement du divorce. Lire  l'introduction au dossier de pétitions relatives au divorce.

Ce recueil est riche de 164 lettres. L'intégralité de ces pétitions est aujourd'hui inventoriée et accessible au public, chacune ayant fait l'objet d'une retranscription complète.

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Réformes historiques du divorce

Au gré des régimes politiques successifs, la législation sur le divorce a été l'objet de nombreux remaniements. Il a fallu passer par de forts antagonismes idéologiques et de nombreuses étapes d'évolution du droit avant d'aboutir à l'actuelle dédramatisation du divorce.

Chez les Romains, on pratique de façon courante le divorce.

Pendant le Moyen-Age, le mariage est une institution éphémère qui se fait et se défait au gré des alliances : la noblesse française a largement recours à la répudiation. Puis à la fin du XIème siècle, l'Église commence à édicter sa norme du mariage.

Au XVIème siècle, l'Eglise prône l'indissolubilité du mariage, qui est un sacrement. Sous la pression religieuse, le divorce est interdit (1563, Concile de Trente).

A la fin de l'Ancien Régime, les philosophes des Lumières (notamment Montesquieu et Voltaire) sont favorables au divorce et condamnent l'indissolubilité du mariage.

A la Révolution Française, les révolutionnaires bouleversent l'ordre établi en désacralisant et laïcisant le mariage. La constitution du 3 septembre 1791 institue le mariage civil.

Si le mariage n'est qu'un contrat aux yeux de la loi civile, il doit pouvoir être rompu librement par l'accord des deux parties : la loi du 20 septembre 1792 instaure alors le divorce. Son préambule fixe les ambitions de la réforme engagée : "La faculté de divorcer résulte de la liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte".

Mais la loi est critiquée pour son trop grand libéralisme, les abus et l'anarchie sont dénoncés.

Le code civil de 1804 revient sur les excès de cette législation. Il restreint la possibilité de divorcer à la faute, les conditions sont limitées et pénalisantes pour les époux.

La Restauration réaffirme l'indissolubilité du mariage. Le divorce, considéré comme "un poison révolutionnaire", est aboli par la loi du 8 mai 1816, dite loi Bonald. La royauté de retour au pouvoir veut "rendre au mariage toute sa dignité dans l'intérêt de la religion, des mours, de la monarchie et de la famille". La loi convertit en séparation de corps toutes les instances en divorce pendantes devant les tribunaux et arrête tous les actes faits pour parvenir au divorce par consentement mutuel.

A partir de 1876, le député Alfred Naquet dépose successivement trois propositions de loi dans le sens du divorce pour faute mais il échoue.

La IIIème République, par la loi Naquet du 27 juillet 1884 (parue au Bulletin des lois de la République française - fichier pdf, source : gallica.bnf.f) rétablit le divorce sur le seul fondement de fautes précises (adultère, condamnation à une peine afflictive et infamante, excès, sévices et injures graves) constituant un manquement aux obligations conjugales et rendant intolérable le maintien du lien conjugal.

Plusieurs autres lois sont à l'actif de la IIIèmeRépublique : la loi de 1886 sur la procédure de divorce ; la loi de 1893 qui donne à la femme séparée de corps pleine capacité ; la loi du 15 décembre 1904qui abroge l'art. 298 qui interdisait le mariage avec le complice adultère ; la loi du 6 juin 1908 qui rend obligatoire pour le juge la demande de conversion de séparation de corps en divorce présentée par l'un des époux trois ans après le jugement.

Sous Vichy, la loi du 2 avril 1941interdit aux époux mariés depuis moins de 3 ans de divorcer.

En 1975, la loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce, initiée par Valery Giscard d'Estaing, constitue une refonte totale de la législation, modifiant les conditions du divorce en substituant à un divorce fondé uniquement sur la faute une pluralité de cas de divorce (dont le divorce par consentement mutuel). Elle poursuit ainsi l'évolution historique vers la liberté de divorcer.

Pourtant, la loi de 1975 ne répond plus complètement aux attentes et près de trente ans après, la nécessité de sa réforme est très généralement admise.

Le 1er janvier 2005, entrera en vigueur la nouvelle loi relative au divorce adoptée par l'Assemblée nationale (loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, publiée au Journal officiel du 27 mai 2004). Elle traduit le souci du législateur de simplifier les procédures tout en maintenant leur caractère judiciaire et d'apaiser les relations entre époux qui recourent au divorce.

