[Archives] Mariage pour tous : Adoption du projet de loi au Sénat

Publié le 12 avril 2013

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a en cet instant une émotion si profonde, si forte, qu’elle emplit l’hémicycle. Nous ressentons bien le climat qui nous environne en ce moment particulièrement important.

Avant d’évoquer brièvement quelques éléments essentiels de ce texte, je tiens à saluer les présidents des groupes parlementaires.

Je commencerai par saluer les groupes de la majorité : M. François Rebsamen, président du groupe socialiste et, à travers lui, l’ensemble des sénateurs de son groupe ; Mme Assassi, présidente du groupe CRC et, à travers elle, les sénateurs de son groupe ; M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, et M. Robert Hue, qui a été fortement présent pendant les débats, ainsi que l’ensemble des sénateurs du groupe RDSE ; M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste et, à travers lui, l’ensemble des sénateurs de son groupe.

Je vous remercie de votre constance et de votre sens du travail commun, malgré, parfois, des divergences d’appréciation, de votre capacité à faire vivre ce texte et à l’enrichir. Grâce à vous, c’est un beau texte qui émanera du Parlement.

Je tiens à vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, à quel point j’ai été sensible à la rigueur avec laquelle vous avez participé aux travaux préparatoires, à la très grande qualité de vos interventions lors de la discussion générale, à la dignité dont vous avez fait preuve lors de la discussion des motions de procédure et de l’examen des articles.

Ayant moi-même été parlementaire, je sais à quel point on peut brûler d’envie d’intervenir pendant les échanges. Je sais que vous avez stoïquement résisté à la tentation d’intervenir pour défendre vos convictions,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est très vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais aussi pour faire connaître, ce qui est légitime, vos prises de position à vos électeurs.

Je tiens particulièrement à souligner l’abnégation qui a été la vôtre, qui vous a conduit à participer à ce débat et à être présents tout en économisant vos interventions. Je salue votre sens des responsabilités et je vous remercie de votre présence active et stimulante. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je tiens également à saluer les sénatrices et les sénateurs de l’opposition qui ont fait vivre ce débat.

Je salue Mme Troendle, qui a assuré avec vigilance la défense des intérêts du groupe UMP au cours de ces huit jours de débat.

Je salue d’une marque particulière MM. Gélard, Hyest et Raffarin, compte tenu de la qualité de leurs interventions. Je les remercie d’avoir veillé à ce que nous ayons un texte de qualité et de s’être assurés de la compatibilité de ce projet de loi avec les dispositions de notre loi fondamentale.

Puisque vous n’aurez plus le temps de riposter, et compte tenu de ce qu’ont parfois été vos réactions, je tiens, madame Des Esgaulx, à saluer votre pugnacité. (Sourires.) Vous m’avez interpellée en qualité de fille, de mère et de femme. Toutefois, vous avez omis ma qualité d’épouse. Or je l’ai possédée – et même deux fois ! (Rires.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est la vie privée, cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est justement ce que j’allais vous dire ! Je suis ici en qualité de garde des sceaux. Je porte un texte du Gouvernement. Je le porte sans la moindre réticence. Je le porte avec une incontestable fierté. Je le porte avec toutes mes convictions et, surtout, avec le souci de la rigueur indispensable à la rédaction d’une loi, car celle-ci est une règle commune, qui vise à protéger les citoyens.

Il n’est donc nullement nécessaire de s’interroger sur ce que ma personne peut avoir à faire dans cette affaire. Ma personne n’est aucunement en contradiction avec le contenu de ce projet de loi. C’est en étant consciente de la responsabilité qui est la mienne que, en qualité de garde des sceaux, j’ai présenté ce texte devant vous.

Je salue Dominique Bertinotti, sa présence, sa forte implication, la qualité de ses interventions et sa combativité. Elle a sans doute mesuré l’attente extraordinaire que suscite le texte sur la famille qu’elle aura prochainement le plaisir et l’honneur de présenter devant les deux chambres du Parlement.

Même s’il n’est pas présent aujourd'hui, je salue Alain Vidalies, ministre des relations avec le Parlement, qui est venu à plusieurs reprises, par respect pour vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

La commission des lois et celle des affaires sociales ont effectué un travail en commun, en bonne intelligence avec le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. C’est là une méthode de travail entre les deux chambres qui est exemplaire.

Nous ouvrons l’institution républicaine du mariage aux couples de personnes de même sexe. La force et la puissance de la loi, c’est d’énoncer des règles générales pouvant couvrir toutes les situations dans leur diversité et permettant d’anticiper des litiges complexes. Or nous savons que l’imagination des hommes et des femmes est infinie lorsqu’il s’agit de rendre les litiges complexes, notamment lorsque les sentiments sont en cause. La force et la puissance de la loi, c’est d’être capable d’anticiper les règles nécessaires pour répondre à ces situations, dont certaines sont imprévisibles.

