[Archives] Réforme de la Justice

Publié le 14 décembre 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Il y a un peu plus d’un an, le drame d’Outreau créait une onde de choc dans notre pays.

Nous pouvons dire, je crois, que le traitement de cette affaire a entraîné une réelle crise de confiance entre les Français et la justice. Chacun s’est en effet demandé : et si c’était moi ?

Je tiens néanmoins à rappeler combien il est difficile de rendre la justice et que, s’il y a eu un Outreau, des milliers de décisions sont rendues chaque année par des magistrats exemplaires assistés de fonctionnaires passionnés et compétents. Que l’on se souvienne du procès des pédophiles d’Angers, à bien des égards comparable à celui d’Outreau, qui montre bien que la justice en France peut être exemplaire.

Les travaux de votre commission d’enquête, suivis par des centaines de milliers de téléspectateurs, ont suscité un intérêt sans précédent des Français, qui ont découvert à travers ces auditions la complexité des procédures judiciaires et la difficulté de faire reconnaître son innocence.

Qu’attendent nos concitoyens à la suite de ce drame ?

Ils attendent une réflexion à long terme sur l’avenir de notre système judiciaire. C’est la tâche qui incombera à la prochaine législature, en s’inspirant des propositions adoptées à l’unanimité par votre commission d’enquête, car une telle réforme nécessite du temps, à l’image de ce qui a été fait à la fin des années 80 pour réformer le code pénal.

Mais ils souhaitent également des réponses immédiates et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l’affaire Outreau, afin qu’une telle affaire ne puisse pas se renouveler.

Quels étaient ces dysfonctionnements ? la solitude du juge d’instruction, le recours excessif à la détention provisoire, l’opacité de la procédure, l’insuffisance du contradictoire et le non respect des procédures dans le recueil de la parole de l’enfant..

Le drame d’Outreau a également suscité des interrogations sur la formation des magistrats et leur régime de responsabilité.

Les projets que je vous présente aujourd’hui au nom du Gouvernement répondent point par point à ces difficultés.

Ils mettent en place des pôles de l’instruction pour lutter contre la solitude du juge, instaurent un véritable contrôle de la chambre de l’instruction pour éviter les détentions provisoires injustifiées, accroissent la transparence de la procédure en prévoyant l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires en garde à vue et devant le juge d’instruction et la publicité des débats sur la détention provisoire, améliorent le contradictoire, notamment pour les expertises, et rendent obligatoire l’enregistrement de l’audition du mineur victime.

Ils améliorent également la formation des magistrats, précisent leur régime disciplinaire et mettent en place une nouvelle voie de recours pour les justiciables à travers la saisine du Médiateur de la République.

Il ne s’agit que d’une première étape dans la rénovation de notre justice, mais une étape qui me semble indispensable pour éviter demain d’autres Outreau.

La réforme pragmatique que je propose s’appuie, elle aussi, très largement sur les propositions de votre commission d’enquête, puisqu’elle reprend entièrement ou partiellement 21 des 32 propositions législatives du rapport.

Comme toute synthèse, elle a suscité un certain nombre de critiques : pas assez ambitieuse pour certains, elle est aussi irréaliste pour d’autres.

J’ai cependant la conviction qu’elle constitue une première étape nécessaire pour permettre aux Français de retrouver la confiance dans leur justice.

I-Le projet de réforme de la procédure pénale apporte des réponses précises et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l’affaire Outreau.

Ce qui a frappé le plus les Français dans cette affaire, c’est la solitude d’un juge d’instruction, qui a pu paraître enfermé dans ses certitudes.

Je souhaite mettre fin à cette solitude, en faisant travailler les juges d’instruction au sein d’une équipe. Les affaires criminelles et les affaires correctionnelles complexes ne seront plus instruites par un magistrat isolé dans un tribunal, mais par un ou plusieurs juges d’instruction, réunis au sein d’un pôle, qui pourront échanger entre eux sur les points difficiles.

Le succès rencontré par le pôle antiterroriste de Paris et les juridictions interrégionales spécialisées, qui traitent des affaires de grande criminalité, m’ont convaincu que les dossiers d’instruction complexes ne pouvaient plus être confiés à des juges d’instruction isolés, mais devaient faire l’objet de regards croisés.

De manière plus générale, je souhaite que ces pôles conduisent les juges d’instruction à ne plus travailler seuls au sein de leur cabinet, mais les poussent au contraire à acquérir la culture du travail en équipe.