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Pétitions relatives au divorce : introduction

Mode de constitution

Ce dossier d'archives contient 164 pétitions couvrant la période 1816-1890. Il s'agit d'un recueil constitué par les services du ministre de la justice, très probablement à partir de novembre 1872.
En effet, en novembre 1872, un certain Pallet, chef de station des lignes télégraphiques à Paris, soucieux du sort des " déshérités du bonheur domestique ", ayant lu attentivement la presse, débute sa requête en ces termes : " Le petit moniteur universel du 23 novembre 1872 (n°328) contient un article ainsi conçu : 3ème alinéa de la Gazette universelle. La correspondance de Paris annonce que Monsieur le Ministre de la Justice fait compulser, en ce moment, sous son département, tous les documens, pétitions, mémoires, etc. relatifs à la loi du Divorce " (lettre 121, 25/11/1872 : transcription, ).
Ces pétitions ont été adressées à plusieurs autorités publiques (selon l'époque : au Roi, au Prince Président de la République, à la Chambre des pairs, à la Chambre des députés, au Ministre des cultes, et au Garde des Sceaux) et souvent transmises en copie à plusieurs destinataires. Ce n'est qu'ultérieurement qu'elles ont été assemblées dans ce dossier.

Origine

Ces 164 lettres proviennent d'environ 110 individus distincts, qui résident pour moitié à Paris, pour moitié en province.
Toutes les couches sociales sont représentées : professionnels du droit, nobles, militaires, propriétaires, négociants, professeurs ou médecins mais également de nombreux petits métiers comme jardinier, fruitier ou teinturier.
Près d'un quart des requérants sont des femmes.
Environ 30 lettres ne sont pas datées, 15 sont anonymes.

Revendications

Cet ensemble de pétitions est un étonnant révélateur des personnalités comme de l'évolution des mentalités et des comportements au sein de la société au cours du XIXème siècle :

Pour l'abrogation de l'art. 295 du code civil

Nombre de pétitions demandent la liberté de se réunir, pour les époux divorcés avant 1816 et qui n'ont pas contracté un autre mariage (par l'abrogation de l'article 295 du code civil).
Les époux divorcés qui se trouvent dans cette situation réclament l'intérêt du législateur : le cas des époux Legros est à ce titre exemplaire (lettre 2, 18/08/1823 -lettre 7, 19/09/1829 - lettre 144, sd : transcription, fac-similé).
Cette lacune du droit est combattue avec obstination par les avocats (lettre 3, 24/01/1825 -lettre 4, 24/01/1825 -lettre 9, 12/03/1830 -lettre 24, 06/10/1830 -lettre 37, 16/03/1833).

La Révolution de juillet

L'"alliance du trône et de l'autel" avait conduit en 1816 à la loi sur l'interdiction du divorce. En 1830, l'influence persistante de la philosophie des Lumières et le souvenir de la Révolution justifient la vigueur de l'anticléricalisme :

" Une nouvelle ère renait pour la France, et avec elle l'espoir de tems plus prospères ; parmi les bienfaits que nous devons en attendre, le rétablissement du Divorce est un de ceux dont le besoin se fait le plus impérieusement sentir. Révoqué par suite d'un zèle hypocrite et le système de bigoterie, il doit être un des premiers fruits du rappel du règne de la raison et des lumières. "
(Lettre 18, 09/09/1830 : transcription , fac-similé).

On attend du rétablissement du divorce qu'il rende au mariage " son caractère primitif de contrat purement civil " (lettre 11, 11/08/1830 : transcription, fac-similé).
En 1832, le gouvernement présente un projet de loi pour le rétablissement du divorce. Celui-ci provoque la controverse et réveille les querelles idéologiques qui parcourent la société (liberté de conscience contre fidélité à la tradition catholique).
Ce projet de loi sera rejeté : " Législateurs, A votre dernière session, sur le rapport lumineux de M. Odillon Barot, vous avez voté presque à l'unanimité la loi sur le rétablissement du Divorce, mais l'autre chambre a cru devoir la rejetter (à la vérité à une bien faible minorité) sans doute par le même esprit qui, sous l'influence du droit divin présida à celle de 1816 qui sans respect pour la liberté de conscience en avait prononcé l'abrogation. " (lettre 35, 27/11/1832).
Les pétitions continuent de parvenir aux autorités : 49 parisiens signent une pétition collective en 1833 (lettre 132, janv. 1833 :transcription, fac-similé).

