[Archives] Réunion des Juridictions Inter-régionales Spécialisées
Publié le 06 avril 2006
Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux
Mesdames et Messieurs les premiers présidents,
Mesdames et Messieurs les procureurs généraux,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les procureurs,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
En 2004, lors de la création des Juridictions Inter-régionales Spécialisées, le Ministère de la Justice a fait un pari sur l’avenir. Ce pari était avant tout celui de l’adaptation de la justice aux nouvelles formes de criminalité et de sa réactivité face à la complexité des dossiers : complexité économique, complexité juridique, complexité des droits nationaux en vigueur.
La mise en place des juridictions modernes avec les modes de travail entre le parquet et l’instruction sensiblement différents de ceux qui précédaient, étaient devenus une nécessité. Les JIRS ont alors, à raison, été décrites comme un laboratoire judiciaire.
Ce pari exigeait un investissement massif.
Dès le vote de la loi, l’administration centrale a localisé 80 emplois de magistrats, soit 59 emplois dans les Tribunaux de Grande Instance sièges des Juridictions interrégionales Spécialisées et 21 emplois au sein des cours d’appel dans lesquelles se situent les JIRS. Dans le même temps, 75 emplois de greffiers et 49 emplois d’adjoints administratifs au titre des JIRS ont été créés, soit un total de 124 emplois de fonctionnaires.
Des dotations complémentaires de fonctionnement, d’un montant total de 1,02 million d’euros au titre de l’année 2004, ont également été attribuées.
En 2005, et en 2006, 7 emplois puis 22 de magistrats ont été localisés .
Ces efforts sans précédents ont été évalués par l’Inspection Générale des Services Judiciaires. Nous devons maintenant en tirer toutes les conséquences de son rapport.
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De nouvelles méthodes de travail se sont instaurées entre les magistrats du parquet JIRS et leurs homologues de l’instruction.
La pratique plus fréquente de la co-saisine des juges d’instruction a contribué pour une bonne part à la valeur ajoutée attendue de la création des JIRS. Cette pratique doit être systématisée afin de permettre une meilleure gestion des dossiers.
Par ailleurs la mise en place des JIRS, a conduit à initier de nombreuses réunions notamment avec les autres magistrats instructeurs, les autres parquets généraux, les parquets de vos ressort élargi, ainsi qu’avec les services enquêteurs.
Il vous faut aujourd’hui aller de l’avant pour diffuser plus largement la « culture JIRS » et contribuer à faire émerger le sentiment d’appartenance à un ressort commun.
Ainsi, les relations avec les services enquêteurs doivent être approfondies afin que la nécessité de la double information soit mieux comprise et mieux acceptée.
Il est également nécessaire pour les parquets des JIRS d’améliorer leur faculté d’analyse des phénomènes criminels existant sur leur ressort, le cas échéant d’initier les enquêtes qui s’imposent et enfin de mieux contrôler les investigations menées par les services de police et de gendarmerie en matière de criminalité organisée.
La mise en place d’un Bureau des enquêtes me semble de nature à atteindre ces objectifs. Elle permettra, par ailleurs, une analyse plus fine des forces et faiblesses des services d’enquête, afin de pouvoir engager un dialogue constructif avec leur ministère de tutelle.
Le bureau des enquêtes vous permettra en outre d’avoir des contacts étroits et réguliers, propice à l’échange d’informations avec les autres parquet ou les autres juges d’instruction du ressort élargi.
Il m’apparaît notamment essentiel pour que les Juridictions interrégionales soient bien acceptées que chacun puisse connaître le fonctionnement de la JIRS, ainsi que la politique pénale et ses critères de saisine.
Enfin, au sein de la JIRS elle-même, la culture désormais commune aux magistrats du parquet et de l’instruction doit être davantage étendue aux juges des libertés et de la détention et aux magistrats des formations de jugement.
Leur spécialisation sera le gage d’une maîtrise technique affirmée des contentieux qui leur seront soumis et de leurs règles procédurales particulières.
Elle sera aussi l’assurance d’une jurisprudence cohérente et adaptée en la matière et l’affichage d’une véritable «chaîne» dédiée à la criminalité organisée.
