[Archives] Projet de loi de modernisation de la Justice du 21e siècle #J21

Publié le 17 mai 2016

Discours de Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Intervention de Monsieur Jean-Jacques URVOAS

garde des Sceaux, ministre de la Justice

 

Discussion en séance publique du Projet de loi de modernisation

de la Justice du 21e siècle #J21

 

Assemblée nationale - Mardi 17 mai 2016

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Madame,

Messieurs les rapporteurs,

Monsieur le Pdt de la Commission,

Depuis 3 mois et 19 jours, j’ai déjà eu l’honneur – à plusieurs reprises - de m’adresser à votre assemblée.

Je l’ai fait pour défendre le projet de loi constitutionnel portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) aux fins de renforcer l’indépendance de la magistrature.

Je l’ai fait aussi pour présenter le projet de loi réformant la procédure pénale que nous aurons l’occasion de réétudier jeudi prochain après une Commission mixte paritaire (CMP) réussie.

J’ai aussi eu l’honneur de dire mon appui à la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale à laquelle Alain Tourret et Georges Fenech ont attaché – et de quelle façon – leur nom.

A chaque fois, mon ambition était précise, concrète, pragmatique.

 A mes yeux, en effet les idées ne sont pas vraies ou fausses, elles sont ou non utiles.

Je suis ainsi convaincu que vouloir tout embrasser, c’est risquer de ne rien pouvoir résoudre.

Et que prétendre apporter des réponses à tout, c’est la garantie de se perdre dans les apparences.

C’est avec ce même esprit je viens vous présenter un texte qui parle d’avenir.

Vous connaissez la phrase de Woody Allen : « Je m’intéresse à l’avenir, parce que c’est là que j’ai décidé de passer mes prochaines années » !

De la même manière qu’il le dit, s’intéresser à l’avenir de la Justice comme à la Justice de l’avenir, c’est nous conjuguer au futur et nous projeter dans nos prochaines années.

Et nous n’avons pas envie d’y retrouver les problèmes et les préoccupations du présent.

C’est donc l’ambition unique de ce projet de loi de modernisation de la Justice du 21e siècle.

 

Pour dessiner le chemin, pour connaître la route à suivre, il y a deux méthodes : soit on part des grandes théories, soit on part du réel.

Car être pragmatique, ce n’est pas renoncer aux grandes ambitions.

Le réel, c’est quoi ?

Ø  Le réel, c’est la vie des citoyens, des justiciables qui patientent des heures, des jours, des mois, avant leur audience devant le juge ou avant de recevoir la décision qui peut bouleverser leur vie.

Pour le dire avec les mots de Montesquieu « souvent l'injustice n'est pas dans le jugement, elle est dans les délais ».

Ø  Le réel, c’est la représentation que les Français ont de leur Justice : 88% la jugent trop complexe, 95 % la trouvent trop lente.

Ø  Le réel, c’est l’expérience quotidienne des magistrats, des greffiers, des fonctionnaires administratifs et tous ceux qui font œuvre de justice, et qui vivent les lourdeurs administratives, l’encombrement des dossiers, les emplois du temps et les bureaux surchargés.

C’est cela le réel ! Et il porte leurs visages et leurs questions, et à chacune d’entre elles, nous devons apporter une réponse.

C’est pourquoi nous avons voulu raisonner à partir des inquiétudes, des préoccupations, des attentes et des besoins des citoyens, des justiciables, des juridictions.

Chaque disposition, chaque mesure, chaque amendement, a été pensé, réfléchi, comme on compose un bouquet de fleurs japonais.

J’ai lu que ce texte était jugé « fourre-tout », je n’en nie pas l’apparence, mais je revendique pour autant l’originalité porteuse de cohérence.

Il fut présenté en Conseil des ministres en juillet 2015 et débattu au Sénat en novembre 2015 qui l’arasa sévèrement.

Il n’ouvre pas de nouveaux chantiers : puisque le temps et les finances nécessaires nous manquent.

Il n’allume pas de nouveaux brasiers, mais il éclaire les problèmes par des solutions, et cherche à résoudre les conflits, par l’apaisement.

L’apaisement, l’efficacité, la confiance, l’indépendance, ne sont pas des ordres qui se décrètent ; ce sont des graines qui se sèment.

Ce projet de loi vise en quelque sorte à faire de la Justice un jardin à la française, avec les outils dont elle aura besoin pour être cultivée.

Il convient de distinguer :

-       le projet de loi organique pour lequel je tiens à saluer le travail de la rapporteure Cécile Untermaier ;

-       et le projet de loi ordinaire pour lequel je tiens à saluer celui des rapporteurs Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément.

I.              Projet de loi organique

Le Président de la République a souhaité que ce jardin à la française, pour filer ma métaphore, ait la forme de l’indépendance, de la transparence et de l’exemplarité.

C’est la raison pour laquelle, je vous propose des avancées importantes en matière statutaire, comme :

Ø  la création d’un statut pour le Juge des libertés et de la détention (JLD) qui serait nommé comme juge spécialisé :

C’est la suite logique de l’accroissement continu des pouvoirs qui lui ont été donnés depuis sa création par la loi du 15 juin 2000, tant en matière pénale que civile.

Il est le juge protecteur des libertés individuelles et contrôle de plus en plus les actes et les décisions les plus intrusives.

Il a donc besoin de garanties statutaires car sa fonction n’est pas aujourd’hui assez valorisée, afin d’attirer des magistrats confirmés qui seront dotés de larges pouvoirs.

