[Archives] Présentation du projet de loi relatif à la rétention de sûreté

Publié le 30 janvier 2008

Discours de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice - Sénat

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11 minutes

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui est un texte ambitieux.

La Commission des lois l’a très bien compris. Je tiens à saluer son Président, Jean-Jacques Hyest, pour le travail qui a été accompli. Monsieur le Président de la commission des lois, vous avez parfaitement saisi l’esprit de ce texte. Vous l’avez examiné avec précision. Je vous en remercie.

Je remercie également le Sénateur Jean-René Lecerf pour la clarté et l’exhaustivité de son rapport.

Ce projet de loi permettra de mieux protéger les Français et d’aider les personnes condamnées dans le respect de nos principes fondamentaux.

Il aborde la question de la prise en charge des criminels particulièrement dangereux en fin de peine. Il traite également de l’irresponsabilité pénale pour trouble mental et de l’injonction de soins.

Avant de vous présenter les principales dispositions de ce projet de loi, je voudrais vous en expliquez les origines. Je voudrais également revenir sur la question de son champ d’application.

Pourquoi avoir élaboré ce texte ?

 

J’entends parfois dire que ce texte est un texte de réaction à des affaires particulières qui font l’actualité.

Permettez-moi de faire à cet égard deux remarques :

Premièrement, la lutte contre la récidive est une préoccupation constante.

 

Depuis 1998, les gouvernements successifs, toutes tendances confondues, ont cherché à améliorer la prise en charge des délinquants dangereux.

Des solutions nouvelles ont été mises en place. L’objectif est de réduire leur dangerosité et le risque d’un nouveau passage à l’acte. Je citerai notamment :

  • le suivi socio judiciaire et le fichier national des empreintes génétiques en 1998 (instauré par Elisabeth Guigou) ;

  • son extension en 2003 avec la loi sur la sécurité intérieure ;

  • la création du fichier national des agresseurs sexuels en 2004 ;

  • le bracelet électronique mobile créé en 2005 et généralisé depuis le 1er août 2007 ;

  •  les traitements antihormonaux, dits aussi castration chimique, permis depuis 2005 avec consentement ;

  • et enfin, l’injonction de soins que j’ai souhaité renforcer avec la loi du 10 août 2007.

Dans le même temps, des réflexions très approfondies ont été conduites. Depuis 2005, trois rapports ont été rendus :

  • un rapport d’une commission santé-justice présidée par un haut magistrat, Jean-François Burgelin ;
  • un rapport parlementaire du député Jean-Paul Garraud ;

  • un rapport, au nom de votre commission des lois, de Philippe Goujon et de Charles Gautier.

Tous concluent à la nécessité de mettre en place un dispositif permettant de préserver la société des délinquants les plus dangereux. Ils préconisent soit des centres fermés de protection sociale, soit des unités hospitalières de long séjour spécialement aménagées.

Vous le voyez, la prise en charge des criminels les plus dangereux a été une préoccupation constante des gouvernements et des parlementaires.

Ce n’est pas un sujet qui a surgi ces derniers mois !

Deuxièmement, je ne comprends pas pourquoi il faudrait s’interdire de répondre aux drames qui surviennent.

L’action gouvernementale suppose réflexion et préparation.

Préparation et réflexion ne veulent pas dire qu’il ne faut rien faire.

Il y a le temps de la réflexion. Il y a le temps de l’action.

Il est de notre responsabilité de corriger les insuffisances de la loi.

Il est de notre responsabilité d’assurer la sécurité de tous.

Il est de notre devoir d’empêcher que de nouveaux crimes soient commis.

Je vous l’ai dit. Depuis plus de 10 ans, les gouvernements successifs et les parlementaires ont réfléchi à la prise en charge des criminels particulièrement dangereux. Tous proposent les mêmes solutions.

Depuis 10 ans, des mesures nouvelles ont été prises. Elles ne sont pas suffisantes. Elles ne permettent pas de prendre en charge efficacement les criminels qui présentent les troubles du comportement les plus graves.

Depuis 10 ans, des nouveaux crimes atroces ont été commis. On s’est aperçu que leurs auteurs avaient déjà été condamnés à de lourdes peines. Ils étaient identifiés comme des personnes extrêmement dangereuses. On savait qu’ils recommenceraient. On savait que les mesures nécessaires n’avaient pas été prises.

Les Français s’en sont émus : Pourquoi les criminels qui ont encore des pulsions qu’ils ne parviennent pas à surmonter et qui refusent de se soigner sont-ils malgré tout remis en liberté ?

