[Archives] Projet loi : amoindrir le risque de récidive criminelle - Sénat

Publié le 17 février 2010

Discours de Mme Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

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6 minutes

Monsieur le Président,

Monsieur le Président de la Commission des Lois,

Monsieur le Rapporteur, cher Jean-René LECERF,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Le texte soumis à votre examen a pour objectif d’amoindrir le risque de récidive criminelle. Il a été adopté par l’Assemblée Nationale le 24 novembre dernier.

Je veux saluer la qualité du travail effectué par votre commission, en particulier par votre rapporteur, le sénateur Jean-René LECERF.

La qualité de la loi dépend largement de la qualité de la coopération entre le Sénat et l’Assemblée, et entre le Gouvernement et le Parlement. Celle-ci s’est effectuée dans un climat de confiance, de franchise et de responsabilité. Je veux le saluer.

Le projet de loi répond à une double finalité.

Premièrement, compléter la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour trouble mental, comme l’a demandé le Conseil Constitutionnel.

Pour cela, le texte se fonde sur le rapport remarquable de M. Vincent LAMANDA, Premier Président de la Cour de Cassation.

Deuxième finalité de ce texte, renforcer la protection de nos concitoyens contre les criminels dangereux.

Aujourd’hui, l’incarcération est la première des réponses pénales contre les actes criminels graves. Pour autant, la prison n’est pas toujours une réponse suffisante. Des événements récents l’ont rappelé.

Face aux risques que font peser certains récidivistes, les Français attendent de l’Etat qu’il sache les protéger. Cela impose de la fermeté.

La loi du 10 août 2007 sur les peines planchers est pleinement appliquée.

Pour mieux prévenir la récidive, la fermeté doit aller de pair avec des réponses adaptées.

Certains criminels présentent un risque grave de récidive.

Il faut réduire leur dangerosité : dangerosité pour autrui, mais aussi dangerosité pour eux-mêmes.

Il faut donc renforcer leur suivi.

Suivi judiciaire, mais aussi médical et psychiatrique.

Suivi en prison, mais aussi en-dehors de la prison.

Le projet de loi consolide les mesures de sûreté prévues par la loi du 25 février 2008.

De nouvelles mesures visent à garantir un meilleur suivi des criminels dangereux en-dehors de la prison.

Le texte garantit l’effectivité des mesures de sûreté.

Sur la base du rapport LAMANDA, deux objectifs sont visés :

clarifier les conditions de placement en rétention de sûreté,

renforcer l’efficacité des mesures de surveillance de sûreté.

Les conditions de placement en rétention de sûreté seront clarifiées.

Le placement en rétention de sûreté supposera que l’intéressé ait été en mesure, pendant sa détention, de bénéficier d’une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée.

La mesure de rétention de sûreté n’interviendra que dans le cas où un renforcement des mesures de surveillance apparaîtront insuffisantes pour prévenir la récidive.

L’aide juridique sera garantie aux personnes placées en rétention de sûreté. Elles pourront ainsi bénéficier de l’assistance d’un avocat.

Deuxième objectif : renforcer l’efficacité des mesures de surveillance de sûreté.

Les possibilités de placement sous surveillance de sûreté seront étendues :

La surveillance de sûreté pourra intervenir à l’issue d’une surveillance judiciaire ayant accompagné une libération anticipée.

Elle sera aussi possible directement à la sortie de prison.

Si une personne est condamnée à une peine de prison pendant l’exécution des mesures de surveillance ou de rétention, ces mesures ne seront que suspendues. Elles pourront reprendre à l’issue de l’exécution de la peine.

Enfin, des personnes remises en liberté dans l’attente d’une procédure de révision pourront également être placées sous surveillance de sûreté.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

La protection des citoyens contre les criminels dangereux ne saurait se limiter au temps de l’incarcération.

La loi sur la rétention de sûreté nous a permis de franchir une première étape dans la prévention contre la récidive des infractions sexuelles ou violentes.

 

De nouvelles mesures nous permettront d’aller plus loin dans le suivi des criminels dangereux.

Trois finalités sont visées par le texte :

Renforcer le suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels,

Assurer le contrôle et la surveillance effectifs des criminels après leur libération,

Garantir une meilleure protection des victimes.

Renforcer le suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels.

Un traitement inhibiteur de la libido peut être administré dans le cadre d’une injonction de soin.

Il faut renforcer l’effectivité de cette mesure.

Si, dans le cadre du suivi socio-judiciaire, le condamné est soumis à une injonction de soin, tout refus du traitement anti-libido pourra conduire à une réponse immédiate.

