[Archives] Dépénalisation de la vie des affaires

Publié le 20 février 2008

Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

Monsieur le Premier Président,
Madame et Monsieur les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les hauts magistrats,
Mesdames et Messieurs,

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Mes premiers mots sont pour le Premier président Coulon et pour les membres du groupe de travail sur la dépénalisation de la vie des affaires.

En quatre mois, vous avez accompli un travail remarquable. Vous avez auditionné de nombreuses personnalités. Vous avez creusé de multiples pistes.

Le 4 octobre, lors de l'installation de la commission, je vous avais demandé d'oser, d'être imaginatifs, d'être novateurs. Je crois que vous avez réussi. Vous avez dégagé trente propositions. Elles sont innovantes. Elles sont modernes. Elles sont équilibrées.

 

Ce travail de qualité mérite une large diffusion publique. Votre rapport est publié par la Documentation française. Il sera ainsi accessible à tous les Français, et notamment à tous ceux qui s'intéressent à l'évolution du droit.

C'est maintenant au tour du Gouvernement et du Parlement de se saisir de votre rapport. Les députés et les sénateurs connaissent bien les questions qu'il soulève : Philippe Marini a travaillé à la modernisation du droit des sociétés. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung ont proposé « un droit de la prescription moderne et cohérent ». Leurs travaux ont trouvé un large écho. Le Sénat a déjà adopté une proposition de loi sur la prescription civile. Nous allons maintenant aller plus loin. Le Parlement aura à légiférer.

Vos travaux sur la dépénalisation de la vie des affaires étaient attendus : par la Justice, par les entreprises. Mais aussi pour l'économie de notre pays.

Ils ont déjà animé le débat public. Toute la presse en parle avant même la remise du rapport !

Vos travaux sont aussi attendus par tous ceux qui ne proposent jamais rien, mais qui sont toujours prêts à critiquer.

 

Certains ont accusé le Gouvernement de vouloir dépénaliser toute la vie des affaires. Certains ont pensé que le Gouvernement voulait favoriser certaines entreprises. On a même affirmé que le Gouvernement voulait protéger les patrons voyous !

Ceux qui disaient cela se sont trompés. En lisant votre rapport, ils peuvent s'en rendre compte facilement.

Pourquoi votre commission ? Pourquoi une réflexion sur le droit pénal des affaires ?

Il faut revenir aux sources des engagements que nous avons pris : ce sont des engagements pour la France et pour les Français. C'est cela qui guide l'action du Gouvernement.

Nous voulons moderniser notre droit des affaires pour redonner aux Français l'esprit d'entreprendre.

Les Français veulent avoir confiance dans l'avenir. Ils veulent travailler. Ils attendent de mieux vivre. Ils sont prêts à prendre des risques. C'est leur première attente. Ils l'ont exprimé en mai dernier en élisant Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.

 

Pour cela, il faut redonner du dynamisme à notre économie ; il faut rechercher la croissance.

Le Gouvernement s'y est attelé en valorisant le travail, en libérant les énergies. C'est le travail qui créé la richesse. C'est le travail de tous qui fait la richesse de chacun.

Libérer le travail, c'est par exemple défiscaliser les heures supplémentaires : 46 millions d'heures supplémentaires ont été effectuées au mois de décembre.

La Chancellerie, parce que c'est le ministère du droit, doit aussi contribuer à libérer les énergies. La croissance, il faut aller la chercher. Tous les ministres sont mobilisés. Le droit peut être un levier de la croissance.

Plusieurs réformes importantes sont en cours. Elles favoriseront l'activité des entreprises. Elles sont destinées à lever certains obstacles à l'expansion économique.

  • La réforme du droit des faillites permettra de recourir plus facilement à la procédure de sauvegarde. Cela permettra de sauver davantage d'entreprises.
  • La prescription civile, je l'ai dit, va être réformée. C'est la proposition du Président Hyest, votée par le Sénat et qui sera adoptée, je l'espère, avant l'été.

Le délai de droit commun passera de 30 ans à 5 ans en matière civile. La sécurité juridique sera renforcée.

- Le droit des contrats sera modernisé. Nous voulons le rendre plus cohérent et plus lisible.

- La présidence française de l'Union européenne sera l'occasion de soutenir le projet de création d'une société privée européenne. Il aidera nos PME à se développer partout en Europe.

- Je soumettrai par ailleurs au Parlement le projet de loi facilitant les fusions transfrontalières au sein des Etats de l'Union. Là encore, cela offrira de nouvelles perspectives à nos entreprises.

- Nous commençons aussi à réfléchir, en concertation avec les professions, aux propositions du rapport Attali. J'ai reçu lundi le président du Conseil supérieur du notariat. Il m'a proposé d'augmenter de 20 % le nombre de notaires dans notre pays. C'est plus de concurrence. C'est un meilleur service rendu à nos concitoyens.

Vous le voyez, il faut aller chercher la croissance, partout où on le peut.

