[Archives] Discours de Mme Rachida Dati, garde des sceaux à Poitiers

Publié le 12 novembre 2007

Présentation aux élus du Limousin, de Poitou-Charentes et de Vendée du projet de schéma des CA de Poitiers et Limoges

Présentation aux élus du Limousin, de Poitou-Charentes et de Vendée du projet de schéma d’organisation judiciaire dans le ressort des cours d’appel de Poitiers et de Limoges

Madame Rachida Dati - Cour d'appel de Poitiers /Crédits Photos : C. LACENE

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Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs les Députés, Sénateurs et Députés européens,

Madame et Monsieur les Préfets de Région,

Madame et Monsieur les représentants des Présidents des conseils régionaux du Limousin et de Poitou-Charentes,

Madame et Messieurs les Présidents de conseils généraux, ou leurs représentants,

Messieurs les Préfets,

Messieurs les Premiers Présidents,

Madame et Monsieur les Procureurs généraux,

Mesdames et Messieurs les Maires et élus des collectivités,

Je veux d'abord vous remercier de votre présence aujourd'hui, à Poitiers, et tout particulièrement celles et ceux d'entre vous qui viennent de loin. Je sais que c'est une contrainte pour beaucoup d'entre vous. Je connais aussi vos obligations d'élus.

La réforme de la carte judiciaire a été engagée le 27 juin dernier. Nous avons mené de nombreuses concertations. Je souhaite vous rencontrer aujourd'hui pour vous présenter les évolutions que nous envisageons pour les cours d'appel de Limoges et de Poitiers. Je les présenterai tout à l'heure aux acteurs du monde judiciaire.

Vous le savez, cette réforme est importante. Comme toute réforme, elle n'est pas facile. Je veux vous assurer que la réforme de la carte judiciaire est conduite dans l'intérêt du justiciable, et donc des Français. Elle est inspirée de deux principes : la qualité de la justice et la réalité du territoire. Elle sera progressive et étalée sur trois ans.

 

I - Nous voulons renforcer la qualité de la justice.

Les constats sont connus. On sait bien que certains facteurs ne contribuent pas à une justice de qualité. Quelques exemples :

  • L'isolement des juges et l'absence de soutien pour ceux qui débutent dans la magistrature
  • Un juge isolé dans son tribunal n'a pas de possibilité d'échanges avec des magistrats plus expérimentés.
  • La multiplicité des fonctions que les magistrats sont amenés à exercer dans les plus petites juridictions.
  • Les magistrats passent d'un dossier à l'autre : ils sont tour à tour juge correctionnel, juge d'instruction, juge aux affaires familiales, juge de l'exécution, juge du surendettement...
  • La dispersion des moyens qui rend la tâche si difficile quand un magistrat ou un greffier est absent.
    Tous les gouvernements, de droite et de gauche, augmentent les moyens de la justice depuis dix ans. Et on ne parvient pas à assurer la continuité nécessaire du service public.
  • La difficulté d'assurer la sécurité dans 1 200 juridictions réparties sur 800 sites.
  • L'insuffisante spécialisation des juges alors que les contentieux sont de plus en plus techniques et les procédures de plus en plus exigeantes.


La réorganisation de la carte judiciaire, à elle seule, ne règlera pas toutes les difficultés. Elle n'est que l'un des aspects de la réforme de la justice.


Le regroupement et la mutualisation des moyens sont une condition d'une justice plus rapide et plus efficace. Dans une juridiction plus importante, l'organisation du travail permet un audiencement plus rapide des affaires. La charge de travail est mieux répartie. Les magistrats peuvent s'entraider. Les services du greffe sont ouverts en permanence. Ils sont spécialisés et plus efficaces. On améliore ainsi la réponse apportée à tous les justiciables.


Lorsque l'on est tout seul, lorsque les moyens sont dispersés, on ne peut pas traiter chaque dossier avec une qualité égale. On ne peut pas suffisamment écouter et accompagner les victimes.

II - Et puis il y a la réalité du territoire. Nous voulons la prendre en compte.



La justice doit être la même pour tous, sur l'ensemble du territoire. Il y a des endroits où elle n'est pas assurée dans de bonnes conditions. Il y a des juridictions sans magistrat, ou sans fonctionnaire. Ce ne sont plus des juridictions.