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Pour que ces efforts soient placés sous les meilleurs auspices, magistrats du siège et magistrats du parquet doivent s’engager avec détermination dans la connaissance du crime organisé et des structures dédiées à sa lutte.
On touche là au cœur du fonctionnement des JIRS. C’est leur mission première, c’est leur essence même.
Parmi les 392 dossiers traités à ce jour par les JIRS, le caractère international des infractions est nettement présent. Vous avez su développer une compétence technique et un réseau relationnel avec l’étranger, n’hésitant pas à vous appuyer sur les magistrats de liaison dont certains seront présents cet après midi.
Je souhaite que la collaboration avec Eurojust soit notamment renforcée. La présence cet après midi du représentant national permettra je l’espère de donner un nouvel élan à cette collaboration.
Je voudrais surtout insister sur le rôle essentiel des procureurs généraux JIRS dans la coordination de la conduite de la politique d’action publique.
De ce point de vue, leur mission est double.
D’abord, ils doivent veiller au juste équilibre territorial de l’origine géographique des dossiers qui sont attraits par la JIRS.
L’analyse des phénomènes criminels sur l’ensemble du ressort élargi doit permettre de mieux connaître leur origine et leur nature afin de choisir avec les procureurs du ressort s’il convient ou non de recourir à la juridiction spécialisée.
Le procureur Général de la JIRS doit s’assurer notamment, que les phénomènes criminels similaires soient identiquement traités au sein des différentes cours d’appel de son ressort interrégional.
Par ailleurs la diversification de la nature des affaires en matière de criminalité organisée doit être évidemment prise en compte. Les organisations criminelles ont certes investi la matière du trafic de stupéfiants, mais elles s’adonnent aussi à des agissements tels que la mise en place de réseaux d’immigration clandestine, le proxénétisme ou le trafic d’armes et d’explosifs.
L’argent ainsi illégitimement acquis est source de commission d’autres infractions telles le blanchiment ou des infractions plus spécifiquement financières.
Je vous demande de faire en sorte que ces qualifications soient plus souvent recherchées et mises en œuvre par les magistrats de vos juridictions..
Plus généralement, nous avons besoin d’une réflexion approfondie sur les critères de saisine des JIRS et notamment sur le critère de « grande complexité » prévue par la loi.
J’ai demandé au Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces de le mener avec vous.
Une fois mieux définies et partagées avec les juridictions du ressort interrégional, les juridictions appréhenderont beaucoup mieux ainsi les critères de leur dessaisissement et partant, les accepteront plus facilement.
Peut-être ne sera-t-il pas possible ou même souhaitable d’uniformiser le « seuil » de compétence des JIRS qui peut varier selon la politique pénale qui y est menée, la nature de la délinquance qui se développe sur son ressort ou sa situation géographique.
Mais l’harmonisation permettrait de mieux identifier la plus value qu’est susceptible d’apporter la JIRS.
Je vous demande également de continuer à poursuivre les efforts entrepris sur l’approche patrimoniale de la lutte contre les phénomènes criminels.
J’ai vu avec satisfaction l’action menée par la JIRS de Lille dans une affaire jugée le 10 mars 2006, qui a conduit le Tribunal correctionnel de Lille à ordonner la confiscation des scellés, des avoirs bancaires et des biens immobiliers des trafiquants (notamment 13 biens immobiliers et environ 900 000 euros d’avoirs bancaires divers).
On m’a d’ailleurs indiqué que les délinquants eux-mêmes ne s’y sont pas trompés : ce n’étaient pas tant les peines d’emprisonnement qui leur causait soucis, c’était surtout la peine complémentaire de confiscation qui y était attachée.
Ce dossier illustre l’apport de la JIRS qui a permis de traiter la procédure sous ses différents aspects.
Il faut poursuivre dans cette voie, d’autant que de nouvelles possibilités s’offrent à vous à travers la mise en place de la plate-forme d’Identification des avoirs criminels. La réforme de la procédure des saisies et des confiscations sur laquelle travaille la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces sera un outil supplémentaire facilitant votre travail.
Là encore, les magistrats d’une JIRS ont montré leur capacité de mener dans des délais réduits des investigations complexes.
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Pour mener à bien ces missions, il est nécessaire que tous les chefs de cours se mobilisent.
