[Archives] Procédure pénale, le projet de loi examiné au Sénat

Publié le 29 mars 2016

Discours de Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Intervention de Monsieur Jean-Jacques URVOAS

garde des Sceaux, ministre de la Justice

 

Examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé,

le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité

et les garanties de la procédure pénale

 

Sénat – mardi 29 mars 2016

Seul le prononcé fait foi

Selon la légende, lorsqu’un événement survenait ou lorsqu’une nouvelle lui parvenait, Alexandre Le Grand avait l’habitude de réciter l’alphabet en entier, avant de prendre une décision.

Aller de l’alpha à l’omega était, pour lui, un moyen de calmer ses émotions et de préparer une décision raisonnée.

Au-delà de l’anecdote, cette légende nous rappelle combien il est nécessaire d’inscrire nos réflexions, nos décisions, dans la raison, plutôt que de les marier à l’émotion.

La raison des citoyens, c’est ce que l’historien d’Oxford, Sudhir Hazareesingh appelle « la raison « publique ».

Elle doit être notre meilleure arme et notre bouclier le plus protecteur.

C’est en tout cas dans cette perspective que j’ai l’honneur de vous présenter le projet de loi déposé par le gouvernement visant, notamment, à améliorer notre procédure pénale.

Sa discussion intervient dans un contexte particulier.

Si les attentats de Bruxelles ont connu une résonnance particulière dans notre pays, c’est parce qu’ils ont été commis par une même nébuleuse franco-belge. Ils démontrent les conséquences d’une capacité de coordination d’attaques, comme nous l’avions déjà observée à Bombay en 2008. Et ils viennent après d’autres actes barbares, commis notamment en Afrique où des citoyens français furent aussi tués.

Personne ne doute donc plus de cette dramatique réalité : le terrorisme est notre horizon quotidien au point qu’il n’est sans doute pas excessif de considérer qu’il est désormais l’une des principales sources de menaces pesant sur la sécurité mondiale.

Voilà pourquoi il faut continuer à affiner et à maintenir performant notre dispositif français de lutte antiterroriste.

C’est ainsi le premier point que je souhaite évoquer devant vous, répondant ainsi plus complètement à une légitime interrogation du sénateur Collombat en Commission qui questionnait sur la cohérence des différents textes dont votre assemblée est régulièrement saisie 

Conserver la cohérence de notre dispositif antiterroriste

La France a souvent fait figure d’avant-garde avec la structuration de son dispositif antiterroriste.

Sans remonter trop loin, c’est à partir de 1981, avec le renforcement de la menace, que le droit entreprend de s’adapter aux nécessités de la lutte contre le terrorisme :

§  C’est l’objet de la loi du 21 juillet 1982, qui crée les assises spéciales à la suite de menaces sur les jurés par les complices du terroriste Carlos.

Toutefois, cette décision ne s’est alors pas accompagnée de la création d’une incrimination terroriste propre. Sans doute à l’époque, des espoirs existaient-ils de pouvoir réduire le problème par d’autres moyens.

Cette seconde étape nécessitera 5 ans de maturation.

§  Ce seront les deux lois de septembre 1986 (lois inspirées par les juges Boulouque et Marsaud) qui permettront le franchissement d’un pas décisif. Des lois adoptées à la suite notamment des attentats de la Galerie des Champs-Elysées puis de la rue de Rennes qui firent 7 morts.

Ces textes (surtout celui du 9 septembre) sont devenus la clé de voûte de notre doctrine fondée sur les principes suivants :

-  La définition de l’acte de terrorisme,

-  Son traitement judiciaire des activités terroristes,

-  La centralisation parisienne des poursuites, des enquêtes et des jugements

-  La spécialisation des policiers et des magistrats (parquet et instruction).

§  Puis, ce sera la création de « l’infraction d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » par la loi du 22 juillet 1996.

Tous ces textes s’organisent autour d’une volonté propre à notre Etat de droit : prévenir l’action en organisant la répression.

Et il me semble que plus personne ne remet aujourd’hui en cas cette logique. C’est cette même logique que l’on retrouve dans les textes les plus récents.

§  La loi du 21 décembre 2012 a introduit la compétence universelle, en matière de lutte contre le terrorisme.

