[Archives] Rentrée solennelle de l'Ecole de Formation du Barreau

Publié le 04 janvier 2010

Discours de Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés

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8 minutes

Monsieur le Directeur,

Monsieur le Bâtonnier de Paris,

Monsieur le Président de la Conférence des Bâtonniers,

Messieurs les Bâtonniers,

Mesdames et Messieurs les hauts magistrats,

Mesdames et Messieurs les avocats,

Mesdames et Messieurs les élèves avocats,

Mesdames et Messieurs,

 

J'adresse à chacune et chacun d'entre vous mes meilleurs vœux pour l'année 2010.

 

Puisse l'année nouvelle vous apporter, ainsi qu'à vous proches, bonheur et réussite.

 

Mesdames et Messieurs les élèves avocats, pour la plupart d'entre vous, l'année 2009 aura été celle de la réussite à l'examen du Barreau. Je vous en félicite.

 

2010 sera l'année de vos débuts dans la profession, à travers votre formation à l'Ecole du Barreau.

 

Vous avez choisi de consacrer votre vie à défendre le droit et les justiciables.

 

Certains d'entre vous porteront la robe. D'autres s'engageront dans le conseil.

 

Pénalistes, publicistes ou privatistes, vous placerez vos connaissances et vos talents au service de la justice.

 

Tous, vous défendrez la prééminence du droit et l'égalité de tous devant la loi.

 

Mesdames et Messieurs,

 

Dans 18 mois, au terme de votre scolarité, vous serez avocats.

 

Vous entrez dans cette belle profession au moment où elle se modernise, s'adapte aux mutations de la société, se renforce.

 

L'évolution concerne quasiment toutes les branches du droit (I). Elle sera particulièrement notable en matière de procédure pénale (II).

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

I. Le métier d'avocat est en pleine évolution.

 

A) Evolution de sa dimension contentieuse.

 

Les avocats représentent leurs clients en premier ressort. Ils sont désormais appelés à les représenter en cause d'appel.

 

La scission entre avocats et avoués, héritée du XVe siècle, sera abolie par le projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.

 

D'un bout à l'autre de la procédure, les justiciables disposeront ainsi d'un interlocuteur unique.

 

Plus simple, la représentation en appel sera plus lisible et plus compréhensible par nos concitoyens.

 

Elle exigera de vous compétence, rigueur, attention.

 

B) Evolution de la dimension de conseil.

 

Nos concitoyens aspirent à la sécurité juridique, même dans les actes courants.

 

L'acte contresigné par un avocat apporte des garanties supplémentaires.

 

Il avait suscité des craintes de la part des notaires.

 

Dès mon arrivée au ministère de la justice, j'ai engagé une concertation approfondie avec les présidents du Conseil national des barreaux, et du Conseil supérieur du notariat. Elle a abouti en fin d'année.

 

Par son contreseing, l'avocat attestera avoir éclairé pleinement la partie qu'il conseille sur les conséquences juridiques de l'acte.

 

Ce contreseing fera pleine foi de l'écriture et de la signature des parties. Celles-ci garderont toutefois la possibilité de recourir à la procédure de faux prévue par le code de procédure civile pour les actes sous seing privés.

 

Je déposerai prochainement le projet de loi en ce sens.

 

C) Evolution du périmètre d'intervention de l'avocat.

 

La loi organique du 10 décembre 2009 a créé la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Elle consacre la vocation première de notre bloc de constitutionnalité : protéger les libertés et droits fondamentaux des citoyens.

 

Elle rappelle que la Constitution est au premier rang des normes de droit interne, au-dessus des lois même promulguées.

 

Avec elle, les avocats disposeront d'un nouvel outil dans la défense des libertés publiques.

 

Un outil facile d'accès, puisque soumis à de faibles contraintes formelles.

 

Un outil puissant, puisqu'il peut aboutir à l'abrogation de certaines lois et ordonnances de niveau législatif.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Vous allez devoir travailler le contentieux constitutionnel.

 

Vous aurez dans quelques mois à vous pencher sur la procédure pénale.

 

II. J'ai en effet engagé une démarche de réécriture de toute la procédure pénale.

 

Le Code de procédure pénale est devenu illisible, à force de réformes ponctuelles et d'empilement de texte. J'ai décidé de simplifier sa rédaction en privilégiant l'ordre chronologique.

