[Archives] Rencontre avec les Premiers Présidents et Procureurs Généraux

Publié le 25 juin 2007

Propos du garde des Sceaux, ministre de la Justice

Une justice moderne, c'est une justice qui valorise ses magistrats, ses greffiers et ses fonctionnaires

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8 minutes

Mesdames et Messieurs les Premiers Présidents,
Mesdames et Messieurs les Procureurs Généraux

 

Je suis très heureuse de vous rencontrer pour la première fois.

Nous aurons l'occasion de nous revoir de manière périodique sur des thématiques judiciaires précises.

Je souhaite que ces réunions aient lieu tous les trois mois. Je souhaite également que des ministres puissent venir s'exprimer devant vous pour expliquer les attentes qu'ils ont à l'égard de la justice.

Je tiens à ces rencontres car je ne pourrais pas réussir sans votre aide, sans votre collaboration.

Avant de vous présenter mon programme de travail, je voudrais vous dire que je respecterai toujours votre indépendance juridictionnelle. Elle ne sera jamais remise en cause. Cela doit être clairement dit et affirmé.

Mais cette indépendance juridictionnelle ne recouvre pas, ne saurait recouvrir le fonctionnement et l'organisation des juridictions pour lesquelles je suis en permanence interpellée par nos concitoyens.

De ce point de vue et au delà des spécificités et singularités judiciaires que je ne méconnais pas, je suis en charge de l'organisation, du fonctionnement, du budget de notre justice, mais aussi de son adaptation, de sa modernisation.

Sur ces sujets, je m'appuierai sur vous mais je vous demanderai aussi de me rendre compte de l'utilisation que vous faîtes des deniers publics.

 

Mon programme pour la justice se déclinera autour de deux thèmes :

I. Une justice ferme

II. Une justice moderne

 

La justice doit tenir compte de cette demande sociale de plus grande fermeté.

La justice n'est pas une île.

La justice ne saurait être isolée de la société civile, de l'état républicain.

La justice ne peut demeurer sourde à ceux qui attendent d'elle des réponses.

Car l'ensemble des décisions individuelles que la justice rend constitue une politique publique dont nous sommes comptables, dont vous êtes comptables.

 

Point de populisme judiciaire.

Point non plus de splendide isolement.

 

C'est dans cet esprit que j'ai présenté au Parlement un texte sur la récidive des majeurs et des mineurs et que j'adresserai dans les prochains jours une circulaire aux Parquets sur la délinquance des mineurs.

Les violences faites aux personnes imputables à des mineurs réitérant ou en récidive doivent être jugées sans faiblesse.

Je connais le poids des déterminismes sociaux.

Mais je crois aussi à la responsabilité des individus.

L'acte juridictionnel pénal ne repose t'il pas tout entier sur ce postulat : la liberté du sujet, son sens de la responsabilité.

 

Une justice moderne

 

C'est une justice où chacun prend ses responsabilités au niveau qui est le sien.

Je voudrais partir d'un exemple concret.

Nous avons tous été choqués par les drames de Metz, Laon et Nanterre.

Des magistrats, des fonctionnaires, des justiciables en état de choc.

On m'a immédiatement demandé des crédits budgétaires. Je les ai débloqués.

J'ai saisi l'inspecteur général des services judiciaires. J'attends ces rapports de l'inspection dont je tirerai le moment venu tous les enseignements.

Les crédits vous sont notifiés. Des marchés types vous ont été transmis. Il faut maintenant que les choses se mettent en place sur le terrain.

 

Mais je souhaiterais d'ores et déjà vous faire part des sentiments que m'inspirent ces incidents très graves.

Bien évidemment je prendrai ma part de responsabilité. Je suis là pour cela.

Dès la remise du rapport de l'inspecteur général, je vous adresserai une circulaire en votre qualité de chef d'établissement.

C'est le premier enseignement que je tire de ces éléments.

L'échelon central ne peut pas tout.

Il vous revient, je vous l'ai écrit le 9 juin, de prendre les mesures concrètes qui s'imposent.

 

 

Il vous revient d'organiser sans délai des Assemblées générales, d'engager des consultations avec l'ensemble des personnels, de réunir les CTP, de rencontrer tous les interlocuteurs extérieurs qui peuvent concourir à la sûreté.

Ce n'est pas à moi de mobiliser la réserve pénitentiaire de vos ressorts.

Ce n'est pas à moi de contacter la région de gendarmerie pour passer le cas échéant un protocole avec elle sur la réserve de gendarmerie à titre expérimental.

