[Archives] Projet loi relatif au contrôle de la validité des mariages

Publié le 04 octobre 2006

Discours du ministre de la Justice lors de la presentation du projet de loi au Sénat en première lecture

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11 minutes

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Vous examinez aujourd’hui le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale le 22 mars dernier.

Ce texte propose un dispositif global et cohérent dont l’objet est de mieux lutter contre les détournements dont le mariage est l’objet à des fins migratoires.


Un tiers des mariages célébrés en France ou à l’étranger sont aujourd’hui des mariages mixtes. Cette situation a deux conséquences immédiates :

  • le mariage avec un conjoint français constitue le premier motif d’immigration vers la France,
  • près de 50% des acquisitions de la nationalité française se font par mariage.

Bien évidemment, je n’oublie pas que la plupart des mariages mixtes sont animés par une intention matrimoniale sincère, et il ne s’agit nullement de jeter une suspicion d’ensemble sur ces mariages.

Toutefois, force est de constater que le nombre d’annulations prononcées par les juridictions françaises n’a cessé d’augmenter depuis une dizaine d’années, et que dans leur très grande majorité, ces annulations concernent des mariages mixtes.

Ainsi, en 2004, sur 745 mariages annulés par les tribunaux de grande instance et les cours d’appel, 85% étaient des mariages mixtes, dont la majorité avaient été contractés à l’étranger.

En outre, il est à craindre que ces chiffres ne rendent pas entièrement compte de la réalité de la situation.

En effet, la preuve de l’absence d’intention matrimoniale est parfois difficile à rapporter, et nous savons que dans un certain nombre de cas, le conjoint victime d’un mariage de complaisance ou d’un mariage forcé préfère demander le divorce plutôt que l’annulation du mariage.

Tout ceci démontre que notre dispositif de prévention des mariages frauduleux n’est pas adapté à la situation actuelle. Il l’est d’autant moins lorsque le mariage est conclu à l’étranger.

S’agissant des mariages célébrés en France, les lois du 24 août 1993 et du 26 novembre 2003 ont certes apporté des améliorations utiles. L’officier de l’état civil s’est vu confié le pouvoir d’auditionner les futurs époux, et, si un doute subsiste quant à la validité du mariage, il peut saisir le procureur de la République afin qu’il s’oppose à la célébration.

L’application de ces dispositions a déjà permis de détecter de nombreux projets de mariages frauduleux et d’empêcher leur concrétisation.

Toutefois, ceux qui parmi vous ont célébré des mariages, et ils sont nombreux, connaissent les difficultés de mise en œuvre de ce dispositif.

En ce qui concerne les mariages contractés par des Français à l’étranger, c’est le seul article 170-1 du code civil qui en prévoit les modalités de contrôle.

Contrairement aux mariages célébrés sur notre territoire, celui-ci ne prévoit aucun mécanisme de prévention des mariages irréguliers, puisque c’est seulement à l’occasion de la demande de transcription sur les registres de l’état civil que la validité du mariage est vérifiée.

A cet égard, il n’est pas surprenant de constater que ces mariages sont ceux qui sont le plus souvent l’objet d’annulations.

En outre, le dispositif applicable aux mariages contractés à l’étranger présente deux inconvénients majeurs :

  • d’une part, la transcription n’étant pas obligatoire, sauf pour l’obtention d’un titre de séjour ou de la nationalité française, les époux peuvent faire produire à leur mariage tous les autres effets prévus par la loi sans que la validité de leur union n’ait jamais fait l’objet d’une vérification préalable,
  • d’autre part, même lorsque la transcription est demandée, il est bien plus difficile de procéder aux vérifications nécessaires plusieurs années après la célébration. J’ajoute que les règles actuelles contraignent le parquet et les services de police à accomplir ces vérifications en moins de six mois, faute de quoi la transcription est automatique.

