[Archives] Scellement de la loi constitutionnelle du 23 février 2007
Publié le 28 mars 2007
Discours du garde des Sceaux, ministre de la Justice - Chancellerie
Cérémonie de scellement de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 relative à l'interdiction de la peine de mort
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Chancelier de l’Institut de France,
Monsieur le Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Sciences Morales et Politiques,
Monsieur le Secrétaire Général du Gouvernement,
Monsieur le Directeur de cabinet du Président de la République,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très honoré de vous accueillir à la Chancellerie pour cette cérémonie solennelle, et somme toute assez rare, du scellement d’une loi constitutionnelle.
Cette cérémonie trouve son origine dans un passé très lointain. L’usage du sceau pour authentifier les actes d’autorité remonte à l’antiquité. En France, les souverains mérovingiens y avaient déjà recours, probablement dès le VIe siècle, pour garantir l’intégrité et la provenance de l’écrit. A partir de la fin du VIIe siècle, le sceau des souverains devient la preuve nécessaire de l’authenticité de l’acte.
Ce droit régalien s’est maintenu jusqu’au XVIII e siècle. A cette période, le chancelier de France – ou en cas de disgrâce, le garde des Sceaux – présidait au scellement des lettres patentes au cours d’une séance bimensuelle : les actes scellés étaient des actes de portée générale mais aussi parfois des actes individuels. Cette séance se tenait déjà à l’hôtel de la chancellerie, place Vendôme. Cependant, la presse à sceau qui se tient sous vos yeux est postérieure à la Révolution française, puisqu’elle a été commandée en 1810 par Cambacérès.
Aujourd’hui, l’apposition du sceau sur les lois ne constitue, bien sûr, plus une formalité nécessaire à leur validité. Elle a été avantageusement remplacée par une publication au journal officiel. Pourtant, l’arrêté du 8 septembre 1848 prescrivant le scellement des lois n’a pas été abrogé. Il fixe d’ailleurs encore de nos jours la forme du sceau de la République.
Jusqu’en 1870, les lois, les ordonnances et les traités étaient scellés et la IIIe République avait essentiellement limité cet usage aux traités. Dans l’histoire récente de la République française, le scellement des lois avait été presque abandonné. On dit même que la technique avait été perdue après 1923. Elle fut heureusement retrouvée en 1946 pour sceller la constitution de la IVe République. C’est cependant Jean FOYER qui reprit cette tradition pour souligner l’œuvre juridique, notamment dans le droit civil, engagée au début de la Vème République. En 1964, il proposa ainsi, au Général de Gaulle, qui donna son accord, de sceller la loi du 14 décembre 1964 portant modification des dispositions du code civil relatives à la tutelle et à l’émancipation.
Cet usage a été repris en 1981 par Robert BADINTER qui a scellé la loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort. Depuis lors, huit des dix-sept lois votées pour réviser notre Constitution ont été scellées. Si le scellement révèle un choix d’opportunité, je veux croire que seules les occasions exceptionnelles méritent d’y recourir.
C’est dans le prolongement de cette tradition, et avec la conscience de l’importance de cet évènement, que j’ai l’honneur de présider aujourd’hui à la cérémonie du scellement de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort.
En effet, la peine de mort ne laisse personne indifférent, même dans un pays comme le nôtre où elle a été abolie, il y a maintenant plus de 25 ans. Dans un pays aussi attaché aux droits de l’homme, aussi influencé par un héritage spirituel respectueux de la vie, la peine de mort n’a disparue qu’il y a une génération. Ceux qui ne l’ont pas connue peinent à imaginer qu’elle ait pu exister dans notre pays.
Elle fut pourtant un débat politique majeur, dans les assemblées, dans les prétoires, dans les lieux publics ou simplement dans l’intimité des consciences. Elle eut ses défenseurs et ses pourfendeurs. Aujourd’hui, nous l’avons définitivement exclue du champ des discussions et des propositions politiques.