§  La loi du 13 novembre 2014 a renforcé de très nombreuses dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, eu égard à la police judiciaire et administrative.

C’est encore dans la même veine que s’inscrit le présent projet. Un texte qui constitue une réponse supplémentaire, une réponse complémentaire.

Il est à l’origine l’œuvre de trois ministères avançant d’un même mouvement ; les ministères de l’Intérieur, de l’Economie et de la Justice.

Une volonté commune autour de 3 ambitions :

§  renforcer les moyens des magistrats dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ;

§  renforcer les garanties au cours de la procédure pénale, particulièrement au cours de l’enquête et de l’instruction, pour rendre notre procédure totalement conforme aux exigences constitutionnelles et européennes ;

§  procéder à des simplifications, à tous les stades de la procédure, qui faciliteront le travail des enquêteurs et des magistrats.

Un texte qui nous rassemble

En matière de lutte contre le terrorisme, ce projet de loi nous permet de poursuivre l’échange entamé dans l’hémicycle, lors de la discussion de la Proposition de loi de Philippe Bas, le 2 février dernier, et devant votre commission la semaine passée.

Ces échanges ont déjà bien balisé notre progression. Ainsi, nous sommes d’accord sur bien des points :

§  la question des perquisitions de nuit ;

§  le suivi socio-judiciaire en cas de condamnation pour terrorisme ;

§  la captation de données informatiques.

Il me semble que sur les 102 articles de ce texte tel que votre Commission des lois l’a adopté, je n’en repère que 6 sur lesquels nous avons – à ce stade – des divergences de vue.

Nous voici donc devant un verre plein au ¾ !

Grâce d’ailleurs aux approches positives dont la Commission mais aussi le gouvernement ont su faire preuve.

Je souhaite que nous puissions continuer à construire cette convergence. Et pour y parvenir, le gouvernement va se garder d’emprunter deux voies qui sont autant de mauvaises conseillères : l’émotion et l’instrumentalisation.

Parce que l’une, comme l’autre, nous fait tomber d’un côté ou de l’autre, alors que tout doit être une question d’équilibre.

Et ce n’est pas un hasard si l’image de la balance est celle de la Justice. Cet équilibre, ce n’est pas seulement le but, c’est aussi le moyen.

C’est aussi la méthode.

Jacqueline de Romilly expliquait que, dans la Grèce antique, à Athènes, la démocratie était avant tout un ton, une méthode, une attitude, une manière d’être.

De surcroît, je suis convaincu que vous partagez les deux directions qui résument l’action du Ministère de la Justice dans ce texte.

Je fais bref car j’ai déjà eu l’honneur de développer déjà longuement devant la Commission des Lois.

1)           Renforcer les garanties durant la procédure pénale, en assurant notamment la place du contradictoire

Le contradictoire, c’est ce qui a permis d’inventer la Justice.

C’est ce qui a permis de dépasser la violence et de prendre le temps de s’asseoir au pied des chênes !

Nous avons donc souhaité renforcer le contradictoire et la présence de l’avocat dans la procédure, et créer des mesures renforçant la possibilité d’exercer des recours.

2)           Simplifier les procédures

Les problèmes se complexifient, donc les tâches doivent se simplifier, doivent être simplifiées !

Les enquêteurs et les magistrats, notamment du parquet et de l’instruction, sont accaparés par trop de contraintes procédurales. Et toutes ces contraintes ne constituent aucunement des garanties pour les citoyens !

Nous vous proposons donc de les alléger.


***

Vous l’aurez compris, ce texte est de grande ampleur, parce qu’il avance sur tous les fronts et qu’il s’inscrit dans une vision globale du sujet.

C’est pourquoi d’ailleurs deux commissions du Sénat se sont saisies pour avis :

§  la commission des affaires étrangères et de la défense sous la responsabilité de Philippe Paul ;

§  la commission des finances dont Albéric de Montgolfier est le rapporteur.

Je veux saluer la qualité de leur contribution tout comme celle, encore plus conséquente du rapporteur Michel Mercier.

Et vous dire en conclusion la disponibilité du gouvernement, pour continuer, dans une recherche permanente de dialogue avec le Sénat à progresser ensemble au nom des valeurs qui réunissent la communauté nationale et qui font battre le cœur de notre Etat de droit.