Je souhaite rappeler que la spécialisation ne soit pas être gommée pour des raisons de gestion. Seuls des magistrats présentant une certaine expérience, ayant suivi des formations propres à la lutte contre la criminalité organisée ou d’une grande complexité et susceptibles de travailler en équipe, doivent être nommés ou habilités au sein des JIRS.
Je souhaite ainsi qu’en liaison avec la Direction des services judiciaire et la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, les chefs de Cour puissent sélectionner de véritables spécialistes dont l’expérience professionnelle et les cursus de formation correspondent au profilage souhaité.
Il est en effet souhaitable que les cabinets d’instruction ou les services du parquet puissent disposer des secrétariats nécessaires à leur fonctionnement.
Ce redéploiement doit être précédé, pour certains d’entre eux, d’une formation spécifique notamment lorsqu’ils ils sont affectés à la mise en œuvre de certains outils comme la scannérisation de donnée ou l’utilisation du logiciel d’instruction assisté par ordinateur.
J’observe que, sur les 33 postes de logiciel IAO installés dans les cabinets des magistrats instructeurs, seuls 20 seulement sont opérationnels. Il est nécessaire d’augmenter ce chiffre.
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Je sais que les efforts que je sollicite de votre part doivent être accompagnés par l’administration centrale et que vous devez pouvoir compter sur son soutien.
C’est pourquoi j’ai souhaité que le secrétariat Général du ministère assure le suivi technique des logiciels nécessaire aux enquêtes et permette l’acquisition par vos juridictions, le plus rapidement possible, des nouveaux outils informatiques qui existent afin de mieux analyser les phénomènes criminels l’analyse et partager ces informations.
De même, le Secrétariat Général s’est doté d’une cellule d’aide à la décision permettant à tous les magistrats des JIRS de disposer de l’information nécessaire sur les moyens techniques investigations au meilleur coût.
Je vous demande de ne pas hésiter à investir ces nouveaux moyens technologiques qui sont, à n’en pas douter, ceux de la Justice de demain.
Je pense notamment à l’utilisation de la visioconférence, qui permettra d’éviter les transferts de détenu et qui, en matière de coopération pénale internationale, vous permettra de rencontrer vos homologues, même de réaliser certains actes de procédure.
Une première expérimentation a été lancée, au début de l’année 2005, sur le ressort de la JIRS de NANCY où les cours d’appel de NANCY, METZ, COLMAR, BESANCON et DIJON ainsi que les maisons d’arrêt de METZ QUEULEU et de NANCY ont été équipées.
Depuis, grâce à un effort important, tous les Tribunaux de Grande Instance sièges des JIRS sont équipés.
Pour ce qui est des moyens matériels, les dotations sont maintenant globalisées, mais dans le montant des budgets accordés aux cours d’appel sièges de JIRS, il sera tenu compte des demandes qui pourront être formées pour les besoins spécifiques aux JIRS.
En effet, même si l’administration centrale demeure à l’écoute des besoins exprimés, seule une affectation stricte aux JIRS des moyens humains et matériels accordés lui permettra d’apprécier le bien fondé des demandes nouvelles qui seront co-expertisées par la direction des services judiciaires et la direction des affaires criminelles et des grâces.
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Mesdames et Messieurs,
Les JIRS montent peu à peu en puissance grâce à un effort soutenu tant de l’administration centrale, de l’école de la magistrature que des chefs des juridictions concernées. J’ai confiance dans ce nouveau dispositif et en ceux qui le mettent en place.
Mais n’oublions pas que la Justice est entrée dans une démarche d’évaluation. Elle doit rendre des comptes aux citoyens sur la bonne utilisation des deniers publics. Vos juridictions ont obtenus de nouveaux moyens pour permettre aux JIRS de fonctionner, il vous appartient de démontrer que les investissements importants faits par l’institution ont été utiles.
Travail collectif, nouveaux moyens techniques, centralisation des moyens dans des centres régionaux d’excellence, internalisation du travail judiciaire sont des modes de fonctionnement d’avenir. C’est pourquoi, je souhaite qu’elles puissent nous inspirer pour améliorer l’organisation de la justice de demain.
Je compte sur votre enthousiasme et sur votre détermination pour que les résultats opérationnels des JIRS soit, en 2006, à la hauteur de l’engagement de l’Etat dans la lutte contre le crime organisé.