La régulation déconcentrée de la sûreté des personnels, ce n'est pas un vain mot.

Je sais les difficultés, les conflits de personnes, de territoire, mais il vous revient de prendre vos responsabilités.

Je ne peux pas établir le zonage de tel ou tel tribunal. Je ne peux pas passer une convention avec telle direction départementale de la sécurité publique ou telle région de gendarmerie.

Cela ne relève pas de mon office.

Je peux néanmoins contribuer au développement de cette culture de la sûreté en mettant en place une formation adaptée pour les chefs de juridiction.

Une justice moderne, c'est une justice régulée au plus près des réalités du terrain, des besoins des singularités de chaque lieu.

Une justice moderne, c'est une justice réorganisée.

Je voudrais vous dire quelles sont en cette matière mes intentions et ma méthode.

 

Mes intentions

Je réformerai la carte judiciaire.

Que nul ici ou là ne doute de ma détermination.

  • Je la réformerai car on ne peut pas en 2007 avoir le même cadre qu'en 1958.

  • Une carte rénovée c'est une carte qui doit prioritairement être axée sur la qualité de la justice.

La justice n'est pas faite que pour les juges et les avocats. Elle est faite pour les justiciables et, de manière plus générale, pour tous les citoyens.

Un tribunal qui, dans tel ou tel domaine, rend peu de décisions, ne peut pas assurer une jurisprudence de qualité. Vous le savez tous.

  • Une carte rénovée, c'est une carte qui permettra d'atteindre des structures de taille critique permettant aux magistrats éventuellement de se spécialiser, s'ils le souhaitent, de se consacrer aux contentieux pour lesquels ils sont le mieux formés, aux fonctionnaires de mieux travailler.

Une carte rénovée permettra de développer des réflexes nouveaux. Elle permettra de mettre en place la collégialité judiciaire. Elle permettra d'échanger les expériences, les informations et aussi les doutes. Pour les chefs de juridiction, elle permettra de mieux gérer leurs collaborateurs en développant l'esprit d'équipe.

 

Sur la méthode

Là aussi, le niveau central et le niveau local doivent jouer leur rôle.

Je ferai part au comité de pilotage des lignes directrices qui doivent servir de principes à la réforme.

J'ai été surprise de m'apercevoir qu'ici où là on me faisait parler, alors que je n'ai encore rien dit ni décidé.

Je vous le dis ici solennellement, je suis profondément attachée au dialogue, à la concertation, mais aussi au respect des personnes.

Je suis parfaitement consciente que la réforme de la carte judiciaire peut entraîner des préjudices.

Je veillerai à ce qu'un accompagnement individualisé et adapté soit mis en œuvre.

Je souhaite également que la Caisse des dépôts et consignations fasse partie du conseil consultatif pour accompagner la réforme de la carte judiciaire.

Tout sera soumis à la discussion. Pour autant, il n'y aura pas de question taboue.

Au plan local, parce que vous êtes les meilleurs connaisseurs de vos ressorts, parce que vous en avez une connaissance fine, précise, détaillée, parce que vous connaissez l'ensemble des membres des compagnies judiciaires, des fonctionnaires, vous devrez m'apporter votre précieux concours. C'est le sens de la lettre de mission que vous trouverez devant vous.

Je vous demande de me faire part très librement de vos propositions. Vous pourrez notamment m'indiquer vos suggestions sur les schémas de redéploiement. J'attends ces propositions pour le 30 septembre.

Je m'appuierai sur vous. Le succès de cette réforme, ce ne sera pas mon succès. Ce sera le vôtre.

 

 

C'est cela une justice moderne, une justice qui prend en main son avenir, organise le dialogue social, qui n'est ni passive, ni inerte.

La réforme de la carte de judiciaire, c'est l'affaire de tous.

Cette réforme ne saurait être ni mécanique, ni géométrique, ni technocratique. Mais nous devons bâtir ensemble le nouveau cadre d'exercice d'une justice de qualité.

J'ai pu constater les réactions des avocats. J'ai été surprise de voir, dans certains de vos ressorts, des manifestations de magistrats et de fonctionnaires.

Il est de votre responsabilité de dire la vérité.

En cette matière, vous êtes les porte-paroles du ministère de la justice.

Je suis convaincue que la rénovation de la carte judiciaire n'aura pas d'impact important sur le maillage territorial du barreau français. Elle ne saurait en avoir sur les ordres professionnels : huissiers, notaires qui tous assurent un service de proximité. Réformer la carte judiciaire, ce n'est pas désorganiser les professions juridiques et judiciaires. Vous pouvez le dire.

