[Archives] Inauguration du Palais de Justice de Béziers

Publié le 01 septembre 2016

Discours de Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Discours d'inauguration du palais de justice de Béziers 01.09.2016.pdf PDF - 319,58 Ko

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Préfet,

Mesdames et Messieurs les élus,

Monsieur le Premier Président,

Monsieur le Procureur Général,

Monsieur le Président,

Monsieur le Procureur de la République,

Mesdames et Messieurs les magistrats et fonctionnaires,

Mesdames et Messieurs,

Merci de m’offrir ce plaisir de découvrir et d’inaugurer ce magnifique Palais de Justice.

Il faut d’abord en remercier les maîtres d’œuvres, les bureaux d’études et les entreprises qui ont contribué à ce beau résultat !

On comprendra que j’adresse un remerciement particulier à l’APIJ (Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice – Mme Marie-Luce BOUSSETON, Directrice Générale), outil fiable et performant du ministère.

Et que je salue chaleureusement les ateliers de la Régie Industrielle des Etablissements Pénitentiaires puisque une partie du mobilier est le produit d’un travail en détention.

Préparant notre rencontre, j’ai parcouru la titanesque étude réalisée en 2011 par l’avocat général Etienne Madrange.

Il propose une exceptionnelle visite de 747 édifices et sites de justice bâtis au cours de 10 siècles de d’architecture, de peinture et de sculpture.

Evoquant les palais, il écrit que ceux-ci sont « l’union du sacré et de la proximité ».

Pour le « sacré », je crains de ne pas avoir l’expertise requise pour me prononcer, mais à l’évidence pour la proximité, ce palais y répond.

Le visiteur est, en effet, surpris de constater le contraste entre :

-       la façade très dure, très fermée composée de blocs de béton

-       et les espaces intérieurs aérés lumineux.

On croit entrer dans un bloc massif ou écrasant et le regard est surpris par la transparence des vitres qui s’ouvrent sur des espaces arborés.

On croyait entrer dans une forteresse et l’on se retrouve presque au pied d’un arbre.

On craignait de se retrouver dans ce film d’Orson Welles, (Le procès), l’adaptation du roman de Kafka dans lequel un homme minuscule (Joseph K) est face à une porte immense, dans une salle qui l’écrase littéralement.

Un film qui donne une image oppressante et poussiéreuse de la justice.

Et l’on se retrouve dans un environnement végétal, où le choix judicieux des couleurs et des matériaux crée une ambiance apaisante.

Une architecture humaine, simple, accessible.

Ce choix est heureux et explicite.

La figure d’une justice médiévale « en son palais » à la fois majestueuse et pesante n’est plus de notre monde.

Finies les entrées monumentales, les escaliers imposants, les façades inspirées des temples grecs.

Ce moment où Robert Badinter disait que la « justice se résumait à des colonnes et à des codes ».

Cette architecture qui voulait laisser le peuple à distance est désormais désuète.

Nos palais modernes cherchent un équilibre entre la fonctionnalité et la symbolique car l’architecture demeure le visage des institutions, tandis que ceux qui y travaillent sont leur âme.

C’est vrai de toutes les institutions, mais plus encore de celle de la justice.

N’est-ce pas Hegel qui disait que « l’architecture est un langage qui bien que muet parle à l’esprit ?».

Et dans le cas d’espèce, oui, ce bâtiment fait rimer la solennité avec l’hospitalité.

Car la Justice renvoie à ce qu’une société attend d’elle-même.

Elle est à la fois :

Ø Un rempart qui protège les individus les uns des autres,

Ø Et un gardien qui veille au respect des règles du vivre ensemble.

Rendre la justice est, en effet, une œuvre complexe.

La justice ne dit pas ce qui est ou ce qui n’est pas, c’est le rôle de la science.

La justice n’a pas non plus pour mission de dire ce qui est bien ou ce qui est mal, c’est la morale qui s’en charge.

La justice ne dit pas ce qu’il faut croire ou pas, c’est la fonction des religions.

La justice ne gouverne pas la société, pour cela, il y a les pouvoirs, lesquels appliquent les décisions des juges.

Le domaine de la justice, c’est celui du droit, de la règle, de la norme qui doit organiser la vie commune.

La Justice est donc un idéal, là où la démocratie est un espoir.

La Justice est un chemin d’humilité qui a besoin d’un lieu particulier.

Car je ne crois pas que l’on puisse rendre la justice dans n’importe quel endroit.

Elle a besoin d’un espace propre, puisque le procès est d’abord un rituel qui s’inscrit dans une structure bien définie, un lieu clos séparé du reste de la ville, afin de faire taire les tumultes du quotidien.

Il ne faut donc pas hésiter à ouvrir nos palais de justice. Je pense notamment aux prochaines Journées du Patrimoine.

Nos concitoyens ont, de façon générale, une grande méconnaissance de l’institution judiciaire.

Ils ne la connaissent qu’à travers quelques affaires médiatiques ou quelques affrontements factuels.

Dans les deux cas, les effets de loupe altèrent la réalité:

Ø Soit ils en grossissent souvent jusqu’à l’outrance,  les quelques défauts,

Ø  Soit ils en déforment parfois jusqu’à l’excès, les conséquences.

