[Archives] Conférence de rentrée du Barreau de Paris
Publié le 18 novembre 2005
Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Bâtonnier,
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs les Avocats,
Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Bâtonnier,
Je savais à peu près ce que vous alliez me dire puisque vous m’en aviez averti.
C’est un réquisitoire.
Je n’ai pourtant pas hésité une minute et je suis venu quand même.
Je n’ai pas voulu me soustraire à mon juge.
Je suis venu surtout parce que vous m’avez invité et que je suis toujours sensible à vos invitations.
Je suis venu parce que je veux saluer le jeune barreau. Ceux qui terminent l’année qu’ils ont consacrée à la Conférence du stage et ceux qui vont leur succéder.
Je suis venu parce que j’aime la profession d’avocat et j’aime ceux qui l’exercent.
C’est au nom de cette amitié, de cette affection, que je veux vous dire que si je n’ai pas été surpris par votre propos, il m’a néanmoins étonné.
C’est aujourd’hui la fête de l’éloquence et des jeunes avocats et c’est pour cet événement que je suis venu.
Cher Monsieur le Bâtonnier, le Président Bénichou lors du dernier Congrès du Conseil National des Barreaux à Marseille m’avait déjà transmis un message très ressemblant dans un discours globalement équilibré.
J’y avais alors répondu, je ne vais pas le faire à nouveau aujourd’hui, j’aurais trop peur de vous lasser.
Aujourd’hui j’ai choisi de vous parler d’une notion qui doit être au cœur de la société, de l’Etat de Droit qu’ensemble nous contribuons à édifier : je veux parler du respect.
Respect de la justice et de ses acteurs, respect de nos principes, respect de la victime, mais aussi de l’auteur de l’infraction, c’est à dire respect de l’homme et respect de ses droits.
C’est le message que je veux adresser à la jeune garde du barreau de Paris. Je veux exprimer à chacun avec mes félicitations mes vœux de plein succès. L’avocat que j’ai cessé d’être mais qui n’a pas totalement disparu derrière le ministre, va, si vous le voulez bien, plaider quelques instants sa cause. Je ne voudrais pas en effet que vous imaginiez que les relations entre le ministère que je dirige depuis 6 mois et les avocats sont aussi mauvaises que votre Bâtonnier vous l’a dit.
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A mon arrivée à la chancellerie, j’ai déclaré que ma priorité était d’améliorer l’exécution des décisions de justice.
Pourquoi ?
Tout simplement par respect.
Par respect pour les justiciables, dont les procédures durent parfois des années.
Par respect pour les victimes, qui constatent la remise en liberté d’individus dont la dangerosité est reconnue par tous.
Par respect, pour les condamnés eux-mêmes, dont l’exécution et l’application des peines s’effectuent dans des délais et des conditions parfois inacceptables et qui conduisent d’ailleurs à des condamnations de la FRANCE à STRASBOURG.
Je veux que la justice soit plus efficace, pour qu’elle soit mieux respectée. Mais je souhaite aussi, qu’elle s’exerce dans le respect des droits de la défense et des principes fondamentaux de notre République.
C’est bien par respect pour le justiciable que j’ai la volonté d’améliorer la qualité et la célérité de la justice en matière civile et commerciale.
Je sais que vous partagez cet objectif.
J’ai pour cela, adopté une démarche pragmatique lors de l’élaboration du décret portant réforme de la procédure civile. Ainsi, c’est à la lumière des expériences menées en juridictions que j’ai décidé d’institutionnaliser les contrats de procédure.
La mise en état sera une phase dynamique de collaboration entre avocats et magistrats.
Elle permettra de traiter les exceptions et fins de non recevoir afin que seul le fond de l’affaire soit évoqué lors de l’audience.
L’audience sera également réformée, afin d’en faire un lieu d’échanges renouvelés.
Un juge du tribunal pourra faire un rapport oral de l’affaire. Sur cette base, les avocats centreront leurs plaidoiries sur les points principaux du litige.
J’insiste sur le fait que ces mesures ne pourront être mise en œuvre qu’avec l’accord des avocats. Là encore, c’est une question de respect.
Je suis persuadé qu’après un temps d’adaptation, elles deviendront une pratique quotidienne parce qu’elles auront démontré leur efficacité.
Je voudrais dissiper tout malentendu sur les dispositions du projet relatives à l’exécution provisoire.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit d’appel. Je respecte le droit fondamental de faire appel.
Contrairement à ce que préconisait le rapport Magendie, le champ de l’exécution provisoire n’est pas modifié.
Le projet de décret prévoit qu’en appel, la partie bénéficiaire de l’exécution provisoire pourra demander au Premier Président que l’examen de l’appel soit précédé de l’exécution effective de la décision de première instance.
Cette demande s’effectuera dans le respect du principe du contradictoire.
L’équilibre des intérêts en présence est garanti.
