[Archives] Visite du ministre du centre de détention de Bapaume

Publié le 20 septembre 2004

Discours de Dominique Perben

Temps de lecture :

11 minutes

Mesdames et Messieurs,


Je suis particulièrement heureux d’avoir aujourd’hui visité le centre de détention de BAPAUME.

La visite des établissements pénitentiaires est pour moi une nécessité car il n’y a pas de politique pénitentiaire crédible sans contact régulier avec le terrain, avec les personnels pénitentiaires, les organisations syndicales et l’ensemble des acteurs publics et privés institutionnels ou associatifs qui concourent à la bonne marche du service public pénitentiaire.

Depuis ma nomination en qualité de Garde des Sceaux, j’ai visité plus de trente établissements pénitentiaires.

J’ai ainsi appris à connaître l’institution pénitentiaire, ses personnels, la difficulté de leur travail.

Je peux témoigner de cette difficulté mais aussi de l’extraordinaire conscience professionnelle avec laquelle les fonctionnaires de cette administration s’acquittent de leur tâche.

C’est le sens de ma présence aujourd’hui au Centre de détention de BAPAUME.

Cette visite est également, pour moi, l’occasion de préciser à nouveau quelques axes de ma politique pénitentiaire.

1. Je vais d’abord vous dire un mot de la sécurité, priorité des français.

Il y a plus de deux ans maintenant, la lutte contre l'insécurité était la première attente de nos concitoyens.
Elle figurait à la première ligne de la première page de la feuille de route qu'ils ont donnée à notre majorité et vous savez avec quelle détermination le gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN s'est employé à satisfaire cette demande.

Au-delà des statistiques de la délinquance qui démontrent une inversion de tendance, je veux voir un signe fort de la réussite de la politique que nous conduisons dans le fait que si l'insécurité demeure une préoccupation des Français, elle ne figure plus au premier rang de celles-ci.

Depuis deux ans, la Justice a joué le rôle institutionnel qui doit être le sien dans la lutte contre l’insécurité, et la politique pénitentiaire que je conduis s’inscrit dans cette démarche globale.



2. Dans l’urgence et avant toute chose, il a fallu recruter, construire, sécuriser.

Lorsque j’ai été nommé Garde des Sceaux au mois de mai 2002, j’ai trouvé une «France pénitentiaire » malade et très en retard :

  • des prisons vétustes et inadaptées (102 établissements sur 185 ont été construits avant 1912),
  • des conditions de travail difficiles pour les personnels et un déficit global de sécurité,
  • des emplois en nombre insuffisant,
  • un profond malaise chez les personnels pénitentiaires qui souffraient d’un manque de reconnaissance,
  • des conditions de détention particulièrement dégradées.

Face à ce constat, j’ai donc entrepris de traiter d’abord ce qu’il y avait de plus urgent.

  • le recrutement :


Dans la loi d’orientation et de programmation pour la Justice du 9 septembre 2002, 3.740 emplois supplémentaires ont été programmés et seront tous créés dans les trois prochaines années.

Par ailleurs, près de 2.000 personnels de surveillance sont recrutés et formés tous les ans depuis 2003 pour combler les emplois vacants.

  • la modernisation du parc pénitentiaire, seule véritable réponse concrète à l’état de nos prisons.

Face à l’état de vétusté de notre parc pénitentiaire, j’ai décidé, dans le cadre de la loi du 9 septembre 2002, la construction de 13.200 places supplémentaires qui seront livrées dans le courant de l’année 2008.

Je poursuis là la tâche entreprise par mes prédécesseurs, Albin CHALANDON et Pierre MEHAIGNERIE.

C’est un programme sans précédent dans lequel figure notamment la réalisation de 7 Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), entièrement conçus pour une prise en charge spécifique et adaptée à cette population.

Les premiers seront mis en service à la fin de l’année 2006.

  • la sécurisation des établissements


Enfin, d’importants investissements sont réalisés pour améliorer la sécurité des établissements existants, c’est-à-dire celle de nos concitoyens et des personnels (brouillage des téléphones portables, sécurisation des miradors, tunnels à rayon X…).

Quelle est la signification de cet ambitieux programme ?

