[Archives] Projet de loi de prévention de la délinquance
Publié le 21 novembre 2006
Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux lors du vote du projet de loi au Sénat
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance répond aux attentes et aux souhaits des acteurs locaux de terrain, des élus et les dispositions nouvelles qu’il contient apportent des solutions efficaces et opérationnelles aux problèmes posés par la délinquance.
Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j’ai rencontré un grand nombre de personnes qui luttent contre la délinquance et plus récemment les acteurs de terrain de Seine Saint Denis : préfet, magistrats, services de police, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, puis une partie des élus de ce département. Le 7 novembre dernier, l’ensemble des procureurs généraux et des procureurs de la République, les préfets et les recteurs ont été réunis pour examiner les moyens d'améliorer la coordination de leurs actions. Enfin vendredi dernier, je me suis rendu en Seine Saint Denis pour participer à un conseil départemental de prévention de la délinquance. J’ai poursuivi la rencontre que j’avais eue avec les élus de ce département en septembre, en réunissant une douzaine d’autres maires.
J'ai été frappé par leur unanimité à dénoncer certaines situations qu'ils ont du mal à maîtriser. Au delà des clivages politiques, ils ont affirmé leur besoin d’informations sur les suites judiciaires données à telle ou telle affaire qui s’est déroulée dans leur commune et qui concerne leurs administrés.
Analysant la délinquance des mineurs, ils ont souligné que celle-ci est constituée avant tout par un noyau dur de multirécidivistes, qui reviennent dans leurs cités en sortant du tribunal. Ils ont ajouté que ceux qui commettent des délits graves sont de plus en plus jeunes et que leur passage à l’acte est souvent très violent, que les vols à la tire et à la portière explosent et que les agressions contre les forces de l'ordre deviennent de plus en plus fréquentes.
Ils ont souhaité que les mineurs soient sanctionnés dès le premier délit et ont rappelé que ce qui importe, c’est la rapidité de la sanction et l’effectivité de la peine, c’est à dire son exécution.
Evoquant la banalisation de la consommation et du trafic de drogues parmi les jeunes, ils ont indiqué que certains organisent des ventes à 150 mètres du commissariat et fument du cannabis dans la cour de leur collège, insistant sur le fait que le sentiment d'impunité qui se répand contribue au développement de la délinquance.
Enfin, ils m’ont fait part de leur inquiétude en précisant qu’en Seine Saint Denis, 15 000 enfants sont déscolarisés et que leur absence de l’école, qui atteint parfois jusqu'à 20 jours par mois, conduit directement à la délinquance.
Face au découragement ou à la colère de certains, je suis convaincu que si la loi ne peut tout résoudre, le projet de loi que vous allez examiner aujourd’hui apporte des réponses à chacun des problèmes évoqués, en renforçant la lutte contre la délinquance des mineurs, en combattant la banalisation de la consommation de drogues qui conduit au trafic, en diversifiant la réponse pénale grâce à la création de nouvelles infractions.
I) La délinquance des mineurs n’est pas une fatalité et n’est pas non plus le fruit du renoncement de l’Etat à exercer son autorité.
Elle constitue une priorité que les magistrats ont prise en compte, en s’efforçant d’apporter une réponse pénale à la fois systématique, rapide et graduée. Deux chiffres illustrent cette volonté :
- En 2005, plus de 168 000 affaires concernant les mineurs ont été traitées par l’ensemble des parquets.
- Le taux de réponse pénale est en constante progression : de 77,7% en 2000, il est passé aujourd’hui à 85,5%.
Je voudrais vous présenter les mesures qui me semblent les plus significatives pour répondre à la délinquance des mineurs.
Il faut d’abord lutter contre le sentiment d’impunité qui se développe chez certains mineurs.
La fin de l’impunité passe par des procédures judiciaires plus rapides. C’est pourquoi, un dispositif de présentation immédiate des mineurs de 16 à 18 ans, encadré par des conditions précises, sera mis en place.
Actuellement, un mineur dispose d’un délai de 10 jours à un mois avant sa comparution devant le Tribunal pour enfants dans le cadre de la procédure de jugement à délai rapproché. Le projet de loi, tel qu’il vous est présenté, prévoit la possibilité d’y renoncer, permettant ainsi de le juger à la première audience utile. Ainsi un mineur interpellé le matin pourra comparaître dans l’après-midi, si le tribunal pour enfants est en mesure de se réunir.
Mettre fin au sentiment d’impunité, c’est permettre au parquet de développer encore davantage les alternatives aux poursuites, qui évitent les classements « secs ». La composition pénale, applicable jusqu’à présent aux majeurs, le sera aux mineurs de 13-18 ans.
Mettre fin au sentiment d’impunité, c’est, comme le prévoit le projet de loi, limiter le nombre d’admonestations et de remises aux parents. C’est aussi pouvoir éloigner durant quelques semaines un mineur dès l’âge de 10 ans d’un milieu délinquant.
Mettre fin au sentiment d’impunité, c’est s’assurer que la peine prononcée sera exécutée. A partir de janvier 2007, des bureaux d’exécution des peines pour mineurs seront mis en place dans toutes les juridictions pour faire en sorte que, dès la sortie de l’audience ou du cabinet du juge, le mineur soit pris en charge et commence à exécuter sa peine.
