[Archives] Réunion annuelle des magistrats de liaison

Publié le 05 novembre 2009

Discours de M. Bockel, secrétaire d'Etat à la Justice

Temps de lecture :

6 minutes

C’est un grand plaisir pour moi de prendre la parole à l’occasion de cette réunion annuelle des magistrats de liaison et des conseillers juridiques en ambassade.

 

Je veux profiter de ce moment introductif pour rendre un hommage appuyé au Secrétaire général M. Gilbert AZIBERT, et au Chef du Service des Affaires européennes et internationales M. Eric MAITREPIERRE, pour la qualité de leur implication dans un programme qui contribue au rayonnement européen et international du Ministère de la Justice et donc de la France.

 

Grâce au réseau judiciaire des magistrats de liaison et des conseillers en ambassade qui s’est construit depuis 1996, la France est aujourd’hui présente en Europe, mais aussi en Afrique, en Asie et sur le continent Nord-Américain. Absent de cette liste, le continent Sud-Américain et principalement l’Amérique Latine pourrait d’ailleurs à mon sens être un prochain lieu d’implantation pour un magistrat français.

 

L’activité des magistrats de liaison s’illustre en particulier dans quatre domaines clés :

1- l’entraide pénale internationale 

2- l’entraide civile 

3- le droit comparé 

4 - le rapprochement des autorités judiciaires

Les magistrats de liaison, dont j’ai pu observer la qualité au cours de mes déplacements en Espagne et aux Pays-Bas, par la connaissance du droit et de la procédure de leur pays comme du pays d’accueil tendent à faire disparaître les malentendus et incompréhensions qui polluent trop souvent les rapports bilatéraux.

 

Connaître les particularités du système judiciaire étranger contribuent à enrichir le droit comparé et facilite les échanges entre les acteurs du procès civil ou pénal. Cette compréhension mutuelle, vous le savez mieux que quiconque constitue le ciment de la coopération judiciaire européenne et internationale.

Ainsi, en contribuant à faire vivre, le volet juridique et judiciaire de la politique étrangère de la France, les magistrats de liaison  sont les représentants à l’étranger d’une conception du droit  de type continental, un droit germano-romain qui constitue un socle anthropologique distinct du droit anglo-saxon.

 

Je crois, aujourd’hui, à la nécessité de définir une stratégie d’influence du droit et de ses praticiens français au sein de l’espace judiciaire international.

                                     

I- Assurer la promotion du droit continental face à l’hégémonie de la common law

 

Ce droit continental, j’en suis convaincu est porteur d’avenir, à condition de le défendre, de le promouvoir, et de l’illustrer. La crise économique et financière qui a frappé le monde a rebattu les cartes et peut constituer un levier pour mieux défendre notre droit continental.

 

La mondialisation prétend offrir un nouvel horizon économique axé sur la liberté des échanges, la liberté de circulation des capitaux et des marchandises. Cette globalisation a évidemment contribué à refaçonner les firmes, leurs stratégies, leur mode d’organisation et de gestion.

Mais, elle s’est accompagnée aussi d’une tentative de mondialisation juridique, ou plus exactement d’homogénéisation où le droit anglo-saxon entendait bien prétendre à l’hégémonie culturelle, tant en ce qui concerne les élites économiques et financières que les élites politico-administratives.

 

Ainsi, nous avons subi de plein fouet une véritable offensive qui,  voulant mettre en concurrence les systèmes juridiques, n’avait pas de mots assez durs pour stigmatiser notre droit continental afin de démontrer l’absolue supériorité du modèle anglo-saxon.

 

Cette domination juridique anglo-saxonne assez liée d’ailleurs à une hégémonie linguistique ; imposant en tous domaines l’anglais comme langue de travail doit trouver un point d’arrêt.

 

Jamais la période ne s’est mieux prêtée à un telle remise en cause de fausses évidences assénées avec une certaine outrance par les instances de la gouvernance mondialisée en commettant un rapport resté célèbre et intitulé « Doing business » qui prétendait placer la France, dans un classement baroque en 44ème position, entre la Jamaïque et le Kiribati !

 

En matière d’attractivité du droit,  la France était ainsi grossièrement disqualifiée ; la French civil law constituant en quelque sorte un obstacle naturel au développement.

 

Le rapport Doing Business s’efforce ainsi de démontrer chaque année, que les pays de tradition civiliste sont plus longs, plus coûteux et plus compliqués pour la vie des affaires que les pays de tradition de Common Law. Ainsi, pour l’année 2009, les auteurs se sont en particulier attachés à démontrer la supériorité du régime de faillite britannique (classé 9ème) et plus généralement des régimes de faillite de Common Law comme celui des Etats-Unis (classé 15ème) par rapport aux systèmes dits de tradition civiliste, comme la France classée 40ème par la banque mondiale.