Le non-respect de l’injonction de soin pourra être sanctionné :

par l’incarcération si la personne exécute sa peine en milieu ouvert ou si elle est sous surveillance judiciaire,

par le placement en rétention de sûreté si elle est sous surveillance de sûreté.

Si des incidents graves ou une interruption de traitement ont lieu, ils devront être signalés.

Nous savons bien que certains délinquants tentent de contourner leur traitement, soit en ne s’y soumettant pas, soit par la prise de médicaments interférant avec les effets du traitement.

Le texte voté par l’Assemblée prévoyait un mécanisme d’information centré sur le médecin coordonateur, dans le strict respect du secret médical. Votre commission des lois a supprimé ce dispositif.

L’efficacité suppose néanmoins que le juge soit informé par le médecin de toute interruption du traitement, sinon comment sanctionner le non-respect d’une obligation prononcée par ce juge ?

Le médecin coordonateur doit avoir l’obligation simple d’informer le juge sur l’exécution de la mesure, et non sur le protocole médical suivi.

La circulation de l’information renforcera ainsi la protection de tous.

Assurer le contrôle et la surveillance des criminels après leur libération.

Pour cela, il faut renforcer l’information des acteurs concernés.

Renforcer l’information des services enquêteurs.

La première des préventions contre la récidive, c’est de savoir où se trouvent les sortants de prison sur le territoire.

Je suis donc favorable à ce que soient communiquées aux services de police et de gendarmerie l’identité et l’adresse des criminels dangereux sortant de prison.

Le texte actuel limite cette information aux cas des détenus condamnés à des peines de plus de 5 ans. Pour assurer pleinement la sécurité de nos concitoyens, un seuil de 3 ans me paraîtrait plus adapté.

Pour renforcer l’efficacité du travail des policiers et gendarmes, il faut moderniser le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. Une interconnexion avec le fichier des personnes recherchées doit être envisagée.

Renforcer l’information des magistrats améliorera le traitement judiciaire des criminels dangereux.

Une meilleure connaissance du parcours individuel du condamné doit permettre au juge de mieux évaluer le profil et la dangerosité du condamné.

Il n’est pas acceptable qu’un cas de cannibalisme ait été déploré au centre pénitentiaire de Rouen parce que le juge n’était pas informé de l’état mental du détenu.

Il n’est pas tolérable qu’un juge doive prendre une décision sans disposer de tous les éléments, alors même que ces éléments existent mais sont dispersés.

Je souhaite que pour chaque détenu le justifiant soit créé un dossier unique de personnalité comprenant l’ensemble des expertises psychiatriques, psychologiques et autres enquêtes sociales réalisées dans le cadre d’une procédure pénale ou lors de l’exécution d’une mesure de sûreté.

De même, les mesures de sûreté et les décisions de surveillance judiciaire doivent être inscrites au casier judiciaire. L’autorité judiciaire doit avoir connaissance de ces éléments lorsqu’elle poursuit ou juge une personne qui a fait l’objet d’une telle mesure.

Mieux garantir la protection des victimes contre les multirécidivistes.

Il n’est pas tolérable qu’un criminel puisse, en sortant de prison, s’installer près des lieux où habite ou travaille la victime des faits qu’il a commis.

Dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’un aménagement de peine, la juridiction de jugement ou d’application des peines doit pouvoir interdire à un condamné de paraître dans les lieux où travaille ou habite sa victime.

Je souhaite que toute personne condamnée pour un crime sexuel et bénéficiant d’un aménagement de peine soit obligatoirement soumise à cette interdiction par le juge de l’application des peines, sauf décision  contraire motivée.

Aujourd’hui, quand les services de police ou de gendarmerie constatent la violation d’une interdiction de s’approcher de la victime, ils n’ont aucun moyen légal pour intervenir.

 

Je souhaite qu’il leur soit permis d’interpeller l’intéressé et, si le juge de l’application des peines l’estime nécessaire, de le déférer devant celui-ci éventuellement aux fins d’incarcération.

 

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Protéger les Français, ce n’est pas se contenter de sanctionner le criminel une fois le crime commis.

La protection des Français doit être préventive et proactive. Elle doit reposer sur l’évaluation lucide et efficace des risques de récidive.

En adaptant le suivi médico-judiciaire, en mutualisant les informations et en assurant la tranquillité des victimes, nous franchirons une étape supplémentaire dans la prévention de la récidive.

Première des libertés, la sécurité est la condition de toutes les autres. La garantir à nos concitoyens relève de notre responsabilité partagée.

Je vous remercie.