[Archives] Inauguration de la nouvelle maison d’arrêt de Rodez
Publié le 10 juin 2013
Discours de Christiane TAUBIRA, Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Madame le Préfet de l’Aveyron, Mesdames et Messieurs les Députés et les Sénateurs, merci de votre présence et de votre engagement sur le terrain. Monsieur le Président du Conseil général, Monsieur le Président de la Communauté d’agglomération du Grand Rodez, Monsieur le Maire de Rodez, Monsieur le Maire de Druelle, Monsieur le Premier président de la Cour d’appel de Montpellier, Monsieur l’Avocat général auprès de la Cour de Montpellier, je vous salue avec plaisir. Madame la Présidente du TGI de Rodez tenait à être présente, mais elle avait d’autres obligations. Monsieur le Procureur de la République, merci d’être avec nous ce matin. Monsieur le Directeur de l’administration pénitentiaire, Monsieur le Directeur interrégional des services pénitentiaires, Monsieur le Chef d’établissement de la maison d’arrêt de Rodez, Madame la Directrice adjointe du service pénitentiaire d’insertion et de probation de l’Aveyron, Monsieur le Directeur académique, Mesdames et Messieurs les représentants de la société EIFFAGE, les représentants de la société SODEXO, Mesdames et Messieurs de l’administration pénitentiaire, officiers, gradés, personnels de surveillance, personnels d’insertion et de probation, personnels administratifs et techniques, Mesdames et Messieurs. Je cherche. Je sens que j’oublie quelqu’un. Vous êtes habitués à mon indiscipline. Si cela me revient, je saluerai au cours de mon intervention.
En tous cas, merci à tous de votre présence. Merci d’avoir participé ce matin à cette visite. Je veux saluer vos efforts. Monsieur le Député, vous disiez qu’ils durent depuis un siècle et demi. En tous cas, je salue les efforts, qui ont été conduits ces 20 dernières années, même un peu plus. L’idée a germé en 1981. Je veux saluer le travail que vous avez effectué. Aujourd’hui, nous inaugurons un établissement d’une grande qualité. Je salue tous les métiers qui ont été impliqués. Je salue surtout le volontarisme très fort de chacune et de chacun de ceux qui ont participé à cette démarche.
Je le disais, l’idée a germé en 1981. Le protocole a été signé en 2006. Les travaux ont commencé en 2011. Nous sommes en 2013. Nous sommes en mesure d’accueillir des pensionnaires dans cet établissement. Je veux saluer l’administration pénitentiaire, l’administration centrale et l’administration interrégionale. Je veux saluer l’APIJ (Agence Publique Immobilière de la Justice). Elle est en permanence sous pression. Elle doit non seulement conduire des chantiers qui sont déjà engagés, mais aussi ouvrir de nouveaux chantiers. Je mobilise beaucoup l’APIJ pour la préparation du prochain triennal. Je salue l’action de cette agence. Ses personnels sont en permanence mis à forte contribution.
Je veux saluer la Communauté d’agglomération du Grand Rodez. Elle s’est très fortement impliquée. Elle a accepté d’être le maître d’ouvrage. Elle s’est impliquée dans la recherche d’un terrain adapté. Elle a contribué au financement du projet à une hauteur assez rare pour une collectivité. D’ailleurs, en général, les collectivités ne sont pas sollicitées dans le financement d’une telle initiative. Cette opération est tout à fait originale. Elle a été conduite dans le cadre créé par la législation, comme l’indiquait tout à l’heure le député, François SIMON.
Bien entendu, je veux remercier Madame le Préfet pour son travail de coordination et d’articulation entre les services de l’État et les collectivités. Vous avez mis les choses en route. Aujourd’hui, les personnels de l’établissement peuvent accueillir des détenus dans les meilleures conditions.
