[Archives] Rentrée solennelle du barreau de Paris et de la Conférence

Publié le 07 décembre 2012

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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21 minutes

Madame le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, Mesdames Messieurs hautes personnalités, Monsieur le président du Conseil constitutionnel, Monsieur le premier président de la Cour de cassation, Monsieur le procureur général de la Cour de cassation, Monsieur le président du Conseil national du barreau, Monsieur le président de la Conférence des bâtonniers, Mesdames et Messieurs les bâtonniers, Mesdames et Messieurs les délégations des pays étrangers, Mesdames et Messieurs les avocats, chers Maîtres, Mesdames et Messieurs,

La rentrée solennelle du barreau de Paris est un événement prestigieux. La qualité des personnalités ici rassemblées et la vivacité de la tradition qui est ainsi respectée concourent à faire de cette cérémonie un événement d’une très grande importance et j’avoue que j’éprouve un bonheur particulier d’y participer.

Madame le bâtonnier, l’Assemblée me permettra de souligner une particularité, à cette rentrée solennelle, parce qu’elle n’est pas si fréquente, c’est en effet seulement la deuxième fois, qu’à l’occasion de la rentrée solennelle, le bâtonnat de l’ordre des avocats de Paris et la Chancellerie sont sous autorité féminine. Cela nous rappelle le clin d’œil que vous avez rappelé tout à l’heure, avec votre slogan pour la journée des femmes, ce slogan qui affirmait que « la femme est l’avenir de l’homme », qui a été perçu par certains d’ailleurs, je crois, comme une impertinence, et qui prouvait une intuition, au moins, et peut-être pouvons-nous affirmer, déjà, que la femme est le présent de l’homme.

Vous avez choisi pour thème de votre colloque de ce matin, « Prisons françaises, prisons modèles », et vous avez rappelé à bon droit, l’actualité nous rattrapant d’ailleurs, que nos prisons sont parfois infâmes. Vous avez choisi un lieu pour cette rentrée solennelle qui n’est pas indifférent. Nous savons à quel point votre profession est confrontée aux misères morales, aux misères sociales, aux misères existentielles même parfois. Et ce lieu prouve à quel point vous êtes sensible aux symboles, sans doute parce que cette confrontation quotidienne avec la misère oblige à lutter pour ne pas réfréner tous ces élans. Vous avez rappelé que le petit et le grand Châtelet, avant d’être un théâtre, furent lieu d’incarcération. Vous avez rappelé quelques esprits illustres qui y furent incarcérés. Certains conciliaient avec la production lyrique une vie vagabonde et une vie qui n’était pas totalement exempte de reproches. Mais parmi ceux-là, et notamment l’auteur de la Ballade du Pendu, que vous avez cité, François VILLON, parmi ceux-là, il y en a qui ont su dire ce qu’était l’infamie de ce lieu d’incarcération. Et notamment ce François VILLON :

Frères humains, qui après nous vivez,

N'ayez les cœurs contre nous endurcis

Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :

Quant à la chair, que trop avons nourrie,

Elle est piéça dévorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et poudre.

