[Archives] L'application des peines et la loi pénitentiaire

Publié le 25 juin 2008

Clôture de la réunion de travail - Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

C’est la première fois qu’un ministre réunit ensemble les juges de l’application des peines, les parquetiers chargés de l’exécution et les directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

 

Application des peines et la loi pénitentiaire - Credits Photos C MONTAGNE

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Messieurs les directeurs,

Mesdames et Messieurs les magistrats chargés de l’application des peines,

Mesdames et Messieurs les magistrats chargés de l’exécution des peines,

Mesdames et Messieurs les directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation,

Mesdames et Messieurs,

 

C’est la première fois qu’un ministre réunit ensemble les juges de l’application des peines, les parquetiers chargés de l’exécution et les directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

 

Il est important et essentiel que le Garde des Sceaux puisse recevoir au ministère l’ensemble des personnels au service de la Justice. Je ne vois pas au nom de quel principe on interdirait au ministre de rencontrer telle ou telle catégorie de magistrats ou de fonctionnaires, de les écouter, et au nom de quel principe on vous interdirait l'accès à la chancellerie.

 

La Chancellerie élabore la politique pénale et pénitentiaire de notre pays et obtient du Budget les moyens nécessaires pour la mettre en œuvre.

 

Dans vos fonctions, vous êtes amenés à prendre des initiatives. J’estime que vous avez aussi le droit de faire des propositions. N’hésitez pas à nous faire part des mesures qui vous paraissent utiles pour simplifier les procédures ou faciliter l’exercice de vos missions, comme ont pu le faire vos collègues concernés par les travaux de la commission Coulon, de la commission Guinchard ou de la commission Varinard. Au final, c’est le service public tout entier y gagnera.

J’ai souhaité que cette rencontre soit l’occasion de faire un point sur le dynamisme sans précédent que connaît notre politique d’aménagement des peines, grâce à vous et à votre engagement au service de la Justice et de nos concitoyens.

J’ai aussi souhaité que l’on vous présente le projet de loi pénitentiaire. Vous serez les acteurs de sa mise en œuvre. Le texte sera présenté cet été en Conseil des ministres, puis déposé au Parlement.

Depuis un an, la France connaît un développement sans précédent des aménagements de peine.

 

Les résultats sont tout à fait significatifs. Au 1er juin 2008 :

 

* 5.990 condamnés sous écrou bénéficient d’aménagement de peine, soit 12 % des condamnés. En 2004, c’était 6%.

* Le nombre de condamnés qui bénéficient d’un placement sous surveillance électronique, d’une mesure de placement extérieur ou d’une semi-liberté a augmenté de 26 % depuis mai 2007 :

  • 3.267 placements sous surveillance électronique. C’est 1.000 de plus en un an. Depuis sa mise en œuvre, en octobre 2000, plus de 26 000 personnes ont bénéficié d’un PSE ;

  • 845 placements extérieurs ;

  • 1.878 semi-libertés.

* Vous avez relancé les libérations conditionnelles alors qu’elles stagnaient en 2005 et 2006.

Et nous les avons encadrées pour les criminels les plus dangereux : je pense notamment aux condamnés à la perpétuité qui vont être soumis à un examen pluridisciplinaire pour évaluer leur dangerosité. C’est une garantie pour les magistrats.

* Enfin, l’application du bracelet électronique mobile a été généralisée par le décret du 1er août 2007.

Les conférences régionales ont donné une nouvelle impulsion aux aménagements de peine.

Tous ceux qui suivent ces questions se retrouvent à la même table. Ils peuvent

échanger sur des situations individuelles.

Je sais que vous êtes déterminés et que c’est à vous que l’on doit ces excellents résultats. Vous effectuez un travail remarquable, dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles.

Ce message s’adresse bien évidemment aux juges de l’application des peines et à leurs greffiers. J’aimerais saluer votre engagement sans limite en faveur de la réinsertion des personnes condamnées. Votre action est décisive. Permettez-moi tout simplement de vous le dire. Il faut aussi que les Français le sachent.

Ce message s’adresse également aux magistrats du parquet et aux services de l’exécution des peines. Bien souvent, ces services étaient un peu oubliés dans les juridictions.

La mobilisation des chefs de Cour, des chefs de juridiction et la généralisation des bureaux de l’exécution des peines ont permis de remédier à cette situation. L’autorité de la Justice est décrédibilisée si ses décisions ne sont pas exécutées et les Français perdent confiance en elle.

Aujourd’hui les délais d’exécutions sont réduits, les amendes sont mieux recouvrées. Ces excellents résultats, nous vous les devons. Je veux vous en remercier.

Je veux aussi remercier les directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation et leurs équipes : les conseillers d’insertion et de probation, les travailleurs sociaux, les personnels administratifs. Vous faites tous un travail de très grande qualité.