Notre carte judiciaire est héritée du XIXe siècle. Sa dernière réforme date de 1958. La France a beaucoup changé depuis cinquante ans. Nous devons adapter le service public de la justice aux évolutions démographiques, économiques et sociales de notre pays.


Chaque région a aussi son histoire, ses spécificités. Il n'y a pas de règle mécanique, plaquée uniformément depuis Paris. Nous avons recherché objectivement les meilleurs équilibres.


Les ressorts des deux cours d'appel ne sont pas modifiés. La question s'est légitimement posée pour la région Poitou-Charentes. Nous avons écouté les arguments des uns et des autres. Nous avons regardé les conséquences sur les autres cours d'appel et sur les régions voisines. On voit bien les effets en chaîne sur Bordeaux, Angers, et même Rennes et Angers. Il n'y avait pas de solution équilibrée et consensuelle, en dehors d'une décision mécanique et nationale. Ce n'est pas l'esprit de notre réforme.

III - La réforme de la carte judiciaire sera étalée sur trois ans.

1 - Elle commencera en 2008 avec la mise en place des pôles de l'instruction.

Après le drame d'Outreau, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté une loi qui vise à éviter l'isolement des juges, à encadrer les jeunes magistrats et à renforcer la collégialité. Le législateur a ainsi prévu la création de pôles de l'instruction.

Cette disposition entre en vigueur le 1er mars 2008, avec des formations collégiales de deux juges d'instruction, pour l'instruction des crimes et des délits les plus graves ou les plus complexes. Elle concernera toutes les affaires soumises à l'instruction à partir du 1er janvier 2010, avec des formations collégiales de trois juges d'instruction.

Nous nous sommes inscrits d'emblée dans la perspective de l'échéance de 2010. Il est paru logique de retenir comme pôle de l'instruction les tribunaux de grande instance qui ont d'ores et déjà une activité en matière d'instruction suffisante pour trois magistrats.

Dans ces conditions, la cour d'appel de Limoges ne peut compter qu'un seul pôle de l'instruction. Il sera fixé, à partir du 1er mars 2008, au tribunal de grande instance de Limoges.

La cour d'appel de Poitiers comptera trois pôles de l'instruction : ils seront fixés aux tribunaux de grande instance de Poitiers, La Rochelle et La Roche-sur-Yon. L'activité d'instruction de Bressuire et Niort sera rattachée au pôle de Poitiers. Celle de Rochefort et Saintes à La Rochelle. Celle des Sables-d'Olonne à La Roche-sur-Yon.

Comme leur nom l'indique, ces pôles ne seront compétents qu'en matière d'instruction. Tous les tribunaux de grande instance - ceux qui seront pôles de l'instruction comme ceux qui ne le seront pas - conserveront leur compétence pour juger les délits. Les cours d'assises de Limoges, Tulle, Guéret ainsi que de Poitiers, Saintes, Niort et La Roche-sur-Yon resteront compétentes pour juger les crimes.

2 - La réforme de la carte judiciaire se poursuivra en 2009 avec les tribunaux d'instance et les tribunaux de commerce.

Pour les deux cours d'appel, on compte 28 tribunaux d'instance.

  • 20 n'ont qu'un seul juge d'instance
  • 1 est actuellement sans magistrat
  • 11 comptent moins de 5 fonctionnaires
  • 15 ont une activité qui ne justifie pas l'emploi d'un juge à plein temps.

L'étude des propositions remises par les chefs de cour, des situations concrètes et des équilibres territoriales nous amène à concentrer l'activité de proximité sur 11 tribunaux d'instance pour les sept départements.

Dans la cour d'appel de Limoges, la Corrèze comptera deux tribunaux d'instance, à Brive-la-Gaillarde et à Tulle. L'actuel tribunal d'instance d'Ussel sera regroupé avec celui de Tulle, qui aura ainsi un poids équivalent à celui de Brive.

Dans la Creuse, l'activité des trois tribunaux d'instance est réduite. Même cumulée, elle justifie à peine l'emploi de deux juges à plein temps. Les tribunaux d'instance d'Aubusson et Bourganeuf seront donc regroupés avec celui de Guéret.

En Haute-Vienne, les actuels tribunaux d'instance de Bellac, Rochechouart et Saint-Yrieix-la-Perche seront regroupés avec celui de Limoges.

