[Archives] Conférence d'Interlaken : avenir de la CEDH - 18, 19 février 2010

Publié le 19 février 2010

Discours de Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la Justice

Temps de lecture :

4 minutes

Madame le Président du Comité des Ministres

Monsieur le Secrétaire général du Conseil de l’Europe

Monsieur le Président de l’assemblée parlementaire du Conseil

Monsieur le Président de la Cour, Cher Jean-Paul COSTA

Madame la commissaire européenne chargée de la justice et des droits fondamentaux

Monsieur le commissaire aux droits de l’homme

Chers collègues,

 Je me réjouis d’être aujourd’hui parmi vous pour évoquer la position de la France dans le cadre de la conférence ministérielle sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme.

Je souhaite tout d’abord remercier les autorités suisses pour l’initiative qu’elles ont prise en organisant cette conférence qui marquera une nouvelle étape dans l’histoire de la Cour.

Clin de l’œil de l’histoire, vous remarquerez que cette conférence d’Interlaken se tient la veille d’une date anniversaire, celle de la disparition de René Cassin, le 20 février 1976.

En mentionnant son nom, je ne veux pas seulement évoquer le rôle qui fut le sien en sa qualité de vice-président, puis de président de la Cour européenne des droits de l’homme, mais  je souhaite surtout rappeler son influence fondamentale dans l’élaboration de la Convention.

J’ai plaisir à rappeler le plein engagement de la France en faveur du mécanisme unique du recours individuel. Nous pouvons être fiers d’avoir réussi à créer un dispositif permettant à tout citoyen du continent européen, depuis Brest jusqu’à Vladivostok, de pouvoir exercer un ultime droit de recours afin de faire reconnaître ses droits fondamentaux.

I/ Remédier à l’engorgement de la Cour pour assurer sa pérennité : la question du filtrage

Le succès du recours individuel est malheureusement à l’origine de l’engorgement actuel de la Cour qui pourrait remettre en cause sa pérennité : le nombre de requête a ainsi été multiplié par 10 en 10 ans pour atteindre le nombre de 120.000 en 2009.

A cet égard, le vote récent, par les autorités russes, de la loi autorisant la ratification du Protocole 14 est porteur d’espoir pour le traitement des requêtes en souffrance, avec en particulier les nouvelles compétences dévolues à un juge unique et aux comités de trois juges.

Il sera essentiel, dans les mois qui viennent, d’évaluer les effets de ces nouvelles dispositions procédurales et d’en mesurer les conséquences sur le stock d’affaires. Les premiers résultats apparaissent prometteurs avec les 2.200 décisions de juge unique déjà adoptées par la Cour.

La question du filtrage des requêtes est cruciale, lorsque l’on sait que près de 90% des nouvelles saisies de la Cour sont déclarées irrecevables.

Mesurons d’abord les effets du protocole 14 qui prévoit également un nouveau critère d’irrecevabilité avant d’envisager de nouvelles réformes.

S’agissant des requêtes répétitives qui participent à l’engorgement de la Cour, la France est favorable au développement des conclusions de règlements amiables et à l’adoption de déclarations unilatérales, sous réserve qu’un important travail pédagogique soit mener pour éviter l’incompréhension des requérants

************

Vous l’avez compris, la France souhaite s’engager avec vous, chers collègues, dans une déclaration politique forte pour permettre le commencement d’un processus graduel de réforme de la cour

L’établissement d’une feuille de route nous semble à cet égard essentiel pour bâtir durablement les réformes nécessaires

 

II/ Le renforcement du lien entre les Etats et la Cour est une condition nécessaire au succès de la réforme

La réussite de ces objectifs implique un renforcement du lien entre les Etats et la Cour qui est condition nécessaire au succès de la réforme

Cette réussite  repose sur des engagements réciproques :

1-   S’agissant des Etats :

Nous devons nous assurer de donner son plein effet au principe de subsidiarité, en nous assurant au niveau national du respect des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.

Les Etats ont également le devoir d’exécuter les arrêts de la Cour et d’en tirer les conséquences pour l’avenir, afin d’éviter toute nouvelle violation similaire

Nous avons enfin le devoir d’apporter notre soutien à la Cour, notamment en proposant nos meilleurs candidats aux postes de juges ou en rendant possible le détachement de juges nationaux. Si l’indépendance de la Cour doit être garantie, il convient de rester prudent sur la question de son autonomie : l’interdépendance entre le mécanisme de contrôle de la Convention et les autres activités du Conseil de l’Europe doit être réaffirmée

2-   S’agissant de la Cour :

Les Etats sont en droit d’attendre de la Cour le développement d’une jurisprudence plus prévisible, sur laquelle nos juridictions nationales pourront s’appuyer afin de motiver leurs décisions. 

Une Cour unique pour 800 millions de requérants potentiels a le devoir de rendre des décisions incontestables : la France veut rappeler ici son attachement au principe de sécurité juridique

Sur la question de l’exécution des arrêts de la Cour, je ne peux que saluer la proposition invitant le Comité des Ministres à favoriser une meilleure interaction avec les autres instances du Conseil.

Vous aurez dans les années à venir, de nombreux défis à relever et notamment la question de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme ou la nouvelle dimension prise par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne  devenue obligatoire depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne

XXX

Interlaken n’est à mes yeux que le début d’une longue réflexion, qui doit s’engager sur l’avenir de la Cour

Sachez que vous pourrez compter aujourd’hui comme demain sur le soutien de la France.

Je vous remercie pour votre attention

Seul le prononcé fait foi