Bien sûr, les entreprises sont le premier levier de la croissance. C'est pour cela que la Nation doit se rassembler derrière ses entreprises. Des entreprises performantes, ce sont des embauches et des investissements. C'est de la croissance et du pouvoir d'achat.

Comment y parvenir si le risque pénal s'ajoute systématiquement au risque financier ?

Comment y parvenir si les règles du jeu changent en permanence ?

Comment y parvenir si la moindre erreur de gestion peut vous conduire en prison ?

Comment assurer la stabilité d'une entreprise quand une condamnation peut intervenir dix ans après les faits ?

Ce sont des questions de fond. Beaucoup ont refusé de se les poser. C'est plus facile d'opposer le droit et l'économie que de faire du droit un levier de croissance et de confiance.

Monsieur le Premier président Coulon, votre commission m'a remis trente propositions.

 

Je veux vous le dire en toute franchise : je les trouve séduisantes. Je veux les mettre en œuvre.

Je retiens cinq enjeux majeurs pour cette réforme.

 Premièrement, notre monde économique a besoin de règles claires, stables et cohérentes.

C'est un préalable. Il est bon de le rappeler.

Un dirigeant d'entreprise prend des risques. Il fait des choix. Le marché change. La demande change. Les attentes des clients changent. C'est cela l'économie de marché.

Mais il ne faut pas que les règles du marché changent constamment.

Notre manière d'élaborer la loi pénale doit se faire différemment. Elle doit être plus rigoureuse.

Le ministère de la Justice est le ministère du droit. Il doit prendre ses responsabilités. Il doit veiller, en liaison avec les autres ministères, à ce que les différentes réglementations soient cohérentes. Il doit veiller à ce que, pour chaque nouvelle loi, une étude d'impact soit effectuée.

Dès à présent, je veux supprimer ou modifier une quarantaine d'infractions en droit des affaires. Elles sont inutiles.

Par exemple, quand un dirigeant de SARL ou de SA ne réunit pas une assemblée générale, il risque 6 mois d'emprisonnement et 9 000 euros d'amende.

C'est complètement disproportionné. Je veux changer les choses. Une injonction de faire, éventuellement sous astreinte, me paraît tout aussi efficace.

C'est ainsi que nous éviterons les empilements de textes. C'est ainsi que nous éviterons les contradictions.

C'est ainsi que nous redonnerons confiance à tous ceux qui prennent chaque jour le risque d'entreprendre.

 Deuxièmement, nous devons recentrer la Justice pénale sur sa vocation initiale : sanctionner les comportements les plus graves.

La Justice pénale doit lutter contre les délinquants de la finance.

Dépénalisation de la vie des affaires - Crédits Photos C MONTAGNE

 

Ceux qui mentent, ceux qui fraudent, ceux qui détournent l'argent de leur société doivent être sanctionnés.

Pourquoi ?

  • parce qu'ils mettent en danger leurs salariés et leurs actionnaires,
  • parce qu'ils font courir un risque inacceptable à notre économie.

La Justice ne baissera pas la garde.

Je vous le confirme : l'abus de biens sociaux et le délit d'initié ne seront pas dépénalisés.

Bien au contraire, nous serons plus fermes. Je retiendrai votre proposition d'augmenter de 2 à 3 ans la peine d'emprisonnement pour les délits d'initié.

Je veux aussi renforcer la spécialisation des magistrats. Nous avons aujourd'hui des moyens efficaces pour lutter contre la criminalité organisée. Nous devons avoir des moyens efficaces pour lutter contre la délinquance financière.

 

C'est pourquoi j'ai nommé le 1er février le responsable de la direction des ressources humaines au ministère de la justice : il faut repérer les compétences, il faut les utiliser. Surtout dans les matières complexes, comme les affaires économiques et financières. Nous pourrons ainsi affecter les bonnes personnes aux bons postes.

J'ai également entrepris de réformer en profondeur l'Ecole nationale de la magistrature. Elle proposera des formations continues longues et spécialisées dans le domaine économique et financier. Ces formations s'appuieront sur l'excellence des universités et des grandes écoles de commerce.

Les magistrats le savent : si on encourage la spécialisation, si on propose les bonnes formations, si on mène une véritable politique des ressources humaines, les pôles financiers pourront pleinement exercer leurs missions. Je ne doute pas que le CSM en mesure les enjeux lorsqu'il décide des nominations.

 Troisièmement, nous devons limiter les cumuls de sanctions.

A-t-on besoin de sanctionner deux fois, trois fois un manquement ? Je vous pose la question.

Je ne suis pas favorable au cumul des sanctions disciplinaires, administratives et judiciaires.

La commission propose de remplacer certaines infractions pénales du droit de la concurrence, notamment celles qui touchent à des questions de formalisme, par des sanctions administratives. Ces sanctions seraient prononcées par le Conseil de la concurrence. C'est une piste de travail tout à fait intéressante. Nous l'examinerons avec Christine Lagarde. Le bon critère, c'est l'efficacité.