Je remercie la direction interrégionale, qui accompagne et soutient le niveau local. Je remercie Monsieur le Chef d’établissement, l’adjoint technique du projet, les personnels, les gradés, les surveillants, les personnels d’insertion et de probation, les personnels administratifs et techniques, tous ceux qui contribuent au quotidien au bon fonctionnement de nos établissements. Je remercie les partenaires associatifs et institutionnels. Ils sont constamment à nos côtés. Ils prennent leur part dans l’accompagnement des détenus et dans la préparation à la réinsertion. Bien entendu, il convient aussi de saluer le travail, qui a été effectué par le constructeur. Je salue donc le travail de la société EIFFAGE et de la société SODEXO.
Messieurs les sénateurs et les députés, vous avez posé la question de la finalité d’un tel établissement. Vous avez également posé la question de la finalité des établissements pénitentiaires en général. Ces établissements accueillent des personnes, qui ont été condamnées. Ils accueillent des personnes, qui font l’objet d’une décision de justice. L’administration pénitentiaire a la responsabilité d’accueillir ces personnes. Elle a surtout la responsabilité de les préparer à la sortie. Elle doit les préparer à leur retour dans la société.
Nous avons conçu des établissements d’une manière particulière. L’histoire architecturale du parc pénitentiaire de ce pays est particulière. Aujourd’hui, nous essayons d’éviter d’introduire de la laideur. Nous voulons éviter une monumentalité mal venue dans nos paysages. Ces établissements participent de nos paysages. Il est important qu’ils restent dans la cité. Il faut qu’ils participent de notre vie sociale. Il faut aussi faciliter leur accès, pour les familles. Enfin, en étant dans la cité, ils sont plus facilement sous le regard vigilant et critique de la société civile. Les citoyens doivent exercer un contrôle. En tout cas, une prison est une institution républicaine.
Ce nouvel établissement a atteint ces objectifs. Nous pouvons le dire. Il a été pensé, il y a bien longtemps. La réflexion a été longue. Cet établissement a été conçu selon les plans d’une bastide médiévale. Nous voyons combien l’architecture et l’esthétique peuvent participer à la réduction d’un climat anxiogène. Cet établissement bénéficie d’une lumière naturelle, qui, évidemment, transmet la conscience d’être dans la vie. Elle contribue aussi à la réduction de nos charges de fonctionnement. Cette conception est intelligente. Elle améliorera la vie des détenus et surtout des personnels, qui passeront de longues heures dans cet établissement. Les espaces intérieurs et les espaces extérieurs profiteront de la lumière naturelle. Il est important de réfléchir à la conception architecturale et fonctionnelle des lieux d’incarcération. Ici, ce travail a été fait.
Vous avez vu la dimension des cellules. En moyenne, chaque cellule individuelle fait 10m² - 10,5m². Deux cellules ont été aménagées pour des personnes en situation de handicap. Un peu plus grandes, elles sont d’une superficie de près de 12m². Surtout, des lieux de préparation à la sortie ont été conçus. Ils devront rendre le temps de l’incarcération utile. Je parle de la bibliothèque et de son antenne. Ici, nous avons le privilège d’avoir une grande bibliothèque ainsi qu’un autre lieu propice au repos, au travail et à la lecture. L’Éducation nationale interviendra dans cet établissement. Nous avons la chance d’avoir un professeur de philosophie. Il viendra gracieusement assurer des cours dans l’établissement. Vous avez vu les terrains de sport, les salles de cours, d’activités et les ateliers. Toutes les conditions sont réunies pour que les journées des détenus soient occupées. Ils seront préparés à leur sortie. L’Éducation nationale dispensera des formations. Les détenus accèderont à des activités. Ils travailleront. Le but sera d’améliorer le capital des personnes, qui quitteront l’établissement. D’une manière générale, la réinsertion des détenus dans la société doit être améliorée de façon à réduire les risques d’une récidive. Il faut éviter de nouvelles victimes.
Cet établissement comprend également un quartier de semi-liberté d’une dizaine de places. Nous l’avons vu dès l’entrée. Ce quartier devra éviter les sorties sèches. Aujourd’hui, 80% des sorties sont des sorties sèches, autrement dit les personnes quittent nos établissements sans accompagnement après avoir effectué l’intégralité de leur peine. Nous savons que le risque qu’un détenu récidive est deux fois plus élevé lorsqu’il n’a pas bénéficié d’un aménagement. Il faut accompagner le retour de ces personnes dans la société.