Cette désespérance chantée a encore une résonnance dans certains de nos établissements pénitenciers. Il nous faudra du temps, sans doute, il nous faudrait beaucoup, beaucoup d’argent, nous n’avons guère ni l’un ni l’autre. Pourtant il ne nous faudra pas perdre une minute, parce que nous savons qu’il y a encore, pour cette désespérance, chantée par VILLON, un écho qui résonne dans certaines de nos prisons. Mais je crois que la conception que nous partageons de la justice nous conduit à refuser le désenchantement. Faut-il parler d’utopie ? Peut-être au moins d’un idéal, d’une ambition, d’un dessein. Nous affirmons, oui, que nous refusons le désenchantement, nous refusons de prendre acte de cette défaite sémantique et culturelle, qui, ces dernières années, a relégué le raisonnement, fustige cette volonté de comprendre, pour ne privilégier que le bon sens immédiat, que l’affirmation péremptoire que ceux qui ont fauté méritent la peine maximale. Nous refusons de ne pas réfléchir au sens de la peine, nous refusons de ne pas imaginer que les détenus reviennent dans la société, nous refusons de ne pas lutter contre la récidive. C’est le sens de la conférence de consensus. Vos souhaitez y participer ? Vous y êtes. Puisque au sein du comité d’organisation se trouve Jean DANET, avocat honoraire, personnalité éminente, mais surtout ce comité d’organisation procède à des auditions. Je crois qu’il serait utile, effectivement, qu’il pût vous auditionner. Je vous invite à leur en faire la proposition. J’ai tenu à ce que ce comité d’organisation soit indépendant, je ne lui donne donc pas de consigne et je ne lui fais pas de suggestion. Mais je crois qu’il serait bienvenu effectivement que vous fassiez connaître votre disponibilité pour être auditionnée par cette conférence de consensus. Cette conférence de consensus est à la fois un risque et un pari. Un risque, parce que je peux être amenée dans quelques mois à constater un dissensus. Mais c’est un pari, parce que je crois le consensus possible, parce que je crois que sur les sujets de société, sur les principes fondamentaux, sur l’avenir de notre démocratie, il y a des intelligences dispersées, marquées par des sensibilités politiques, culturelles, différentes, mais des intelligences capables de converger. C’est donc un pari, et ce pari je crois que nous serons en mesure de le tenir, au terme des travaux de ce comité d’organisation et du jury de la conférence de consensus.

 « Prisons françaises, prisons modèles » ? Je ne saurais le promettre, même si, comme vous, j’en rêve. Mais je le répète, malgré les contraintes, nous ne perdrons pas une minute, et nous ferons en sorte d’avancer, pour plus de dignité dans nos établissements pénitenciers, parce que nous refusons effectivement les prisons oubliettes.

Votre barreau rassemble 24 000 avocats : c’est considérable. Et vous accueillez 1 500 élèves avocats en moyenne par année, donc vous formez pratiquement la moitié de nos futurs avocats. Vous avez choisi d’élaborer une charte des bonnes conduites pour la collaboration : cela me paraît effectivement indispensable compte tenu de l’arrivée annuelle de jeunes avocats et la nécessité d’encadrer les conditions de leur entrée dans le métier. Avec cette charte, qui définit les conditions de travail, aussi bien la conclusion du contrat de collaboration que sa rupture, vous facilitez l’entrée de ces jeunes avocats dans la profession. Mais surtout, chaque fois que, d’une façon générale, on améliore les conditions d’égalité, de respect, qu’on assure le droit, en fait on touche en particulier les groupes les plus exclus : notamment les femmes et les jeunes – les jeunes parents aussi, pour ce qui concerne les avocats. Grâce à cette charte des bonnes conduites, dont j’ai cru comprendre qu’elle était bien suivie, signée, appliquée, les conditions d’accueil des jeunes avocats s’améliorent, souvent ils entrent au bâtonnat, et je m’incline devant une initiative d’une telle qualité.