En matière boursière, vous proposez également de mieux articuler la sanction pénale et la sanction administrative. Qu'est-ce que l'on cherche ? On cherche à rendre effective la répression des délits boursiers. Il faut être sûr que les procédures seront tranchées rapidement.

Une grande place financière comme Paris a besoin dans ce domaine de sanctions rapides. C'est une des conditions de son bon fonctionnement. Nous examinerons aussi cette question avec Christine Lagarde.

La commission propose également la création d'une véritable équipe commune d'enquête regroupant des agents de l'Autorité des marchés financiers et des enquêteurs judiciaires.

J'y suis très favorable. Nous gagnerons en efficacité.

Enfin il faut choisir une sanction dissuasive et appropriée. Je pense en particulier à la transaction qui permet à l'administration de transiger sans passer par la voie pénale. Vous faites là aussi de très bonnes propositions.

 Quatrièmement, je veux renforcer la sécurité juridique.

Aider les entreprises, c'est aussi leur garantir une sécurité juridique. Les entrepreneurs doivent gérer les risques économiques. Il ne faut pas leur rajouter des risques juridiques.

Je souhaite, comme vous le proposez, que la réforme des délais de prescription, amorcée par le Sénat en matière civile, ait une portée générale.

Cette réforme concernera tous les crimes et délits, et pas seulement la matière économique et financière. Cela avait d'ailleurs été proposé par la mission d'information de la commission des lois du Sénat.

La jurisprudence a considérablement étendu les délais qui permettent de poursuivre l'auteur d'un crime ou d'un délit. Si une juridiction estime que ce délit a été dissimulé, il pourra être poursuivi plusieurs dizaines d'années après qu'il a été commis.

C'est le cas pour la prescription de l'abus de biens sociaux. C'est une source d'incertitude. Ce n'est pas satisfaisant.

Il ne s'agit pas de protéger ceux qui commettent des abus de biens sociaux. Il s'agit de les punir en temps voulu.

Il ne s'agit pas de faire peser sur une entreprise un risque pénal de façon quasi indéfinie. C'est elle qui risque de subir un nouveau préjudice alors que le dirigeant fautif n'est peut-être même plus en place !

Et chacun le sait en matière d'enquête : plus le temps passe, moins on retrouve les preuves !

Il est temps de donner de la stabilité à notre droit pénal des affaires. Il faut le faire de manière équilibrée.

C'est pourquoi je retiens votre idée d'un délai fixe de prescription. Il sera plus long que les délais actuels. Il aura un point de départ intangible fixé à la date de commission des faits délictueux.

Ces nouveaux délais seraient de :

  • 15 ans pour les crimes (au lieu de 10 ans actuellement),
  • 7 ans pour les délits punis de 3 ans d'emprisonnement ou plus,
  • 5 ans pour les autres délits (au lieu de 3 ans pour tous les délits en l'état de notre droit).

Nous nous rapprocherons ainsi des délais en vigueur dans la plupart des pays européens. Votre rapport le rappelle à bon escient.

 Cinquièmement, je veux rendre la voie civile plus attractive.

Vos travaux ont montré que la voie pénale est parfois instrumentalisée. Il est nécessaire de limiter cette instrumentalisation.

Vous proposez notamment de mieux encadrer les constitutions de partie civile. J'y suis favorable. Il faut écarter les constitutions abusives qui ne servent qu'à paralyser une procédure.

Votre groupe de travail a également contribué à la réflexion sur l'introduction dans notre droit d'une action de groupe.

Ce mode d'action permet d'engager un procès au nom de plusieurs personnes qui subissent des préjudices similaires causés par un même acteur économique.

Vous avez tenu à ce que votre proposition soit très encadrée :

  • les actions de groupe sont limitées au droit de la consommation ;
  • elles respectent les principes de notre droit qui interdisent à une personne d'agir sans mandat pour le compte d'une autre.

Vous savez que le Gouvernement examine avec attention cette question. Nous devons être attentifs à ce l'action de groupe ne déstabilise pas la vie économique. C'est ce que le Président de la République a souhaité. On y travaille.

** *

Monsieur le Premier Président,

Mesdames et Messieurs,

Vous le voyez, je veux mettre le droit au service de notre économie, au service de l'emploi et au service de la croissance.

Cela n'exclut par la fermeté quand il le faut. Vous l'avez compris.

 

Ces propositions trouveront leur traduction dans un projet de loi. Je demande dès à présent à mes services d'engager les consultations interministérielles nécessaires à son élaboration.

Les nouvelles dispositions seront inscrites dans un projet de loi autonome, ou elles seront reprises dans le texte plus général que nous proposerons sur la répartition des contentieux. Nous verrons cela en fonction du calendrier parlementaire.

Vos propositions trouveront également leur traduction dans une politique pénale cohérente : une circulaire fixera une politique claire de répression des infractions financières.

Vous le voyez, c'est une grande tâche qui nous attend.

C'est un défi d'envergure pour le droit et l'économie de notre pays.

Nous y parviendrons.

Je vous remercie.