Dans la cour d'appel de Poitiers, la Charente-Maritime comptera quatre tribunaux d'instance : à Jonzac, La Rochelle, Rochefort et Saintes.
L'actuel tribunal d'instance de Marennes sera regroupé avec celui de Rochefort.
Celui de Saint-Jean-d'Angély avec Saintes, de même que le greffe détaché de Royan.



Pour équilibrer les nouveaux ressorts et consolider le tribunal d'instance de Jonzac, les cantons de Pons et Gemozac pourront être adjoints à son ressort.


Les Deux-Sèvres compteront deux tribunaux d'instance, à Niort et Bressuire. L'actuel tribunal d'instance de Melle sera regroupé avec celui de Niort.
Celui de Parthenay avec Bressuire, de même que le greffe détaché de Thouars.


La Vendée comptera, comme aujourd'hui, trois tribunaux d'instance, à Fontenay-le-Comte, La Roche-sur-Yon et aux Sables-d'Olonne.

La Haute-Vienne comptera deux tribunaux d'instance à Châtellerault et Poitiers. Les actuels tribunaux d'instance de Civray, Loudun et Montmorillon seront regroupés avec celui de Poitiers.



Les maisons de justice et du droit sont toutes maintenues, là où elles sont implantées, à Brive, Limoges et La Rochelle.



Pour les tribunaux de commerce, notre projet s'appuie sur les recommandations de la conférence des juges consulaires de France et du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. La réforme vise à améliorer la qualité, l'impartialité et la lisibilité de la justice commerciale.


Nous voulons renforcer l'implication des parquets dans le suivi de l'ensemble des procédures commerciales. Nous voulons mieux garantir l'impartialité des juges consulaires : les commerçants veulent bien être jugés par des commerçants ; ils ne veulent pas être jugés par des concurrents.


Nous voulons aussi renforcer la compétence technique des juges consulaires. Les contentieux ont évolué. Ils sont plus complexes, qu'il s'agisse de la prévention des difficultés des entreprises, de la sauvegarde des entreprises, des procédures collectives et même du contentieux général. La justice commerciale est donc appelée à être resserrée et renforcée.


La cour d'appel de Poitiers comptera cinq tribunaux de commerce, à La Roche-sur-Yon, La Rochelle, Niort, Poitiers et Saintes.
Les actuels tribunaux de commerce de Marennes (211 affaires contentieuses par an) et Rochefort (90 affaires contentieuses) seront regroupés avec celui de La Rochelle.

La compétence commerciale du tribunal de grande instance de Bressuire sera transférée au tribunal de commerce de Niort. La justice commerciale sera ainsi mieux identifiée.


La cour d'appel de Limoges comptera trois tribunaux de commerce, à Brive, Guéret et Limoges.

Un tribunal de commerce sera en effet créé à Guéret. La compétence commerciale du TGI de Guéret lui sera transférée.
L'actuel tribunal de commerce de Tulle, qui traite en moyenne 152 affaires contentieuses par an, sera regroupé avec celui de Brive. La conférence des juges consulaires de France a préconisé ce regroupement.



3 - La réforme s'achèvera en 2010 avec les tribunaux de grande instance.



En premier lieu, quelques contentieux très spécialisés seront traités au niveau interrégional. Ils nécessitent une spécialisation accrue des juges et une jurisprudence mieux harmonisée : contentieux de l'adoption internationale, du droit de la presse, de la nationalité, de l'indemnisation de l'amiante, des catastrophes en matière de transport.



Dans ces affaires complexes, il faut des juges spécialisés pour une justice de meilleure qualité : plus on disperse, moins on garantit la compétence. Notre objectif, c'est de faire émerger des chambres spécialisées. La spécialisation est gage de sécurité technique et de rapidité d'analyse. Cela permettra aussi de mieux garantir l'égalité de traitement des justiciables. Je pense notamment au douloureux contentieux de l'amiante.


Ces affaires seront traitées au tribunal de grande instance, siège depuis 2004 de la juridiction interrégionale spécialisée : c'est-à-dire Bordeaux pour le ressort de la cour d'appel de Limoges, et Rennes pour celui de Poitiers. Le Parlement sera appelé le moment venu à se prononcer sur cette répartition des contentieux. Celle-ci relève en effet du domaine de la loi.


En second lieu, il faut accepter des regroupements de tribunaux de grande instance là où on peut le faire.