L’ouverture de l’institution du mariage aux couples de personnes de même sexe se fait dans les mêmes conditions d’âge et de consentement que pour les couples hétérosexuels, avec les mêmes obligations de respect, d’assistance, de fidélité, avec les mêmes sécurités par les effets d’ordre public, et les mêmes conséquences sur le régime social et fiscal, avec les mêmes protections aussi.

En cas de séparation ou de conflit, le juge interviendra pour protéger le membre du couple ou de la famille le plus vulnérable, le plus fragile. Il interviendra pour veiller à l’intérêt des enfants. Il interviendra pour s’assurer que ces adultes, qui sont pris dans le vertige d’un conflit et qui, souvent, deviennent déraisonnables dans ces moments-là, ne perdent ni leur dignité, ni leurs droits, ni le sens des devoirs qui demeurent, et continuent à veiller sur leurs enfants.

Je parle d’enfants, oui, qui vivent, qui existent, au sein de ces familles. Je parle de ces enfants qui sont faits de chair et d’os, qui sont tout vibrants de cris et de rires, de ces enfants qui s’écorchent le genou, qui aiment les sucreries, qui détestent les brocolis (Rires sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.), de ces enfants qui nous explosent la tête. Ce sont ces enfants-là que vous protégez, avec ce texte de loi ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Vous protégez aussi ces adolescents qui, en ces moments particuliers où la personnalité s’épanouit dans des élans et des tensions parfois contradictoires, vivent déjà dans le trouble et doivent affronter le trouble supplémentaire de regards, de paroles, de gestes qui signent leur exclusion de la société. Par ce texte, vous leur dites qu’ils sont pleinement citoyens de ce pays, qu’ils sont des adolescents comme les autres, avec leur singularité et leur individualité. Pour le reste, c’est leur affaire. Nous y veillerons, avec une vigilance sans faille.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En votant ce texte, vous avez renforcé le pacte républicain, la res publica, c'est-à-dire la chose publique. Car quel bien commun est plus précieux que nos institutions ?

En ouvrant cette institution républicaine aux couples de même sexe, nous reconnaissons, tout simplement, leur pleine citoyenneté. Nous disons à ces personnes qui décident de s’unir, animées d’un projet conjugal et parental, qu’elles ont exactement les mêmes droits que tous les autres citoyens. Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous contribuez à la paix civile.

Je le dis devant la Haute Assemblée, qui est si attachée aux libertés individuelles, à leur défense, à leur préservation, comme ses membres l’ont souvent montré, parfois contre le gouvernement qu’ils soutenaient.

Je le dis devant la Haute Assemblée, à qui les mœurs, parfois, posent quelques problèmes. C’est vrai, avec le mariage des couples de même sexe, nous sommes à la croisée des libertés individuelles et des mœurs. Je dis bien des mœurs, et non pas de leur évolution, car l’homosexualité a toujours existé.

Nous consentons aux mœurs. Nous acceptons de faire un pas supplémentaire vers l’égalité, en ouvrant cette institution républicaine aux couples de même sexe. Ainsi, nous faisons en sorte que leurs membres deviennent des citoyens comme les autres. Nous affirmons que nous n’avons pas à distinguer leur orientation et à en faire un marqueur personnel.

Personne ne s’offusquera que je salue plus particulièrement les parlementaires des outre-mer. Comme tous les parlementaires de la majorité, ils ont consenti à être présents, actifs, à stimuler notre travail, à nous accompagner, à nous encourager. Dans le même temps, ils ont consenti à nous faire gagner du temps lors de nos débats, pour lesquels ils ont traversé au moins un océan.

Je les remercie particulièrement, parce qu’ils ont fait preuve de courage, compte tenu de l’ambiance entretenue ces dernières semaines dans les territoires des outre-mer. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je vous remercie de la très grande qualité de la plupart de vos interventions, qui ont contribué à l’enrichissement de ce débat.

Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité et de l’opposition qui avez voté ce texte, je vous adresse mes remerciements chaleureux. En adoptant ce projet de loi, vous nous avez conduits dans ce lieu, à la fois symbolique et social, que décrit très bien le grand poète Rabîndranâth Tagore :

 « Là où l’esprit est sans crainte et où la tête est haut portée,

Là où la connaissance est libre,

[…]

Là où le clair courant de la raison ne s’est pas mortellement égaré dans l’aride et morne désert de la coutume ».

(M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur, Mme la rapporteur pour avis, Mmes et MM. les sénateurs du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. Madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues de toutes sensibilités politiques, permettez-moi de vous remercier à mon tour de la qualité de vos interventions au cours de ce débat qui, je le crois, a honoré le Sénat.