Il n’est pas toujours suffisamment reconnu. Vous êtes pourtant les maîtres d’œuvre de l’exécution des mesures et des peines. Vous travaillez en partenariat avec les magistrats, les greffiers mais aussi avec les associations, les collectivités locales, les entreprises.

Lorsque je me déplace sur le terrain, je mesure l’ampleur de votre action.

J’ai pu constater que vous aviez développé des stages citoyens, des groupes de paroles pour les délinquants sexuels. Vous avez également conclu des partenariats avec des associations pour des chantiers extérieurs, des conventions pour l’accueil de condamnés en entreprise.

Ce sont d’excellentes initiatives. Je vous encourage à les développer.

Le 28 mai, j’ai signé une convention avec le Mouvement des entreprises de France. Elle prévoit notamment l’intervention en milieu carcéral de chefs d’entreprise et la mise en œuvre de contrats de professionnalisation. Cet accord sera décliné localement par l’intermédiaire des structures régionales du MEDEF. Il permettra de faciliter l’accès des détenus au monde du travail.

Cette politique ambitieuse d’aménagement des peines prendra une nouvelle dimension avec la loi pénitentiaire.

La future loi pénitentiaire place les exigences de dignité et d’humanité au cœur de notre politique pénitentiaire.

La loi pénitentiaire est un engagement du Président de la République.

Le projet de loi a été élaboré dans la consultation et la concertation grâce au comité d’orientation restreint (COR). Les organisations syndicales pénitentiaires et les associations professionnelles, comme celle des juges de l’application des peines, ont été très largement associées à ses travaux. Au final, 90 % des mesures de la loi pénitentiaire sont issues des travaux du COR.

Tout d’abord, la loi pénitentiaire permet de donner une nouvelle impulsion aux aménagements de peine.

Le directeur des affaires criminelles et des grâces vous a présenté toutes les nouvelles dispositions techniques que comporte le texte.

Je souhaite insister sur la philosophie de la loi pénitentiaire. Une politique pénale peut être ferme et humaine. Ce n’est pas incompatible. C’est tout à fait cohérent.

La prison est une sanction nécessaire. Ce n’est pas la seule réponse pénale. Vous le savez comme moi, les aménagements de peine, les alternatives à l’incarcération sont d’autres modes de sanction.

 

La loi pénitentiaire traduit cette approche nouvelle et moderne du concept de la « prison hors des murs ». On peut faire exécuter une peine sans forcément recourir à l’incarcération.

Avec la loi pénitentiaire, les aménagements de peine seront par exemple possibles pour les peines d’emprisonnement inférieures à deux ans. Le projet comporte bien d’autres innovations.

Lorsque la loi sera adoptée, vous pourrez décider de mettre en libération conditionnelle les condamnés âgés de plus de 75 ans, sous réserve que leur prise en charge soit adaptée à leur situation à la sortie de prison.

Il n’y aura plus forcément à attendre les seuils imposés par la loi. C’est une humanisation indispensable pour mieux prendre en compte le vieillissement de la population carcérale.

De même, pour les fins de peine, vous avez déjà la possibilité de les aménager avec un placement sous surveillance électronique. Je vous encourage à le faire dans les situations qui le justifient. Avant l’examen de la loi pénitentiaire, nous allons tester un dispositif pour voir si ce mode de placement peut être systématisé en fin de peine. Il y aura bien entendu des conditions à respecter.

Autre avancée en matière d’alternative à l’incarcération : l’assignation à résidence des prévenus pour limiter le recours à la détention provisoire.

Le contrôle judiciaire sous PSE existe déjà. Mais, vous le savez bien, il est peu utilisé : on en dénombre 68 au 1er juin, alors que 17 500 prévenus sont incarcérés.

Il y a des difficultés pratiques de mise en œuvre ; il y a aussi un frein que nous voulons lever : nous proposons dans le projet de loi que la durée de l’assignation soit imputée sur la durée de l’éventuelle condamnation.

Cette philosophie de la peine peut être mise en œuvre immédiatement.

Il y a suffisamment de bracelets disponibles.

Les moyens humains, en surveillants et conseillers d’insertion et de probation, ont été accrus :

  • 23.335 surveillants en 2008 contre 22.509 en 2007  (soit 826 surveillants en plus);

  • 3.813 conseillers d’insertion et de probation en 2008 contre 3.704 en 2007 (soit 109 CIP en plus).

Ces moyens seront renforcés au travers des budgets des trois prochaines années.

Par ailleurs, nous disposons de 150 bracelets mobiles. 15 seulement sont activés. Vous le voyez : les possibilités de placement existent.

Je connais aussi vos contraintes durant la période estivale.

Il est parfois difficile d’organiser un débat contradictoire durant les vacations judiciaires. Il ne faut pas que les vacances paralysent l’ensemble de la chaîne de l’exécution des peines.

L’article 712-6 du Code de procédure pénale prévoit que le JAP peut octroyer certains aménagements comme un placement sous surveillance électronique ou une semi-liberté sans débat contradictoire. Il faut simplement l’accord du Procureur de la République et du condamné ou de son avocat.