Ainsi, la radiation ne pourra pas être prononcée si la partie est dans l’impossibilité d’exécuter la décision ou si les conséquences de l’exécution provisoire sont manifestement excessives.
Il est donc évident que ceux dont la situation financière les empêche d’exécuter la décision verront leur appel examiné.
Vous constaterez que ce projet respecte les grands équilibres du procès civil auxquels nous sommes tous très attachés.
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Le respect, c’est aussi celui que nous devons aux victimes d’infractions.
C’est pourquoi la proposition de loi sur le traitement de la récidive permettra de renforcer la lutte contre la récidive du quotidien, celle qui empoisonne la vie de nos compatriotes et notamment des plus fragiles, mais également de mieux combattre la lutte contre la récidive des grands criminels et notamment des criminels sexuels. Bien que rares, ces dernières récidives sont trop graves pour que nous les considérions comme un risque statistique trop facilement accepté.
J’ai tenu dans ce texte à ce que tous nos principes juridiques soient respectés et notamment à ce que les peines, les mesures de sûreté, les modalités d’application de la peine plus sévères que propose ce texte ne soient jamais une obligation pour le juge.
Celui-ci restera toujours libre de sa décision. Il la prendra toujours au terme d’un débat contradictoire au cours duquel le respect des droits de la défense aura été assuré.
Je voudrais m’arrêter un moment sur le bracelet électronique mobile. Beaucoup de choses erronées ont été dites. Il faut d’abord souligner que le bracelet électronique mobile n’est qu’une mesure parmi d’autres pour lutter contre la récidive. C’est seulement la plus nouvelle, c’est pour cela qu’elle a monopolisé les commentaires mais, elle trouvera rapidement, je crois, sa place au côté d’autres obligations ou interdictions, par exemple l’injonction de soin.
Elle permettra ainsi de compléter l’éventail des mesures à la disposition de la Justice pour lutter contre la récidive.
Un condamné pourra y être astreint dans le cadre du suivi socio-judiciaire, mais aussi lors d’une libération conditionnelle.
J’attends beaucoup de la mise en œuvre de ce nouveau dispositif pour favoriser le prononcé des mesures de libération conditionnelle.
Les juges d’application des peines auront en effet, grâce au bracelet électronique, un moyen efficace pour contrôler les obligations imposées au condamné dans le cadre des libérations conditionnelles.
De la même manière, les nouvelles dispositions relatives aux crédits de réductions de peines qui ne s’appliquent pas en cas de libération conditionnelle, devraient encourager les récidivistes à demander cette mesure d’aménagement de peines.
De manière plus générale, je pense qu’il est nécessaire d’éviter, dans la mesure du possible, les « sorties sèches » de prison. C’est pourquoi j’ai proposé un nouveau dispositif : la surveillance judiciaire, qui permet d’utiliser le temps des réductions de peine pour aménager la sortie de prison.
C’est donc une politique pénale équilibrée que j’entends promouvoir, une politique pénale qui réponde aux légitimes aspirations de nos compatriotes en matière de sécurité, mais une politique pénale qui soit respectueuse des grands principes qui inspirent notre procédure.
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La même politique guide mon action à l’égard des mineurs délinquants.
Il faut apprendre aux mineurs le respect et comment le faire mieux qu’en leur manifestant, à eux aussi, le respect auquel ils ont droit ?
C’est aussi cela la leçon que nous devons tirer des violences qui ont eu lieu ces derniers jours dans les banlieues.
Même si je suis, comme vous, attaché aux spécificités de la justice des mineurs, j’estime, que pour être efficace, la réponse judiciaire doit être plus rapide. Au cours de mes déplacements, j’ai insisté auprès de tous mes interlocuteurs sur la nécessité de réduire les délais de prise en charge des mineurs. Tous en ont été d’accord.
Le recours à la procédure de jugement à délai rapproché me paraît répondre à cette nécessité dans un nombre de cas. N’oublions jamais que pour un mineur, un passage devant le juge non suivi d’effets est déstructurant.
Il encourage l’impunité, alors que nous voulons favoriser la responsabilité.
Il me paraît également fondamental que la réponse judiciaire puisse être systématique. Tout passage à l’acte appelle une réplique de l’autorité judiciaire et si la sanction est nécessaire, elle doit toujours être infligée dans une perspective éducative.
Nous disposons d’un nouveau mode de prise en charge des mineurs pour les cas les plus graves : les Centres Educatifs Fermés, au nombre de 16.
C’est une chance supplémentaire pour les jeunes d’éviter l’incarcération et de bénéficier d’un suivi éducatif renforcé.
Les CEF ont pris en charge 367 mineurs depuis leur ouverture et répondent aux besoins pour lesquels ils ont été crées : 50 % des mineurs placés n’ont plus eu affaire à la justice dans les mois qui ont suivi leur sortie.
Le séjour en CEF leur a permis de briser la spirale de la délinquance dans laquelle ils s’étaient enfermés. Les CEF contribuent donc efficacement à la lutte contre la récidive.