Ces pôles permettront de rendre plus facile les co-saisines, c'est-à-dire la désignation de plusieurs juges d’instruction sur un même dossier. Ces co-saisines pourront désormais être imposées par le président de la chambre de l’instruction, même sans l’accord du magistrat initialement saisi. Elles permettront, sur des affaires complexes, de faire travailler des juges d’instruction peu expérimentés avec des magistrats confirmés.

Sans attendre l’adoption de ce dispositif, j’ai demandé à ce que les postes de juges d’instruction soient, autant que faire se peut, pourvus par des magistrats expérimentés, et non pas par des jeunes magistrats sortant de l’Ecole nationale de la magistrature.

En pratique, les pôles auront un ressort départemental. Cependant, compte tenu des particularités locales, certains pôles pourraient s’étendre à plusieurs départements et certains départements pourraient avoir plusieurs pôles.

Contrairement à ce qu’ont pu affirmer certains, le système ne remet aucunement en cause la carte judiciaire actuelle. Chaque tribunal de grande instance conservera en effet un juge d’instruction, chargé des affaires correctionnelles simples. Par ailleurs, les affaires instruites au sein des pôles continueront à être jugées par la juridiction territorialement compétente.

Pour accompagner cette réforme, je souhaite que soient pris en compte les frais de déplacements supplémentaires supportés par les avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle pour se rendre dans les pôles de l’instruction. Par ailleurs, afin d’assurer un accès en temps réel aux dossiers, j’ai décidé d’accélérer la mise en place de la numérisation des procédures pénales : d’ici la fin de l’année, une centaine de tribunaux de grande instance devraient expérimenter cette numérisation. Enfin, pour limiter les déplacements chaque fois que c’est possible, j’ai demandé que l’on utilise la visioconférence. Tous les tribunaux de grande instance en seront équipés d’ici la fin de l’année.

Comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire -mais j’ai compris qu’il était nécessaire de le redire avec force aujourd’hui-, ces pôles constituent pour moi la première étape vers la collégialité de l’instruction proposée par votre commission d’enquête et à laquelle je suis tout à fait favorable. C’est pourquoi, comme je l’ai dit lors de mon audition devant la commission des Lois, je soutiendrai l’amendement de votre président et de votre rapporteur inscrivant dans la loi le principe d’une instruction collégiale.

Mais la pyramide des âges dans la magistrature, avec des départs massifs à la retraite à l’horizon 2010, conjuguée à l’importance des moyens humains nécessaires pour une telle réforme –il faudrait environ 240 magistrats et 400 fonctionnaires de greffe supplémentaires-, nous oblige à différer celle-ci et à nous limiter, dans un premier temps, aux pôles de l’instruction.

Le deuxième enseignement que l’on peut tirer de l’affaire Outreau, c’est le caractère excessif du recours à la détention provisoire.

Le projet de loi propose donc un certain nombre de dispositions permettant d’éviter des détentions provisoires injustifiées.

Il renforce le caractère exceptionnel de la détention provisoire en limitant l’utilisation du critère du trouble à l’ordre public, qui ne pourra plus être employé en matière correctionnelle pour la prolongation ou le maintien en détention. Ce critère est en revanche maintenu pour le placement initial en détention, car il peut être nécessaire dans certaines circonstances, notamment en matière de violences urbaines.

Limiter la détention provisoire, c’est aussi mieux assurer la défense du mis en examen. Le projet de loi prévoit la présence obligatoire d’un avocat lors du débat sur la détention provisoire, ce qui semble-t’il n’a pas toujours été le cas lors de l’affaire Outreau. Il permet par ailleurs au juge des libertés et de la détention de reporter ce débat pour favoriser le recours au contrôle judiciaire.

Enfin -et c’est là à mes yeux une disposition fondamentale pour limiter la durée des détentions provisoires- le projet instaure une audience publique de la chambre de l’instruction permettant d’examiner contradictoirement tous les aspects de la procédure en cours, dès lors qu’une personne est détenue.

Cette audience permettra à la chambre de l’instruction d’avoir une vision globale du dossier, vision qui a clairement manqué lors de l’affaire Outreau et qui aurait sans doute permis d’éviter d’aller devant la juridiction de jugement pour que l’innocence des personnes mises en cause soit reconnue.

Votre commission a souhaité que ce réexamen de l’ensemble de la procédure puisse avoir lieu au bout de trois mois, au lieu des six mois initialement prévus. Je me range volontiers à ce nouveau délai, qui permettra un contrôle approfondi du dossier au début de l’instruction.