 

Ainsi en traitant la norme juridique au moyen d’une grille de lecture économique, le plus souvent sous l’angle de l’efficacité, on prépare utilement le terrain à un discours qui évalue l’incidence des règles juridiques sur l’organisation et les performances économiques.

Dans une telle perspective, on est amené assez rapidement à réduire l’ensemble des phénomènes juridiques à des facteurs économiques et partant à occulter toute forme d’autonomie du droit, voire même toute forme d’autonomie du politique.

 

La norme juridique dès lors n’est plus envisagée que de manière instrumentale, comme un outil mobilisé au service d’objectifs définis en termes économiques.

 

De cette évaluation, il ressort que les systèmes de Common Law marqués par une faible codification du droit et une contribution importante des tribunaux à la production du droit, seraient de meilleurs vecteurs de croissance économique que les systèmes de droit civil, eux-mêmes caractérisés par une origine législative et règlementaire du droit et une place ancillaire accordée aux tribunaux.

 

Se voit ici promu un droit judiciaire décentralisé (le droit de Common Law) compatible à la conception d’un ordre spontané qui assurerait davantage de libertés individuelles et plus de limites au gouvernement que le droit rationaliste et constructiviste issu des conceptions napoléoniennes.

 

La période qui s’ouvre est propice à un sursaut salvateur, à condition de croire en nous-mêmes et de nous employer à reconquérir notre légitimité mais aussi à convaincre que notre système juridique comporte ses propres avantages comparatifs.

               

L’idée d’un ajustement rationnel entre agents économiques agissant pour maximiser leurs intérêts sans qu’aucun tiers n’ait à s’immiscer afin de faire prévaloir une règle ou contribuer à un meilleur agencement des opérateurs économiques n’est plus de saison.

 

La Common Law ne constitue pas un horizon indépassable, d’autant que nombre d’Etats ne sentent pas anthropologiquement à l’aise avec ce modèle et sont inversement beaucoup plus en phase avec le droit continental.              

 

Saisissons cette opportunité historique et définissons une stratégie d’influence pour les praticiens français, juges, avocats, universitaires, dans l’espace judiciaire international.

 

II- Définir une stratégie d’influence pour les praticiens français dans l’espace judiciaire international

  

Il me semble aujourd’hui nécessaire  de mettre en ouvre une stratégie concertée et cohérente visant à l’exportation de notre droit continental, lequel n’est ni passéiste, ni encore moins figé ou calfeutré dans les frontières confortables de la vieille Europe.

 

De nombreux aspects de notre droit sont susceptibles de répondre à l’aspiration d’Etats qui prennent leur place dans ce monde qui est à la fois celui de l’après chute du Mur et celui de l’après crise.

 

Il nous faut songer à étoffer ce dispositif d’exportation du droit continental en coordonnant résolument l’ensemble des acteurs impliqués, Ministère de la Justice, professionnels du droit, Cour de Cassation et Conseil d’Etat, Ministère des Affaires étrangères.

 

Elaborons des argumentaires pour démontrer qu’en matière de droit économique et financier, de droit pénal international et de droit international privé, le règne de la Common Law ne constitue pas le seul horizon possible.

               

Je pense enfin à l’influence que doit légitimement exercer la France en matière de formation des magistrats. L’Ecole Nationale de la Magistrature est souvent source d’inspiration pour les pays désireux de moderniser la formation de leurs juges.

Gilbert AZIBERT, en votre qualité d’ancien directeur de cette école, vous savez le formidable outil qu’elle constitue pour permettre d’exercer notre influence dans le monde.

 

N’ayons pas peur de la concurrence lorsqu’elle n’est pas déloyale, à condition de définir une stratégie d'influence à l’international qui requiert le rôle de l’Etat. Faisons valoir et cultivons le souci d’excellence du droit français et continental, développons les circuits de cette influence. Cette bataille n’est évidemment pas dissociable de la bataille pour la francophonie, c'est-à-dire la défense et la promotion décomplexées de la langue française.

XXX

Je vous appelle à vous mobiliser fortement pour promouvoir et développer nos domaines d’excellence dans la continuité d’une tradition à laquelle je suis profondément attaché. Il en va du rayonnement et de la diffusion de notre droit, de l’intérêt de l’Europe et bien-sûr de la place et du rang de la France dans le monde.

 

Je vous remercie pour votre attention.

Seul le prononcé fait foi