[Archives] La juste place de la victime dans le procès pénal

Publié le 20 juin 2011

Tribune de Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés

Temps de lecture :

3 minutes

 

Tribune de Michel Mercier

garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés

parue le lundi 20 juin dans Le Figaro

La juste place de la victime dans le procès pénal

 

Dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté mercredi dernier un amendement ayant pour objet de permettre à la victime de faire appel des arrêts d'acquittement rendus par les cours d'assises, en l'absence d'appel du ministère public.

Quelle que soit la considération que je porte à la place des victimes et le prix que j'attache à ce que l'institution judiciaire la prenne davantage en considération, cette proposition ne peut recueillir mon adhésion.

L'adoption d'une telle disposition est source de grands dangers. Au nom du Gouvernement, je demanderai sa suppression lors de son examen demain en séance.

Soyons en bien conscient. Cette modification porterait atteinte aux équilibres existant depuis plus de deux siècles, lorsqu'a été reconnu à la victime le droit de déclencher l'action publique en se constituant partie civile, mais jamais le droit d'exercer l'action publique, et donc de former des recours.

Depuis la création du code d'instruction criminelle en 1808, les rôles de chacun sont en effet bien définis. Au parquet, qui représente la société et défend l'intérêt général, le soin de poursuivre les auteurs d'infractions et de solliciter une peine, et aux victimes le droit d'obtenir réparation du préjudice qu'elles ont subi du fait de la commission de l'infraction.

Il s'agit ni plus ni moins de mettre en pratique le principe selon lequel, dans une société démocratique, on ne peut faire justice soi-même, les représentants de la société et de l'intérêt général venant intercéder entre auteurs et victimes d'infractions. La modification adoptée par la commission des lois revient à privatiser notre procédure, qui serait ainsi fondée sur l'idée de vengeance privée en autorisant la victime à poursuivre la personne innocentée par la juridiction du premier degré, alors même que le parquet, représentant de la société, estime, à l'issue des débats, un appel injustifié.

En pratique, elle exigerait que se tiennent des procès d'assises d'appel alors que le ministère public a renoncé à soutenir l'accusation, procès au cours desquels seule la victime demanderait donc une condamnation, et avec une très forte probabilité, au regard des circonstances, que soit prononcé un nouvel acquittement, et que ce procès d'appel ait eu lieu pour rien, sauf à renforcer la douleur de la victime.

Ne nous y trompons pas, la victime dispose d'ores et déjà de droits importants et nombreux dans la procédure pénale.

Elle a le droit de mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile, en contrepartie du pouvoir de classement sans suite du parquet. Elle peut contester une décision de classement sans suite ou une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, mais elle ne peut faire appel d'une décision de relaxe ou d'acquittement, actes qui relèvent de l'exercice de la poursuite.

Elle dispose, de façon pleine et entière, de l'action civile pour la réparation de son préjudice, et du droit de faire appel pour demander une augmentation de ses dommages et intérêts. Et la Cour de cassation reconnaît d'ailleurs à la victime, même en cas de relaxe et d'acquittement, le droit de faire appel au plan civil pour obtenir réparation.

En outre, l'introduction de la motivation des arrêts d'assises modifie considérablement l'esprit de notre procédure. En donnant les raisons qui ont conduit la majorité des jurés à prononcer un acquittement, elle permet au parquet de décider de faire ou non appel en connaissance de cause, et à la victime de mieux accepter une décision qui lui aura été ainsi expliquée.

Le Gouvernement sera toujours présent pour renforcer les droits des victimes, droits qui ont, depuis 2002, fait l'objet de vingt-et-une modifications législatives à cette fin, et il soutient certaines modifications du texte en discussion destinées à renforcer l'information des victimes. Mais il ne peut admettre que les victimes deviennent accusateurs publics, et que de faux espoirs leur soient donnés en endossant un rôle qui n'est pas le leur.