[Archives] Forum des huissiers de justice
Publié le 08 décembre 2016
Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Hôtel the Westin, Paris 1er – Jeudi 8 décembre 2016
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Comme toujours, vous avez fait preuve de cette liberté de ton que l’on vous connaît.
Et puisque vous m’avez reconnu, et je vous en remercie, la même liberté et la même franchise, c’est donc bien ainsi que je m’adresserai à vous.
Vous exercez un métier connu de tous, mais hélas fort mal connu de la plupart.
Comme vous l’avez écrit dans un livre au titre explicite (Salaud d’Huissier) « votre activité est la plus vilipendée par la littérature et l’opinion… Après les croque-morts et les agents immobiliers peut-être… Et encore… ».
C’est pour cela que, comme vous avez eu la courtoisie de le rappeler, j’ai, en effet, voulu découvrir il y a un peu plus d’un an, le quotidien d’un de vos confrères de Concarneau, commune voisine de la circonscription où je suis élu.
Et cela m’a permis de découvrir la réalité de votre métier.
Et nous sommes bien loin de l’archétype de l’huissier, de « l’exécrable huissier » pour parler comme Diderot (Jacques le fataliste) que l’on retrouve aussi chez Racine, Baudelaire ou St Exupéry.
J’ai vu que vous étiez là pour aider nos concitoyens à régler leurs problèmes, pas « pour les faire couler ».
J’ai ainsi constaté combien vous participez concrètement, au service public de la justice, en mettant à exécution les décisions, lorsque la partie perdante n’y procède pas volontairement.
C’est fondamental. C’est une condition essentielle à la réalisation de la Justice.
Il ne sert en effet à rien qu’une décision soit rendue, aussi bien fondée, aussi juste soit-elle, si elle ne peut pas être exécutée.
Et cette exécution, vous la faites, je le sais, avec humanité.
Par l’écoute, par la discussion, par le conseil, vous parvenez à mettre à exécution les décisions, sans l’emploi de la force, au mieux des intérêts du débiteur.
Votre intervention, je le crois, est bien souvent protectrice.
Mais votre profession ne se limite pas à l’exécution, bien au contraire.
Vous êtes d’ailleurs bien connus pour d’autres missions.
En témoigne la dernière demande vous concernant.
Vous savez que nous allons procéder sous peu au tirage au sort qui va décider des installations des nouveaux notaires dans les zones où le nombre de candidatures dépasse le nombre d’offices à créer.
Ø Et bien ce tirage au sort, beaucoup me demandent qu’il soit effectué sous l’œil d’un huissier.
Cela démontre le crédit dont vous disposez, l’autorité incontestable que vous incarnez, l’impartialité que vous symbolisez.
Ces caractéristiques sont d’autant plus précieuses qu’elles n’ont rien à voir avec une forme de crainte révérencielle.
Elles sont fondamentalement liées à la compétence de l’huissier de justice, et à votre statut d’officier public et ministériel, de délégataire d’une parcelle de puissance publique.
Elles constituent donc votre plus-value, un appui utile vous continuer à développer votre activité.
La récente réforme des textes qui régissent votre profession en constitue une opportunité.
Vous avez choisi de l’accompagner, et pour moderniser votre profession vous avez décidé de lui donner de l’élan.
Je sais Monsieur le président, la place que vous avez pris dans cette décision stratégique.
C’est à bon droit que vous citez Churchill qui affirmait « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne vous prenne par la gorge».
Et vous avez eu raison.
Oui, la masse des textes nécessaires pour la concrétiser donne le vertige.
Je n’avais pas compté mais, puisque cela vient d’un huissier, je fais confiance : 3 ordonnances, 10 décrets, 2 arrêtés publiés à ce jour…
Et vous avez eu raison de saluer la directrice de la Direction des affaires civiles et du sceaux, Carole Champalaune.
Avec ses équipes, elle a produit un travail considérable, dans un temps très bref et toujours dans un esprit de loyauté,
Quand bien même les choix effectués n’étaient pas ceux préconisés par la Chancellerie.
Tous ces textes ont été publiés ou sont sur le point de l’être.
Cette fin d’année est donc propice au bilan, au moins des changements apportés, sinon de leur mise en œuvre.
Que retenir de ces deux ans ?
Et surtout, qu’attendre de ces nombreux textes ?
Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je crois fermement à une chose :
Puisqu’une loi a été adoptée, il ne s’agit pas de revenir dessus, mais d’en saisir toutes les opportunités.
