[Archives] Livre Blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme

Publié le 17 novembre 2005

Discours de Pascal CLÉMENT au centre de conférences internationales "Kléber"

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Avant que vos travaux ne reprennent, je voudrais vous exprimer tout l’intérêt personnel que je porte à l’organisation d’une telle journée d’échange sur le terrorisme et à la participation du Ministère de la Justice à vos débats.

Vous savez en effet que la France a fait le choix de privilégier la réponse de notre démocratie à ce fléau, par le droit et l’application de la loi pénale. C’est dire combien l’institution judiciaire ne peut qu’être fortement impliquée dans la lutte contre le terrorisme.

Cette volonté est ancienne puisque notre socle législatif de la lutte contre le terrorisme a été créé il y a tout juste 20 ans. Celui-ci a su démontrer depuis 1986 son efficacité. Ces résultats positif se sont maintenus notamment en raison du souci constant des différents gouvernements d’adapter notre législation à la menace terroriste.

C’est ainsi que l’association l’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme, si utile pour démanteler les réseaux et éviter les attentats a été plus spécifiquement incriminée par la loi du 22 juillet 1996.

Notre législation a également été renforcée depuis les attentats du 11 septembre 2001 : outre évidemment les atteintes aux personnes et aux biens, on compte désormais au rang des infractions terroristes les agissements ayant trait à leur financement ou à leur blanchiment.

Par ailleurs, sont aussi sanctionnées les infractions de terrorisme écologique ou biologique qui viseraient à atteindre la santé des êtres vivants ou du milieu naturel.

Quant aux règles de procédure applicables, elles sont constituées de dispositions spécialisées identiques à celles en vigueur en matière de la lutte contre la criminalité organisée, avec des moyens d’investigations spécifiques tels les infiltrations ou les sonorisations ou des moyens juridiques plus importants.

Dès lors, notre législation sert souvent de référence pour les pays désireux de mettre en place une législation spécifique au terrorisme et de nombreuses délégations étrangères sont reçues au Ministère de la Justice afin que notre dispositif juridique leur soit exposé.

Pour autant, la menace terroriste est en constante évolution et elle présente un nouveau visage à travers l’irruption des attentats-suicides en Europe, tragiquement illustrés à Londres cet été.

Le devoir de l’Etat est de protéger ses citoyens en préservant les équilibres nécessaires à l’exercice des libertés individuelles et il m’est apparu nécessaire de prendre de nouvelles mesures.

J’ai donc décidé de compléter notre corpus législatif :

1) - par la création d’une incrimination spécifique d’association de malfaiteurs en vue de préparer des crimes terroristes, nouvelle incrimination criminelle qui permettra de poursuivre plus sévèrement les individus qui se trouvent au plus près de l’attentat projeté.

La peine actuellement encourue de 10 ans pouvait en effet être insuffisante pour des individus à l’encontre desquels, faute de commencement d’exécution au sens juridique du terme, la notion de tentative ne pouvait être retenue mais qui avaient été arrêtés quelques jours avant de passer à l’action. La présence d’explosifs, de détonateurs ou d’armes en leur possession, leur rhétorique guerrière ne laissaient pas de place au doute quant à leur détermination de frapper cruellement notre pays.

Pour ceux-là, la nouvelle peine de 20 ans de réclusion criminelle que j’ai proposée permettra de prendre complètement en compte leur dangerosité.

Ce ne sont cependant pas toutes les associations de malfaiteurs qui encourront une qualification criminelle mais uniquement celles qui auront pour objet la préparation de crimes d’atteintes aux personnes.

2) - par la centralisation de l’exécution des peines, nouvelle disposition qui assurera l’homogénéité nécessaire au traitement de la détention des terroristes condamnés.

Sur les quelques 350 personnes détenues pour des faits de terrorisme, un peu plus d’une centaine sont désormais condamnés définitifs.

Comme tous les condamnés, ils sont susceptibles d’avoir accès, lorsque les conditions légales sont réunies, aux mesures d’aménagement ou d’individualisation de la peine telles que les permissions de sortir ou les libérations conditionnelles.