Pourquoi les meurtriers qui ont des profils extrêmement inquiétants sont libérés alors même qu’on les sait encore extrêmement dangereux ? Pourquoi attendre que ces personnes commettent de nouveau crimes et fassent de nouvelles victimes pour agir ?

Alors, que faut-il faire, Mesdames et Messieurs les Sénateurs ? Continuer à fermer les yeux ? Réfléchir encore pendant 10 ans ? Compatir quand d’autres jeunes enfants comme les petits Matthias ou Enis sont victimes de la violence des hommes ?

Regretter que la prison n’ait pas suffi la première fois à leur agresseur ? Se contenter de saluer le courage avec lequel des jeunes filles comme Anne-Lorraine Schmitt résistent à leur agresseur avant de trouver la mort ?

Doit-on juste regretter ces événements et ne rien faire sous prétexte qu’il ne faut pas se soumettre à l’actualité ?

Ce n’est pas ma conception de l’engagement politique.

 

Nous n’avons plus le droit d’attendre. Le Gouvernement a fait le choix de l’action. L’actualité nous rappelle la nécessité d’agir pour ne plus subir.

C’est l’objet de ce texte.

C’est aussi le sens de votre engagement de législateurs au nom du peuple français.

Avant de vous présenter le projet de loi, je voulais également revenir sur son champ d’application.

Le texte initial ne concernait que les criminels condamnés pour des meurtres, viol ou actes de torture sur des mineurs âgés de moins de 15 ans.

La rétention de sûreté vise à remédier à une particulière dangerosité. Elle vise également à prévenir un risque extrêmement élevé de récidive. Ce n’est pas une peine. C’est une mesure de sûreté.

Les réflexions ultérieures et les travaux des députés ont montré que la dangerosité n’était pas uniquement liée à l’âge et à la vulnérabilité de la victime.

  • Les députés ont donc souhaité que toutes les victimes mineures soient concernées, qu’elles soient âgées de plus ou de moins de 15 ans.

Je comprends cette position. Le Gouvernement s’y est rallié. Tuer un enfant de 13 ans ou une jeune fille de 16 ans démontre une dangerosité semblable. La distinction n’était pas opportune.

C’est pour cette raison que les crimes les plus graves commis sur tout mineur ont été retenus.

  • Les députés ont également voulu que la loi concerne les crimes commis sur une personne majeure avec certaines circonstances aggravantes.

Dans ce cas précis, ce n’est pas l’âge de la victime qui importe. C’est la gravité des faits eux-mêmes qui témoigne de la dangerosité de l’auteur.

Comment pourrait-on nier en effet la dangerosité du criminel pervers qui torture les victimes qu’il viole ?

Il fallait en tenir compte dans la loi. Votre Commission a approuvé cette nouvelle orientation et je m’en réjouis.

  • Sur proposition du Gouvernement, le dispositif transitoire a été étendu aux condamnés qui sont actuellement incarcérés pour avoir commis une pluralité de crimes. Cela vise les tueurs et violeurs en série.

C’est un dispositif transitoire. Après l’entrée en vigueur de la loi, il faudra que la cour d’assises prévoie l’éventualité d’une rétention de sûreté en fin de peine. C’est le principe du texte.

Mais d’ici là, que fait-on ? Comment prendre efficacement en charge les détenus particulièrement dangereux qui vont être libérés dans les jours, semaines, mois et années à venir ? Faut-il attendre quinze ans pour que cette loi soit applicable ?

Ce ne serait pas responsable.

Il n’est de l’intérêt de personne que des criminels reconnus particulièrement dangereux soient libérés pour commettre de nouveaux crimes.

Commettre plusieurs crimes est un signe évident d’extrême dangerosité. Je pense par exemple à Francis Heaulme ou Pierre Bodein. Avant de commettre les faits qui leur ont valu une condamnation à perpétuité, ils avaient tous deux été condamnés pour plusieurs viols ou meurtres. On aurait pu réagir avant.

On ne peut pas laisser libérer des criminels comme ceux-là après l’entrée en vigueur de la loi. Onsait très bien qu’un bracelet électronique ou qu’une injonction de soins ne seront pas suffisants pour empêcher un nouveau passage à l’acte.

La cour d’assises ne pouvait prévoir la possibilité d’une rétention de sûreté au moment de leur condamnation. Mais cela ne retire rien à leur dangerosité effective.