J’ajoute que le contrôle des chambres de l’instruction sur les cabinets des juges d’instruction sera également renforcé par la mise en place d’assesseurs permanents au sein de ces chambres à partir de septembre 2007, lorsque l’activité de ces dernières le justifie.

La crédibilité de la justice passe par une plus grande transparence des procédures. Ce souci de transparence se concrétise au travers de deux mesures : la publicité des audiences relatives à la détention provisoire et l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d’instruction en matière criminelle.

Cet enregistrement est souvent interprété, à tort, comme une mesure de défiance à l’égard des forces de police et des magistrats. Il s’agit au contraire de lever tout soupçon et de prévenir les mises en cause injustifiées dont font parfois l’objet ces interrogatoires. L’enregistrement, qui pourra être consulté en cas de contestation, permettra de mieux sécuriser les procédures.

J’ai pu constater, lors de mes déplacements en Angleterre et en Italie, combien ces mesures étaient appréciées, bien qu’elles aient fait l’objet de longs débats au moment de leur adoption.

Dans une société de plus en plus transparente, la justice ne peut pas refuser les garanties que peuvent apporter les nouvelles technologies.

Le caractère contradictoire de l’instruction, qui a fait défaut dans l’affaire Outreau, sera également renforcé.

La mise en examen pourra être contestée à intervalles réguliers, et non pas seulement dans les six premiers mois, et des confrontations individuelles pourront être demandées.

Votre commission a souhaité faire de la confrontation individuelle un principe que le juge ne pourra écarter que par une décision spécialement motivée. Je suis d’autant plus favorable à cette modification que les difficultés rencontrées dans Outreau proviennent en partie de l’absence de confrontations individuelles.

Le caractère contradictoire des expertises sera également renforcé : information des parties de la décision du juge ordonnant une expertise, sauf si cette information nuit à l’efficacité des investigations, possibilité de désigner un coexpert de leur choix, suppression du filtre du président de la chambre de l’instruction en cas d’appel de refus d’une contre expertise.

Enfin, le règlement des informations sera plus contradictoire, puisque le juge devra statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties qui, chacun, auront pu répliquer à ces réquisitions ou observations, et l’ordonnance de renvoi –c’est une disposition à laquelle je tiens beaucoup- devra préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.

Enfin, le projet de loi rend obligatoire l’enregistrement des auditions des mineurs victimes, alors qu’actuellement cet enregistrement peut être écarté par simple décision motivée du procureur ou du juge d’instruction. Par ailleurs, le mineur victime devra obligatoirement être assisté d’un avocat, le cas échéant commis d’office.

Mais la crédibilité de la justice passe aussi par sa célérité et par la nécessité de limiter, autant que faire se peut, les informations injustifiées, afin de permettre aux juges d’instruction de ne traiter que les affaires réellement complexes.

Comment un juge peut-il consacrer son temps et son énergie à des affaires difficiles et sensibles comme celle d’Outreau quand son cabinet d’instruction est encombré d’informations dilatoires qui se terminent toutes, au bout de quelques mois, par un non-lieu ? Je rappelle, à titre d’illustration, que près des trois-quarts des informations ouvertes sur plaintes avec constitution de partie civile à Paris font l’objet d’un non-lieu.

Il ne s’agit pas d’empêcher le dépôt de plaintes avec constitution de partie civile, mais simplement d’éviter que cette procédure ne soit détournée de son objet et utilisée pour paralyser le fonctionnement de la justice.

Reprenant les conclusions du rapport Magendie, le projet de loi maintient la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l’état lorsque l’action civile est engagée en réparation du dommage causé par l’infraction, mais la supprime dans les autres cas, revenant ainsi à l’application originelle de cette règle avant qu’elle ne soit étendue par la jurisprudence.

Ainsi, par exemple, une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l’employeur dans le seul but de paralyser la contestation du licenciement aux prud’hommes n’aura plus l’effet recherché, ce qui devrait limiter le nombre de plaintes avec constitution de partie civile, et donc d’informations.

De la même manière, le projet de loi cherche à éviter l’ouverture d’une information lorsqu’une affaire peut être résolue plus simplement et plus rapidement par une enquête du parquet.

Ainsi, en matière délictuelle, il faudra, avant de pouvoir déposer une plainte avec constitution de partie civile, avoir saisi le parquet. A l’issue d’un délai de trois mois, si le parquet n’agit pas ou refuse de poursuivre, la plainte sera alors recevable.