Vous avez exprimé, déjà en votre qualité d’ailleurs de président de l’EMP, votre souci de voir évoluer la formation : c’est essentiel. Je le disais, votre établissement, qui est le plus important de tous les CRFPA, de ces centres régionaux de formation des avocats, votre établissement accueille 1500 avocats, c’est à peu près la moitié des promotions pour l’ensemble du territoire. Donc c’est cet établissement qui forme la moitié du renouvellement de notre corps d’avocats. Vous avez exprimé votre souci de faire évoluer cette formation. Le président du CNB a fait adopter une résolution en juin 2012 où il envisage un examen national, mais qui serait décentralisé, déconcentré en fait, ce qui se justifie par la disparité entre les écoles, leurs moyens, leur capacité, compte tenu du fait que les écoles sont rattachées au barreau. La présidente du syndicat des avocats de France m’a fait part des réflexions de son syndicat sur la pertinence de la suppression du stage. Vous savez que le ministère de l’Enseignement supérieur, ainsi que les universités sont concernées par toute réforme qui pourrait subvenir sur la formation des avocats, dans la mesure où ce sont les Instituts d’Etudes judiciaires qui dépendent des universités, qui préparent les candidats à l’entrée dans les centres régionaux de formation des avocats. Je crois que vous avez commandité un rapport qui sera bientôt remis ; il y a là matière à laisser la profession elle-même s’organiser, réfléchir, faire des propositions, mais juste après à organiser le travail avec la Chancellerie de façon à ce que nous aboutissions à une réforme qui sera durable parce qu’elle aura été correctement pensée. Il y a toujours évidemment une relative passion autour des questions de formation et d’accès au métier ; pour ce qui concerne l’accès au métier, vous avez évoqué un point, je vais en traiter un autre très vite : l’accès pour les docteurs en droit à la dérogation à l’examen d’entrée au CRFPA. Je crois que le CNB a soulevé une légère polémique il y a quelques mois, je dois dire qu’ayant examiné la question et ayant entendu quelques autorités sur le sujet, considérant que les docteurs en droit forment souvent les candidats à cet examen d’entrée, il me paraît assez logique de considérer qu’ils sont en capacité, et donc qu’il y a une pertinence à ne pas leur imposer cet examen. Je vois à votre approbation qu’il y a là un léger désaccord, légère nuance entre vous et le président du CNB. C’est ainsi que fonctionne la fameuse trinité, si chère au président du Conseil national des barreaux.

Et puis il y a évidemment le décret « passerelle ». Le décret « passerelle » a fait l’objet de nombreuses critiques. Je vous ai reçue, Madame le bâtonnier, j’ai reçu Monsieur le président du Conseil national des barreaux, et j’ai reçu monsieur le président de la conférence des bâtonniers. Je vous ai proposé récemment, d’abord en octobre, à l’occasion de l’assemblée générale du Conseil national des barreaux, j’ai dit que j’avais pris acte des critiques qui portaient essentiellement sur la non-connaissance, la dérogation à l’obligation de formation et d’examen sur la connaissance des règles déontologiques, des règles professionnelles, et des interrogations sur les conflits d’intérêt. Je me suis donc engagée, début octobre, devant l’assemblée générale du conseil national des Barreaux, et je vous ai soumis un projet de décret abrogeant l’article 97-1 du décret modifié de 1991, et imposant aux anciens ministres et aux parlementaires une formation et un examen sur les règles déontologiques et les règles professionnelles. Vous avez choisi de rejeter ce projet, ce qu’a fait récemment également le Conseil national des barreaux. Je vous ai proposé récemment, vous ayant reçu tous les trois à la Chancellerie, et vous ayant demandé si vous consentiriez dorénavant à ce que nous fassions davantage des concertations que de la consultation, c’est-à-dire que plutôt de vous recevoir séparément, que sur ces sujets nous travaillions ensemble : vous y avez consenti, donc nous allons nous voir pour travailler ensemble sur ce décret « passerelle », sur les conditions générales d’accès à la profession d’avocat, sur la nécessaire diversification de l’entrée dans la profession – je crois que vous en convenez vous-mêmes –, et sur ce que vous disiez tout à l’heure : la nécessaire modernisation du statut des avocats et de l’organisation de la profession. Donc vous avez raison Madame le bâtonnier, ma porte, la porte de la chancellerie – parce que la Chancellerie est un bien commun, vous reste grande ouverte.