Le principe de non rétroactivité des lois pénales plus sévères ne s’applique pas ici : la rétention est une mesure de sûreté. Ce n’est pas une peine. Elle est prononcée par des juges. Mais elle ne repose pas sur la culpabilité de la personne. Elle ne sanctionne pas une faute. Elle vise à prévenir la récidive. Elle repose sur la dangerosité de certains condamnés pour faits graves. C’est une mesure préventive qui répond aux exigences constitutionnelles. Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler.

Il s’agit que, pour un même niveau de dangerosité, deux criminels soient traités de façon identiques. La date de leur condamnation ne justifie pas de différence de traitement. S’ils réunissent les conditions, ils doivent tous deux pouvoir être placés en rétention de sûreté.

Il fallait donc, comme l’a fait l’Assemblée natioanle, modifier le texte initial du projet de loi. J’ai entendu votre position, Monsieur le Sénateur Lecerf. Nous n’avons pas la même lecture du texte. Nous aurons l’occasion d’échanger sur ce point. Je connais votre souhait de renforcer les conditions de placement en rétention de sûreté pour les personnes déjà condamnées. Des améliorations sont toujours possibles. Mais j’insiste pour que le principe d’une application immédiate de la loi nouvelle soit maintenu dans ce texte.

Le champ d’application de la loi a fortement évolué.

Certains ne manquent pas de s’en étonner. Ils accusent le Gouvernement d’aller trop loin.

Je vais leur répondre. Cette évolution était nécessaire. C’était une question de bon sens et d’efficacité des mesures prises. Cet élargissement va dans le sens d’une plus grande protection des Français. Il contribue également à renforcer la prise en charge des criminels particulièrement dangereux. Il leur offrira des solutions nouvelles pour réduire leur dangerosité.

Cet élargissement est une bonne chose.

Permettez-moi de vous présenter maintenant les principales dispositions du projet de loi.

Il comporte trois volets :

  • des mesures de sûreté pour les criminels particulièrement dangereux ;
  • de nouvelles dispositions pour le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement ;
  • des mesures pour améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.
  • Premier volet : les mesures de sûreté pour les criminels particulièrement dangereux

Ces criminels particulièrement dangereux en fin de peine seront pris en charge dans un centre socio-médico-judiciaire .

Le jour de la condamnation, le condamné est averti par le président de la cour d’assises qu’il pourra être soumis à un examen de sa dangerosité et, le cas échéant, placé en rétention de sûreté en fin de peine.

Un an avant la fin de peine, le condamné est soumis à un examen de sa dangerosité. La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté se prononce :

  • sur sa dangerosité et sa probabilité de récidive ;
  • sur l’insuffisance de toutes les autres mesures de contrôle de la personne à l’extérieur ;
  • sur la nécessité d’un placement en rétention de sûreté.

Si elle apporte une réponse positive à ces trois questions, elle demande au procureur général de saisir une commission régionale composée de magistrats de la cour d’appel.

Au moins trois mois avant la date de libération, cette commission régionale rend une décision motivée après débat contradictoire sur le placement en rétention de sûreté.

Si aucune autre mesure n’est envisageable et qu’elle décide une rétention de sûreté, cette mesure est valable un an. Elle est renouvelable. Elle peut aussi prendre fin à tout moment.

La personne retenue sera placée dans un centre socio-médico-judiciaire placé sous la tutelle des ministères de la justice et de la santé.

Elle bénéficiera, de façon permanente, d’une prise en charge médicale et sociale. S’agissant de personnes atteintes de troubles extrêmement graves et profonds de la personnalité, les soins comporteront une dimension criminologique.

La situation sera réexaminée chaque année.

Grâce à la bonne coopération entre mes services et ceux de Roselyne Bachelot, le premier centre socio-médico-judiciaire sera ouvert à titre expérimental au sein de l’hôpital de Fresnes dès le 1er septembre 2008.

Quand la rétention prend fin, la personne peut être soumise à des obligations particulières. Elle peut être placée sous surveillance électronique mobile. Une injonction de soins peut également être ordonnée. En cas de manquement révélateur d’un regain de dangerosité à ces obligations, la personne pourra faire l’objet d’une nouvelle mesure de rétention.

Comment la loi sera-t-elle mise en œuvre ?

Trois hypothèses sont à distinguer :

  • Il y a d’abord les condamnés pour lesquels une rétention de sûreté a été envisagée par la cour d’assises le jour de leur condamnation.