Il ne s’agit donc pas d’empêcher les plaintes avec constitution de partie civile, mais de vérifier auparavant si l’affaire ne peut pas être traitée plus rapidement et plus efficacement par une brève enquête du parquet.

Ces deux séries de mesures ont le même objectif : permettre aux juges d’instruction de disposer de plus de temps pour instruire les affaires complexes, en évitant que leur cabinet ne soit encombré de plaintes ne justifiant pas l’ouverture d’une information.

Elles ont été accueillies très favorablement par les associations de victimes, qui ont salué leurs conséquences positives sur la durée des instructions.

J’y suis donc très attaché, car je pense qu’elles auront un impact réel sur le fonctionnement quotidien des cabinets d’instruction.


Le coût de l’ensemble de la réforme a été estimé à 30 millions d’euros pour le ministère de la justice. Elle nécessitera en particulier la création de 70 postes nouveaux de magistrats et 102 emplois de fonctionnaires de greffe. Les magistrats seront pourvus par redéploiement et un recrutement supplémentaire de fonctionnaires devra être organisé.

Ce financement ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2007, car le chiffrage précis de la réforme dépend du périmètre définitif de la loi et de son calendrier de mise en œuvre. Dès que la loi sera promulguée, le Gouvernement abondera en tant que de besoin les crédits du ministère.


II-Je crois par ailleurs que le moment est venu de procéder à une véritable modernisation de la formation et du régime disciplinaire des magistrats, comme l’a souhaité votre commission d’enquête.

On ne peut plus considérer aujourd’hui que la formation et la discipline des magistrats telle qu’elle a été prévue il y a près de 50 ans est appropriée à la société française de 2006.

C’est pourquoi je vous propose des mesures concrètes destinées à améliorer cette formation et à préciser le régime disciplinaire des magistrats.

Un bon magistrat, c’est un magistrat, qui, avant de décider, doute, écoute et examine tous les arguments qui lui sont soumis, en accordant la même importance à la parole de la victime et à celle du mis en examen.

Il n’y a pas d’autre moyen de vérifier qu’un futur magistrat est capable de s’obliger à cette méthode qu’en le soumettant à un stage préalable obligatoire avant toute nomination aux premières fonctions.

Or tous les magistrats aujourd’hui en poste n’ont pas été soumis à cette formation indispensable qu’est le stage. C’est pourquoi je propose de donner, pour toutes les voies d’accès à la magistrature, un caractère probatoire obligatoire à la formation préalable à la nomination dans les premières fonctions.

Ce n’est pas la seule modification de la formation des magistrats à laquelle je suis attaché. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, je me suis fixé comme objectif d’ouvrir l’Ecole nationale de la magistrature vers le monde extérieur.

A ma demande, ce changement radical de la pédagogie est déjà mis en œuvre.

Désormais, une trentaine d’élèves avocats suivent à Bordeaux la même scolarité que les élèves magistrats. Il faut absolument éviter qu’une coupure ne se crée entre magistrats et avocats, et il n’y a pas de meilleur moment pour éviter cette rupture que la période de formation des uns et des autres.

Les manuels de droit nous apprennent que les avocats sont des auxiliaires de justice. Je veux que ce concept fondamental ne reste pas lettre morte. Cette évolution rejoint d’ailleurs l’objectif de l’amendement voté par la commission des lois prévoyant d’allonger la durée du stage qu’effectueront les auditeurs de justice au sein des cabinets d’avocats.

Désormais, les enseignants de l’Ecole nationale de la magistrature ne sont plus uniquement des magistrats. Il s’agit là aussi de tout mettre en œuvre pour que la formation soit plurielle. Les avocats, les universitaires, les psychologues ont maintenant leur place au sein du corps enseignant de l’ENM.

Désormais, l’enseignement de la déontologie à l’ENM est une discipline à part entière, qui fait l’objet de cours spécifiques, aussi bien en formation initiale qu’en formation continue. En proposant de confier au Conseil supérieur de la magistrature le soin d’élaborer un recueil des obligations déontologiques des magistrats, la commission des lois s’inscrit parfaitement dans cette ligne.

Je souhaite d’ailleurs aller plus loin en instaurant, lors de l’examen de sortie de l’ENM, une épreuve qui portera spécifiquement sur la déontologie des magistrats. Cette épreuve sera un nouvel outil à la disposition du jury qui lui permettra de déterminer l’aptitude d’un candidat à exercer les fonctions de magistrat.

Au-delà de la seule formation des magistrats, il faut également modifier leur recrutement, en diversifiant les voies d’accès à la magistrature.