C’est la volonté de garantir la sûreté des prisons mais c’est aussi la volonté de créer des conditions de détention dignes et humaines. Cette exigence est au cœur de mes convictions et guide toute mon action depuis plus de deux ans.

Elle se nourrit des valeurs d'humanité, de fraternité et de justice qui fondent notre pacte républicain. Cette ambition que je partage, je le sais, avec l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire, inspire les efforts considérables qu'à mon initiative, le Gouvernement déploie pour accroître et humaniser notre parc pénitentiaire.

Ce programme va aussi permettre d'améliorer les conditions de travail des personnels, et notamment leur sécurité.

Ce qui me frappe en effet à chaque fois que je visite une prison, c'est la difficulté de la mission des personnels pénitentiaires.
Que leur demande-t-on ?

Ils doivent :

  • assurer la sécurité mais rester à l'écoute des détenus,
  • maintenir l'ordre et la discipline mais le faire avec humanité,
  • imposer au nom de la loi la contrainte de l’enfermement mais préparer la réinsertion.

Vous savez que j’ai été Ministre de la Fonction publique. A La tête de ce ministère, j’ai appris à connaître de nombreux corps de métiers mais j’ai rencontré peu de fonctions aussi exigeantes et qui ont autant évolué au cours de ces 20 dernières années que la vôtre.
Je veux ici apporter le témoignage que les femmes et les hommes de l'administration pénitentiaire ont conduit ce changement avec beaucoup de cœur et une grande compétence.

Mais, nous pouvons ensemble aller plus loin encore, notamment dans la prise en charge des publics les plus fragiles et les plus vulnérables.

3. La prise en charge des publics fragiles : un objectif permanent.

Le cœur des missions de l'administration pénitentiaire, c’est l’Homme. Cela exige une prise en charge particulièrement attentive des publics les plus fragiles. C’est une priorité à laquelle je suis attaché.
Quelques exemples de ce que nous avons déjà entrepris :

  • séparer les mineurs des majeurs détenus et ce pour des raisons évidentes,
  • renforcer la lutte contre les suicides en prison qui est un souci constant,
  • mieux prendre en charge les détenus âgés et malades,
  • améliorer les conditions de vie en détention pour tous,
  • maintenir les liens familiaux pour éviter une rupture affective et un isolement néfastes à la réinsertion sociale du détenu,
  • mieux accueillir les familles et les enfants qui rendent visite à l’un des leurs détenu,


Pour me résumer sur ce point, la prison doit être un lieu de sécurité où s’exécute une sanction dans des conditions dignes mais elle doit aussi être un lieu d’acquisition de compétences et de formation pour les détenus.

4. pour une prison qui prépare à la réinsertion des détenus.

Certains ont écrit que la prison était un mal nécessaire. On peut toujours rêver d’une société sans prison. Je ne sais pas si la sagesse des hommes permettra un jour l’avènement d’une telle société.
Nous pouvons, en tout cas, faire ensemble le constat que ce jour n’est pas encore arrivé.

En revanche, si la prison est nécessaire, s’il est inéluctable qu’un certains nombres de femmes et d’hommes y passent un temps plus ou moins long, il n’est écrit nulle part que ce temps doive être inutile, voire qu’il doive aggraver la situation des détenus.

  • Je suis au contraire convaincu que le temps qu’une personne passe en détention peut lui permettre de prendre un nouveau départ et préparer sa réinsertion ou plutôt, pour le plus grand nombre, préparer sa première insertion dans la vie sociale et professionnelle.
  • J’en ai la très grande conviction et je veux vous la faire partager :
  • J’ai été particulièrement choqué dès que j’ai pris mes fonctions de Ministre de la Justice de la grande précarité des personnes détenues. Je ne vous donnerai que 4 chiffres pour illustrer mon propos :
    • 30% des détenus ont des difficultés de lecture
    • 20 % sont totalement illettrés
    • 60 % ont un niveau inférieur à celui de la fin des études primaires,
    • 60% n’ont aucune activité professionnelle lors de leur incarcération.

Voilà la réalité à laquelle est confrontée l’administration pénitentiaire, qui, on le voit bien, accueille des personnes qui cumulent un nombre important de carences auxquelles il faut s’efforcer de faire face.