Et comme vous, je sais que ces textes ouvrent aux huissiers de Justice de nouvelles perspectives.
Notamment, quant aux activités qu’ils pourront exercer, et aux structures au sein desquelles ils pourront les exercer.
Mais je ne veux pas fuir vos questions.
Et je vous réponds sur l’article 35 du PLFR, c’est-à-dire la taxe sur le chiffre d’affaires.
Ce fonds et son financement sont une volonté du Parlement.
La taxe était prévue dans la loi promulguée le 6 août 2015 puis fut supprimée par le Conseil constitutionnel.
Ce dernier a considéré que le législateur ne pouvait pas laisser au pouvoir réglementaire le soin d’en déterminer l’assiette, en prévoyant que celle-ci serait constituée par les actes soumis au tarif, qui sont déterminés par décret.
Le législateur a donc souhaité, et demandé au gouvernement, que cette taxe soit désormais assise sur le chiffre d’affaires des professions soumises à un tarif, pour la fraction dépassant un certain seuil.
Le souci qui inspire le fonds est louable.
C’est une idée de solidarité, de redistribution puisque le législateur souhaite ainsi financer des aides à l’installation et au maintien de professionnels, dans des zones difficiles.
Néanmoins, et je l’ai entendu quand j’ai reçu la semaine passée une délégation des officiers publics ministériels, cette initiative intervient dans un contexte déjà bien agité.
J’entends votre irritation, et comme je le fais avec les autres professions du droit, je considère qu’il est de mon devoir de chercher à restaurer la confiance, seule base possible pour pouvoir bâtir l’avenir.
Le gouvernement cherche donc à concilier les aspirations répétées exprimées à l’Assemblée nationale et la prise en compte de vos observations.
Je devine que vous espérez la suppression de cette taxe, nous verrons…
Mais à mes yeux, son régime ne peut rester en l’état.
Il doit être possible, tout en conservant l’esprit de solidarité qui y préside, de déduire certaines charges de l’assiette, et d’en moduler le taux.
Les aides qu’elle financera ne devant être versées qu’en 2018, elle ne doit concerner que le chiffre d’affaires réalisé en 2017.
Vous avez d’ailleurs rappelé, Monsieur le président que ce chiffre d’affaires serait altéré en raison de la réduction de vos tarifs de 2,5%.
Cette décision n’a pourtant pas eu que des impacts négatifs :
Ä Le coût des droits fixes de l'acte, qui était exprimé en multiples du taux de base, est remplacé par un montant directement exprimé en euros.
Ä Ils ont clarifié la répartition entre les actes relevant du monopole qui sont tarifés et les actes concurrentiels qui font l'objet d'honoraires libres négociés.
Il n'y aura plus pour un même acte de cumul « tarif » et « honoraires ».
Ä Ils ont conservé la structure de l'ancien tarif, ainsi que les droits proportionnels (l'ancien DP 10), les coefficients multiplicateurs, le service de compensation des transports, le droit de recouvrement ou d'encaissement, la perception d'un droit d'engagement des poursuites, un tarif majoré en cas de procédures complexes ou urgentes.
Ä Les tarifs sont fixés provisoirement pour une période de deux ans, au terme de laquelle ils feront l'objet d'une révision, lorsque les données et les informations nécessaires seront disponibles.
Il me paraît important, à cet égard, que la chambre nationale des huissiers puisse obtenir la transmission des données comptables nécessaires.
Des dispositions réglementaires devront prochainement être prises en ce sens.
Grâce aux informations collectées, les tarifs seront alors fixés, acte par acte, en étant orientés vers les coûts pertinents et une rémunération raisonnable.
Ces différents aspects sont, à mon avis, positifs.
En outre, de nombreuses missions nouvelles ont été attribuées aux huissiers de justice.
1) Par exemple, la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances.
Cette procédure permet le paiement d’une créance d’un montant inférieur ou égal à 4 000 euros.
C’est une procédure rapide, puisqu’elle se déroule dans un délai d’un mois.
Cette procédure peut être menée en utilisant un mode de communication électronique.
Un dispositif, vous l’avez dit, a été mis en place par la Chambre nationale, démontrant cette volonté de modernité de votre profession que vous portez.
Elle aboutit à la délivrance d’un titre exécutoire par l’huissier de justice, lorsqu’il constate l’accord du créancier et du débiteur sur le montant et les modalités du paiement.