Nous ne devons pas sous-estimer les difficultés qui sont liées à l’exercice illégal de la profession d’avocat. Comme le barreau de Paris est extrêmement dynamique et réactif, vous avez pris un certain nombre d’initiatives, et notamment cette opération « coup de poing » que vous avez lancée en septembre 2012, une opération que vous avez travaillée et préparée, je crois, avec les huissiers de justice ainsi que les experts comptables : vous savez que toutes ces professions relèvent de la Chancellerie. Il y a deux jours, nous étions ensemble chez le Président de la République qui a souhaité rassembler les représentants des professions qui relèvent de l’autorité judiciaire. Se trouvait avec nous d’ailleurs la deuxième femme présidant un ordre ou un conseil : la présidente de l’ordre des experts comptables. J’ai pu entendre à quel point vous, les professions, affichiez votre objectif commun : le service aux justiciables. C’est la finalité de la justice. J’ai néanmoins connaissance de quelques divergences et de quelques nuances d’appréciations sur un certain nombre d’actes ou de prestations. Je crois que ce n’est pas inconcevable, avec un esprit de dialogue et une capacité de coopération. Cette opération « coup de poing » que vous avez menée en préparation avec les huissiers de justice et les experts comptables illustre bien la capacité que vous avez, chacun à votre place, à travailler ensemble.

Je pense que c’est de bon augure pour la sécurisation de la dématérialisation qui s’impose à partir de janvier 2013. L’appréciation actuelle des avocats et des huissiers n’est pas exactement la même, je suis absolument sure qu’il sera aisé de trouver une voie convergente pour régler ce problème, qui est indispensable, parce que, comme vous le rappelez, la dématérialisation doit être accompagnée de toutes les garanties de sécurisation et nous y veillons de façon à ce que la justice soit plus efficace. Vous avez démontré à quel point, par cette cyber-réponse aux « braconniers du droit », comme vous les appelez, vous êtes pionnière, vous en particulier, Madame le bâtonnier, dans la maîtrise des nouvelles technologies, et j’allais presque dire dans la domestication de ces nouvelles technologies, c’est-à-dire en les mettant au service d’une plus grande efficacité de l’œuvre de justice, qu’il s’agisse des avocats ou des relations entre les avocats et les magistrats ; une plus grande efficacité, des procédures plus rapides, des procédures mieux sécurisées. Vous avez montré à quel point vous êtes pionnière sur ce plan. Je crois que 25 000 avocats sont actuellement abonnés, avec 50 % provenant du barreau de Paris : cela dit, comme cette rentrée solennelle, à quel point tout événement concernant le barreau de Paris est à la fois important pour le barreau mais également pour l’ensemble de la profession.

Vous progressez sans cesse, peut-être même un peu vite sur ces questions concernant les nouvelles technologies. Vous avez émis des exigences quant à l’accès à la base de données de la Cour de cassation, à la base de données de toutes les cours d’appel. Je dois simplement vous rappeler, et je suis sûre que vous entendez un argument de cette nature, les décisions de ces cours contiennent des informations sur la vie privée, des informations qui concernent les justiciables. Notre loi de 1978 et la vigilance exercée par la CNIL nous imposent de mettre ces décisions à disposition une fois qu’elles ont été anonymisées. Le coût de l’anonymisation est élevé : c’est six euros par décision. Nous avons en moyenne 120 000 décisions par an. Il est certain que cela correspond à un budget extrêmement important. Donc le dispositif actuel qui permet l’anonymisation et ensuite sa mise à disposition sur Légifrance est peut-être trop lent à votre goût. Je ne suis pas sûre qu’il y ait là une vraie inégalité des armes, parce que l’usage de ces jurisprudences n’est pas le même pour les avocats et pour les magistrats. Ceci étant c’est un sujet sur lequel je suis prête aussi à voir dans le détail avec vous les vraies contraintes, les vraies difficultés, et les éventuelles solutions que nous pourrions envisager pour y remédier. Je suis attachée comme vous à ce que Légifrance demeure un service gratuit. Le Premier ministre l’est également et je crois qu’il fera tout pour conserver la capacité de maintenir ce service public gratuit. Il vous en fera part, c’est lui qui a l’autorité pour vous en faire part, prochainement.

