[Archives] Prévention de la délinquance - Maison de l’avocat de Pontoise

Publié le 04 mai 2010

Colloque de Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la Justice

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Mesdames, Messieurs,

C’est avec enthousiasme que j’ai répondu à l’invitation de M. Eric Azoulay, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du barreau du Val d’Oise, organisateur de ce colloque dédié à la prévention de la délinquance, thème qui vous me le savez me tient particulièrement à cœur.

Je veux au préalable remercier l’ensemble des organisateurs et participants et me réjouis tout particulièrement de la présence de Monsieur Jacques Toubon, ancien Garde des Sceaux, que je suis heureux de revoir, de Monsieur le Préfet du val d’Oise, de Madame la Présidente du tribunal de grande instance de Pontoise,  de Madame le procureur de la République, de Madame la présidente du tribunal administratif et de monsieur le directeur de la maison d’arrêt du Val d’Oise.

Je gage que ces travaux permettront d’enrichir notre réflexion collective et de favoriser la mise en commun des bonnes pratiques, que ce soit à l’échelon local ou national.

Je connais les efforts qui sont déployés dans le Val d’Oise pour mieux traiter la délicate question de la récidive des mineurs,  et je sais notamment qu’un plan départemental de prévention de la délinquance sera présenté au conseil départemental de prévention de la délinquance qui se réunira le 6 mai prochain.

Votre département est en effet marqué comme tant d’autres par une importante délinquance juvénile.  J’observe que le nombre des mineurs mis en cause a connu une progression de + 17,32% entre 2007 et 2009. C’est dire l’importance de ce débat et l’urgence qu’il y a à optimiser les dispositifs de prévention, voire à les compléter par une meilleure synergie de l’ensemble des acteurs impliqués.

Je ne suis pas venu en donneur de leçons sur ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire car je suis bien placé, en ma qualité d’élu local, pour mesurer la complexité de cette question. Toutefois, je pense que beaucoup d’enseignements peuvent être dégagés des expériences menées sur le terrain en direction des mineurs délinquants ou en rupture.  Nous avons parfois sans le savoir un des gisements d’initiatives qui ont fait leurs preuves et qu’il nous appartient de valoriser, de conforter puis de généraliser.

I-                  Optimiser les actions locales et nationales pour bâtir une politique cohérente de prévention de la délinquance

 

Pas une semaine ne se passe sans que des faits de violence mettant en cause des mineurs ou des jeunes majeurs ne se produisent dans les transports en commun, dans l’enceinte des établissements scolaires ou sur la voie publique.

Mon parcours et mes prises de position le démontrent, j’ai toujours eu la conviction qu’il fallait rompre avec un certain angélisme consistant à absoudre les faits de délinquance commis par certains mineurs au motif que de tels actes trouveraient leur explication et leur justification dans les phénomènes d’exclusion sociale et de discrimination frappant les quartiers populaires.

Opposer la prévention à la sanction conduit à l’impuissance.

Si en voulant trop punir ou trop vite, on manque l’objet de la peine qui vise à prévenir la réitération, en refusant de punir, c’est la loi qu’on oublie, laissant ainsi les mineurs hors la loi et dans le seul champ de la violence.

C’est d’ailleurs tout le sens de l’ordonnance de 1945 d’allier de manière cohérente et complémentaire l’éducatif et le répressif et qui permet, à un âge où tout est encore  possible, d’agir sur les causes profondes de la délinquance  tout en luttant avec fermeté contre ses effets.

C’est dans cet esprit, en tant que Secrétaire d’Etat à la Justice que j’ai confié à Monsieur Jean-Marie Ruetsch, en cohérence avec les objectifs du nouveau Plan National de Prévention de la Délinquance et d’Aide aux Victimes un rapport  dédié à cet enjeu.

Ma démarche s’inscrit dans la continuité de celle définie lors de la création en janvier 2006 du comité interministériel de prévention de la délinquance  et dans la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance qui ont consacré la mise en œuvre d’une politique autonome  de prévention de la délinquance, complémentaire des actions de répression et réellement interministérielle.

J’observe toutefois que certains obstacles au déploiement d’une politique nationale de prévention subsistent.

►L’accent est encore insuffisamment mis sur la prévention sociale et éducative des mineurs.

►La délinquance des mineurs dont chacun constate aujourd’hui les évolutions (phénomènes des bandes, délinquance des filles, précocité et gravité des actes commis)  est un phénomène complexe à appréhender, et il est essentiel que l’ensemble des acteurs puissent mettre en commun leurs outils d’analyse, croiser leurs approches, pour mieux connaître et mieux agir contre ces évolutions récentes.

►Les politiques publiques souffrent d’une insuffisance de passerelles entre protection de l’enfance et prévention de la délinquance juvénile. Je sais que nombre de juges des enfants ont simultanément à connaître et pour les mêmes mineurs d’une action d’assistance éducative et d’une action pénale. Toutefois,  institutionnellement, une difficulté demeure : celle du trop grand cloisonnement entre les compétences du conseil général et celles données aux maires et aux pouvoirs publics en matière de prévention de la délinquance juvénile. Ainsi s’explique notamment la difficile mise en place des conseils pour les droits et devoirs des familles, dont l’efficacité suppose un travail conjoint avec les services du conseil général, au contact avec les familles.

►De plus, si la prévention de la délinquance figure désormais à l’agenda des politiques publiques, elle donne encore le sentiment d’un champ insuffisamment délimité au pilotage opérationnel administratif hétérogène  et aux allures de mille-feuilles qui pourrait gagner en harmonisation et en lisibilité.

