[Archives] Examen du projet de loi pénitentiaire au Sénat - 3 mars 2009

Publié le 03 mars 2009

Discours de Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

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12 minutes

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui pose les fondations d'une nouvelle vision de la prison.

Il vous propose une vision apaisée du monde pénitentiaire : pour l'opinion publique, la prison n'est pas un sujet populaire. La prison inquiète, la prison indigne, la prison porte en elle beaucoup d'images souvent caricaturées. Les discours sont souvent très tranchés entre les partisans de la liberté et ceux qui revendiquent davantage de fermeté.

Le projet de loi vous invite à dépasser les dogmes et les clivages. Il vous propose de bâtir une prison où l'enfermement ne s'oppose plus au respect de la dignité humaine. Il vous propose de construire une prison conforme à notre idéal républicain. Parce que nous voulons une démocratie irréprochable, nos prisons doivent être irréprochables.

Le projet de loi porte en lui une vision humanisée de la prison. La philosophie pénale qui a inspiré notre système pénitentiaire date du dix-huitième siècle. Elle est centrée sur la théorie des « délits et des peines » de Cesare Beccaria et non sur la personne du condamnée. La prison est conçue essentiellement comme le lieu où s'exécute une peine privative de liberté. Elle n'a pas d'autre finalité que d'exclure un condamné du reste de la société.

Le projet de loi met un terme à cette conception dépassée de la prison. Il vous propose de concevoir l'incarcération à partir de la personnalité du détenu et pas uniquement à partir de la peine. Le projet de loi prévoit de différencier les régimes de détention, de mettre en œuvre des droits individuels issus notamment des règles pénitentiaires européennes. Il vise à favoriser les activités de formation et de réinsertion. C'est une nouvelle conception de la prison et de sa finalité : la prison devient humaine et tournée vers l'avenir.

Cette humanité n'exclut pas la fermeté à l'encontre de ceux qui ne respectent pas les lois de notre République.

Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai voulu que la lutte contre l'insécurité et la récidive soit au cœur de mon action pour la Justice.

Les Français réclamaient davantage de sécurité. Ensemble, avec le soutien du Sénat, le Gouvernement a mis en œuvre une politique de fermeté à l'égard des délinquants, car la sécurité est le premier des droits de nos concitoyens.

Pour lutter contre la récidive, le Parlement a adopté la loi du 10 août 2007 : elle a déjà été appliquée à plus de 20 000 reprises. Pour lutter contre les criminels les plus dangereux, le Parlement a adopté la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté : elle concerne déjà 114 condamnés. Nous avons pris les mesures nécessaires.

Dans les prochains mois, le Parlement sera saisi du projet de code pénal des mineurs. Il était urgent de réformer l'ordonnance de 1945 et adapter notre droit aux évolutions de la délinquance des plus jeunes.

Cette politique pénale de fermeté était attendue par nos compatriotes. Elle a déjà montré son efficacité : la délinquance générale a baissé de 2 % en 2008.

Le Gouvernement a souhaité que cette politique pénale s'accompagne d'une politique pénitentiaire juste et exemplaire.

Vous le savez, les prisons françaises n'ont pas toujours été à l'honneur de la France.

Je le dis en toute clarté : tout n'est pas parfait en prison et ce n'est pas manquer de respect aux personnels de l'administration pénitentiaire que de le dire. Je mesure aussi leur engagement pour améliorer au quotidien les conditions de détention.

Chacun sait que leur mission est difficile. La double évasion survenue à Moulins le 15 février 2009 a une nouvelle fois montré les risques liés au métier de surveillant. Je veux, devant votre Assemblée, rendre hommage à l'ensemble des personnes qui interviennent en détention.

Leur engagement est exemplaire. Il ne doit pas masquer la réalité de notre situation pénitentiaire : une forte surpopulation carcérale, des établissements vétustes, des actes de violence commis en détention.

Devant l'urgence de cette situation, le Gouvernement a mis en œuvre, dès mai 2007, une politique énergique en faveur des prisons. Elle s'appuie sur 5 axes majeurs :

Pour renforcer l'état de droit en prison, nous avons instauré un contrôle indépendant de la détention. Tout le monde le réclamait depuis 10 ans. Le président Hyest avait d'ailleurs fait d'excellentes propositions. Le Gouvernement a souhaité agir très rapidement en faisant adopter la loi du 30 octobre 2007 qui crée le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

J'ai souhaité créer un contrôleur aux compétences larges : plus de 6000 lieux relèvent de son contrôle.