Cette ignorance de la justice ne peut satisfaire aucun d’entre nous.

Nous avons donc intérêt à montrer ce que les Français ont envie de connaître : le travail quotidien des magistrats et des acteurs du monde judiciaire.

Car dans tous les sens du terme, que ce soit dans ses délais comme dans ses attraits, la justice est attendue.

Et pour nos concitoyens, la justice, avant de s’incarner dans des salles d’audiences ou des prétoires, c’est d’abord des guichets, des téléphones et des réponses à bien des questions.

C’est dire l’importance qu’il faut accorder à vos conditions de travail.

Avec ce Palais, l’Etat montre qu’il s’en soucie.

Ce sera aussi l’objet du Projet de loi de Finances pour 2017.

Je devine le doute qui va accueillir mes propos…

Evoquer le manque de moyens de la Justice est tellement habituel pour ceux qui fréquentent régulièrement les palais que leur réponse consiste le plus souvent à soupirer avec au mieux un peu de compassion.

Ce fut d’ailleurs, pourquoi vous le cacher, une assez grande surprise lorsque j’ai choisi de faire du budget mon premier combat dans ce ministère.

J’ai volontairement utilisé des mots crus et cela me fut reproché.

J’ai parlé d’une institution « en voie de clochardisation ».

Je l’ai fait à la fois pour désigner un risque et pour nommer une réalité.

 « Souligner la pauvreté du ministère c’était porter atteinte à la majesté de son œuvre », m’a-t-on-dit !

Mais j’aurais préféré que l’on soit choqué par la réalité que je décrivais, celle que vous connaissez, que vous subissez.

Reste que les premiers arbitrages pour 2017 sont prometteurs et devraient permettre de conjurer le risque que je viens d’évoquer.

A ce stade, notre budget devrait être de 6,9 milliards, c’est-à-dire, à la fois :

Ø Peu (2,04%) des dépenses de l’Etat hors charge de la dette,

Ø Et beaucoup puisque cela représente une progression de 300 millions en un an, et donc une hausse de 14 % depuis 2012. 

La répartition de cette masse sera bientôt présentée aux parlementaires.

Mais mon intention est de l’affecter principalement au fonctionnement des juridictions.

Et puis il y aura le débat à l’Assemblée et au Sénat où je pourrais encore plaider pour convaincre que les efforts doivent continuer, longtemps.

Car à mes yeux, le budget de la justice ressemble à ses bois tordus qu’on peine à redresser car ils ont poussé ainsi au fil des ans.

Il faut donc de la patience et de la persévérance…

C’est dans cette perspective aussi que j’ai choisi d’amplifier les évolutions initialement contenues dans le projet de loi dit « justice du XXIème siècle ».

Il constituait une opportunité pour que les magistrats puissent recentrer leur action sur ce qui fait l’essence de leur mission :

Ø En un mot : l’acte de juger.

Juger est une responsabilité particulière car le don de juger n’existe pas.

Juger n’est pas un honneur mais une charge.

Ce n’est pas une source de gloire mais une exigence de modestie et de doute.

Une tâche si délicate que pour y parvenir, il faut de la sérénité, du courage et pouvoir ne pas se disperser.

C’est à cette fin, par exemple, que :

ØNous proposons de supprimer la procédure d’homologation des plans de surendettement, dont 98% ne font l’objet d’aucun litige,

Ø Nous souhaitons que le PACS relève de la pleine compétence des officiers d’état civil, tout comme la procédure de changement de prénom,

ØNous pensons utile de sortir le divorce par consentement mutuel de l’intervention systématique du juge…

En proposant ces évolutions, nous contribuons à nourrir les grands principes qui définissent le service public de la justice :

Ø D’abord l’égalité d’accès qui doit être conçue comme la capacité pour tout justiciable d’accéder rapidement à un juge indépendant et impartial pour trancher, pour un coût minime, les litiges,

Ø Ensuite, la continuité parce que la géographie ne peut pas être un paramètre judiciaire puisque les besoins sont identiques ou comparables dans tous les territoires.

Ø Enfin l’adaptabilité puisque la soif de justice ne sera jamais étanchée et que l’autorité judiciaire doit en permanence évoluer selon les circonstances de droit et de fait.

Mesdames et Messieurs, je ne serai pas plus long et je souhaiterais terminer ce propos par les mots d’un chercheur, un grand historien d’art et d’architecture, François Loyer :

 « Le patrimoine n’a pas une réalité objective, il n’a que la signification que nous lui donnons, le sens n’appartient pas à l’objet, c’est nous qui le reconstruisons en permanence ».

Vous êtes 153 fonctionnaires et magistrats à travailler dans ce palais.

Ces espaces sont parcourus chaque semaine par des centaines de justiciables accompagnés d’avocats ou de collaborateurs de justice.

Ce sont donc des milliers de citoyens qui vont donner un sens à ce nouveau lieu. 

Car la Justice n’est pas une idée abstraite, mais une réalité vivante et fondamentalement humaine.

Je vous remercie de votre attention.

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