La vie humaine a un caractère inviolable et sacré. Chaque femme, chaque homme ne peut être réduit aux atrocités qu’il a pu commettre. Il a avant tout une part d’humanité que nous devons protéger, entretenir, parfois sauver. On juge une société à ses membres, mais aussi à ses règles. Eliminer d’autres hommes n’est pas une règle propre à une société évoluée.
D’autant plus que la justice humaine est faillible. Elle est nécessaire, mais elle conserve une capacité d’appréciation, qui parfois peut mener à une erreur. Le juge, dans sa difficile mission de dire le droit et le juste, peut se tromper.
L’erreur judiciaire est un scandale et la peine de mort ne se contente pas d’en aggraver les effets, elle transforme fondamentalement la condamnation en crime de la société, que la France soit en paix ou en temps de guerre.
C’est justement cette ancienne et ultime limite que le Congrès a voulu lever en février dernier. Les crimes de guerre, aussi terribles soient-ils, ne doivent pas être punis de la peine de mort. On ne répond pas à l’horreur par la barbarie. Nos principes ne s’arrêtent pas aux portes des conflits. Ce choix n’est pas seulement celui du Président de la République qui s’en est fait l’avocat inlassable et qui a personnellement voulu que ce projet aboutisse.
Ce n’est pas celui du gouvernement et des assemblées dont les membres plaident l’abolition dans leurs déplacements internationaux. C’est celui de la collectivité nationale toute entière, fière et rassemblée autour des droits de l’homme.
La prison à vie, même si elle est réduite à une peine de sûreté, est une épreuve terrible pour les condamnés et suffit largement à faire craindre la justice aux criminels. C’est la liberté qui fait rêver les hommes, c’est pour elle qu’ils peuvent réaliser ce qu’il y a de meilleur en eux. C’est aussi pour cela que nous croyons en la capacité de tout être, quelles que soit ses fautes, à s’amender.
Le temps des supplices est terminé : la peine sert à écarter le danger que fait peser un criminel sur la société, à due proportion de ses actes, et à réinsérer ceux qui en ont la volonté.
Ainsi, la France peut désormais ratifier le protocole n° 13 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances et le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York le 15 décembre 1989.
Notre pays a rejoint les 16 pays européens et les 45 Etats dans le monde qui ont inscrit dans leur texte fondamental l’abolition de la peine de mort. En effet, l’article 66-1 de la Constitution, au sein du titre VIII sur l’autorité judiciaire, dispose désormais que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
Je disais il y a quelques semaines devant le Sénat que le combat abolitionniste reste très difficile dans les pays qui considèrent que la mort n’est qu’une peine normale et banale. La société civile doit encore s’y mobiliser et elle doit savoir qu’elle n’est pas seule à lutter pour le respect des droits de l’homme. La France est à ses côtés, et ce scellement solennel est de nature à l’y inciter.
Il témoigne de notre volonté inébranlable de proscrire la peine de mort et de délivrer, par ce symbole, un message universel : celui du respect de l’homme et de la proportionnalité des peines. L’usage étant, à la chancellerie, d’utiliser la cire verte pour les actes à valeur perpétuelle, c’est donc un sceau de couleur verte qui sera utilisé dans quelques instants.
Par ce geste, la France veut témoigner à tous les défenseurs des droits de l’homme, de son amitié, de son admiration et de son aide inconditionnelle. La France a un rôle majeur à jouer dans la promotion des droits de l’homme au niveau international. Elle le montre encore aujourd’hui.
La révision constitutionnelle du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort restera dans l’histoire comme l’aboutissement d’un long combat qui a fini par transcender les frontières politiques. Il fut celui d’hommes et de femmes courageux, confiants dans la justice et respectueux de la vie humaine. Il est aujourd’hui celui de tous les Français, quelles que soient leurs opinions.
Je vous propose maintenant qu’il soit procédé au scellement officiel de cet engagement de la République Française.