[Archives] Rentrée de l'association INITIADROIT

Publié le 17 novembre 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux à la Sorbonne

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Monsieur le Vice-Chancelier,
Messieurs les Bâtonniers,
Monsieur l’Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs les Avocats,
Mesdames et Messieurs les Proviseurs,
Mesdames et Messieurs,


Une des premières leçons de droit enseignées à l’université porte sur la distinction entre le droit objectif et les droits subjectifs. Cette différence bien connue des juristes a une lourde signification. Il y a d’un côté un système de droit, qui comporte des règles juridiques obligatoires et, de l’autre, des droits qui donnent des prérogatives personnelles.
Mais l’on sent bien que ces termes ne sont que des mots incompréhensibles pour une très grande partie de notre jeunesse. Rapidement, l’amalgame se réalise : je devrais avoir des droits, dont je suis exclu, tous s’efforcent de m’imposer des devoirs, ce que je refuse.

La jeunesse de notre pays s’interroge et se demande si la France que nous construisons est bien faite pour elle. C’est le propre de chaque génération, pourrait-on penser, mais la question me semble bien plus aigue aujourd’hui. Les jeunes vivent dans une société saturée d’informations, d’internet aux journaux gratuits. Ils ne connaissent souvent de la justice que le procès pénal filmé à Hollywood. En fait, ils leur manquent un décodeur.

Ce décodeur, c’est l’école, maillon indispensable de l’apprentissage de la citoyenneté et la vie en société, qui le transmet.

Vous le savez, le Ministère de la Justice, par l’intermédiaire de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, accueille et accompagne des mineurs en danger et des mineurs délinquants. Les magistrats et fonctionnaires sont quotidiennement confrontés à la crise de l’autorité, tant de celle des parents que celle des services de l’Etat.

Pour les cas les plus préoccupants de mineurs délinquants, des Centres Educatifs Fermés ont été créés en 2002 afin de donner une réponse éducative à cette crise de l’autorité.

Dans un CEF, le mineur est contraint de renoncer à la violence. Mais un CEF n’est pas l’antichambre d’une prison. C’est un lieu où l’objectif est de soigner, d’instruire et de redonner des repères dans un cadre non négociable. C’est un lieu où l’on impose des règles de vie, qui nous semblent banales, comme se lever le matin, respecter ses interlocuteurs ou parler calmement.
Mais personne ne leur a auparavant inculqué ces repères.
Ils vivaient dans le présent, dans l’immédiateté, et nous leur apprenons à se projeter dans l’avenir. Toute une équipe éducative est alors mobilisée 24 heures sur 24 et 365 jours par an pour les encadrer, mais aussi pour les comprendre, les entourer et détecter leurs carences.

Ainsi, nous sauvons des jeunes de l’engrenage de la délinquance en leur montrant que chaque acte commis a une portée juridique et qu’ils ne peuvent faire autrement que d’en avoir conscience. Ce travail éducatif est indispensable, mais il pourrait intervenir plus tôt.

C’est à ce besoin que répond le partenariat que vous avez noué, avocats et enseignants, membres et acteurs de l’association INITIADROIT. Je voudrais saluer tous ceux qui participent à cette aventure, notamment Monsieur le bâtonnier Claude LUSSAN qui en est le fondateur et Monsieur le bâtonnier REPIQUET qui a permis qu’elle puisse aujourd’hui fonctionner en bonne intelligence avec la communauté éducative. Vous réalisez une œuvre qui portera à l’avenir ses fruits et je vous en remercie très sincèrement.

En effet, les jeunes apprennent avec vous le respect.

Les jeunes découvrent à l’école la vie en collectivité et les règles de la vie scolaire, mais il leur faut aussi comprendre que les règles de droit dépassent l’environnement de l’établissement scolaire. Le respect d’autrui exige d’avoir conscience de la dignité de la personne humaine et de sa propre responsabilité. C’est le cas par exemple des lutte contre les violences faites aux femmes qui doit s’enseigner dès le plus jeune âge.

Pour cela, il faut savoir ce qui est interdit et ce qui est autorisé.

Cette évidence, vous l’avez comprise. En expliquant le droit, en présentant simplement et avec pédagogie la justice, vous complétez utilement l’enseignement d’éducation civique, juridique et sociale.

Vous offrez votre expérience, votre connaissance des situations concrètes, votre savoir enrichi par les centaines d’affaires que vous avez traitées et cet apport permet aux jeunes de s’approprier les règles de droit.

Alors, vous redonnez un sens au mot civisme.

Pour être un adulte responsable, il faut connaître ses droits. Les jeunes doivent avoir la possibilité de connaître leurs droits de citoyen dans la cité, le droit de vote, les grandes libertés qui fondent la République et leur rapport avec les institutions. Ils doivent aussi avoir accès aux droits du citoyen dans la société. Ils seront rapidement amenés à rencontrer le droit, à passer un contrat de travail lors de leur première embauche, à apposer leur signature sur un contrat de vente, lors de l’achat de leur première voiture, à passer un contrat de location, lors de leur première installation autonome. Les jeunes sont demandeurs d’informations concrètes sur ces sujets de la vie quotidienne.

Les enseignants, en dépit de leurs connaissances et de leur expérience de citoyen, ne sont pas armés pour leur préciser ces points techniques.

Mais l’école n’est pas isolée dans sa mission. L’ensemble de la société civile a aujourd’hui conscience que c’est sur la jeunesse qu’il faut investir pour construire une société apaisée. On parle souvent de la volonté des chefs d’entreprise de développer la culture économique des jeunes générations. Je voudrais que l’on évoque un peu plus ces avocats bénévoles, professions libérales, qui prennent le temps d’aller à la rencontre de la jeunesse et de leur communiquer un peu de leur passion.

Cet intérêt de la société civile, et en particulier du monde juridique, en faveur de l’intégration des jeunes ne me surprend pas.

Il y a un peu moins d’un an, j’ai sollicité les avocats, les chefs d’entreprise, les artisans et cadres de la nation pour parrainer des jeunes suivis par la Protection Judicaire de la Jeunesse, en leur donnant quelques heures par an afin de les aider à découvrir le monde professionnel. J’ai alors rencontré le même enthousiasme et le même dévouement que je vois ici.

Cette démarche d’ouverture de l’ensemble des professions juridiques, j’entends également la mener au sein de l’institution judiciaire.

Ainsi, afin d’expliquer concrètement le fonctionnement de la justice, des journées Justice ouverte auront lieu la semaine prochaine dans 27 sites judiciaires. Des groupes scolaires visiteront, par exemple mercredi 22 novembre, le Tribunal de Grande Instance de Paris et le vendredi 24 novembre, partout en France, pourront assister à des audiences ou pourront, avec des magistrats, participer à des reconstitutions de procès.

J’attache une grande importance à ce que la Justice explique aux jeunes son fonctionnement et montre, dans la transparence, sa vie de tous les jours.

De même, depuis le début de l’année, des auditeurs de justice de l’Ecole Nationale de la Magistrature vont à la rencontre d’élèves du lycée professionnel Jacques Brel, situé en Zone d’Education Prioritaire dans l’agglomération bordelaise afin d’y réaliser des interventions avec la même motivation que les membres d’INITIADROIT.

C’est dire que je partage vos objectifs et que je vous félicite d’avoir pris cette initiative.

Je vous souhaite donc bon courage dans votre périple à la rencontre des classes de collégiens et lycéens et je vous assure de mon entier soutien.

Je vous remercie de votre attention.