Mettre fin au sentiment d’impunité, c’est enfin faire en sorte que les maires soient informés des suites données à une affaire lorsqu’ils le demandent, comme nous l’avons fait récemment en faveur des chefs d’établissements scolaires qui signalent des faits au parquet.
Mais je n’oublie pas que la réinsertion des jeunes passe aussi par l’insertion professionnelle. L’obligation de suivre une mesure d’activité de jour, telle qu’elle est créée par le nouveau texte, prend en compte cet impératif.
II) Agir contre la délinquance, c’est aussi agir contre la banalisation de la consommation de stupéfiants et contre leur commerce, activité qui concerne aussi bien les mineurs que les majeurs.
Pour tout consommateur de drogues, je souhaite renforcer le dispositif des injonctions thérapeutiques, car celui qui est confronté à la drogue peut avoir besoin d’un suivi médical.
L’injonction thérapeutique pourra être prononcée comme modalité d’exécution d’une peine. Elle prendra la forme d’une mesure de soins ou de surveillance médicale.
Elle sera étendue aux personnes ayant commis une infraction dont les circonstances révèlent une addiction aux boissons alcooliques. L’injonction pourra permettre de traiter la cause de cette délinquance afin d’éviter son renouvellement.
Mais il faut aller plus loin que la mesure de soin.
L’usage de stupéfiants ou l’abus d’alcool ne doit plus jamais constituer une excuse lorsqu’il aboutit à la commission d’une infraction.
Cette période de tolérance est révolue.
Commettre une infraction sous l’emprise d’un produit stupéfiant ou en état d’ivresse manifeste constituera une circonstance aggravante. Il en sera de même pour le délit de provocation à l’usage de stupéfiants se déroulant aux abords d’un établissement scolaire ou bien encore dans les locaux de l’administration.
Je souhaite également rendre la réponse pénale plus diversifiée et plus systématique en matière de consommation de drogues en permettant l’utilisation de l’ordonnance pénale pour les majeurs et de la composition pénale pour les mineurs.
III) S‘agissant des violences urbaines, je souhaite diversifier la réponse pénale par la création de nouvelles infractions et le renforcement de certaines sanctions.
Une infraction spécifique sera créée en cas de violences volontaires graves sur les agents de la force publique commise avec arme en bande organisée ou avec guet-apens, qui sera punie de 15 ans de réclusion criminelle. Il faut que ceux qui s’attaquent aux forces de l’ordre, aux agents de l’administration pénitentiaire, aux pompiers, aux agents de transports publics, sachent que lorsqu’ils tendent un guet-apens ou s’organisent pour exercer des violences, ils risquent de se retrouver devant une cour d’assises.
Je souhaite également que l’on puisse punir les embuscades, alors même qu’elles n’ont pas atteint leur cible et étendre la répression à tous ceux qui les organisent. Cette nouvelle infraction permettra de sanctionner tous ceux qui se trouvent sur le lieu de l’embuscade, s’il est démontré qu’ils ont participé à sa préparation.
Je veux également aggraver les sanctions en matière de rébellion, en faisant passer le quantum de peine applicable de 6 mois à 1 an d’emprisonnement : cette aggravation des peines permettra notamment d’appliquer aux mineurs ayant commis des faits de rébellion la nouvelle procédure de présentation immédiate.
Enfin, ceux qui appellent à l’émeute et qui incitent les habitants d’un quartier à s’opposer à l’action de la police doivent pouvoir être sanctionnés d’une peine d’emprisonnement de deux mois, et non pas d’une simple peine d’amende, ce qui permettra notamment de les placer en garde à vue.
Comme vous le voyez, notre détermination à faire appliquer la loi et à protéger ceux qui la servent est totale.
Mais cette politique dynamique ne peut prospérer que si nous cherchons à rendre nos sanctions plus éducatives.
C’est pourquoi, comme me l’ont demandé les élus de Seine Saint Denis, je souhaite que nous donnions un nouvel élan à la peine de travail d’intérêt général.
Le projet de loi prévoit la possibilité d’accomplir des TIG au sein de structures gérées par des personnes morales de droit privé exerçant des missions de service public, comme les bailleurs sociaux (HLM) ou les entreprises de transports en commun.
Par ailleurs, le projet de loi n’oublie pas les victimes puisqu’il crée une peine de sanction-réparation, qui obligera le condamné à indemniser sa victime sous le contrôle du procureur de la République ou de son représentant.
Son non respect sera sanctionné par une peine d’emprisonnement dont la durée aura été préalablement fixée par la juridiction de jugement.
Enfin je vous rappelle que ce projet de loi institue l’obligation d’accomplir un stage de responsabilité parentale qui permettra d’aider les parents de délinquants éprouvant des difficultés dans l’éducation de leurs enfants.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Sans remettre en cause les principes fondateurs de notre justice des mineurs ou de notre procédure pénale, le projet de loi que nous vous proposons aujourd’hui permettra d’améliorer le dispositif de lutte contre la délinquance. Il complètera utilement les textes adoptés ces dernières années dans le domaine de la justice et de la sécurité. Résultat d’un travail interministériel intense, il a été nourri de la concertation établie avec tous les partenaires impliqués dans les politiques de prévention de la délinquance et des multiples expérimentations mises en œuvre dans les quartiers les plus difficiles. Il nous permettra de répondre aux aspirations de nos concitoyens à la tranquillité et à la sécurité.
Je vous remercie de votre attention.