Nous avons voulu une mise en place rapide de cette autorité indépendante : Monsieur Jean-Marie Delarue a été nommé le 13 juin 2008, après avis des commissions des lois des deux assemblées.

Pour lutter contre la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de détention, nous avons construit de nouvelles places de prison, en application de la loi du 9 septembre 2002. Tous nos engagements ont été tenus : en 2008, nous avons ouvert 2 800 places. En 2009, nous en ouvrons 5 130. L'objectif est de disposer de 63 000 places en 2012. Nous y parviendrons.

Pour lutter contre la récidive, nous avons développé les aménagements de peine. Depuis mai 2007, les résultats obtenus sont très encourageants puisque les aménagements de peine ont progressé de + 34%.

Nous veillons aussi à ce que les détenus soient mieux suivis : aujourd'hui, 3 800 personnels travaillent dans les services d'insertion et de probation. Leur rôle est essentiel. En 2002, ils étaient seulement 1 800.

Dans le même temps, nous avons développé le recours au bracelet électronique : aujourd'hui, 3 730 condamnés sont placés sous surveillance électronique, soit une progression de 40% en un an. Fin 2009, 5 000 bracelets seront disponibles.

Pour améliorer la prévention du suicide en détention, j'ai demandé à un groupe d'experts, au mois de novembre dernier, de dresser un bilan des actions déjà engagées et de me proposer des mesures concrètes nouvelles pour améliorer le dispositif de prévention. Elles sont en cours d'examen par mes services. Elles donneront lieu à un nouveau plan d'action contre le suicide, en collaboration avec le ministère de la santé.

Enfin, pour que l'administration pénitentiaire exerce pleinement ses missions, le Gouvernement lui a accordé de nouveaux moyens. En 2009, le budget de cette direction progresse de 4,1% et 1 264 postes sont créés.

Cet effort budgétaire s'accompagne d'une revalorisation du statut des personnels. C'est la juste reconnaissance de leur travail.

Comme vous pouvez le voir, le Gouvernement n'est pas resté inactif pour améliorer les conditions de détention. Des mesures d'urgence ont été prises. Elles étaient nécessaires et ont permis d'obtenir des résultats.

Il faut maintenant engager une action sur le long terme. C'est l'objet du texte qui vous est soumis.

La dernière loi pénitentiaire remonte à 1987. Nous la devons à l'action visionnaire d'Albin Chalandon.

Durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a souhaité que notre pays se dote d'une loi fondatrice pour les prisons. C'est la mission qui m'a été confiée.

Le projet de loi pénitentiaire a été élaboré dans un esprit de concertation. Un comité d'orientation restreint (COR) composé de représentants du monde judiciaire et de la société civile a été mis en place dès le 11 juillet 2007. Les organisations syndicales pénitentiaires et les associations professionnelles, ont été associées à ses travaux. Le COR m'a remis de nombreuses propositions qui ont été très largement reprises par le Gouvernement.

Le projet de loi a également été examiné par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, saisie par le Gouvernement pour recueillir son avis.

Le texte qui vous est soumis aujourd'hui a largement évolué depuis son adoption en Conseil des ministres.

Pour la première fois, le texte discuté a pour base le projet de loi gouvernemental amendé par votre Commission des lois. Je salue à cette occasion le travail de fond accompli par le sénateur Lecerf. Cette procédure a contribué à enrichir le débat parlementaire. Je m'en réjouis pour notre démocratie.
Je me réjouis également de la richesse des échanges entre le Gouvernement et la commission des lois qui a permis d'aboutir à un accord sur l'essentiel du texte.
En effet, la commission des lois a adopté plus de 100 amendements dont l'immense majorité a été acceptée par le Gouvernement.
Dans cette nouvelle pratique parlementaire, il m'appartient de vous présenter les grandes ambitions du projet gouvernemental et de vous rappeler les points auxquels le Gouvernement est particulièrement attaché.

 Quelle est la philosophie du projet gouvernemental ?