Enfin, ce dispositif n’est pas équitable, car il soumet les Français qui se marient à l’étranger à un contrôle moins strict que celui applicable en France, alors que tous ces mariages ouvrent les mêmes droits sur notre territoire.

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Telles sont les raisons qui ont conduit le Gouvernement à engager une réforme du contrôle de la validité des mariages.

Ce projet de loi propose un nouveau dispositif complet et cohérent, au terme duquel les mariages contractés par des Français à l’étranger feront l’objet d’un contrôle avant même leur célébration, comme c’est le cas des mariages célébrés en France.

A cet égard, le projet du Gouvernement a déjà été enrichi par les débats qui se sont déroulés devant l’Assemblée nationale le 22 mars dernier. L’examen par votre assemblée sera l’occasion d’apporter de nouvelles améliorations.

A cet égard, votre commission a proposé que certaines dispositions figurant dans ce projet en soient extraites pour être reprises par voie règlementaire. Je suis bien entendu favorable à cette démarche qui contribue à améliorer la lisibilité de la loi.

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Ce projet s’organise autour de trois axes principaux que je présenterai successivement :

  • clarifier et renforcer la procédure de contrôle des mariages célébrés en France,
  • soumettre au même contrôle le mariage des Français à l’étranger,
  • simplifier et améliorer la procédure de vérification des actes de l’état civil étranger remis à l’administration française, afin de mieux empêcher la fraude.


I. – Le premier objectif est de clarifier et renforcer la procédure applicable à tous les mariages célébrés sur notre territoire, quelle que soit la nationalité des époux.

1) Premièrement, beaucoup d’officiers de l’état civil ont fait valoir que, au gré des réformes, l’article 63 du code civil a perdu beaucoup de sa lisibilité, de sorte qu’il est devenu difficile de distinguer clairement la chronologie des formalités qui doivent précéder la célébration du mariage. Or cette chronologie est essentielle.

L’expérience montre que la publication des bans a parfois lieu avant que l’ensemble des formalités et vérifications préalables n’aient été accomplies, alors qu’elle ne doit intervenir qu’une fois toutes les conditions de célébration réunies.

A cet égard, la circulaire du 02 mai 2005 a déjà apporté certaines réponses.

Le projet va plus loin et répond pleinement à l’attente des officiers de l’état civil en proposant une nouvelle rédaction de l’article 63, faisant apparaître plus distinctement les différentes étapes qui précèdent la célébration.

2) Deuxièmement, ce texte comporte des dispositions nouvelles qui renforcent l’efficacité de la procédure actuelle.

Tout d’abord, il est indispensable que l’identité des futurs époux soit mieux contrôlée.

Il est aujourd’hui paradoxal de constater que l’on peut exiger d’une personne qui effectue un paiement par chèque qu’elle présente une pièce d’identité, alors qu’on ne peut l’exiger de la part des futurs époux.

En effet, il n’existe aucune disposition légale en ce sens.

Le projet comble cette lacune de notre droit en exigeant la présentation d’une pièce d’identité officielle.

Par ailleurs, il est nécessaire de systématiser davantage l’audition des futurs époux, qui est un moment privilégié pour s’assurer de la sincérité de leur intention matrimoniale.

Or, trop souvent, le fait que l’un des futurs époux réside à l’étranger constitue un obstacle insurmontable.

C’est pourquoi l’officier de l’état civil doit être en mesure de déléguer cette audition à l’autorité diplomatique ou consulaire, et réciproquement, si le mariage est célébré à l’étranger alors que le futur époux réside en France.

A cet égard, l’examen du texte à l’Assemblée nationale a permis d’intégrer les nouvelles dispositions issues de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple et contre les mineurs, qui permettent au maire et au consul de déléguer la réalisation de l’audition à un fonctionnaire titulaire du service de l’état civil.

Je suis convaincu que cette mesure contribuera elle aussi à augmenter le nombre d’auditions.

Enfin, le projet de loi renforce le droit d’opposition du ministère public.