Je veux que la prison ne soit pas un lieu de passivité, de désapprentissage et, finalement, de désespérance. Au contraire je souhaite que la privation de liberté soit un moment au cours duquel l’individu soit en mesure de recevoir la formation à laquelle il n’a peut être jamais eu droit précédemment .

Comprenons nous bien, la prison reste d’abord le lieu de l’exécution de la sanction, mais la société ne peut pas se contenter d’une prison pour punir, je veux également une prison pour former et une prison pour réinsérer.

Les actions à mener pour y parvenir sont de 3 ordres :

1. l’enseignement et la lutte contre l’illettrisme.

D’importants moyens sont mobilisés pour mettre en place des actions d’enseignement destinées à prendre en charge l’illettrisme fréquent en particulier chez les mineurs détenus. Un tiers d’entre eux éprouve de grosses difficultés de lecture.

C’est pourquoi une politique active de dépistage de l’illettrisme a été mise en place dans les établissements.

Par ailleurs, des formations d’alphabétisation et de remise à niveau sont dispensées à des publics sans diplôme ni qualification, ce qui permet d’ores et déjà à plus de 30.000 détenus de suivre des cours.

Au total, plus de 400 emplois d’enseignants à temps plein sont affectés à l’enseignement en milieu carcéral et plus de 12.000 heures de cours y sont dispensées chaque semaine par des professeurs de l’éducation nationale dont le rôle est irremplaçable. Cet effort doit être accentué, notamment en direction des jeunes.

Chaque jour également, les bénévoles des associations assurent des actions de soutien pédagogique et des activités culturelles auprès des détenus et je tiens à leur rendre hommage.

J’ai parfaitement conscience du rôle déterminant des associations dans la prise en charge des détenus et le maintien de leurs relations avec le monde extérieur.

Je sais qu’à BAPAUME vous êtes attentifs à ces questions, puisque cette année, sur les 78 détenus inscrits, 10 ont suivi des cours d’alphabétisation,

une quinzaine ont bénéficié d’une remise à niveau de formation générale, 25 ont préparé leur brevet et une trentaine un CAP, un BEP, un baccalauréat ou suivi un cursus universitaire.

Cette variété des formations offertes illustre notre souci d’apporter la réponse la plus individualisée possible aux difficultés et aux besoins de chacun.
Nous parlons ici, à Bapaume, d’une enseignement destiné pour l’essentiel à des jeunes majeurs.

La généralisation quasiment réalisée de quartiers spécifiquement réservés aux mineurs dans tous les établissements où ceux-ci sont incarcérés et l’ouverture à partir de la fin 2006 de sept établissements pénitentiaires pour mineurs complètement organisés autour de l’école vont doter notre pays des outils nécessaires à la réinsertion de nos jeunes délinquants. Il s’agit, vous le savez, d’un programme très ambitieux. C’est l’honneur de ce Gouvernement de s’être donné les moyens de le réaliser en l’espace d’une seule législature.

2. des actions de formation professionnelle.

La loi institue un droit à la formation professionnelle pour les détenus.

En accord avec le Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion Sociale, nous avons fixé 3 priorités :

  • garantir l’accès des personnes les plus éloignées de la qualification à l’acquisition des savoirs de base,
  • développer les procédures d’information, de bilan et d’orientation,
  • adapter l’offre de formation en fonction des besoins et des nouveaux modes d’apprentissage.

Nous devons traduire ces objectifs en actions concrètes adaptées aux possibilités offertes par chaque établissement, voire à la situation personnelle et pénale de chaque détenu.

A titre d’exemple, les formations à entreprendre au bénéfice d’un condamné à qui il reste 10 ans de reliquat de peine ne peuvent pas être les mêmes que celles qui seront mises en œuvre au bénéfice d’un détenu qui sera libéré dans quelques mois.

Les pédagogies doivent être diversifiées : emplois en chantier-école, filière professionnelle depuis la pré-qualification jusqu’au module de spécialisation, ateliers pédagogiques personnalisés et enfin formation à distance s’il y a lieu.

C’est toujours la même idée qui doit nous guider, trouver la solution la mieux adaptée pour permettre aux détenus d’acquérir une véritable compétence professionnelle pour préparer sa libération, son insertion dans la vie active et dans le même temps prévenir les risques de récidive.