De nouveaux espoirs

En 1848, l'instauration du nouveau régime politique suscite de grands espoirs. C'est une période très agitée par la question du divorce. Le rétablissement de ce droit est réclamé avec force et tout particulièrement par les femmes : des 53 lettres datées de l'année 1848, 20 sont écrites par des femmes.
L'une d'elles ose la comparaison du sort des femmes avec celui des esclaves, l'abolition de l'esclavage ayant été décrétée le 27 avril 1848 : " Vous venez d'abolir l'esclavage parmi les nègres, mais il y a aussi un esclavage non moins digne de votre sollicitude, car il pèse sur des créatures civilisées " (lettre 65, 04/05/1848 : transcription, fac-similé).
Les espoirs renaissent pour les désespérés souhaitant pouvoir mettre enfin un terme à leurs tourments :

  • le menuisier Prosper Honoré Poncelet " poussé par le plus violent chagrin (…) vient demander humblement (à) Monsieur le Ministre d'annuler un mariage qui l'enchaîne et le fait mourir, lui et ses enfants, de misère et de désespoir, sans aucune utilité " (lettre 62, 30/04/1848).
  • la fruitière Rose Armery " désirerait pouvoir contracter un second mariage, mais le divorce l'en empêchant, fait (…) des vœux pour l'abolition de cette loi qui fait un si grand nombre de victimes " (lettre 56, 20/03/1848 - lettre 59, 25/04/1848: transcription, fac-similé) ;
  • la limonadière Gosselin qui " subit le sort affreux d'un mariage mal assorti ; antipathie, mauvais procédés, affection incompatible, (lui) rendent depuis longtemps l'existence insupportable " (lettre 61, 29/04/1848 : transcription, fac-similé).

Quand, au printemps 1848, " le ministre de la justice présente à l'Assemblée nationale un projet de décret tendant à l'abrogation de la loi du 8 mai 1816 et au rétablissement le divorce " (lettre 66, 25/051848), ce projet de modification législative suscite des réactions assez contrastées.
Pour certains pétitionnaires, il convient d'éviter de "démoraliser la société entière " (lettre 85, 06/06/1848). Pour d'autres, ce rétablissement du divorce apparaît comme une urgence. Un ancien maître des requêtes au Conseil d'Etat écrit une note pressante au ministre de la justice : " Il est donc urgent, plus qu'urgent de rétablir le titre VI du code civil tel que Monsieur Crémieux l'a proposé ! " (lettre 89, 15/06/1848 : transcription, fac-similé). Il récidive auprès du ministre des cultes (lettre 94, 30/06/1848). D'autres encore sont plutôt favorables à une loi sage (lettre 93, 22/06/1848), une loi utile pour éviter des crimes (lettre 97, 04/08/1848).
Mais le projet de loi sera finalement retiré, comme n'étant pas urgent, provoquant ainsi de nouvelles réactions. Antonin et la Société de Statistique adressent successivement 6 lettres de réclamations (lettre 99 ; lettre 100 ; lettre 101 ; lettre 103 ; lettre 104 : transcription, fac-similé ; lettre 105) entre septembre 1848 et janvier 1849.
Un surprenant document, extrait de la Gazette des tribunaux, présente un " Etat des assassinats entre maris et femmes : résultats de l'abolition de la loi du divorce en 1816 pendant quatre ans seulement ", état nominatif des arrêts de cour d'assises rendus entre novembre 1825 et octobre 1829, avec indication de la nature du crime (cette pièce est jointe à la lettre 104 : fac-similé).

Vers un divorce pour causes déterminées

Par la suite, le débat public semble pratiquement éteint jusqu'à 1876, lorsque le député Alfred Naquet dépose successivement trois propositions de loi dans le sens du divorce pour faute. Les victimes de l'interdiction du divorce ne restent pas indifférents aux vifs débats que cette question brûlante soulève à l'Assemblée nationale.
Les demandes se portent sur un vote du divorce pour causes déterminées (lettre 123, 20/09/1876 : transcription, fac-similé).
Un anonyme réclame "le vote du divorce, non pas le divorce applicable dans tous les cas d'incompatibilité d'humeurs entre les époux (source des plus grands abus), mais le divorce dans des circonstances spéciales et déterminées" (lettre 122, 01/09/1876).

  • L'inventaire des lettres est accessible : par nom par date
  • Une sélection de 11 lettres est également disponible en fac-similés.

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