La justice est rendue au nom du peuple français. Les juges doivent donc être issus d’horizons plus variés. Ils doivent également, au cours de leur carrière, pouvoir aller travailler au sein d’autres institutions, au sein d’entreprises, d’associations, pour mettre leurs méthodes, leurs convictions et parfois leurs certitudes à l’épreuve d’autres réalités.

Pour ces raisons, je soutiendrai les amendements adoptés par votre commission des lois visant à accroître significativement le recrutement aux fonctions de magistrats de personnes ayant déjà exercé une activité professionnelle et instaurant une mobilité obligatoire des magistrats avant que ne leur soient confiées les fonctions les plus importantes.

Cela signifie concrètement qu’un magistrat qui souhaite être nommé conseiller à la chambre sociale de la cour de cassation pourra utilement effectuer une mobilité de deux ans au sein d’une direction des ressources humaines d’une entreprise.

Adapter le statut de la magistrature de 1958 à la France de 2006, c’est aussi adapter le régime disciplinaire des magistrats aux exigences de notre société.

Mais je sais que toucher à la discipline des magistrats, c’est toucher à une question extrêmement sensible, car liée à l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Je veux être efficace, c'est-à-dire que je souhaite que les modifications proposées entrent effectivement en vigueur sans risquer d’encourir la censure du Conseil Constitutionnel.

La commission d’enquête avait proposé de «faire sanctionner par le CSM la méconnaissance des principes directeurs de la procédure civile et pénale ».

Je suis évidemment entièrement d’accord avec cette proposition. Je veux, et je le dis fermement, qu’elle soit mise en œuvre.

Mais pour cela, il nous devons nous conformer aux observations faites par le Conseil d’Etat.

L’amendement que je défendrai au nom du Gouvernement propose de sanctionner la violation grave et intentionnelle par un magistrat des règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive.

  • pourquoi une violation intentionnelle ? Parce qu’il faut marquer que c’est en toute conscience que le magistrat n’a pas respecté les règles de procédure.
  • pourquoi une violation grave ? Parce que les conditions matérielles actuelles contraignent parfois les magistrats à ne pas respecter en toute conscience certaines règles procédurales.

Je pense notamment à ces audiences qui devraient être tenues en présence d’un greffier et qui ne peuvent l’être parce que, malgré les efforts considérables entrepris depuis 2002, nous ne disposons pas aujourd’hui d’un nombre suffisant de greffiers au sein de nos juridictions.

La présence du greffier est une garantie essentielle. Ne pas la respecter est donc la violation intentionnelle d’une garantie essentielle des droits des parties. Est-elle pour autant grave ? Je ne le crois pas.

Pour moi, une violation grave est une violation qui fait grief à une partie, qui la prive d’un moyen de défense, qui met en cause l’impartialité du juge.

  • pourquoi les garanties essentielles des parties ? Parce qu’il faut éviter la paralysie de la justice qui résulterait de l’engagement abusif d’actions disciplinaires à l’encontre de magistrats dans le seul but de les déstabiliser.
  • pourquoi cette violation doit-elle intervenir dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive ? Parce que le Conseil d’Etat a considéré que l’absence de cette mention introduisait un risque de confusion entre l’office des juges d’appel et de cassation et celui du juge disciplinaire. Il a clairement indiqué que le CSM ne pourrait statuer en matière disciplinaire qu’une fois la procédure judiciaire close.

Il s’agit d’éviter que la voie disciplinaire ne puisse être utilisée dans le cadre d’une instance en cours pour déstabiliser un magistrat.

La rédaction que je vous propose s’inscrit dans le respect des principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire. Elle me paraît de nature à éviter la censure du Conseil Constitutionnel, tout en précisant les termes de la faute disciplinaire.

Les évènements récents ont démontré que tous les magistrats ne sont pas aptes à exercer toutes les fonctions. Il faut aujourd’hui rendre possible l’interdiction, pour une durée déterminée, d’exercice de fonctions à juge unique lorsqu’une faute disciplinaire établit la nécessité d’encadrer un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

Je pense évidemment aux fonctions spécialisées : juge d’instruction, juge de l’application des peines, juge des enfants, juge d’instance, mais aussi juge aux affaires familiales, ou juge présidant une audience correctionnelle à juge unique.

Je vous propose donc d’élargir la gamme des sanctions disciplinaires à la création d’une nouvelle sanction : l’interdiction d’exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de 5 ans.