Ø  Des dispositions visant à ouvrir le corps de la magistrature pour favoriser le détachement ou l’intégration d’autres profils que ceux recrutés par la voie classique du concours républicain

Ø  La mise en place, au sein de la magistrature, de règles édictées pour satisfaire les exigences de transparence de la vie publique (déclarations d’intérêts et pour certains, déclarations de patrimoine).

Ayant été le rapporteur de la loi relative à la transparence de la vie publique, vous savez combien je suis particulièrement attentif à ces questions et donc heureux de pouvoir continuer à porter ces avancées.

Il y a d’autres dispositions, mais je vous ferai la grâce d’un inventaire à la Prévert, puisque comme disait Voltaire : « le secret d’ennuyer est celui de tout dire » !

II.            Projet de loi ordinaire

J’arrive à présent au projet de loi ordinaire.

Dans le préambule du code civil, Portalis écrit que : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur (…) ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les Hommes, et non les Hommes pour les lois ».

Le projet de loi que je vous propose vise justement à créer les conditions permettant à la Justice d’être mieux adaptée aux attentes des justiciables et aux besoins des juridictions : en somme, une Justice faite pour les Hommes !

Le titre II, par exemple, favorise le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges

Les titres III et V, renforcent l’efficacité du fonctionnement de la justice :

Ø  Nous proposons la systématisation de la sanction de certains délits routiers par une peine forfaitisée, tout en respectant le droit actuel.

Autrement dit, je ne vous propose pas de les contraventionnaliser…

Mon unique perspective est que la sanction soit plus rapide et plus sévère qu’aujourd’hui.

Ø  Nous donnons à l’action de groupe un socle procédural commun, décliné en matière de discriminations, de discriminations au travail, mais désormais aussi de santé, d’environnement et de données numériques.

Nous aurons ainsi un vrai bloc cohérent plutôt que des dispositions éparses dans des textes thématiques.

Ø  Nous supprimons les tribunaux correctionnels des mineurs puisqu’ils ne traitent qu’1% des contentieux et s’avèrent moins sévères que les tribunaux pour enfants !

Le candidat François Hollande en avait pris l’engagement dans un courrier adressé à l'Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famillele 26 avril 2012.

Le sénat l’avait voté en juin 2014, de nombreuses voix de députés l’on régulièrement réclamé.

Aussi, le gouvernement a donné en Commission un avis favorable à un amendement visant à les supprimer.

 

Il est essentiel que la justice des mineurs soit davantage spécialisée et que les réponses soient plus individualisées.

Il doit y avoir une primauté de l’éducatif quand nous traitons de la délinquance des mineurs.

Le Titre IV, enfin, recentre le juge sur sa mission essentielle de trancher les litiges par l’application du droit et décharge les juridictions de missions annexes qui lui détournent de contentieux où leur présence est bien plus nécessaire.

C’est aussi cela, reconnaître le métier de juge, le valoriser et le respecter.

 

Ø  Nous proposons de supprimer l’homologation des plans de surendettement des particuliers, dont 98% ne font l’objet d’aucun litige

Ø  Par ailleurs, il y a eu 168 000 PACS en 2013.

Nous souhaitons donc transférer l’enregistrement des PACS aux officiers d’état civil, et y ajouter le transfert de la procédure de changement de prénom.

En contrepartie, de nouvelles mesures de simplification en matière d’état civil sont proposées aux communes, et notamment la possibilité de ne plus avoir, à certaines conditions, l’obligation d’établir un double original de l’état civil.

Il me semble qu’ainsi personne ne sera perdant ; ni l’Etat ni les collectivités locales.

Ø  Enfin, concernant le divorce par consentement mutuel, qui n’aura plus à passer devant un juge.

C’est d’abord une question de bon sens étymologique !

Si nous lisons notre Littré :

·        «  Consentement » signifie être en accord, s’accorder sur quelque chose, accepter qu’une chose se fasse.

·        « juge  » : « celui auquel on attribue le soin d'arbitrer un différend, de résoudre une question».

S’il n’y a pas de différend, s’il n’y a pas désaccord, le couple n’a pas besoin d’un juge.

Pardonnez-moi cette tautologie, mais le juge est fait pour juger !

Qui venait voir Saint-Louis, assis sous son chêne, sinon des personnes en désaccord ?

C’est une question de bon sens, c’est une mesure logique !

Or, pourquoi les couples concernés devraient attendre jusqu’à sept mois, selon les juridictions, pour passer devant le juge et signer leur divorce ?

Avec cette mesure, lorsque les époux sont d’accord pour divorcer, cela se fera par un acte signé par deux avocats, enregistré par le notaire.

Cela ne pourra se faire naturellement que dans certaines conditions, dans le respect du droit de chaque enfant à être entendu dans la procédure. Et les époux seront ainsi mieux protégés, en particulier la personne la plus faible, que ce soit financièrement ou psychologiquement, par le fait que deux avocats au lieu d’un soient présents.

L’équité, l’impartialité, les droits des enfants, la protection des plus faibles, sont tout autant sinon mieux garantis, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là.

Le divorce par consentement mutuel sans passer par un juge est :

-       un gain de temps pour le couple,

-       un désencombrement des journées du juge,

-       une simplification logique pour le fonctionnement de la Justice !

***

Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est le fruit de ce que Paul Valéry appelait « la coopération des esprits ».

Je suis convaincu que la discussion générale et les échanges qui suivront continueront à nourrir cette coopération.

 

Discours du garde des Sceaux

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