 

Je veux une procédure pénale compréhensible par tous.

 

Mais la démarche n'est pas simplement formelle.

 

Mon ambition est de garantir une procédure totalement impartiale et équitable pour tous.

 

A) Aujourd'hui, quelle est la situation ?

 

Notre procédure pénale repose sur un double circuit.

 

Dans 97% des cas, l'enquête est menée par le parquet. Pour les 3% restants, l'enquête est menée par le juge d'instruction.

 

Aucune de ces deux solutions n'est parfaite.

 

L'instruction menée par le juge d'instruction l'est souvent pour le meilleur, parfois pour le pire. On l'a vu.

 

Les enquêtes menées par le parquet sont perfectibles. Les méthodes gagneraient à être modernisées, plus soucieuses des victimes.

 

Enquêtes du parquet, enquêtes du juge d'instruction : dans les deux cas, le magistrat est à la fois juge et partie de son enquête. Ce n'est pas satisfaisant au regard de la protection des libertés et des exigences d'impartialité.

 

Aujourd'hui, beaucoup focalisent sur le juge d'instruction. Mais c'est tout le système qui doit être repensé, y compris les enquêtes du ministère public.

 

Je vous le dis en toute sincérité : s'il s'agissait simplement de supprimer le juge d'instruction, tout en maintenant le système actuel, je ne le ferais pas.

 

Mon objectif est de sortir de ce système double, imparfait et schizophrénique.

 

Je veux une seule et même procédure pour tous les citoyens, une procédure qui garantisse le respect du droit des victimes et les droits de la défense.

 

B) Libertés individuelles et droits des parties doivent être garantis d'un bout à l'autre de la procédure.

 

J'entends les critiques ou inquiétudes que certains expriment avant même de connaître le projet.

 

Pour mettre les choses cartes sur table. Rien ne vaut un cas concret.

 

1) Première étape : des faits sont signalés. Le parquet souhaite faire procéder à une enquête.

 

- Le Garde des Sceaux pourra-t-il faire obstacle au déclenchement de l'enquête ? Non.

Je confirme l'interdiction faite au garde des Sceaux d'ordonner le classement sans suite d'une affaire.

 

- Supposons qu'un ministre de la justice passe outre cette interdiction, et qu'il demande au parquet de classer l'affaire.

Dans cette hypothèse, le procureur sera tenu de désobéir à cet ordre manifestement illégal.

Cette disposition sera inscrite noir sur blanc dans le futur code de procédure pénale.

 

- Supposons que le procureur refuse de lui-même de déclencher l'enquête.

Contre l'inertie du parquet, les parties se verront accorder la possibilité de former un recours devant un juge. Celui-ci pourra ordonner au parquet d'enquêter.

 

- Supposons enfin qu'il n'y ait pas de partie pour contester la décision du procureur.

Je pense par exemple à certaines infractions qui touchent une collectivité publique dirigée par ceux à qui l'infraction pourrait être reprochée.

Dans cette hypothèse, je souhaite que tout citoyen puisse contester la décision de classement du procureur et que le juge puisse ainsi ordonner une enquête.

Il n'est donc pas question de permettre au parquet de classer des affaires qui justifieraient des investigations. C'est l'impartialité du système qui sera ainsi garantie.

 

2) Deuxième étape : le parquet mène l'enquête.

 

Envisageons les dysfonctionnements possibles.

 

- Le procureur s'étant déjà fait sa propre idée, il refuse d'effectuer certains actes demandés par l'une ou l'autre des parties : expertises, auditions de témoins, confrontations.

La partie concernée pourra alors saisir le juge de l'enquête et des libertés, magistrat du siège. Il lui reviendra alors de juger l'opportunité de ces actes, et le cas échéant d'ordonner au procureur de les effectuer.

 

- Que se passe-t-il, me direz-vous, si notre procureur demeure peu coopératif et refuse de tirer les conséquences de la décision du juge de l'enquête et des libertés ?

Dans cette hypothèse, la partie pourra saisir la chambre de l'enquête et des libertés. Celle-ci peut décider d'évoquer l'affaire.

Le juge de l'enquête et des libertés prend alors la main. Il lui revient donc de mener lui-même les actes nécessaires à l'enquête.

