[Archives] Rencontres nationales de "Citoyens et Justice"
Publié le 20 juin 2002
Intervention du Garde des Sceaux
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur Général,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un très grand plaisir que j'ai accepté votre invitation, Monsieur le Président, de participer à ces VIIèmes Rencontres Nationales de Citoyens et Justice co-organisées avec l'Association Réadaptation Sociale et Contrôle Judiciaire (AreSCJ) ["arèscéji"].
Je tiens à saluer tout particulièrement les organisateurs de cette manifestation : Citoyens et Justice qui fédère comme vous venez de le rappeler, Monsieur le Président, plus d'une centaine d'associations très actives et l'AReSCJ dont je suis très heureux de célébrer avec vous le XXème anniversaire.
Comme vient de le rappeler Alain Juppé, je m'exprime ici pour la toute première fois en qualité de Garde des Sceaux, depuis les élections législatives et la nomination, ce lundi, de la nouvelle équipe gouvernementale menée par Jean-Pierre Raffarin, dans le cadre d'une manifestation publique.
C'est dire l'importance que j'attache à l'état des lieux et aux perspectives que vous allez tracer au cours de cette journée sur les thèmes essentiels de la prévention de la récidive et des mesures alternatives.
C'est pour marquer aussi l'importance que j'attache avec ce Gouvernement, à l'amélioration de la qualité de la réponse judiciaire à la délinquance, comme je l'ai souligné la semaine dernière aux Assises de l'Institut Nationale d'Aide aux Victimes et de Médiation (INAVEM) à Rouen.
Oui, le peuple français, au nom duquel - mais faut-il le rappeler ici ? - la justice est rendue, nous a confié le mandat de garantir sa sécurité, de renforcer l'autorité et les moyens de la justice et d'améliorer son fonctionnement.
Oui, nos concitoyens veulent une justice plus efficace, plus proche, et aussi plus humaine.
Oui, le premier devoir de la justice et de garantir la sécurité sans laquelle il n'est pas de pacte social.
Oui, la mission de la justice est aussi de contribuer à renouer le lien social et, par là, à faire vivre les valeurs essentielles de la République.
Je tiens à rendre d'emblée un hommage appuyé à toutes celles et à tous ceux ici présents, et à toutes celles et à tous ceux que vous représentez, qui se dévouent depuis plus de vingt ans, et mettent leur compétence au service de la justice.
Vos associations, vous l'avez rappelé, Monsieur le Président Lebéhot et Maître Delthil, ont accompagné au cours de ses vingt années, l'évolution de l'institution judiciaire, et des politiques pénales.
En effet, l'institution judiciaire, notamment dans sa fonction pénale, s'est peu à peu ouverte sur l'extérieur, notamment dans le cadre de diverses politiques publiques. Elle s'est diversifiée dans ses modalités d'intervention. Elle est sans doute aussi devenue plus proche de la vie quotidienne des citoyens, même si bien des progrès restent à accomplir en la matière.
Les associations de votre réseau et singulièrement l'AReSCJ ont non seulement accompagné cette ouverture mais ont aussi, dans bien des cas, précédée avec l'enthousiasme, l'ardeur, la conviction, l'engagement, mais aussi les difficultés propres à un mouvement associatif qui évolue du bénévolat au professionnalisme.
Vous retracerez dans un instant les différentes étapes de la naissance, du développement, de la survie et des perspectives des mesures alternatives à l'incarcération.
Vous insistez à juste titre sur la nécessité d'un lien très fort entre ces mesures et la prévention de la récidive.
Il en va précisément des exigences de plus en plus fortes de qualité et d'efficacité auxquelles la justice se doit aujourd'hui de répondre.
Ce sont des exigences sociales, civiques, républicaines et donc politiques au sens le plus large du terme, qui concernent au premier chef le Garde des Sceaux, garant de la cohérence de la politique pénale.
A ce titre, je serai particulièrement attentif aux retours et aux échanges d'expérience dont ces rencontres sont l'occasion.
Ces expériences, qu'elles soient le fruit de vos propres actions ou de l'observation, à laquelle je tiens également beaucoup, des innovations qui ont pu être tentées hors de nos frontières, qu'elles soient le fruit de travaux historiques sociologiques et de réflexion, nourriront, je tiens à vous le dire, ma propre réflexion et les propositions que je serai amené à faire.
Vous savez que je suis actuellement absorbé par la préparation du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice, véritable plan d'actions d'ensemble pour cinq ans qui comportera des moyens importants, et qu'Alain Juppé a évoqué tout à l'heure.
C'est précisément parce que je dois y travailler que je devrai vous quitter à l'issue de séance d'ouverture.
Mais le conseiller technique en charge des questions pénales au sein de mon cabinet assistera à vos débats de ce matin et m'en rendra compte.
Cet après-midi, le chef du service des affaires européennes et internationales et le sous-directeur de la justice pénale générale représenteront la Chancellerie et participeront à vos travaux.
J'en serai donc tenu étroitement informé.
Si vous me permettez d'anticiper toutefois quelque peu sur le déroulement de vos travaux et sans préjuger des propositions concrètes que vous serez amené à formuler cet après-midi, je tiens à marquer devant vous la façon dont les actions menées par vos associations peuvent, selon moi, contribuer à améliorer la qualité et l'efficacité de la justice pénale.
J'insiste sur le lien existant entre la qualité et l'efficacité. En effet, ces deux notions, ces deux exigences me paraissent aller de pair.
La qualité de la réponse pénale passe par une adaptation fine aux diverses formes de la délinquance.
L'efficacité de la justice est, à coup sur, battue en brèche par les lenteurs et les "temps morts".