Vous avez évoqué le démarchage et ses difficultés – la publicité. Vous ne l’avez pas appelé démarchage je crois, mais certains l’appellent démarchage… Parlons de la publicité, du droit à la publicité de l’avocat. Il est vrai que notre droit aujourd’hui n’est pas conforme au droit européen, et notamment à la dernière décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui affirme que la directive du Parlement et du Conseil est incompatible avec la prohibition qui est prévue dans notre droit. J’ai donc demandé aux services, qui y travaillent déjà, de préparer un projet de loi qui nous conduira à mettre notre droit interne en conformité avec le droit européen. Je ne doute pas que vous saurez, au titre de la profession, assurer une vigilance, de façon à ce que cette suppression de la prohibition de la publicité individualisée, de la sollicitation personnalisée, que cette nouvelle possibilité qui s’ouvrira conformément au droit européen s’accomplisse dans l’encadrement prévu par la réglementation, par les règles mêmes déontologiques, par les principes essentiels de votre profession. Pour ce qui me concerne, je n’ai aucune difficulté à faire confiance à la profession pour qu’elle assure la vigilance, parce que je vois bien à quel point la profession veille à ce que les règles du métier soient scrupuleusement respectées, de façon à ce qu’un écart ou une faute ne rejaillissent pas sur l’ensemble de la profession.

Vous avez évoqué un certain nombre de sujets qui à mon avis feront l’objet de séances de travail : par exemple, sur la TVA, je vous ai entendue. J’ai entendu quelques-unes de vos propositions, concernant certaines procédures, comme la médiation, concernant certains instruments également. Je suis tout à fait disposée à y travailler. J’ai eu l’occasion de vous répondre notamment que nous aurons une expérience sur deux ressorts, Arras et Bordeaux, très prochainement, à partir de janvier 2013, concernant la médiation obligatoire. Cela n’est pas la médiation absolue puisqu’elle intervient en cours de procédure, mais il y a cette expérimentation de la médiation obligatoire. Je suis persuadée pour ma part que la médiation doit retrouver ses lettres de noblesse, qu’elle doit se réinstaller dans le règlement d’un certain nombre de conflits ou de litiges. Elle correspond à nos interrogations sur la nécessité de dé-judiciariser certains contentieux. Je constate simplement au fur et à mesure que je consulte – et c’est ça la merveille de la concertation et de la consultation, c’est que des choses qui paraissent extrêmement simples et acquises deviennent chargées de complication à partir du moment où on commence à recueillir les avis. Donc sur la déjudiciarisation, j’ai observé que sur le principe il y a une espèce d’unanimité, mais lorsque l’on commence à aborder les questions précises des contentieux, de celle ou celui qui remplacera la procédure, donc à la fois le juge et le défenseur, les désaccords deviennent des gouffres. Donc nous allons travailler sur toutes ces questions, mais d’expérience je constate bien que rien n’est simple à priori, et je compte bien sur votre expérience et tout ce que vous avez déjà porté comme réflexion sur ces sujets pour que nous puissions avancer assez vite.