Ils pourront être placés dans le centre fermé à la fin de leur peine s’ils présentent encore une dangerosité telle que leur remise en liberté même surveillée n’est pas possible.

  • Il y a ensuite les tueurs et les violeurs en série qui sont actuellement incarcérés.

Ils pourront être placés en rétention de sûreté à la fin de leur peine. Les cours d’assises n’ont pas pu prévoir pour ces condamnés la possibilité d’un examen de leur dangerosité. Mais cette dangerosité résulte des condamnations prononcées contre eux. Il faut donc prévoir un dispositif transitoire.

  • Les autres condamnés et ceux qui sont actuellement incarcérés pourront être placés sous surveillance judiciaire après la fin de leur peine.

Ils pourront notamment se voir imposer un bracelet électronique mobile et un suivi médical. S’ils méconnaissent ces obligations, ils pourront être placés en rétention de sûreté si ces manquements traduisent un regain de dangerosité.

  • J’en viens maintenant au deuxième volet du projet de loi : les nouvelles dispositions relatives aux irresponsables pénaux en raison d’un trouble mental.

Pour les irresponsables pénaux, la procédure ne s’achèvera plus par la notification d’une ordonnance de non lieu.

Si le juge d’instruction conclut à une irresponsabilité pénale, la décision pourra être précédée d’un débat sur les éléments à charge et l’état mental de l’auteur au moment des faits.

Une audience, en principe publique, se tiendra devant la chambre de l’instruction. Actuellement cette procédure est prévue, mais en appel seulement, c'est-à-dire pour contester la décision qui est prise par le juge d’instruction. C’est notamment la procédure qui a été suivie lors de l’appel du non lieu rendu dans l’affaire du meurtre des infirmières de Pau.

Le non lieu, la relaxe ou l’acquittement seront remplacés par des décisions d’irresponsabilité pour cause de trouble mental.

Ces décisions seront inscrites au casier judiciaire. La personne étant reconnue comme l’auteur du crime ou du délit, il est normal que la justice en conserve la trace.

L’Assemblée nationale a souhaité que les juridictions puissent décider elles-mêmes de placer en hôpital psychiatrique la personne reconnue irresponsable. C’est une simple faculté qu’elles partagent avec le préfet qui pourra avoir déjà pris un arrêté d’hospitalisation d’office.

Les juridictions qui déclarent la personne irresponsable pourront également la soumettre à des mesures de sûreté destinées à éviter un nouveau passage à l’acte. Par exemple :

  • l’interdiction de se rendre dans certains lieux ;
  • l’interdiction de rencontrer les victimes ;
  • l’interdiction de détenir une arme.

Ces mesures seront applicables dès l’hospitalisation. Elles seront très utiles au moment des permissions de sortie.

Enfin, si c’est la chambre de l’instruction qui déclare la personne irresponsable, elle renverra l’affaire devant le tribunal correctionnel à la demande des victimes pour statuer sur leurs demandes de dommages et intérêts. Cette formation à juge unique sera assurée par le juge délégué aux victimes dans le cadre de ses fonctions juridictionnelles. On simplifie ainsi la démarche des victimes qui n’ont pas à engager un nouveau procès.

  • Troisième volet : les nouvelles dispositions pour améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.

Dans le prolongement de la loi du 10 août 2007, le détenu qui refusera des soins en détention pourra se voir retirer toutes ses remises de peine. Le refus de soins sera assimilé désormais à une mauvaise conduite.

 

L’échange d’information entre le médecin intervenant en milieu carcéral et le médecin qui suivra le détenu à sa sortie de prison sera amélioré. Cela permettra d’assurer un meilleur suivi médical.

De même, les soignants devront signaler au chef d’établissement les risques pour la sécurité des personnes dont ils ont connaissance.

Il s’agit d’assurer la sécurité des personnels intervenant en milieu pénitentiaire et celle des autres détenus. Ces dispositions ne violent en rien le secret médical. Elles sont la traduction de l’obligation qui pèse déjà sur tous les professionnels. Elle évitera que leur responsabilité pénale soit engagée du chef de non assistance à personne en danger.

*

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Vous le voyez, le Gouvernement vous soumet un texte d’envergure, équilibré et réfléchi.

C’est un texte qui concilie la sécurité des Français et le respect des libertés essentielles.

Nous allons en débattre en profondeur.

Je souhaite que ce débat soit constructif. Je souhaite que ce débat soit à la hauteur des enjeux. Je souhaite que ce débat dépasse les simples clivages politiques.

Je vous remercie.