Dans l'esprit de la plupart de nos concitoyens, une justice plus efficace, c'est une justice plus rapide.
La recherche indispensable d'une plus grande célérité, ne doit pas nuire au devoir de qualité. D'ailleurs vous savez tous que le délai dans lequel intervient la réponse judiciaire est loin d'être le seul critère d'appréciation du justiciable.
Les statistiques du Ministère de la Justice sont très claires : l'accroissement de la réponse pénale va de pair avec celui du nombre de mesures alternatives, comme avec l'augmentation des modes de poursuite rapide.
La qualité de la réponse aux infractions repose selon moi sur un tryptique :
- elle doit être comprise par l'auteur ainsi que par la victime ;
- elle doit être proportionnée à l'acte et adaptée au contexte et aux circonstances de celui-ci ;
- elle doit naturellement avoir pour objectif de prévenir la récidive mais aussi prendre en compte la situation et les intérêts de la victime.
Les moyens de progresser vers une plus grande qualité concernent, en premier lieu, les parquets.
Ceux-ci doivent pouvoir s'appuyer sur des informations suffisantes et fiables.
Au préalable, ils doivent donner des instructions précises et exigeantes aux services d'enquêtes sur la régularité et la qualité des procédures, mais aussi sur les informations qu'ils sont tenus de donner aux plaignants et aux victimes.
Au-delà, ils doivent recourir autant que de besoin à une enquête sociale rapide.
L'utilité et le bien-fondé de ces enquêtes ne sont plus à démontrer. Par les précisions qu'elles apportent sur la personnalité et l'environnement des personnes mises en cause, ces enquêtes favorisent une orientation appropriée de la procédure.
Elles permettent aussi, le cas échéant, la mesure alternative aux poursuites la mieux adaptée.
J'ajoute que les renseignements de personnalité disponibles devant le tribunal correctionnel sont le plus souvent insuffisants, et ne permettent ni une réelle individualisation des sanctions, ni de recourir aux alternatives à l'emprisonnement.
La possibilité ouverte par la loi d'ordonner des mesures d'enquêtes et d'expertise est en pratique rarement employée en raison, notamment, de la charge des audiences.
Ces informations indispensables doivent donc, le plus souvent, être recueillies avant l'audience.
Comment prononcer une sanction adaptée, diversifier les peines et développer des alternatives à l'emprisonnement sans mieux connaître l'individu et le contexte dans lequel il vit ?
Toutes ces informations permettent aussi d'assurer un suivi pénal des personnes mises en examen depuis l'ouverture d'une information jusqu'à l'exécution de la peine.
L'accompagnement socio-éducatif sous contrôle judiciaire, préalable à la comparution est, particulièrement utile, dans le cadre des modes de poursuite rapide, pour inciter le prévenu à entamer une démarche d'insertion, dans le temps qui sépare l'engagement des poursuites et l'audience de jugement.
Là encore, ce type de mesure permet d'assurer, ce qui est essentiel au regard de sa qualité et de son efficacité, une véritable continuité de la réponse judiciaire.
J'en termine pour vous laisser tracer de nouvelles perspectives dont, je le répète, je tiendrai le plus grand compte.
Mais auparavant, je peux, en vous rendant à nouveau hommage, souligner l'ampleur du chemin parcouru depuis vingt ans.
Au début des années 80, la conception traditionnelle de la procédure pénale n'offrait qu'une alternative aux magistrats du parquet saisis d'une infraction à la loi pénale dont l'auteur était identifié : soit poursuivre la personne devant une juridiction répressive, soit classer sans suite la procédure.
Depuis, les mesures alternatives et l'accompagnement socio-éducatif ont connu les développements, dont vous allez dans un instant, retracer la richesse, la diversité et sans doute aussi les vicissitudes.
Il est loin le temps où ces expériences innovantes étaient qualifiées "d'ersatz de justice", presque aussi loin sans doute que le temps de Balzac pour lequel, "un mauvais arrangement valait mieux qu'un bon procès".
Oui, les pratiques sociales et judiciaires que vous avez su développer depuis vingt ans, contribuent et doivent continuer à contribuer à améliorer la qualité et l'efficacité de la justice.
J'ai noté les différentes périodes de votre action, que retraceront dans un instant les cinq présidents successifs de l'AReSCJ. Il y eu entre 1982 et 1988, sous la présidence de Jean-Claude Nicod, le temps de l'expérimentation socio-éducative puis, entre 1988 et 1992, sous la présidence de Patrick Gaboriau la non reconnaissance du travail social a abouti à une véritable crise. Dont vous êtes sortis entre 1992 et 1996, quand vint le temps de la diversification et de la relance sous la présidence de Thierry Lebehot. Cette relance a permis entre 1996 et 1999, sous la présidence de Joël Mocaer, le développement de vos actions, malgré un climat de précarité.
Enfin, il reviendra à Maître Dominique Delthil de retracer, les quatre années 1999 à 2002, de difficultés, mais aussi de perspectives d'un nouveau partenariat avec la justice.
En prélude à vos travaux, permettez-moi de former un voeu : que la période 2002-2007 soit celle d'une nouvelle relance et de nouveaux développements !
Que vos rencontres soient aussi le lieu d'un débat qui doit aboutir à relever le niveau d'exigence à l'égard de l'ensemble du système judiciaire !
Les actions que vous menez sont autant de témoignages d'un engagement que je sais sans faille dans ce débat que, pour ma part, je suis heureux de voir progresser.
Je ne doute pas que ces VIIèmes rencontres en seront l'occasion.
Je vous remercie.