D’autres sujets pourront être traités également, vous avez avec beaucoup d’élégance évité de rappeler une dette de l’Etat à l’égard des ordres, notamment d’engagements qui ont été pris en 2011, suite à la modification du régime de la garde à vue. J’ai pris connaissance de ce dossier, il y a effectivement une objection de Bercy. Je ne vous répondrai pas comme Bercy, mais je n’ai pas les mêmes responsabilités que Bercy. Même si Bercy m’exaspère en de nombreuses circonstances, j’ai totalement conscience de leurs contraintes et de leurs responsabilités. Donc je ne vous répondrai pas comme eux, mais en tout cas, je trouve indéfendable la défausse de l’Etat, et nous travaillons avec Bercy pour arriver à dépasser l’objection de l’annualité budgétaire, parce que c’est elle qui nous empêche d’honorer la parole passée de l’Etat. Mais je crois à la continuité de l’Etat : donc l’engagement de l’Etat est un engagement qui doit être honoré par les gouvernements successifs. Donc nous espérons dépasser cet argument de l’annualité budgétaire et faire en sorte que la Chancellerie puisse s’acquitter de cette dette envers les ordres, parce qu’en plus c’était une dette pour une très belle action : la mobilisation des avocats auprès des justiciables pour cette réforme de la garde à vue, donc une présence plus importance, des permanences que vous avez mises en place. Vous avez assuré un véritable service public de la justice. Personnellement je vous en sais gré, donc je serais très, très mal à l’aise si je ne parvenais pas à trouver une solution pour honorer encore plus symboliquement que financièrement cette dette que l’Etat a vis-à-vis des avocats. Je me bats pour qu’elle soit honorée financièrement ; mais je dis que l’honorer symboliquement est encore plus élevé dans mon esprit.

Sur la garde à vue, Madame le bâtonnier, l’accès aux dossiers fait partie des sujets sur lesquels nous allons travailler ensemble. Sur l’audition, je vous informe ou je vous rappelle que dès le mois de juin j’ai participé à un conseil des ministres européens sur les affaires d’Intérieur et de Justice et que j’ai changé la position de la France sur la présence de l’avocat concernant les auditions libres. Nous n’avons pas encore abouti à la directive, parce que c’est une négociation à 27, mais la France ne fait plus partie des pays qui bloquent l’adoption de cette directive pour la présence de l’avocat lors des auditions libres. A l’occasion de cette séance, j’ai tenu à demander, et j’ai obtenu d’ailleurs, que l’aide juridictionnelle soit également traitée, parce qu’elle est extrêmement inégale au niveau européen ; elle est assez – je n’oserais pas dire dérisoire, c’est de l’argent public –, mais c’est vrai qu’elle n’est pas à la hauteur de la prestation que nous attendons de vous lorsqu’une personne démunie peut disposer des services d’un avocat sur la base de l’aide juridictionnelle. C’est vrai que l’aide juridictionnelle est extrêmement modeste chez nous. Je sais vos revendications. Je suis dans l’incapacité de les satisfaire, parce que si je devais répondre, notamment à la demande de doublement actuelle de l’aide juridictionnelle, cela réduirait de moitié le nombre de justiciables qui pourraient y prétendre. Nous avons une aggravation de la pauvreté dans ce pays. Nous avons aussi l’émergence de contentieux de masse, notamment de contentieux civils qui sont liés à la dégradation générale de la situation économique. Nous avons donc de plus en plus de concitoyens qui ont recours à la justice, qui ont besoin de la justice, et qui peuvent prétendre l’aide juridictionnelle, qui n’atteint même pas le seuil de pauvreté, qui concerne un revenu pour une personne seule de 929 euros. Donc doubler aujourd’hui l’aide juridictionnelle, ce serait réduire de moitié ceux qui pourraient y prétendre. Je sais que ce n’est pas un argument qui justifie le niveau modeste de l’aide juridictionnelle, mais je suis absolument sûre – connaissant l’état d’esprit de votre profession, et le moteur le plus puissant qui vous motive, notamment pour assister les plus démunis –, je sais que vous savez l’entendre et que vous savez que nous travaillerons ensemble pour trouver des ressources pour alimenter l’aide juridictionnelle de façon à permettre qu’elle soit un peu plus conforme aux prestations que vous apportez aux plus démunis. Je rappelle simplement que, modestement peut-être, mais significativement quand même, j’ai choisi de doubler les unités de valeur pour vos prestations auprès de la CNDA, parce que ce sont aussi des prestations de grand dévouement, d’engagement, et elles étaient là – oui pour le coup – absolument dérisoires, il y avait lieu de faire un geste. Ce doublement n’est pas extravagant, il ne donne pas une dotation extraordinaire, mais il donne un signal de reconnaissance, et j’allais presque dire de révérence par rapport aux prestations qui sont assurées dans ces cas-là.