Au niveau des maisons d’arrêt, 98% des sorties sont des sorties sèches. Cette situation est intolérable. Il n’est pas possible d’être sensible aux victimes existantes sans s’imposer un devoir d’éviter de nouvelles victimes. Lutter contre la récidive revient à réduire les facteurs d’une récidive, donc à éviter de nouvelles victimes. Il faut éviter que les personnes, qui ont failli une fois, puissent recommencer.
Je le disais, cet établissement résulte d’un partenariat très original. Ce partenariat est le seul sur le territoire. L’implication de la Communauté d’agglomération du Grand Rodez a été très forte. Elle a participé à hauteur de 20% au financement. Elle a été le maître d’ouvrage. Elle restera le propriétaire de l’installation, qui est gracieusement mise à la disposition de l’État. L’État n’est pas ingrat. Il cèdera à la Communauté d’agglomération l’ancien établissement. Nous le ferons dans les 6 mois qui suivront l’installation définitive de celui-ci. L’État a tout de même participé au financement à hauteur de 80%.
Le sujet n’est pas banal. Il n’est pas uniquement financier, technique ou juridique. Il est aussi politique. Il est aussi éthique. Le sujet n’est pas banal. Il est vrai que ce mode de fonctionnement est tout à fait original. Cette forte implication de la Communauté d’agglomération est tout à fait intéressante et bienvenue. Néanmoins, je me tourne plus particulièrement vers les parlementaires, qui ont la mission de penser politiquement la société, de penser politiquement l’action publique. Nous ne devons pas nous dispenser d’une réflexion sur la responsabilité régalienne de l’incarcération. Nous devons réfléchir au sujet de la privation des libertés. Lorsqu’un juge prononce une sanction, il la prononce au nom du droit, et surtout au nom du peuple français. Les juges exercent une mission régalienne. L’administration pénitentiaire, qui garde, surveille et encadre les prévenus et les détenus, exerce aussi une mission régalienne. Ce partenariat est vraiment d’une originalité profonde et tout à fait intéressante. Il s’est fait indiscutablement avec intelligence. Cela ne doit pas nous dispenser de réfléchir aux missions régaliennes. Ces dernières concernent aussi les personnels d’insertion et de probation. Il faut aussi réfléchir à l’intervention des associations de la société civile. Elles sont amenées à conduire des mesures, à accompagner l’exécution d’une décision de justice. L’État a une responsabilité. Il doit définir les circonstances dans lesquelles une privation des libertés est possible. Il faut approfondir ce sujet de réflexion. Nous voyons à quel point nos collectivités sont de plus en plus impliquées dans des actions d’intérêt général, qui, jusqu’alors, relevaient exclusivement de la compétence de l’État. Je le dis très clairement. Les missions régaliennes doivent continuer à relever de la compétence de l’État. Personne ne pense le contraire ! Personne ne demande le contraire. Simplement, je sais à quel point les parlementaires et les élus locaux territoriaux sont vigilants lorsque l’État est défaillant sur ses missions régaliennes. Ils voient venir les difficultés. Ils nous alertent très fortement en amont. Ils nous aident à mieux comprendre des problèmes et à trouver des solutions. L’État doit assumer ses responsabilités vis-à-vis de ses missions régaliennes. La contribution des élus locaux reste extrêmement précieuse. Nous tenons à ce qu’elle se poursuive. Je dois constater l’implication de plus en plus forte des collectivités territoriales. Elles nous aident à améliorer l’action publique. Les élus parlementaires et les élus locaux contribuent à rendre l’action publique plus efficace. Pour autant, l’État reste le pilote des actions publiques.