Actuellement, l’opposition est automatiquement caduque au bout d’un an. C’est-à-dire qu’il faut la renouveler si les candidats au mariage maintiennent leur projet au-delà de ce délai, même s’ils n’ont pas demandé la mainlevée.

Incontestablement, cette situation profite aux fraudeurs.
Le texte revient donc sur cette règle et prévoit que l’opposition du parquet continuera de produire ses effets tant qu’aucune décision de mainlevée n’aura été rendue.


II.- J’en viens maintenant aux dispositions relatives aux mariages contractés par les Français à l’étranger.

Je l’ai dit, les règles actuellement applicables à ces mariages ne sont pas adaptées aux détournements dont l’institution matrimoniale est l’objet.

Il convient donc de les modifier.

A cet égard, le projet de loi introduit dans le code civil un nouveau chapitre, intitulé « Du mariage des Français à l’étranger » entièrement consacré à cette question.

Celui-ci présente un dispositif innovant mais dont vous remarquerez qu’il est directement inspiré du régime applicable aux mariages célébrés en France.

1) Premièrement, le projet de loi limite la possibilité pour les époux de faire produire des effets à leur mariage dès lors que celui-ci n’a pas été transcrit sur les registres de l’état civil.

C’est ainsi que les mariages non-transcrits ne seront pas opposables aux tiers, et produiront leurs effets civils seulement à l’égard des époux et de leurs enfants.

C’est la même règle que celle prévue à l’article 194 du code civil pour les époux mariés en France. Il est bien légitime que nul ne puisse réclamer le titre d’époux et les effets civils du mariage s’il ne présente un acte de mariage inscrit sur les registres de l’état civil.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de nuire aux tiers de bonne foi. Leurs droits seront préservés, et ils pourront par exemple se prévaloir de la solidarité entre époux.

L’objectif poursuivi par le Gouvernement au travers de cette disposition est d’empêcher qu’un mariage célébré à l’étranger, et dont la validité n’a pas encore été vérifiée, soit opposable aux autorités publiques.

Toutefois, dès lors qu’il a été célébré conformément à la loi étrangère, chacun des époux sera tenu aux devoirs du mariage prévus aux articles 212 et suivants du code civil, et la présomption de paternité à l’égard des enfants s’appliquera.

2) Deuxièmement, les conditions dans lesquelles les époux pourront obtenir la transcription de leur acte de mariage étranger dépendront désormais de l’accomplissement de certaines formalités préalables.

Ainsi, avant de se marier à l’étranger, les Français devront obtenir du consulat ou de l’ambassade un certificat de capacité à mariage.

A l’instar des mariages célébrés en France, ils devront constituer un dossier complet, être auditionnés par l’officier de l’état civil et faire procéder à la publication des bans. Si le projet de mariage ne remplit pas les conditions de validité posées par la loi française, le parquet pourra s’opposer à la célébration, et bien entendu, le certificat ne sera pas délivré.

L’obligation d’obtenir un certificat de capacité à mariage figure déjà dans un décret du 19 août 1946. Mais, elle n’est que rarement respectée, car aucune sanction n’y est attachée.

Le projet propose donc une innovation importante : le fait de ne pas avoir obtenu ce certificat rendra désormais plus difficile la transcription du mariage.

En pratique, au moment de la demande de transcription, trois hypothèses seront susceptibles de se présenter, et dans chaque cas une réponse adaptée est prévue:

1ère hypothèse : les époux ont obtenu le certificat de capacité à mariage.

Dans la mesure où ils se sont soumis aux vérifications nécessaires, ils bénéficieront alors d’une présomption de bonne foi et la transcription leur sera en principe acquise. Seul un élément nouveau pourra justifier des vérifications supplémentaires, mais le parquet devra se prononcer dans les six mois, faute de quoi la transcription sera automatique.

2ème hypothèse : les époux se sont mariés devant l’autorité étrangère malgré l’opposition du ministère public.