Je reviens d’un mot sur les nouvelles technologies, parce que vous m’avez interpellée très précisément sur « à vos clés », et sur la suite d’« à vos clés », notamment sur les arrêtés techniques que vous attendez que je signe. Juste pour vous dire après avoir salué cette très belle initiative aussi, les services de la Chancellerie travaillent avec le conseil national des barreaux, nous avons bien avancé. Les prérequis sont réunis. La table nationale des avocats est disponible dorénavant, c’était la condition de support, les services de la chancellerie et le cabinet mettent la dernière main au projet de règlement et donc nous devrions pouvoir procéder aux premiers tests sous peu. Voilà Madame le bâtonnier de quoi vous satisfaire. Bien peu, mais enfin tout de même, sur le lot des interpellations, j’ai quand même la petite satisfaction de vous dire dans l’immédiat sur une ou quelques unes que satisfaction vous sera donnée assez rapidement.

Pour ce qui concerne donc à nouveau la garde à vue et la procédure pénale. La procédure pénale, c’est quand même un équilibre subtil. C’est un équilibre entre des pouvoirs qui sont accordés à ceux qui sont chargés de l’investigation, qu’il s’agisse des enquêteurs ou des magistrats, et ceux qui assurent la défense, la défense des mis en cause, la défense des mis en examens ou la défense des témoins assistés. C’est un équilibre qu’il nous faut arriver à trouver, sur chaque cas, dans chaque procédure. Ce n’est pas simple, et ça a été très compliqué ces dernières années compte tenu de l’instabilité législative. Il est important de revenir à une stabilité de la législation. Cette stabilité j’ai commencé à la construire ; je la poursuivrai avec des textes de loi, mais j’ai commencé à la construire notamment avec la circulaire de politique pénale. Il ne vous a pas échappé que dans cette circulaire de politique pénale, très clairement je redéfinis les relations entre le Garde des Sceaux et ses attributions claires, en matière de responsabilité de la politique pénale sur l’ensemble du territoire, de responsabilité républicaine de veiller à l’égalité dans l’accès à la justice, dans l’accès aux juges, et dans le fonctionnement de la justice pour tous les citoyens où qu’ils se trouvent sur ce territoire ; le renoncement pour le Garde des Sceaux à exercer directement l’action publique, reconnaître que c’est au procureur qu’il revient d’exercer cette action publique, reconnaître aux procureurs généraux qu’il revient de coordonner et d’animer cette action publique. Après avoir redéfini ces relations, j’ai énoncé sept principes directeurs, et parmi ces principes directeurs, il y a le rappel des droits de la défense ; un rappel sans doute nécessaire compte tenu de ces dernières années, un rappel important mais un rappel tout simplement indispensable pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Cette circulaire de politique pénale affiche très clairement cette politique pénale et elle sera enrichies ces prochains mois par des textes de loi qui, je le disais, remettront de la stabilité dans nos procédures pénales, mais rétabliront aussi la liberté et la marge d’appréciation des magistrats.