La présence de la justice restera forte sur les deux cours d'appel avec 9 TGI :

  • Brive, Guéret et Limoges pour la cour d'appel de Limoges ;
  • La Rochelle, Saintes, La Roche-sur-Yon, Les Sables-d'Olonne, Niort et Poitiers pour la cour d'appel de Poitiers.

En Corrèze, le volume de l'activité judiciaire ne nécessite pas deux tribunaux de grande instance. Quand deux villes sont situées à moins de 30 kilomètres de distance, on peut tout à fait mutualiser les moyens. Nous proposons de mettre le tribunal de grande instance compétent pour la Corrèze à Brive, là où il y a la plus forte activité judiciaire. Tulle restera le siège de la cour d'assises.


Dans les Deux-Sèvres, l'actuel tribunal de grande instance de Bressuire, qui a une très faible activité judiciaire, sera regroupé avec celui de Niort.


En Charente-Maritime, le niveau de l'activité judiciaire et la bonne répartition des moyens plaident pour deux TGI dans ce département. L'importance des ressorts et l'équilibre territorial justifient le maintien de Saintes et le regroupement de l'actuel tribunal de grande instance de Rochefort avec celui de La Rochelle. Le nouvel équilibre judiciaire suivra une diagonale avec le TGI de La Rochelle, sur la façade maritime, le TI de Rochefort, le TGI de Saintes dans les terres et le TI de Jonzac.


Je sais que ces regroupements ne sont pas une perspective facile. Ils sont pourtant nécessaires. Ils sont raisonnables. Je comprends l'émotion des élus, les inquiétudes des personnels et celles des avocats.


Tulle, Bressuire et Rochefort seront toujours des villes judiciaires. Elles auront même des tribunaux d'instance renforcés.

Ils seront d'abord renforcés par le regroupement avec les actuels tribunaux d'instance d'Ussel, de Parthenay et de Marennes. Ils seront surtout renforcés par une nouvelle possibilité qui leur sera donnée : ils continueront à accueillir le contentieux des affaires familiales.

Ce contentieux relève du tribunal de grande instance. Nous proposons de mettre en place des audiences foraines, où c'est un juge du TGI qui se déplace.


Il faut aussi se projeter dans l'avenir : les nouvelles technologies permettent une nouvelle forme de proximité.
Demain, le justiciable et son avocat pourront recevoir un jugement par courrier électronique. Ils pourront suivre l'avancement de leur procédure sans avoir à se déplacer. Ils pourront compléter ou consulter un dossier à distance.
Les procédures pénales seront numérisées en 2008, les procédures civiles en 2009.

Nous serons bien entendu attentifs aux conséquences pour les avocats. Je sais que c'est un point important qui compte pour une ville. 26 avocats sont inscrits au barreau de Tulle, 25 à celui de Bressuire, 47 à celui de Rochefort. Ils sont près d'un millier au total dans le ressort des deux cours d'appel.


Nous sommes prêts à envisager des mesures compensatoires. J'en ai parlé avec leurs représentants nationaux.
Les bâtonniers sont en contact avec mon cabinet. J'en parlerai tout à l'heure à leurs représentants.


Le regroupement des TGI comme celui des autres juridictions sera mis en œuvre avec le souci des personnels qui seront accompagnés individuellement.
Nous prendrons en compte les conséquences en matière de logement, de déplacement et de carrière. La réforme ne s'appliquera pas du jour au lendemain. Nous allons les aider à s'y préparer.


Dès la semaine prochaine, la mission carte judiciaire de la chancellerie, se rendra dans les cours d'appel pour faire un premier point des situations individuelles.


La mission étudiera également les conséquences immobilières de la réorganisation. Il s'agit d'améliorer les conditions de travail des personnels en juridiction ainsi que les conditions d'accès des justiciables.

Rachida Dati - Cour d'Appel de Poitiers / Crédits Photos / C. LACENE

                                                  

Comme vous pouvez le constater, nous avons privilégié une démarche pragmatique, et non mécanique. Nous avons recherché le meilleur équilibre entre les impératifs de modernisation de l'institution judiciaire, de renforcement de la qualité de la justice au service de nos concitoyens et l'indispensable prise en compte des équilibres territoriaux.


Je sais que vous partagez ces préoccupations. Le Gouvernement vous propose que nous les mettions en œuvre ensemble pour que demain la justice réponde mieux aux aspirations de nos concitoyens.


Je vous remercie.