Chère Anne-Marie, tu es bien placée pour le comprendre. Tu es une aveyronnaise pugnace. Je le répète ! En ta qualité de ministre déléguée, tu as en charge ces jours-ci, et pour quelques temps encore, tous ces sujets. Les collectivités agissent au côté de l’État, avec l’État. Parfois, elles l’aiguillonnent. Ensemble, nous parvenons à respecter le droit. Nous faisons respecter les dispositions de la loi pénitentiaire, et en particulier son article 3. Il rappelle que le service public pénitentiaire est assuré par l’administration pénitentiaire sous l’autorité du ministre de la Justice. Il est assuré avec le concours de tous les services de l’État, des collectivités territoriales et des autres partenaires, publics et privés, qui peuvent y participer.
Par ailleurs, l’article 7 des règles pénitentiaires européennes indique très clairement que ce service public pénitentiaire peut s’attacher des services sociaux externes et des services des collectivités, qui veulent bien y contribuer. Grâce à la mobilisation des collectivités, nous assurons un service public de qualité, indépendamment des limitations assez fortes de nos finances publiques.
Il existe un certain nombre d’expériences tout à fait significatives et intéressantes. Par exemple, je pense aux expériences menées dans le domaine de la formation professionnelle. L’Aquitaine et les Pays de la Loire en ont conduites. Les résultats sont tout à fait encourageants, à tel point que nous souhaitons généraliser ces initiatives. Nous le ferons dans quelques mois. Le découpage du texte sur la décentralisation va simplement différer de quelques mois cette généralisation. Nous sommes vigilants. Nous avons proposé un amendement. Il a été adopté à l’unanimité en première lecture. Il permettra la prolongation de cette expérimentation en Aquitaine et dans les Pays de la Loire et l’ouverture de l’expérimentation à d’autres régions intéressées. Une fois que la loi sera adoptée, nous pourrons généraliser cette expérimentation sur l’ensemble du territoire. Ce sera un vrai plus en matière de préparation à la réinsertion. Nous améliorerons les capacités des personnes incarcérées.
Les collectivités sont originales et inventives. Nos directions interrégionales sont très mobilisées sur leur territoire. Elles proposent et obtiennent des conventions avec les Régions, dont certaines sont tout à fait intéressantes. Par exemple, il existe une convention avec l’Île-de-France. Elle concerne le financement de bourses pour des étudiants incarcérés. Il existe une convention avec l’Aquitaine et la région Poitou-Charentes. Elle concerne le financement de la validation des acquis de l’expérience. Il existe une convention avec les régions Basse-Normandie et Bretagne. Elle prépare au diplôme d’accès à l’université. Les Régions s’impliquent. Elles nous aident à améliorer notre capacité d’action dans nos établissements.
Au niveau local, nos services pénitentiaires d’insertion et de probation sont fortement impliqués dans les comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, dans les comités interrégionaux et intercommunaux. Ils sont également présents dans d’autres instances, qui participent à la réinsertion et apportent des réponses aux différents besoins des personnes. Ces services sont la déclinaison locale du travail interministériel, que nous effectuons. Ce travail nous permet de disposer de contingents de logements. Nous travaillons avec le ministère de l’Égalité des territoires et du Logement. Nous disposons de places dans les hébergements d’urgence. Nous avons accès à la formation. Nous travaillons avec Pôle emploi et avec les services sociaux, qui interviennent très directement pour prendre en charge les personnes placées ou soumises à la justice. Ces services apportent toute une série de réponses, y compris dans le domaine de la santé. Nous voulons accompagner le plus loin possible la réinsertion des personnes soumises à l’institution judiciaire.
A contrario , nous accompagnons aussi dans nos établissements les collectivités, qui participent au Conseil d’évaluation. Les Conseils d’évaluation ont été repensés et consolidés dans le cadre de la loi pénitentiaire. Nous avons un certain nombre de sujets communs. Il s’agit de faciliter la prise en charge des personnes détenues. Les collectivités interviennent au niveau des transports. Elles facilitent l’accès aux établissements. Elles approvisionnent les bibliothèques. Elles assurent le droit de vote. Parfois, le juge n’estime pas nécessaire de priver le détenu de ses droits civils. Avec les collectivités, nous développons toute une série de collaborations sur plusieurs sujets. Nous allons poursuivre ce travail. Bien entendu, s’agissant des travaux d’intérêt général, les collectivités sont des partenaires essentiels et précieux. Les travaux d’intérêt général ont trente ans d’existence. En début d’année, nous avons lancé des campagnes de sensibilisation pour ce trentième anniversaire. Nous préparons une très belle action. Nous avons réussi à mobiliser de nombreux partenaires, notamment dans le domaine des transports et de la conservation du littoral. Nous allons donner un nouvel élan aux travaux d’intérêt général.