J'incline même à penser que ce ne serait pas une bonne chose si tel était le cas.

Je crois que les justiciables choisissent d'abord un avocat en raison de sa proximité géographique et non en raison de sa localisation à côté d'une juridiction.

L'activité des avocats ne résulte pas de la présence d'une juridiction mais de leur implantation au sein d'un bassin économique et humain.

Je ne néglige pas pour autant les conditions matérielles plus difficiles liées à l'éloignement.

 

Une justice moderne, c'est une justice qui sait reconnaître les bonnes pratiques et les généraliser.

Le chantier des bonnes pratiques.

 

C'est un chantier majeur.

Ici où là et dans quelque domaine que ce soit :

- aide aux victimes

- défense des mineurs

- dialogue social

- sûreté des personnels

- manière de traiter tel ou tel contentieux

- protocole de défense pénale

- organisation d'un bureau d'ordre

- verticalisation d'un greffe.

 

De bonnes pratiques judiciaires ont cours.

Chaque jour les magistrats, les fonctionnaires, les auxiliaires de justice créent, innovent.

Il nous faut identifier les meilleurs pratiques, les faire valider et les généraliser. Je créerai à cette fin un système d'homologation des bonnes pratiques.

Je vous demande de me faire remonter vos bonnes pratiques en m'adressant une note d'ici deux mois me signalant les pratiques innovantes qui ont lieu dans vos ressorts.

Le chantier de la numérisation et de la dématérialisation

C'est une politique prioritaire.

Je sais que c'est une attente forte des magistrats et des fonctionnaires pour améliorer les conditions du travail.

C'est également une nécessité pour accompagner la réforme de la carte judiciaire.

Il ne peut pas y avoir de fracture judiciaire numérique. La numérisation et la dématérialisation, c'est une justice plus efficace.

Les avocats doivent pouvoir accéder au dossier pénal de leurs clients sous forme numérique pour mieux les défendre, notamment lors des comparutions immédiates.

En matière civile, les avocats doivent pouvoir suivre en temps réel par internet l'état d'avancement d'un dossier.

Les magistrats et les fonctionnaires doivent pouvoir travailler sur un dossier numérique. Ils gagneront ainsi du temps.

Le Secrétaire Général m'a présenté un plan d'action ambitieux dans ce domaine. La Chancellerie déploiera pour le 1er janvier 2008 dans chaque tribunal de grande instance le système qui permet aux avocats de suivre l'état de leur procédure en ligne. Je vous demande de réunir dès votre retour les avocats, les magistrats et les fonctionnaires pour évoquer ces projets de dématérialisation.

 

 

Une justice moderne, c'est une justice qui valorise ses magistrats, ses greffiers et ses fonctionnaires

Je connais les talents de la magistrature, des greffiers et des fonctionnaires.

Ils sont insuffisamment reconnus, repérés, mis en valeur.

J'ai demandé que soit créé un service des ressources humaines à compter du 1er août prochain au sein de la direction des services judiciaires. Ce service sera composé de deux sous-directions, une sous-direction des ressources humaines des magistrats et une sous-direction des ressources humaines des greffiers.

La sous-direction des ressources humaines des magistrats devra gérer la mobilité interne des magistrats, recevoir tous les magistrats, dresser des bilans de compétence pour mieux orienter leur carrière.

Elle devra gérer la mobilité externe des magistrats, qu'il s'agisse des détachements, des mobilités dans les trois fonctions publiques, dans le secteur privé, dans le domaine international.

Je demanderai à ce que convergent là l'ensemble des demandes externes nationales et internationales.

La sous-direction des ressources humaines des greffiers devra également dynamiser la gestion de leur carrière.

Là encore, j'aurai besoin de vous.

Je vous demande de me signaler les greffiers, les fonctionnaires, voire les vacataires de talent au sein de vos ressorts. Je veux qu'ils soient reconnus et valorisés.

 

Mesdames et Messieurs les Premiers Présidents,
Mesdames et Messieurs les Procureurs Généraux,

Tout cela se fera avec vous. Je connais la charge de votre travail et les difficultés de votre mission. Sachez que je ne vous oublierai pas et que je m'appuierai toujours sur vous.

Je vous remercie de votre attention. Je suis disposée, avec mes collaborateurs, à répondre à toutes vos questions.