Cette procédure est le signe manifeste de ce rôle que l’huissier assume, d’apaisement dans l’exécution des actes et des décisions.
L’huissier ne représente pas ici la force, mais la conciliation.
Ce double rôle se traduit d’ailleurs dans le fait que, la mise à exécution forcée du recouvrement de la créance constatée dans le titre exécutoire, ne peut pas être réalisée par l’huissier de justice qui a établi le titre.
2) Les petites liquidations
En outre, une ordonnance du 1er juin permet aux huissiers de justice et aux commissaires-priseurs judiciaires d’exercer les fonctions de mandataire judiciaire à titre habituel.
Et ce, dans le cadre des procédures de rétablissement professionnel et des procédures de liquidation judiciaire ouvertes à l’égard des entreprises, qui ne comptent aucun salarié et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est inférieur ou égal à 100 000 €.
Cette ordonnance a modifié les articles du code de commerce applicables aux mandataires judiciaires, afin de les adapter aux statut et règles professionnelles qui leur sont propres.
Elle veille notamment à maintenir les mêmes exigences en termes d’indépendance et de prévention des conflits d’intérêts, qui sont potentiellement plus importants, dès lors que, par définition, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs n’exercent pas les fonctions de mandataire judiciaire à titre exclusif.
3) L’autre point important de la réforme, qui doit permettre de faciliter votre exercice professionnel, c’est la réforme des structures.
La loi du 6 août a ouvert à votre profession, comme aux autres professions du droit, toutes les formes juridiques, à l’exception de celles qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant.
Elle a également assoupli les règles de détention du capital, de création et de constitution des sociétés d’exercice libéral.
C’est un décret du 29 juin, qui l’a mis en œuvre.
Et puis, il y a surtout la création de la société pluri-professionnelle d’exercice (SPE) des professions du droit et de l’expertise-comptable.
Cette SPE a été instituée par une ordonnance du 31 mars 2016, publiée le 1er avril.
Les décrets d'application viennent d’être soumis à la consultation des professions, et seront ensuite transmis au Conseil d'Etat.
J’ai particulièrement veillé à préserver l’indépendance de chacune des professions et l’application de leurs règles d’exercice propres.
Par exemple, les SPE seront soumises aux contrôles, inspections et régime disciplinaire existants pour chacune des professions exercées.
Une communication entre les autorités de contrôle est prévue, pour que chacune puisse tirer, en ce qui la concerne, les conséquences des évènements concernant la société ou des manquements constatés.
Des mécanismes nouveaux de suspension et de retrait d'agrément sont également prévus, afin d'assurer, en toutes circonstances, le respect des conditions propres à l'exercice de telle ou telle profession
Ä Et en particulier des professions d'officier public et ministériel.
J’ai ainsi souhaité privilégier l'intégrité des mécanismes de contrôle existants sur une éventuelle souplesse, dans la mise en place des sociétés pluri-professionnelles d’exercices.
Et évidemment, je continuerais à être attentif aux observations que vous pourrez formuler, afin d'amender ou de compléter le dispositif mis en place.
Enfin, l’ordonnance créant la nouvelle profession dite de « commissaire de justice », est intervenue le 2 juin 2016.
Les « huissiers » bientôt rejoindront dans l’histoire les « sergents de justice », terme en usage avant la loi du 7 novembre 1790 qui organisa votre profession.
Le projet de loi de ratification a été déposé.
Lorsque nous nous sommes rencontrés le 12 avril 2016 à la Chancellerie, ce sujet était une réelle source de tension.
Mais rapidement, vous avez choisi de regarder tous dans la même direction, et de concevoir une profession qui rassemble le meilleur de vos deux métiers.
Et je tiens à saluer l’esprit dans lequel vous, M. le Président, et le Président Moretton avez participé à l’élaboration de cette réforme.
Vous avez en effet choisi de travailler ensemble, pour construire cette nouvelle profession.
Cette collaboration sera notamment précieuse pour l’élaboration des décrets d’application nécessaires à la mise en œuvre progressive de cette réforme.
Les premiers décrets à intervenir très rapidement, auront notamment pour objet de permettre la mise en place d’une formation spécifique commune, en amont de la réunion effective des deux professions.
Vous savez que, pour leur élaboration, la Chancellerie attend vos observations.
Et que la rédaction se fera en concertation avec les instances des professions concernées.