J’ai la conviction que la prévention de la délinquance doit reposer sur une approche globale, transversale et favoriser la mise en œuvre d’une véritable démarche partenariale, qui reste aujourd’hui à parfaire. C’est dans ce contexte que j’ai confié à M.RUETSCH en novembre dernier une mission visant au final à permettre l’impulsion d’un nouveau projet de prévention.

II-                Impulser un nouveau projet de prévention

Il ressort de cette mission que la prévention de la délinquance des mineurs et des jeunes majeurs constitue un champ fertile propice à des innovations locales très nombreuses, mais qui restent en France éparpillées et peu articulées avec les politiques nationales, alors que certaines « bonnes pratiques » pourraient être facilement généralisables.

Le premier travail réalisé a consisté à opérer un état des lieux des politiques de prévention fondé sur une présentation de ses  différents volets.

 Il s’agit ainsi de combiner :

-          la prévention situationnelle qui contribue à créer des conditions matérielles optimales pour empêcher la commission d’un acte délinquant en limitant les opportunités

-            la prévention sociale et éducative visant à favoriser la construction de l’individu autour des valeurs qui structurent le vivre ensemble pour diminuer en amont le risque du passage à l’acte.

-          la prévention de la récidive qui vise à pérenniser les résultats obtenus, par un suivi continu post-pénal ou médico- social, en évitant l’absence brutale de tout suivi.

Ainsi on arrive au constat qu’une politique efficace de prévention doit s’articuler autour de plusieurs modèles de prévention et reposer  in fine sur l’idée de parcours de prévention adapté au mineur et à ses conditions de vie.

La mission conduite par Jean-Yves Ruetsch conduit à un diagnostic d’ensemble centré sur trois constats essentiels:

► une absence de connaissance fine du phénomène de la délinquance juvénile générée par une dispersion des sources et des travaux insuffisamment recoupés.

► une carence en termes de coordination opérationnelle entre les partenaires, entrainant une absence de vision partagée de la prévention de la délinquance.

►un manque de politiques véritablement globales et intégrées.

Sur le fondement de ces trois points forts du diagnostic, le rapport dégage plusieurs objectifs prioritaires :

► la nécessité de créer un outil d’évaluation du phénomène et des actions conduites ;

► la nécessité de définir un socle commun, matrice des politiques et des actions de prévention ;

► la nécessité de clarifier, de simplifier et de rendre plus fonctionnel l’organisation du partenariat sur le terrain d’une part, et de mieux articuler les politiques et plans nationaux avec les actions, les expérimentations et les initiatives locales, d’autre part.

Fort de ces constats, des propositions concrètes ont été faites.

III – Engager une action bâtie autour de 60 propositions déclinées en 20 bonnes pratiques

 

Les 60 propositions contenues dans le rapport s’articulent autour de trois domaines essentiels :

1-     le soutien à l’exercice des responsabilités parentales ;

2-     la réinsertion des jeunes exclus ;

3-     la professionnalisation des métiers et la coopération entre les acteurs.

Ces propositions sont volontairement spécifiques et ciblées afin d’apporter une réelle plus-value aux plans et projets en cours, elles ne sont donc pas redondantes par rapport aux dispositifs nationaux existants (Plan National de Prévention de la Délinquance et l’aide aux Victimes.

Pour illustrer mon propos, je citerai quelques exemples visant à :

-         diversifier les mesures d’accompagnement éducatif auprès des familles (Stages parentaux rendus obligatoires, mesures d’aide éducative à domicile, développement des suivis jeunes majeurs) ;

-         Favoriser la prévention et la citoyenneté à l’école (prise en charge de mineurs exclus et mise en place de dispositifs de lutte efficace contre le décrochage scolaire ou l’absentéisme lourd: exemple de Meaux- prix français de prévention de la délinquance  2009)

-         Améliorer les relations entre les jeunes et les professionnels de la sécurité et des secours (relations police jeunes ou sécurité civile jeunes)

-         Adapter les dispositifs transitoires destinés aux  jeunes majeurs,  dans le cadre de la prévention de la récidive ;

-         Rendre plus efficace l’organisation du partenariat local (CLS, CLSPD) par la création de « Coordinations opérationnelles territoriales Prévention sécurité » (COTEPS), à l’instar de Mulhouse ;

-          Institutionnaliser la culture du partenariat en professionnalisant les métiers de la prévention (ex : création du métier d’éducateur de prévention).

Face à l’attente des personnels de terrain et au regard des constats qui viennent d’être fait il est aujourd’hui nécessaire de développer une démarche plus volontariste.

Elle ne saurait se concevoir sans la consultation et l’association de l’ensemble des partenaires engagés dans la lutte contre la délinquance juvénile. A cet égard, rien ne pourra se faire sans une implication forte du barreau.

C’est pour toutes ces raisons que j’ai proposé d’organiser à  l’automne prochain des Assises nationales de la prévention de la délinquance destinées à faire un inventaire des besoins des moyens et des actions à mettre en œuvre pour consolider les efforts entrepris depuis 2002 en cette matière. C’est une première étape mais elle est essentielle.

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Prévenir la délinquance des mineurs constitue un enjeu pour notre société et l’avenir de ses plus jeunes citoyens. C’est par l’engagement de tous et sans dogmatisme que nous parviendrons à relever ce défi.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite plein succès dans la poursuite de vos travaux.