 

3) Nous en arrivons à la fin de l'enquête.

 

Deux possibilités sont ouvertes au procureur.

 

- Première possibilité : la poursuite.

Si la défense ne conteste pas la décision de renvoi, l'affaire est renvoyée devant la juridiction de jugement. Les parties s'expliquent alors devant le juge.

La défense peut aussi considérer que toutes les vérifications nécessaires n'ont pas été faites. Elle peut saisir le juge de l'enquête et des libertés. Il revient alors à celui-ci de décider si des actes complémentaires sont nécessaires.

 

- 2e possibilité : à l'issue de l'enquête, le parquet décide le non-lieu.

  • Les victimes pourront contester cette décision.

Elles saisissent le juge de l'enquête et des libertés.

C'est à lui, magistrat du siège, bénéficiant des mêmes garanties d'indépendance et d'inamovibilité que le juge d'instruction, qu'il revient de prendre la décision de confirmer ou d'infirmer le non lieu.

L'enquêteur n'est pas le décideur. L'impartialité sera ainsi pleinement garantie.

  • Pour autant, il n'y a pas toujours de victime directe.

Il arrive aussi que certaines personnes morales ne soient pas en mesure de faire valoir leurs droits.

C'est notamment le cas lorsqu'il s'agit d'une infraction au préjudice de la collectivité publique.

N'importe quel citoyen doit alors pouvoir contester le non lieu. Chacun pourra le faire en se constituant « partie citoyenne » dans la procédure.

Aucune affaire ne pourra donc être étouffée, à aucun stade de la procédure.

 

Mesdames et Messieurs,

 

J'ai tracé les grandes lignes de votre premier cours de procédure pénale « nouvelle manière ».

 

III. Je ne voudrais pas conclure sans évoquer les droits de la Défense dans le cadre de la garde a vue.

 

Je sais que cette question vous tient à cœur.

 

Le débat sur la garde à vue ne peut pas ne pas tenir compte des exigences posées par la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

 

Encore faut-il les regarder avec objectivité et ne pas leur faire dire plus qu'elles n'exigent.

 

A) La garde à vue est un instrument d'enquête, ni plus, ni moins.

 

Je souhaite en limiter l'usage aux réelles nécessités de l'enquête.

Plusieurs hypothèses sont à l'étude, prenant en compte la gravité des faits reprochés, et la durée d'emprisonnement encouru.

 

B) Pendant la garde à vue, l'efficacité de l'avocat doit être renforcée.

 

- Bien entendu, l'intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue sera pérennisée.

 

- En cas de prolongation de garde à vue, l'avocat aura connaissance et accès aux procès-verbaux d'interrogatoire dressés en première partie. C'est une nouveauté.

 

- La garde à vue répond à des exigences opérationnelles. Ne l'oublions pas.

 

S'agissant de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, le régime de la garde à vue ne peut pas être celui du droit commun. La liberté de chacun doit aller de pair avec la sécurité de tous.

 

- En toute hypothèse, les conditions de garde à vue ne doivent pas porter atteinte à la dignité des personnes. Il faut en assumer le principe et les conséquences. Cette exigence sera inscrite explicitement dans le futur code de procédure pénale.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

A l'heure où vous vous apprêtez à entrer dans la carrière, je vous propose de faire preuve d'ambition.

 

- Le métier d'avocat est en pleine évolution.

Ne laissez pas passer votre chance face aux nouveaux champs d'intervention qui s'offrent à vous.

Saisissez l'opportunité de la mondialisation pour faire valoir vos compétences et vos talents au-delà de nos frontières.

 

- La réforme de la procédure pénale est l'occasion historique de repenser un système à bout de souffle.

N'écoutez pas ceux qui découvrent aujourd'hui des vertus à un système qu'ils ont tant condamnés.

La vérité, c'est que notre pays n'a jamais eu autant besoin des avocats, qu'il n'a jamais eu autant besoin de vous.

La vérité, c'est que la nouvelle procédure pénale s'inscrira dans le vent de liberté que vous ferez souffler dans toutes les branches de notre société.

La vérité, c'est qu'ensemble, nous tracerons les chemins d'une Justice moderne, protectrice et ambitieuse, au service des justiciables, au service des Français, au service de la France !