De même, dès l’avis de l’Autorité de la concurrence connu, nous nous attacherons à élaborer la carte et les recommandations qui l’accompagnent.
Cela se fera dans le double esprit de ne pas fragiliser les offices existants, et de permettre l’installation de nouveaux professionnels dans les meilleures conditions.
J’en viens maintenant à un point, dont vous avez souligné l’importance : la signification des actes en matière pénale et les audiences pénales.
S’agissant des délais de paiement, la direction des services judiciaires a mis en place un portail internet (Chorus portail pro) pour que les prestataires puissent saisir directement leurs mémoires en ligne.
La création d’une chaîne unique et dématérialisée de gestion des frais de justice, a notamment pour objectif :
Ä D’accélérer le temps de traitement des mémoires,
Ä De permettre un suivi de leur état d’avancement
Ä Et d’assurer une traçabilité des dépenses.
Après une expérimentation sur 3 cours d’appel pilotes et un déploiement auprès des juridictions en 3 vagues successives au cours de l’année 2015, le décret du 18 avril 2016 a généralisé le dispositif.
Le délai moyen de paiement est réduit depuis la mise en place du portail, il est près de 60 jours.
Vous bénéficiez d’une modalité de saisie simplifiée de leurs mémoires de frais.
Il vous suffit de saisir une seule ligne de prestation sur le Portail, correspondant en réalité à plusieurs prestations, récapitulées dans un bordereau que vous devez joindre à votre mémoire.
Enfin, le décret daté du 26 août 2013 a introduit un circuit spécifique pour vos états de frais, en donnant compétence de règlement au TGI de votre résidence.
Nous avons cherché à vous apporter de la simplification.
J’ajoute que ce circuit dérogatoire a été étendu au traitement de vos états de frais engagés devant la cour d’appel par un autre décret du 18 avril 2016.
S’agissant des audiences pénales, pour préciser vos missions et organiser plus précisément votre présence, une convention cadre a été signée entre nous le 8 décembre 2011.
Le ministère de la justice et la chambre nationale des huissiers de justice.
Elle devait en principe donner lieu à une déclinaison locale entre les chefs de juridiction et les huissiers de justice de leur ressort.
J’en ai demandé un bilan et à sa lecture, j’ai observé une forte disparité entre les juridictions.
Ainsi, il n’y a pas eu de déclinaisons locales partout, certaines juridictions l’ayant estimé inutile, compte-tenu des pratiques existantes.
Et surtout, certaines juridictions ont apporté des modifications au protocole type, notamment pour y mentionner que certaines audiences nécessitaient la présence constante de l’huissier de justice.
Parfois encore, des missions ont parfois été ajoutées à la charge de l’huissier, comme l’accueil des victimes ou encore la vérification de la présence effective des parties et des avocats dans la salle d’audience ou à proximité.
Devant une telle variété de situations, j’’ai donc demandé que le comité de suivi de la convention soit réuni afin d’envisager les éventuelles évolutions, qui pourraient être mises en place.
Cette réunion sera organisée par la directrice des services judiciaires en janvier 2017.
La Chambre nationale des huissiers de justice est membre de ce comité.
Elle sera donc associée à ces travaux.
Cette évaluation doit naturellement s’accompagner d’une réflexion sur la revalorisation des missions des huissiers de justice aux audiences pénales.
Les deux questions sont en effet évidemment liées puisque la rétribution accordée aux huissiers doit être fonction de l’étendue de la mission qui leur est confiée.
Ces travaux seront donc l’occasion d’une remise à plat du dispositif et surtout d’une harmonisation.
A l’aube de la nouvelle année, tout cela constitue de belles perspectives pour votre profession !
Mesdames, messieurs,
En débutant ce propos, j’évoquais la figure souvent moquée de l’huissier.
Il est curieux que les mêmes auteurs n’aient jamais évoqué la fonction de protection que vous accomplissez.
Jules Renard, Flaubert ou Paul Claudel n’hésitèrent pourtant pas à faire appel à votre profession pour défendre leurs droits d’auteur ou pour préserver leur œuvre contre les agissements des plagiaires.
Comme beaucoup de nos concitoyens, au-delà des images toutes faites, ils savaient pourtant que vous êtes avant tout une figure irréductible de la loi.
Et cette caractéristique ne s’est pas estompée avec le temps.
Cela vous rend, aujourd’hui comme hier, irremplaçables.
Je vous remercie.
Contact presse – Cabinet du garde des Sceaux
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