Il y a enfin une situation que j’estime inacceptable et à laquelle je veux mettre un terme : lorsqu’un magistrat a un comportement qui révèle des problèmes pathologiques et qu’il est indispensable de l’écarter sans délai de l’exercice de toutes fonctions juridictionnelles, nous ne pouvons pas actuellement apporter de réponse immédiate à ce dysfonctionnement majeur, puisque seule la voie disciplinaire est possible dans l’attente de la suspension décidée par une commission médicale.

Je vous propose donc de donner au Garde des Sceaux la faculté, sur avis conforme du CSM car les garanties statutaires doivent êtres respectées, de suspendre de ses fonctions un magistrat dont le comportement justifie la saisine du comité médical, qui sera tenu de statuer dans un délai de six mois.


III- Votre commission d’enquête a enfin mis en lumière la nécessité de développer les contrôles externes à la justice.

Il n’existe pas aujourd’hui d’autorité extérieure à l’institution judiciaire habilitée à recueillir, examiner et donner suite aux réclamations des justiciables sur les dysfonctionnements de la justice liés au comportement des magistrats.

C’est la raison pour laquelle j’ai proposé de conférer au Médiateur de la République la possibilité d’être saisi de réclamations émanant de toute personne mettant en cause le comportement d’un magistrat.

Ce texte a été considérablement enrichi par le travail de votre commission des lois, qui a utilement renforcé les pouvoirs du Médiateur.

La rédaction adoptée permet désormais à ce dernier de saisir les chefs de cour qui lui donneront toutes les informations nécessaires pour déterminer si une réclamation est sérieuse.

Dans ce cas, le Médiateur transmettra la requête au Garde des Sceaux, qui aura l’obligation de faire procéder à une enquête, à l’issue de laquelle il décidera si des suites disciplinaires doivent ou non être données à cette réclamation.

La réponse qu’il adressera au Médiateur sera motivée et publiée au Journal Officiel.

Je sais que certains se sont interrogés sur la possibilité de permettre au Médiateur de saisir directement le CSM lorsqu’il estime qu’une faute disciplinaire est caractérisée.

Une telle saisine directe du Médiateur soulève un certain nombre des difficultés:

Elle présente un risque constitutionnel certain, puisqu’elle pourrait être considérée comme portant atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire : cette extension de la saisine du CSM à une autorité administrative, fut-elle indépendante, risque en effet d’entraîner une augmentation des contestations des décisions de justice en dehors des voies de recours légalement prévues à cet effet.

Or il convient au contraire d’éviter de multiplier les autorités compétentes pour saisir l’organe disciplinaire, afin que la procédure disciplinaire ne soit pas utilisée pour déstabiliser les magistrats dans leur activité juridictionnelle.

Cela signifie également qu’il serait donné au Médiateur un pouvoir concurrent, voire supérieur à celui du Garde des Sceaux, puisque le Médiateur pourrait passer outre le refus du ministre de la Justice de saisir le CSM. Cela modifierait en profondeur notre système institutionnel, en donnant à une autorité administrative indépendante un pouvoir supérieur à celui du garde des Sceaux.

Le texte proposé par le Gouvernement, enrichi par le travail de la commission des lois, constitue une avancée considérable, puisqu’il permet de sortir ces questions des seuls murs de la Chancellerie.

Cette exigence de transparence aura, je n’en doute pas, un rôle essentiel dans la régulation de notre système judiciaire.

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Voilà, dans ses grandes lignes, la réforme de la justice que je souhaite proposer à la représentation nationale.

Cette réforme n’a pas l’ambition de modifier l’architecture de notre procédure pénale. Pourtant, je le pense profondément, il s’agit de modifications importantes qui illustrent la volonté du Gouvernement et du Parlement de ne pas laisser l’affaire Outreau sans réponse.

Ces textes constituent une avancée notable dans le rééquilibrage de notre procédure pénale et dans l’approfondissement de la responsabilité des magistrats, notamment grâce au travail constructif de votre commission des lois. Je tiens à remercier chaleureusement le président Philippe Houillon et les rapporteurs Guy Geoffroy et Xavier de Roux, qui ont largement contribué à améliorer les dispositifs proposés.

Ces textes apporteront de nouveaux objets de réflexion à ceux qui souhaitent des changements plus structurels de notre procédure pénale. Seul le temps permet de savoir si l’on ne s’est pas trompé. Nous sommes tous convaincus d’une chose, c’est que la Justice, si elle est rendue au nom de peuple français, doit aussi l’être au bénéfice du peuple français.