[Archives] Sécurité des biens culturels

Publié le 20 décembre 2007

Discours de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice

S’attaquer à une œuvre d’art, c’est voler une part d’humanité.

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Madame la Ministre, Chère Christine,

Monsieur le Ministre, Messieurs les Sénateurs,

Mesdames, Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les représentants des associations territoriales,

Mesdames et Messieurs,

S’attaquer à une œuvre d’art, c’est voler une part d’humanité.

C’est effacer notre mémoire. C’est nier notre identité. C’est priver la France de ses racines.

Les édifices, les biens historiques culturels ou religieux sont nos longs souvenirs. Nous devons les préserver. On ne peut pas admettre que des chefs d’œuvre soient saccagés ou dégradés. On ne peut accepter que certains fassent disparaître quelques biens de notre histoire.

Christine Albanel et moi-même partageons une même préoccupation : lutter sans faille contre les dégradations et les vols de biens culturels.

Ces faits ont connu une certaine recrudescence ces derniers mois. Nos deux ministères ont la ferme intention d’unir leurs efforts, leurs équipes et leurs moyens. Nous devons lutter avec détermination contre cette forme de délinquance. Il ne faut pas la laisser se développer.

 

La rencontre d’aujourd’hui est une première étape.

Je remercie Christine Albanel d’avoir organisé cette table ronde. Tous les acteurs de la protection des biens culturels sont aujourd’hui réunis : conservateurs, responsables de musées, autorités religieuses, élus locaux et nationaux, magistrats, douaniers, policiers, gendarmes.

Tous sont animés d’une même volonté. Tous veulent lutter contre les atteintes aux œuvres. Il faut leur donner les moyens d’agir.

Deux actions sont particulièrement importantes à mes yeux.

  • Il faut tout d’abord améliorer la coordination entre les services.

Le trafic de biens culturels est complexe. Il s’appuie sur des réseaux structurés. Chaque administration a ses propres moyens d’intervention. Chaque administration a ses propres connaissances. Il est indispensable de les mettre en commun.

Il faut que les services travaillent ensemble dès le commencement de l’enquête. C’est comme cela que nous serons réactifs et efficaces.

Je donnerai des instructions très concrètes aux Procureurs. Je souhaite qu’ils mettent en place de bonnes pratiques professionnelles, en liaison avec les services du ministère de la culture et du ministère de l’intérieur. Elles permettront d’acquérir les bons réflexes en cas de vol d’une œuvre. Elles permettront aussi de gagner un temps précieux.

Lorsqu’une œuvre d’importance majeure est dérobée, il faut que les Procureurs saisissent l’Office central de protection des biens culturels. Une inscription rapide au fichier des œuvres recherchées est un gage d’efficacité.

Quand on découvre une œuvre volée, il y a des expertises à effectuer. Il faut déterminer sa valeur. Il faut identifier avec certitude son propriétaire. Les conservateurs du ministère de la culture ont un grand savoir-faire en la matière. Les procureurs et les enquêteurs doivent davantage faire appel à leur connaissance.

Pour mieux travailler ensemble, nous allons aussi organiser des formations communes entre les services concernés. Elles permettront de mieux se connaître et d’échanger sur les pratiques et les bonnes pratiques. J’ai demandé à Jean-François Thony, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature, d’organiser des stages communs qui pourront notamment être consacrés au trafic international des œuvres d’art.

Cette dimension internationale est une réalité. Il faut la prendre en compte.

La coopération internationale est indispensable. La France ne peut agir seule.

Certains pays, même dans l’Union européenne, servent de plateforme au recel des œuvres volées. On ne peut pas le tolérer. Je sais, Chère Christine, que cette question est l’une de vos préoccupations.

Vous pouvez compter sur la collaboration active de l’ensemble du ministère de la justice. Nous disposons de magistrats de liaison en poste dans les grandes capitales étrangères. Ils prennent toute leur part à la lutte contre les trafics internationaux. Ce sont les acteurs d’une coopération judiciaire opérationnelle. Ils facilitent les rapports entre les services judiciaires. Ils facilitent aussi les échanges d’information. Ils forment un réseau structuré et actif, sur lequel notre action doit s’appuyer.

  • La seconde action vise à durcir notre législation.

* La législation qui s’applique date de 1980. Elle n’a pas été modifiée depuis. Elle doit évoluer. Les ministères de la justice et de la culture ont élaboré un projet de loi. Celui-ci prévoit d’aggraver les peines encourues en cas de vol, de destruction ou de dégradation de biens culturels.

  • La notion de bien culturel sera élargie : par exemple, les biens conservés dans les édifices religieux entreront dans cette catégorie. Ils seront juridiquement mieux protégés.
  • Les sanctions pénales seront renforcées : le vol d’un bien culturel ou commis dans un lieu culturel ou de culte sera davantage puni. Il exposera son auteur à une peine de 7 à 10 ans d’emprisonnement et de 100 000 à 150 000 € d’amende. Aujourd’hui une peine de 3 ans et 45 000 € est applicable. Le vol du trésor liturgique perpétré au début de l’automne dans la cathédrale de Perpignan serait ainsi puni demain plus rigoureusement. Tout comme les 200 autres vols de ce type commis chaque année.

* Une hypothèse nouvelle doit également être prise en considération dans nos textes ; il s’agit des intrusions nocturnes dans les monuments, musées, bibliothèques. Aucune infraction pénale n’est aujourd’hui prévue par la loi.

C’est un phénomène qui se développe. Ce n’est pas un simple jeu. C’est une pratique inquiétante. Elle doit être combattue. Elle défie les règles de sécurité. Elle échappe à tout contrôle. Elle peut provoquer des incidents graves pour la protection des personnes et des œuvres. Elle peut enfin démontrer des faiblesses dans la protection des sites. Ces failles sont ensuite exploitées par des individus moins bien intentionnés. Ces intrusions seront désormais punies par une contravention de 1 500 € d’amende.

*

Sécurité des biens culturels - Mme Rachida DATI et Mme ALBANEL - Crédits Photos : Caroline MONTAGNE

Madame la Ministre, Chère Christine,

Dans quelques instants, vous allez restituer un bien très précieux à la commune de Vétheuil. Il s’agit de la partie d’un retable disparu en 1973. Cette pièce a été découpée du reste de l’œuvre. Cette restitution est un symbole à plusieurs titres.

Symbole parce que cela prouve que les voleurs n’ont aucun respect pour les trésors qu’ils volent : ils n’hésitent pas à découper une œuvre pour faciliter ou rentabiliser leur larcin.

Cette restitution symbolise aussi l’espoir : celui de la persévérance. Elle aura été payante après plus de 30 ans de recherches. Elle prouve l’efficacité des techniques de diffusion des fichiers d’œuvres volées.

Vous voyez que notre lutte contre le trafic des œuvres d’art n’est pas vaine. Nous avons les moyens de nous battre.

Il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour préserver le patrimoine de France.

Ce patrimoine illustre notre passé.

Quand nous le défendons, nous préservons notre avenir.

C’est ainsi, comme l’entendait Renan, qu’une Nation continue à vivre.

Je vous remercie.