La loi pénitentiaire n'a pas pour finalité de désengorger les prisons : elle est faite pour mieux prendre en charge les détenus, pour mieux préparer la réinsertion et pour prévenir la récidive. Elle répond à l'intérêt tout entier de la société et repose sur 5 objectifs complémentaires et essentiels pour une véritable modernisation de l'institution pénitentiaire.

- 1er objectif : Clarifier les missions du service public pénitentiaire

La réinsertion des détenus et la lutte contre la récidive deviennent deux missions prioritaires pour l'Administration pénitentiaire, au côté de la sécurité publique.

Le projet de loi précise que la mission de réinsertion s'effectue en liaison avec les autres services de l'Etat. C'est une nouveauté. Nous savons tous que la mission des services de la santé, de l'éducation nationale, des collectivités territoriales est fondamentale.

Votre rapporteur a également souligné l'action positive des délégués du Médiateur auprès des détenus. Je tiens d'ailleurs à remercier le Médiateur de la République. Son action en faveur des droits des personnes détenues contribue à l'apaisement des détentions.

- 2ème objectif : Une meilleure reconnaissance des personnels
Les conditions d'exercice des personnels ont profondément évolué au cours des dernières années. Leur métier est difficile, leur dévouement exemplaire. Pour renforcer leur autorité et définir leur champ d'action, le texte de loi prévoit la création d'un code de déontologie, une prestation de serment et la création d'une réserve pénitentiaire. Elle s'adresse à des personnels volontaires retraités de l'administration pénitentiaire et dispose désormais d'une assise juridique.

Par leur expérience et leur savoir-faire, ces agents contribuent au renforcement de la sécurité des palais de Justice et des bâtiments relevant du ministère de la Justice.

- 3ème objectif : Garantir les droits des détenus
Le projet de loi pose un principe simple : l'état de droit ne s'arrête pas aux portes des prisons.

L'exercice des droits ne peut être restreint que dans la seule limite imposée par la sécurité ou le maintien de l'ordre au sein des établissements pénitentiaires.

Les droits dont l'exercice en détention exige de déroger aux règles législatives de droit commun sont énumérés dans notre texte : la domiciliation à l'établissement pénitentiaire, le maintien des liens familiaux, le droit au travail ou le droit à l'insertion (par l'enseignement et la formation). Ce sont des droits fondamentaux qui seront mis en œuvre et qui ont toute leur place dans un texte de niveau législatif.

Ce principe de portée générale sera décliné s'agissant des autres droits dans un décret.

- 4ème objectif : Clarifier les régimes de détention

Il existe le principe constitutionnel de l'individualisation de la peine. Le projet de loi pose le principe législatif de l'individualisation de l'exécution de la peine.

L'objectif est d'individualiser les régimes de détention et de mieux encadrer les pouvoirs de l'administration pénitentiaire en matière de discipline et de fouille.

L'individualisation des régimes de détention se fera en fonction de la personnalité du détenu, de sa dangerosité et de ses efforts de réinsertion. Un bilan de personnalité sera réalisé lors du passage de la personne nouvellement écrouée dans le quartier arrivant. L'inscription dans la loi de cette pratique permet de garantir l'individualisation de la prise en charge de la personne détenue.

- 5ème objectif : Prévenir la récidive avec les aménagements de peines

C'est l'enjeu essentiel de ce texte. La prison est une sanction nécessaire mais elle doit être utilisée comme ultime recours.

Une peine d'emprisonnement doit pouvoir être exécutée en dehors de la prison. Le projet de loi pénitentiaire offre de nouvelles perspectives :
- le nombre de condamnés qui pourront prétendre à un aménagement de peines sera élargi ;
- le placement sous bracelet électronique pour les détenus en fin de peine sera prévu ;
- la procédure sera simplifiée pour la rendre plus efficace.

Vous le voyez, la loi pénitentiaire contient des avancées significatives.

Elle comporte également un dispositif destiné à limiter le recours à la détention provisoire grâce à l'assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique pour les prévenus.

De nombreux amendements ont été adoptés en commission ou déposés par les groupes. Certains améliorent considérablement le texte d'origine. Je pense en particulier à l'instauration d'une obligation d'activité pour les détenus ou la prise en compte de la confidentialité de leurs documents personnels pour leur propre sécurité. Je veux aussi souligner l'apport que représente la participation d'un membre extérieur à l'administration pénitentiaire à la commission de discipline. Cette ouverture symbolise l'entrée de la société civile dans le monde pénitentiaire.