Les dispositifs de préparation à la sortie adoptés par le Parlement dans le cadre de la loi du 9 mars 2004 dite PERBEN II fournissent un cadre souple et constituent une réelle incitation pour favoriser l’engagement des détenus dans la voie de cette réinsertion par le travail.

A Bapaume, comme dans tous les établissements à gestion mixte public-privé, la formation professionnelle des détenus est confiée au groupement privé par voie de contrat. J’ai pu visiter les différents lieux de formation et je ne peux que me féliciter de la qualité de ce que j’ai vu.

Votre société, Monsieur le Directeur Général, a, l’année dernière, largement atteint ses objectifs en matière de formation professionnelle.

Vous avez même largement dépassé les seuils minimaux fixés conventionnellement. Au lieu de 2.000 heures annuelles en accueil-formation, vous en avez réalisé plus de 3.500. Au lieu de 5.000 heures en « bilan-évaluation-orientation »,

vous en avez effectué plus de 8.700 et au lieu des 44.000 heures en formation pré-qualifiante et qualifiante, vous en avez assuré près de 68.000.

Je salue donc la performance de la société SIGES et à travers elle, les effets très positifs du partenariat du secteur public et du secteur privé en matière de formation professionnelle.

3. le travail en milieu pénitentiaire.

Je souhaiterais, enfin, dire quelques mots sur le travail en milieu pénitentiaire. C’est un facteur important d’équilibre dans les détentions, mais également d’équilibre personnel pour celui qui peut en bénéficier.

Au delà d’un revenu immédiat, une activité professionnelle peut permettre d’acquérir des compétences et en tous cas une habitude au travail qui prépare sans aucun doute à un retour à la vie libre.

C’est aussi un moyen d’indemniser les victimes puisqu’une part de la rémunération perçue est affectée à la réparation des dommages subis.

Je n’ignore pas les difficultés auxquelles vous êtes confrontés pour proposer du travail en quantité suffisante. Mais, à Bapaume, vous avez permis l’année dernière à un effectif moyen en atelier de 164 détenus d’obtenir un travail dans des activités diversifiées de conditionnement, d’usinage et de façonnage.

*

*    *

Ce que j’ai vu au centre de détention de Bapaume est une excellente illustration du rôle déterminant que jouent l’enseignement, la formation professionnelle et le travail pénitentiaire dans la préparation à la réinsertion.

Il s’agit d’une mission essentielle de l’administration pénitentiaire et je sais combien les Services d’Insertion et de Probation se sont engagés, à l’instar de celui de cet établissement, pour établir de nombreux partenariats avec les organismes et les associations qui peuvent contribuer à la réinsertion des détenus.

L’action menée conjointement à Bapaume par le Service d’Insertion et la société SIGES pour préparer la sortie est riche d’enseignements puisque votre proximité naturelle avec les entreprises et avec les milieux économiques ont permis en une année de trouver un emploi à une quarantaine de personnes libérées.

Je suis très attentif à l’initiative que vous avez prise de créer un poste spécialement chargé de la relation avec les entreprises afin de préparer la sortie des détenus et de la coopération qui s’est instaurée ici entre le service de probation et d’insertion et la société SIGES dans cette perspective.

Conclusion :


A l’issue de ma visite au centre de détention de Bapaume, je souhaite vous faire partager quelques-unes de mes convictions les plus fortes :

  • Je suis persuadé qu'il n'y a pas antinomie entre l'exigence de sécurité et l'aspiration à l'humanisation des prisons. Bien au contraire, ces deux missions sont totalement complémentaires et je suis fier d’être le Ministre de la synthèse entre ces deux impératifs de même niveau.
  • Je suis également convaincu de l’importance que revêtent en prison l’enseignement, la formation et le travail dans la perspective de la réinsertion. La libération doit se préparer comme vous le faites ici à Bapaume avec intelligence et pragmatisme. La loi du 9 mars 2004 donne des moyens juridiques nécessaires pour mieux atteindre cet objectif, contribuer à la réinsertion des détenus, prévenir la récidive et ainsi remplir la mission que nos concitoyens attendent de nous.