Je voudrais terminer par un message particulier. Je l’adresse aux personnels. Au quotidien, ils sont confrontés aux difficultés. Ils tiennent ces établissements. Ils les font fonctionner. J’ai adressé un message de soutien aux personnels de Villepinte. Ils ont subi une agression. Dans nos établissements, nous avons fréquemment des agressions. Certaines sont un peu anodines. Il arrive qu’elles soient graves, voire très graves. Nos personnels sont exposés du fait des conditions dans lesquelles l’incarcération se déroule.
Ces dernières années, des injonctions ont été contradictoires. Des lois pénales sont très répressives. Elles ont créé des mécanismes de répression, des automatismes qui ont généré de l’incarcération. Lorsque je dis cela, ma démarche n’est pas polémique. Je donne des éléments statistiques. Par exemple, depuis 2007, les peines planchers ont produit plus de 4 000 années d’incarcération supplémentaires chaque année. Si un juge estime nécessaire de prononcer une incarcération, évidemment, il doit la prononcer. Notre code pénal le prévoit. Nous lui reprocherions de ne pas tenir compte du droit. Seulement, la peine « plancher » limite la liberté d’appréciation du juge. Pour éviter de nouvelles victimes, il faut réduire les risques d’une récidive. Il faut une prise en charge des prévenus et des détenus. La personne mise en cause doit prendre conscience de la gravité de son acte. Elle doit mesurer l’importance de la sanction qui a été prononcée. Il faut la responsabiliser.
Le constat a été fait par tous les spécialistes. Aujourd’hui, les peines aménagées sont plus propices à la responsabilisation du mis en cause. Les peines aménagées sont des peines. Ce ne sont pas des dispenses de peine. Le juge peut prononcer une dispense de peine. Dans notre droit, cela existe. L’aménagement des peines est autre chose. Le juge estime quelle peine il doit prononcer. Grâce au travail des conseillers d’insertion et de probation, grâce au travail et aux décisions des juges d’application des peines, notre code de procédure pénale permet qu’une peine prononcée par un juge puisse être aménagée. Pour qu’elle soit aménagée, des éléments sont nécessaires pour définir si l’aménagement est une bonne solution ou pas. La personne mise en cause doit prendre conscience de la gravité de l’acte qu’elle a commis. Elle doit mesurer l’importance de la sanction, qui est prononcée à son encontre. L’aménagement des peines permet davantage de réparer le préjudice infligé à la victime ou aux victimes parce qu’on rend le mis en cause responsable. Parmi ses premières obligations, le mis en cause doit réparer le préjudice qu’il a infligé à sa victime. Il faut créer les conditions de la réparation d’un préjudice. Il faut rendre justice à la victime ou aux victimes. Il faut que la personne mise en cause comprenne que nous vivons en société, que nous avons des lois, que nous avons des règles, et qu’il y a lieu de les respecter, que tout un chacun est responsable de ses actes. Lorsque l’on commet un acte répréhensible, on le répare, pas seulement en étant enfermé, mais aussi en ayant de la considération pour sa victime, en faisant un effort permettant une réparation matérielle au bénéfice de la victime.