Vous voyez que, dès à présent, nous pouvons accroître nos efforts en matière d’aménagement des peines.

Le projet de loi clarifie également les missions du service public pénitentiaire.

Ses missions seront clairement fixées. Le service public pénitentiaire participe en effet à l’exécution des décisions privatives ou restrictives de liberté. Il contribue également à la réinsertion, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique.

J’insiste sur la notion de prévention de la récidive. Cette disposition permet, comme pour la réinsertion, d’inscrire l’action de l’administration dans le long terme.

La circulaire du 19 mars 2008 sur les missions et les méthodes d’intervention des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) énonce d’ailleurs la prévention de la récidive comme objectif de leur action.

La prison n’a pas qu’une finalité répressive. Elle a aussi une dimension sociale et humaine.

La clarification des missions du service public pénitentiaire s’accompagne de la mise en place d’un code de déontologie et d’une assermentation pour les surveillants de prison.

Ensuite, la loi pénitentiaire réaffirmera les droits fondamentaux des personnes détenues.

C’est un principe essentiel. Sa mise en œuvre contribue à faire avancer notre Etat de droit.

Permettez-moi de vous citer quelques-uns de ces droits auxquels le projet de loi fait référence :

  • Les droits civiques : un détenu pourra se faire domicilier à l’établissement pénitentiaire pour pouvoir s’inscrire sur les listes électorales et exercer son droit de vote.
  • Le droit à l’insertion : Les détenus bénéficieront d’un parcours de mobilisation, avec des cours de remise à niveau scolaire et des formations professionnelles améliorées.
  •  Le droit au respect de la vie privée et familiale : les unités de vie familiales seront développées, les communications téléphoniques pourront être autorisées sous certaines conditions.
  • Le droit à la santé des détenus. Il s’agit de l’accès aux soins du quotidien et aussi à des soins plus spécifiques. Comme l’a soulignéle rapport Lamanda, les besoins notamment médico-psychologiques sont importants.

21% des détenus sont atteints de troubles psychotiques ; près de 20 % des détenus sont incarcérés pour des infractions de nature sexuelle. Des propositions seront formulées avec Roselyne Bachelot pour répondre à ces besoins.

Les détenus mineurs bénéficieront de l’ensemble des droits reconnus aux majeurs, sous réserve bien sûr de leur capacité à les exercer.

Enfin, la loi pénitentiaire humanise le régime de la détention.

Elle aborde l’encellulement individuel de manière pragmatique.

Nous sommes tous conscients des difficultés pour appliquer ce principe dès aujourd’hui. Le décret du 10 juin 2008 propose un dispositif de transition. Tout prévenu peut exprimer une demande pour bénéficier d’une cellule individuelle. Si ce n’est pas possible dans sa maison d’arrêt, l’administration pénitentiaire lui proposera, dans la mesure du possible, un transfert dans une autre maison d’arrêt.

Ce transfert ne sera possible que si le prévenu et le magistrat donnent leur accord préalable.

La loi pénitentiaire pose également le principe de l’individualisation des régimes de détention.

Lorsqu’on gère une prison, il faut tenir compte de la personnalité des détenus, de leurs efforts de réinsertion et de leur dangerosité. L’Administration pénitentiaire tiendra compte de ces critères lors de l’affectation en cellule.

Vous le voyez, la future loi pénitentiaire est une réforme d’envergure. Elle pose les bases concrètes d’une nouvelle politique pénitentiaire. Je sais que vous êtes vous aussi attachés à cette vision digne et humaine de la prison.

Sans attendre le vote de la loi, j’ai souhaité prendre des mesures immédiates pour améliorer les conditions de détention :

  • le décret du 10 juinassouplit le régime de la détention en quartier disciplinaire. Il autorise une visite par semaine et l’allongement de la durée des promenades.

  • la circulaire du directeur de l’administration pénitentiaire en date du 5 juin 2008prévoit d’autres mesures, comme le développement des activités sportives le week-end, l’augmentation de la durée des promenades ou l’allongement de la durée des parloirs.

Notre politique de dignité et d’humanité en faveur des détenus se poursuit à travers les aménagements de peine.

Application des peines et la loi pénitentiaire - Credits Photos C MONTAGNE

 

Mesdames et Messieurs,

Rien ne serait possible sans votre engagement et le travail accompli.

Si les condamnés sont mieux pris en charge, s’ils accèdent plus facilement à un emploi, c’est parce que des femmes et des hommes comme vous s’investissent à leurs côtés.

Avec la loi pénitentiaire, votre rôle sera encore renforcé.

Avec vous, nous moderniserons notre politique de la détention.

Grâce à vous, nous remporterons le défi de la réinsertion des personnes condamnées. Et comme vous rendez la Justice au nom du Peuple français, c’est au nom de la République que je souhaite vous remercier.