Chacun doit en être convaincu, il est particulièrement vain, s’agissant des mineurs d’opposer éducation et sanction.
Je souhaite profiter de cette rencontre pour rendre hommage à tous ceux qui ont fait le pari de l’avenir pour ces jeunes pour les aider et notamment aux avocats de l’antenne des mineurs du barreau de Paris qui sont je le sais particulièrement engagés depuis des années dans la défense des mineurs.
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Mais le respect, c’est aussi le fait de prendre en considération la dignité de la personne humaine en toutes circonstances y compris en prison.
Certains sont allés jusqu’à écrire que les prisons étaient la honte de la République. Que le parc pénitentiaire soit pour partie trop ancien, que nous manquions de places de prison, que nous devions poursuivre nos efforts en matière de santé et singulièrement en matière de santé mentale en prison, qu’il y ait des marges de progression dans notre politique de réinsertion. Tout cela est vrai. Mais cela n’autorise pas les contrevérités que j’entends proférer ici ou là.
La Nation a entrepris des efforts considérables pour ses prisons, d’autant plus considérables, d’ailleurs, qu’on a trop attendu pour le faire.
Alors qu’entre 1900 et 1986, seules 14 500 places de prison ont été construites, les gouvernements appartenant à l’actuelle majorité ont réalisé des efforts sans précédent pour moderniser le parc pénitentiaire.
En 1986, Albin Chalandon lance un programme ambitieux de construction de 13 000 places de prison.
En 1994, c’est le programme Méhaignerie, qui prévoit la construction de 4 000 places.
Enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la justice, votée en 2002, prévoit la construction de 13 200 places, dont les premières verront le jour en 2007.
La situation dans les prisons française ne sera conforme à notre tradition humaniste qu’à la sortie de ce grand programme immobilier.
Cette politique de construction d’établissements pénitentiaires conduira à de réelles améliorations pour les détenus. Les cellules seront plus confortables, les douches seront individuelles, les espaces de loisirs plus accueillants et les parloirs familiaux plus nombreux.
La réalisation d’un tel programme prend nécessairement du temps. En attendant, nous ne sommes pas restés inactifs. Grâce à l’ouverture des 6 établissements lancés par Pierre Méhaignerie et à un programme de rénovation de bâtiments vétustes au sein des prisons, plus de 3 000 places ont été mises en service et des établissements vétustes ont pu fermer.
Grâce à ces efforts, le taux d’occupation des établissements est passé de 122 % en janvier 2004 à 112 actuellement.
Je continuerai dans cette voie, en poursuivant la construction des établissements pénitentiaires lancée en 2002. C’est ainsi que nous pourrons exécuter les décisions de justice dans des conditions dignes des principes fondamentaux de notre République et du respect que nous devons à toutes les personnes, fussent-elles détenues.
Je veux d’ailleurs voir un signe de ce respect que l’administration pénitentiaire manifeste aux personnes placées sous main de justice dans son engagement en faveur de la réinsertion des détenus et anciens détenus.
Prenons quelques chiffres.
En 2004, 35 000 détenus ont suivi, à un moment ou à un autre, un enseignement.
La grande majorité a, bien évidemment, bénéficié d’une formation de base (alphabétisation, préparation du certificat de formation générale), mais tous les niveaux sont concernés.
Toujours en 2004, près de 5 000 détenus se sont présentés à des examens. 70 % ont passé avec succès cet examen et plus d’une centaine ont obtenu un
diplôme de l’enseignement supérieur.
Enfin, 18 000 détenus ont également bénéficié en 2004 d’une action de formation professionnelle.
Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que la prison n’est pas une institution fermée. Près de 1 500 enseignants interviennent en milieu carcéral.
De nombreuses associations et travailleurs sociaux sont présents dans les établissements pénitentiaires.
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Enfin, le respect, c’est également considérer que s’il est nécessaire d’avoir une accusation forte, celle-ci doit s’accompagner d’un respect absolu de l’exercice des droits de la défense.
C’est pourquoi, je souhaite engager avec les représentants de la profession d’avocats et notamment avec vous, Monsieur le Bâtonnier, un dialogue permanent qui nous a permis récemment d’une part de préciser le champ d’application de l’article 434-7-2 du code pénal et d’autre part, de renforcer les garanties entourant les réquisitions dans les cabinets d’avocats et les écoutes téléphoniques !
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Voilà, Mesdames et Messieurs, les grandes lignes d’une politique fondée sur le respect. Le respect de chacun, des justiciables, des avocats, des victimes et de chaque homme et femme suivi par l’administration de la justice.
Si la sécurité est la première des libertés, je crois que l’efficacité de la justice en est une autre. C’est ainsi, que nous pourrons, ensemble, mais chacun dans notre rôle, défendre les libertés.
Comme il se doit, la défense a eu la parole en dernier. Je vous remercie de ne pas l’avoir oublié.