Dans ce pays, nous avons une chance. Les victimes se regroupent en association de victimes ou en association d’aide aux victimes. Ces associations réfléchissent sur la société, les délits, les crimes, les réparations. Elles s’intéressent à la restauration des victimes. Ces dernières doivent sortir du traumatisme créé par l’acte qu’elles ont subi. La grandeur de ces associations est aussi de réfléchir à la restauration des auteurs de faits criminels. Nous avons des associations animées par des personnes absolument fabuleuses, d’une générosité extraordinaire, lucide et responsable. Les victimes savent qu’il ne faut pas s’enfermer dans un cercle vicieux. Il faut en sortir au nom de la société. Il faut en sortir pour le bien-être de la société. Il faut en sortir ! Elles prennent des initiatives. Moi, je recommande des précautions sur la justice « restaurative ». J’exige de la rigueur. J’exige le contrôle par des spécialistes. J’exige l’évaluation de chaque expérience. Je pense notamment à l’INAVEM. Cet institut est une fédération, qui regroupe 143 associations d’aide aux victimes de l’ensemble de notre territoire. Je veux que les expériences, qui ont été menées dans ce sens, soient évaluées scientifiquement. Il faut en tirer les leçons avec la plus grande rigueur. Nous sommes dans une société où les personnes sont capables de se poser la question de savoir qui a le plus à perdre dans ce cercle vicieux. Tout le monde a à perdre. La récidive cause de nouvelles victimes. La société sera perdante parce qu’elle aura entamé une course folle visant la construction d’un nombre toujours plus important d’établissements. La prise en charge des détenus peut entraîner une déresponsabilisation accrue des individus. Nous allons tous perdre. Les générations à venir vont perdre. Il y a quelque chose d’absolument grandiose dans le fait que ce mouvement soit initié par les associations d’aide aux victimes et par les victimes.
Pour ma part, je continuerai à imposer un niveau d’exigence élevé. J’assume ma responsabilité de Garde des Sceaux, de ministre de la Justice. Je dois penser l’État de droit dans la rigueur. J’exige le respect de nos lois et de nos règles. J’exige l’application des décisions de justice mais aussi la préparation à la sortie et la réinsertion.
Les personnels ont tenu durant les périodes de tempête, les périodes de grande pénurie, les périodes de délaissement. Nos établissements tiennent debout grâce à nos personnels. Ils sont en première ligne. Ils sont les premiers exposés. Dans nos établissements, les agressions sont dirigées contre eux. Vous savez que j’ai pris un certain nombre de mesures. J’ai pris des mesures dès mon arrivée aux responsabilités. Récemment, j’ai annoncé un plan de sécurisation de nos établissements. Ce plan a été conçu après consultation, contrairement à ce que disent ceux qui refusent de venir aux consultations. Ceux, qui sont venus aux consultations, ont contribué à la réflexion. Ils ont pris part à la conception de ce plan de sécurisation. Deux organisations représentatives sur trois ont accepté de venir à la réunion de travail d’une heure et demie, qui fut consacrée à ce plan de sécurisation. Une troisième organisation a refusé de venir. En tout cas, un quart d’heure après le début de la réunion, elle a téléphoné pour dire qu’elle ne viendrait pas. Aujourd’hui, publiquement, elle déclare que ce plan a été élaboré sans consultation. Nous n’éviterons pas cela. J’appelle cela le festival des mécontentements. J’y suis confrontée tous les jours. Cela n’a strictement aucune importance. Ce qui est compte est que nous comprenions bien qu’il existe dorénavant une politique pénale exposée, explicitée et énoncée. Elle est dans la circulaire générale des politiques pénales que j’ai présentée en Conseil des ministres. Cette circulaire a été diffusée le 19 septembre dernier. Elle sera inscrite dans le projet de loi pénale, que je présenterai en Conseil des ministres en juillet prochain. Ma politique pénale est très clairement énoncée. Elle est connectée à la politique pénitentiaire. Il n’existe plus aucune dissociation entre la politique pénale et la politique pénitentiaire. Elles sont associées. La politique pénitentiaire se conçoit en fonction des orientations de la politique pénale. Ces dispositions ont été prises très clairement et assez rapidement. Elles sont à la disposition de tous.