Afin que les décisions soient prises en pleine connaissance de cause, il importe que les magistrats du siège et du parquet qui se prononcent sur ces demandes maîtrisent complètement le contexte terroriste, ses réseaux et ses ramifications internationales.

C’est pourquoi, il m’est apparu souhaitable qu’au stade de l’application des peines, un regard unique soit porté sur les membres d’une organisation démantelée qui ont pu être condamnés à la même peine, afin que des décisions cohérentes soient rendues, sans considération du lieu actuel de détention des intéressés.

Cette centralisation de l’application des peines est l’achèvement d’une centralisation qui existe déjà en matière de poursuite, d’instruction et de jugement.

3) - par l’allongement du délai prévu par le Code civil permettant de déchoir de la nationalité française un étranger ayant acquis celle-ci et qui viendrait à être condamné postérieurement pour des faits de terrorisme.

Le traitement des procédures de terrorisme nécessite certains délais en raison de leur caractère complexe et de leurs développements internationaux. Par ailleurs, il faut s’assurer que les condamnations ont bien un caractère définitif, qui ne sera acquis qu’après épuisement des voies de recours.

Le délai actuel de 10 ans est trop court pour permettre de mener à son terme la procédure de déchéance de la nationalité et le condamné demeuré français ne peut pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire.

J’ai donc souhaité faire porter ce délai à quinze ans afin de donner à cette mesure une pleine efficacité.

Ces dispositions auront un impact financier que, compte tenu des enjeux, le Ministère de la Justice est prêt à assumer.

Elles sont contenues dans le projet de loi qui sera présenté par le ministre de l’Intérieur à l’Assemblée Nationale dans les jours prochains.

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Je suis convaincu que la lutte que nous menons contre le terrorisme ne peut être conduite isolément si elle veut être efficace. Il est indispensable que, au delà même des acteurs institutionnels, la société civile dans son ensemble soit associée aux réflexions portant sur ce thème.

Déjà, la mise en place du Livre Blanc et la création de multiples groupes de travail aux compétences diversifiées ont permis d’accroître la pertinence de la réponse collective à apporter au terrorisme.

Les thèmes de l’évaluation de la menace, de la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, des moyens techniques ou juridiques, de la coopération internationale ou de l’information ont été débattus au cours des mois écoulés depuis le lancement du Livre Blanc, en mai de cette année.

Le groupe de travail portant sur les moyens juridiques présidé par le Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces a notamment été l’occasion d’un dialogue fructueux entre les magistrats et l’ensemble des services qui concourent à préserver la paix publique.

Il s’est réuni à 6 reprises depuis le mois de juin 2005 et a donné l’impulsion à plusieurs rencontres, auditions ou contributions écrites réalisées en marge de ses travaux.

Je remercie d’ailleurs à cet égard les magistrats du pôle anti-terroriste de Paris à qui je souhaite rendre un hommage particulier, ainsi que ceux de la Chancellerie, les membres de l’Administration pénitentiaire, les fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, du Ministère de l’Economie et des Finances, et les militaires de la gendarmerie pour leur engagement au sein de ce groupe et la disponibilité dont ils ont fait preuve.

Des sujets aussi déterminants que l’infraction d’association de malfaiteurs, les échanges d’informations entre les services spécialisés et l’autorité judiciaire, la réglementation de l’entrée et du séjour des étrangers, le financement du terrorisme, le prosélytisme et les moyens judiciaires de la lutte contre le terrorisme ont pu ainsi être abordés.

Les échanges réalisés dans les groupes de travail sont prolongés, sont complétés par la journée d’aujourd’hui qui en constitue le point d’orgue.

Elle permet, par la rencontre des spécialistes de la lutte contre le terrorisme et des membres de la société civile, d’enrichir pleinement la réflexion que chacun mène à ce sujet.

Je suis certain que l’échange de ces réflexions est le signe d’une cause commune de la défense de la liberté, de la sécurité et de la démocratie.