Sur d'autres points, le Gouvernement entend faire valoir sa position et vous proposera d'amender le texte.

Je pense en particulier à la question de l'encellulement individuel. C'est un sujet difficile.

La commission des lois a souhaité affirmer le principe de l'encellulement individuel pour les prévenus et les condamnés.

Depuis mai 2007, le Gouvernement a mis tout en œuvre pour améliorer les conditions de détention :
- nous avons créé de nouvelles places ;
- nous avons rénové les établissements vétustes ;
- nous avons créé des emplois pour améliorer le suivi des personnes détenues.

Le Gouvernement a donc pris toutes ses responsabilités.

L'objectif est de garantir à tout détenu, qu'il soit prévenu ou condamné, un encellulement digne, sûr, et conforme tant à ses souhaits qu'à son intérêt.

C'est l'approche retenue par nos voisins européens. Elle est conforme aux règles pénitentiaires européennes. Je le redis.

Dans ce système, il ne s'agit pas de dire à la place du détenu ce qui est bien pour lui. Il s'agit d'offrir au détenu un véritable choix, entre cellule individuelle et cellule collective, qui dans tous les cas, garantit sa sécurité et sa dignité.

Cette solution n'était pas en tous points notre projet initial mais j'ai tenu compte de vos avis exprimés en commission. J'espère que nos débats permettront d'aboutir à un accord. Ainsi le gouvernement se rapproche de votre position sur trois points essentiels :

- Nous garantissons l'encellulement individuel pour tous les détenus qui en font la demande.
- Il n'est plus fait de distinction entre les prévenus et les condamnés.
- Il ne pourra plus être opposé à la volonté du détenu le motif tiré de l'encombrement ou de la distribution intérieure des locaux.

Cette nouvelle disposition, d'une ambition sans précédent, doit être assortie d'un moratoire de 5 ans permettant l'achèvement du programme actuel de construction de nouveaux établissements.

En plus de ceux sur l'encellulement individuel, le Gouvernement souhaite défendre d'autres amendements :

- la question de la motivation spéciale du régime de détention plus sévère. J'ai compris que votre position s'expliquait par la crainte de voir des droits ôtés aux détenus sans garantie. Il n'en est rien ; je l'affirme.

En adaptant le régime de détention à la personnalité du détenu, nous ne portons pas atteinte à ses droits. Le régime différencié, c'est essentiellement l'ouverture ou non des portes des cellules et l'accompagnement des détenus aux activités qui leur sont proposées.

La motivation exigée par votre commission sera source de difficultés pratiques et de contentieux. Elle risque au final de paralyser la mise en œuvre de cet objectif. Le Gouvernement n'y est donc pas favorable.

- la durée des sanctions de placement au quartier disciplinaire. Votre rapporteur propose de les limiter à 30 jours en cas d'agression physique sur les personnes. Je souhaite pouvoir aller jusqu'à 40 jours. L'an dernier, plus de 500 agents ont été agressés. Je ne peux l'admettre et il faut des sanctions exemplaires.

- les droits d'expression et de manifestation des personnels.

La commission des lois a adopté un amendement modifiant l'ordonnance du 6 août 1958 portant statut du personnel pénitentiaire et reconnaissant un droit d'expression et de manifestation dans les conditions prévues par le statut général des fonctionnaires de l'Etat.

Ce renvoi par la loi spéciale à la loi générale est source d'ambiguïté, alors même que votre commission n'entend pas modifier le statut spécial des agents.

- la saisine du juge des référés par un détenu placé à l'isolement. La commission a introduit un amendement qui présume l'urgence en cas d'isolement de la personne détenue. Il va de soi que tout détenu, comme tout citoyen, peut saisir le juge des référés. Mais l'isolement n'est pas à lui seul constitutif de la situation d'urgence. Le Gouvernement souhaite donc revenir au texte initial.

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Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte qui fera entrer notre système pénitentiaire dans le XXIe siècle.

Cette loi est attendue depuis vingt ans. Nous avons l'occasion de refonder notre politique pénitentiaire, de la rendre plus humaine, davantage tournée vers l'avenir.

C'est une opportunité immense. Sachons, ensemble, la saisir.

Je vous remercie.