Lorsque je suis arrivée au ministère de la Justice, je me suis rendue compte à quel point le dialogue social était difficile. Je sais à quel point les organisations syndicales ont pour culture et pour mission de protester, de contester et de critiquer. Néanmoins, je les crois capable d’une maturité suffisante pour, indépendamment de tout cela, participer à la réflexion, faire des propositions pour contribuer à l’élaboration des politiques publiques. Pour cela, il faut réunir les conditions du dialogue social. Très vite, j’ai pris en charge la rénovation du dialogue social au sein du ministère. J’ai commencé par présider moi-même les Comités Techniques Ministériels (CTM), qui n’avaient pas été présidés depuis une dizaine d’années par un ministre. Je les préside systématiquement. Je préside également les CHSCT. Je suis présente au sein des structures que le ministre n’est pas censé présider ou qu’il ne préside pas, d’ailleurs. Je suis présente au Conseil national de l’action sociale. Ce lieu est important pour la prise en compte des situations vécues par nos personnels. Il faut prendre en considération leur mal-être et leurs souffrances au travail. Le ministère peut accompagner les catégories les plus vulnérables, celles qui ont des revenus modestes. Parfois, à un moment de leur vie, nos personnels peuvent avoir besoin d’un soutien, d’un appui, d’un coup de main. Il est important que le ministère puisse l’assurer. Il le fait aussi à travers la fondation d’Aguesseau.
J’ai également demandé à l’administration pénitentiaire de conduire un dialogue. Il a abouti à la signature d’un protocole visant la revalorisation de certains métiers. De nouvelles promotions commenceront sous peu. Ce protocole était attendu depuis plusieurs mois voire plusieurs années par les personnels. Le passage au grade de brigadier deviendra possible. Nous avons réussi à dégager des budgets. Ils ne sont pas considérables, mais ils sont tout de même conséquents. Ils représentent 17 millions d’euros sur le triennal, en plus de l’effort que nous avons pu faire sur l’indemnitaire et le statutaire. Ces efforts ne sont pas suffisants. J’en conviens volontiers, mais ils sont significatifs. Le gouvernement et l’ensemble de la société font des efforts de solidarité.
Récemment, j’ai obtenu une chose importante. Nous récupèrerons l’intégralité des logements. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, nous avons trouvé un décret datant du 9 mai 2012. Il supprimait près de 30% des logements affectés aux personnels pénitentiaires. J’ai été entendu par le Premier ministre qui s’est montré réceptif à mes explications. Dans un premier temps, une soixantaine de logements seront rétablis. Dans un deuxième temps, l’intégralité des logements seront rétablis. Nous voulons retrouver un parc de logements équivalent à celui qui existait avant le décret du 9 mai 2012. Le gouvernement fait cet effort de solidarité. Il s’agit aussi d’un effort de solidarité de la part de la société. Je le dis avec d’autant plus d’insistance que je n’ai pas obtenu les mêmes résultats sur le judiciaire. Lui aussi subit des suppressions de logements, mais je ne n’ai pas réussi à obtenir le rétablissement de l’intégralité du parc.
Je voudrais dire un dernier mot aux personnels. Vous êtes soumis à des contrôles, car nous sommes dans un État de droit. C’est heureux ! Nous vivons dans une République. C’est une chance ! Ces contrôles sont effectués par le contrôleur général des lieux de privation des libertés. Ils sont effectués par les parlementaires, qui, depuis la loi GUIGOU de 2000, peuvent accéder librement et à tout moment à nos établissements pénitentiaires. Vous êtes soumis au contrôle de nos juridictions, aussi bien de la juridiction judiciaire que des juridictions administratives pouvant être saisies par la société civile, par le contrôleur général ou par toutes les personnes ayant intérêt à agir. Les juridictions peuvent prononcer des sanctions lorsque vous êtes l’auteur d’un acte de mauvaise qualité. Ces sanctions condamnent le ministère, autrement dit l’administration pénitentiaire. Vous êtes évidemment contrôlés par l’Union européenne. Vous êtes contrôlés par la société civile. Par exemple, le Comité contre la torture a le droit d’accéder à nos établissements.
Simplement, je veux vous dire que ces contrôles ne sont pas des actes de défiance à votre égard. Ces contrôles sont les garanties d’un État de droit. Ils sont les garanties d’une République. Ils garantissent que toutes nos institutions sont effectivement républicaines. Ces contrôles vous protègent parce qu’ils établissent les conditions dans lesquelles vous exercez vos missions. Je rappelle que vos missions sont d’ordre régalien. Ces contrôles doivent être perçus comme une garantie de l’État de droit. Ils sont une aide. Ils nous aident à améliorer nos institutions.