En application du principe d’indépendance souveraine des Etats, nous savons que même si le parquet fait opposition au mariage, les autorités étrangères pourront décider de ne pas suivre cet avis.

Dans ce cas, la transcription ne sera possible qu’à condition que les époux aient obtenu du tribunal la mainlevée de l’opposition du parquet.

Enfin, 3ème et dernière hypothèse : les époux se sont mariés sans avoir accompli les démarches en vue de la délivrance du certificat de capacité à mariage.

Dans ce cas, le projet prévoit que la demande de transcription donnera obligatoirement lieu à une audition par l’autorité diplomatique ou consulaire, et, qu’en cas de doute sur la validité du mariage, le dossier sera transmis au parquet.

En effet, dans cette hypothèse, il n’y a plus lieu de les faire bénéficier de la présomption de bonne foi, et par conséquent, si le parquet n’autorise pas expressément la transcription, ils devront saisir le tribunal. A cette occasion, la validité de leur mariage pourra être examinée.

Sur ce point, votre commission a souhaité introduire une exception au principe de l’audition systématique prévu par l’article 171-7. Elle propose que la transcription puisse être ordonnée sans audition, lorsque l’autorité consulaire dispose déjà d’éléments qui lui permettent d’écarter tout risque de mariage de complaisance ou forcé. Cette décision devra alors être motivée sur les éléments de faits qui permettent d’écarter ce risque.

Je comprends l’objectif qui est poursuivi par cet amendement, dont j’estime par ailleurs qu’il apporte des garanties suffisantes. J’y suis donc favorable.

III. J’en viens maintenant au dernier volet du projet de loi, qui concerne la procédure de vérification des actes de l’état civil faits à l’étranger.

Le régime juridique des actes de l’état civil étranger est actuellement prévu à l’article 47 du code civil.

Si le principe est celui de la force probante des actes de l’état civil étranger, le législateur de 2003 avait aménagé un mécanisme de sursis administratif et de vérification judiciaire des actes douteux.

Toutefois, celui-ci s’est révélé trop lourd et complexe à mettre en œuvre, et n’a pas permis de mettre fin à l’augmentation significative des fraudes.

C’est pourquoi, le projet propose de le simplifier en donnant à l’administration le pouvoir de rejeter les actes étrangers qui, après toutes vérifications utiles, se révèlent être irréguliers ou frauduleux.

A cet égard, votre commission a judicieusement proposé deux amendements qui me paraissent améliorer la précision juridique de l’ensemble.

D’une part, elle suggère que l’examen de ce texte permette d’apporter une correction à l’article L 111-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2007, celui-ci prévoit que « la légalisation ou la vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. »

Or l’article 47 ne comporte aucune disposition relative à la légalisation des actes de l’état civil étranger, qui relève de la compétence des services consulaires.

Il est donc tout à fait justifié de supprimer la référence à la légalisation dans l’article L 111-16.

D’autre part, votre rapporteur propose de modifier la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, afin d’y préciser que par dérogation au régime de droit commun, le silence gardé pendant plus de huit mois par l’administration dans le cadre du sursis aux fins de vérification d’un acte étranger, vaut rejet implicite.

Il s’agit d’une précision utile que le Gouvernement avait prévu d’apporter par voie règlementaire et si votre assemblée estime nécessaire de passer par la loi, je ne peux m’y opposer.

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Mesdames et Messieurs les sénateurs, au terme de cet exposé, permettez-moi de remercier à nouveau votre commission des lois, et en particulier son président et son rapporteur, dont le travail rigoureux et très constructif a permis d’apporter de réelles améliorations à ce projet de loi.

Ces débats démontrent que nous partageons le souci de rétablir l’équilibre entre la liberté fondamentale du mariage et le contrôle de la régularité de l’intention matrimoniale.

Je crois que le texte qui vous est soumis présente un dispositif abouti qui contribuera à préserver la valeur de l’institution matrimoniale dans notre société.

Je vous remercie.