Madame le bâtonnier, Mesdames et Messieurs, chers Maîtres. Je dois dire que j’ai goûté et savouré la qualité d’écoute de cette assistance nombreuse – et dont la qualité était déjà connue. Je dirai, s’il faut retenir peut-être quelques mots, sur votre belle profession, qui n’est pas seulement un métier, vous l’avez dit vous-même, mais est aussi une passion ; s’il faut retenir quelques mots, mesdames et messieurs, chers maîtres, de cette belle profession dont vous avez dit aussi, Madame le bâtonnier, qu’elle s’impose un devoir d’excellence, je dirai que cette profession se définit par la défense : la défense du faible, la défense du vulnérable, la défense du fort aussi, lorsqu’il a besoin du secours du droit. Dans son dictionnaire, Claude-Joseph DE FERRIERE, dès 1749, définissait l’avocat comme étant celui qui doit interpréter les lois, et montrer fidélité aux faits, sans ruse ni artifice. Et il ajoutait que l’avocat est le canal sûr qui conduit la vérité aux oreilles du magistrat. Je dirai que la défense, comme je viens de définir votre belle profession – profession d’exercice, mais une profession de foi aussi j’ai envie de dire, comme il y a ces professions de foi dans les engagements qui sont pris – je dirai que la défense, c’est bien sûr le conseil d’abord : ce conseil précieux que vous savez donner. La défense, c’est la compétence : cette compétence qui s’acquiert par la formation, par l’expérience, par l’éveil, l’éveil entretenu sur les textes de loi, sur les jugements, sur les jurisprudences, sur les échanges internationaux. La défense, c’est aussi la confiance : c’est la confiance, qui est garantie par vos règles déontologiques, par votre éthique, par votre serment.

La défense, c’est le secret, ce secret professionnel, dont vous avez dit qu’il subit des attaques, des assauts. Nous nous poserons aussi pour identifier ces attaques, mais pour ne pas confondre, parce que la décision de la Cour de cassation ne me semble pas mettre en cause le secret professionnel. Mais je suis prête à y travailler avec vous. La décision du Conseil d’Etat semble divergente. Je crois qu’il nous faut savoir lire ces appréciations différentes. Mais c’est vrai qu’il y a des risques réels d’attaque du secret professionnel, notamment à l’occasion de cette quatrième directive ; il est possible qu’il y ait là des risques. Il est convenu que nous y travaillions ensemble et que nous exercions une grande et belle vigilance contre ces attaques. L’Europe n’est pas un ennemi, ce n’est pas un adversaire ; l’Europe a parfois – souvent – fait progresser notre droit interne. Vous avez été souvent à l’avant-garde de dispositions qui se sont traduites dans notre droit interne en passant par des décisions européennes ou des directives européennes. Donc ce secret professionnel est essentiel, il est indispensable ; et dans la relation avec le client, il est une garantie indiscutable. J’ai bien entendu à quel point vous avez le souci de sécuriser ce secret professionnel et la dématérialisation doit nous appeler à plus de vigilance aussi, effectivement, pour la sécurisation de ce secret professionnel.

La défense c’est aussi l’égalité : c’est l’égalité avec l’aide juridictionnelle, qui permet aux plus démunis d’accéder à la justice. La défense c’est la liberté : la liberté pour le client de choisir son défenseur ; la liberté pour le défenseur de dire oui ou de dire non. La défense, c’est aussi la fraternité : c’est la fraternité par l’aide juridictionnelle, parce que même si nous pouvions la doubler, elle ne couvrirait pas la qualité de prestation que vous apportez aux plus démunis. C’est donc un acte de fraternité. Mais ces actes de fraternité, vous les accomplissez aussi par votre mobilisation sur de belles et grandes causes, parfois locales, mais parfois universelles, aussi. Et cette fraternité, vous la pratiquez à l’international. En particulier le bâtonnat de Paris a toujours été très présent à l’international, et d’ailleurs, le mois dernier, un ancien bâtonnier de Paris, Maître BURGUBURU a été élu président de l’Union internationale des Avocats, donc vous avez toujours été fortement présents à l’international.

C’est la grandeur et la beauté de votre profession de défense. Edouard GLISSANT disait qu’autrefois seule une partie du monde était responsable du monde. Désormais, le monde entier est responsable du monde entier. Face à la mondialisation qui peut être dévastatrice, il faut inventer la mondialité. Il nous faut une insurrection de l’imaginaire pour inventer la mondialité. Par votre pratique et par vos engagements, Mesdames Messieurs, chers Maîtres, je sais que vous inventez déjà la mondialité.