Parfois, je sais que vous percevez l’Union européenne comme une espèce de superviseur pointilleux et tatillon. Nous participons à l’Union européenne. Nous contribuons. Personnellement, en tant que ministre, je m’implique très fortement et très en amont des textes, de façon à ce qu’ils portent l’empreinte de notre conception de l’organisation de notre société, de notre conception du droit. Le droit continental, autrement dit le droit français, est codifié, mais il n’est pas majoritaire. Il existe une common law. Elle est un autre type de loi. Elle a une très forte influence. Il faut que nous puissions agir le plus en amont possible. Il faut que les textes européens portent l’empreinte de notre conception du droit et des libertés. En tout état de cause, ces textes européens seront transposés dans notre droit. L’Union européenne n’est pas un superviseur tatillon. Elle est un espace, où nous agissons, où nous créons, ensemble, un espace de liberté, de sécurité, et de justice, où nous sommes extrêmement actifs. Nous contribuons aux règles européennes, qui s’imposent à nous, après. Admettons-le ! Les règles européennes nous tirent vers le haut. Nous nous tirons vers le haut. La conception française des droits et des libertés individuelles tirent vers le haut. Les règles de l’Union européenne nous tirent vers le haut.
Souvent, les tendances ne suivent pas. Souvent, les moyens ne suivent pas. L’injustice, à laquelle nous devons mettre un terme, est celle qui fait peser sur les épaules des personnels des dysfonctionnements dus aux défaillances de l’État. L’État doit assumer ses responsabilités. Nous les assumons. Lorsque nous sommes condamnés, y compris pour des actes qui ont précédés notre arrivée aux responsabilités, nous assumons. Nous assumons ! Nous ne hurlons pas contre ceux qui étaient aux responsabilités avant, puisque nous assurons la continuité de l’État. Nous croyons à l’État de droit. Par conséquent, nous croyons à la continuité de l’État. La continuité de l’État me permet d’inaugurer, aujourd’hui, cet établissement, qui est l’aboutissement et le produit du travail de l’ancienne majorité, et de tous ceux qui étaient là avant. Je rappelle que cela a commencé en 1981. Telle est la responsabilité politique. Telle est la continuité de l’État de droit. Il faut assumer et porter la responsabilité au nom de la société.
Je vous demande de prendre en considération cette réalité de protection, de bienveillance et d’exigence que constituent les contrôles effectués dans nos établissements. Je ne doute pas que nous pouvons compter sur vous, ici, comme dans d’autres établissements de notre territoire. Il faut que les conditions de l’incarcération se déroulent le mieux possible de façon à ce que les personnes qui passent entre vos mains ressortent enrichies, enrichies d’avoir été placées face à leurs responsabilités, enrichies d’avoir eu, d’une certaine façon, la chance d’être prises en charge. Ces personnes doivent comprendre que l’acte qu’elles ont commis est un acte inacceptable, et que la société s’est donné les moyens de sanctionner les transgressions aux lois et aux règles. Ces personnes ont la chance de passer entre vos mains. Passer entre vos mains, c’est avoir la chance de retrouver le chemin du respect de soi-même. Le respect de soi-même passe par le respect de la société à laquelle on appartient. Cela passe aussi par le développement de ses capacités pour contribuer à cette société.
Le meilleur résultat de votre travail est évidemment votre activité au sein de l’établissement. Ceux qui sortent de vos établissements doivent être mieux armés de sorte à ce qu’ils ne reviennent pas dans vos établissements. Ce n’est pas de votre faute s’ils reviennent, parce que la responsabilité individuelle est importante. Ceux qui commettent des actes les ramenant dans nos établissements sont responsables de leurs actes. Lorsque vous les armez, lorsque vous faites en sorte qu’en sortant de nos établissements, ils deviennent en capacité d’être des citoyens libres et responsables, c’est à vous qu’on le doit ! Merci beaucoup.