[Archives] Colloque Action de groupe au Sénat

Publié le 12 septembre 2006

Discours de Pascal Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

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Messieurs les présidents des commissions des lois,
Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement sensible à l’invitation que vous m’avez faite de participer au colloque d’aujourd’hui. L’action de groupe est un sujet qui s’inscrit à la fois au cœur de l’actualité et de mon action ministérielle, en l’espèce partagée avec le ministre de l’économie et des finances. Vous savez en effet combien mon objectif général est que la justice soit plus efficace pour mieux répondre aux besoins concrets des citoyens.

Vous le savez c’est à l’occasion de ses vœux aux forces vives de la Nation, le 4 janvier 2005, que le Président de la République a souhaité une évolution législative pour permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d’intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés.

Trop souvent, en effet, les consommateurs se trouvent démunis devant des pratiques qu’ils perçoivent comme injustes, n’ayant pas à leur disposition les outils adaptés pour réagir alors qu’ils ont le droit pour eux.

Une des grandes orientations des travaux du Gouvernement et du Parlement durant cette législature a été de renforcer l’accès à la justice, de rapprocher le citoyen de son juge. J’en veux notamment pour preuve la création du juge de proximité. Or, le faible montant du préjudice, la complexité de la règle de droit en cause peuvent dissuader le consommateur de recourir à l’institution judiciaire. Il faut dés lors faciliter l’action collective.

Pour leur part, les entrepreneurs savent bien qu’ils doivent répondre des dommages qu’ils causent et que dans une économie de marché, il n’y a pas de vraie concurrence sans possibilité de sanctionner les pratiques abusives de certains opérateurs.

J’ai bien entendu conscience que l’introduction dans notre droit de l’action de groupe suscite des réserves chez les professionnels. Ils ont en effet en tête la procédure américaine ou québécoise de class action, et craignent d’être injustement exposés à un risque juridique supplémentaire, celui de procès de grande ampleur avec la menace d’être condamnés à verser des dommages et intérêts disproportionnés. Les entreprises redoutent aussi d’être contraintes à transiger sans que leur responsabilité soit engagée afin d’éviter une procédure judiciaire coûteuse, incertaine et préjudiciable à leur image.

Ces considérations sont importantes. Elles doivent être prises en compte dans toute réforme ayant pour objet de permettre une réparation des préjudices sériels de faible importance. Cette tâche n’est pas facile car ces deux objectifs peuvent sembler contradictoires.

Il convenait donc que le Gouvernement agisse sans précipitation. En effet, l’introduction de l’action de groupe dans notre législation est une mesure économiquement significative qui aura des incidences pour les consommateurs comme pour les professionnels. Elle nécessite une concertation approfondie. C’est pourquoi un groupe de travail a été constitué en avril 2005.


[ I Les propositions du groupe de travail ]

Toutes les sensibilités étaient représentées dans ce groupe. Consommateurs, professionnels et praticiens du droit ont travaillé ensemble pendant plusieurs mois.

Vous le savez, dans ce domaine comme dans d’autres, la réflexion ne peut pas être menée en ignorant ce qui se passe chez nos voisins. Au sein de l’Union européenne, la Suède, la Grande Bretagne et le Portugal ont mis en place une procédure d’action collective, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie ont des projets avancés. A l’extérieur des frontières de l’Union, sans revenir sur le cas des Etats-Unis, les législations québécoise et brésilienne, pour ne citer qu’elles, connaissent un recours collectif. Ces exemples étrangers ne peuvent nous laisser indifférents.

Le groupe de travail a donc procédé à une étude attentive des systèmes de pays voisins afin d’en retirer les éléments pertinents et d’en écarter les excès. En effet, s’il est opportun de s’inspirer d’expériences étrangères, il faut trouver un « modèle français » compatible avec notre culture juridique et judiciaire.

Le rapport remis le 16 décembre 2005 au Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et à moi-même, après un bilan de l’existant tant en France qu’à l’étranger proposait trois voies possibles :

  1. l’amélioration des actions collectives existantes sans création d’une action de groupe,
  2. la création d’une action de groupe inspirée des exemples des Etats-Unis et du Québec,
  3. la création d’une action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse.

La première voie proposée était de réformer les actions collectives que les associations de consommateurs agréées peuvent exercer, notamment l’action dans l’intérêt collectif des consommateurs et l’action en représentation conjointe.

La deuxième voie consistait à créer une action de groupe inspirée des systèmes des Etats-Unis et du Québec, permettant à toute personne d’obtenir une condamnation pour le compte des consommateurs qu’elle représente.
Dans ce système, les consommateurs sont de droit inclus dans le groupe dès lors qu’ils n’ont pas expressément fait connaître leur refus de participer à l’action. Toutefois, le juge doit préalablement certifier l’action en appréciant notamment la représentativité du requérant, l’homogénéité du groupe, le caractère de masse de l’action. Ce n’est qu’ensuite que le juge fixe le cas échéant le montant des dommages et intérêts à allouer aux demandeurs et leurs règles de répartition.

Ces procédures, longues et complexes, s’achèvent le plus souvent par une transaction.

La troisième voie, intermédiaire, retenait l’instauration d’une action en déclaration de responsabilité, ouvrant à une association agréée de consommateurs le droit d’agir contre un professionnel et aux consommateurs victimes celui de demander sur cette base réparation de leur préjudice individuel.

Dans ce système, le groupe de consommateurs n’est constitué que par les personnes ayant expressément entendu se joindre à l’action.

Dans une première phase, initiée par l’association de consommateurs, le juge se borne à se prononcer sur la responsabilité du professionnel. Ce n’est que dans un second temps que les consommateurs se joignent à la procédure selon un mécanisme simplifié et que le juge statue sur leurs préjudices.


[ II Les orientations retenues par le gouvernement ]

C’est cette troisième voie, intermédiaire, que privilégie le projet du Gouvernement, préparé de manière conjointe par le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et la Chancellerie. En voici les orientations générales.

* Tout d’abord, seule une association de consommateurs agréée et reconnue représentative sur le plan national pourra introduire l’action. Cette disposition est de nature à éviter que les juridictions soient saisies d’actions abusives.

Le choix a été fait de réguler l’exercice de l’action non par des pénalités infligées au perdant téméraire, non par une complexification de la procédure judiciaire, en retenant la certification de l’action par le juge, mais en exigeant du demandeur les qualités propres à garantir le sérieux de l’action.

Bien évidemment, les associations auront à recourir aux avocats dont le concours sera très précieux pour assurer le succès de cette action nouvelle. Le ministère d’avocat sera obligatoire dans la première phase de la procédure et les consommateurs pourront lors de la seconde phase être représentés par des avocats.

* Le champ de l’action est lui aussi encadré. Il recouvre la réparation des préjudices matériels et du trouble de jouissance des consommateurs nés d’un manquement d’un professionnel à ses obligations contractuelles.

La notion de contrat de consommation permet d’englober un large éventail de litiges dont les particuliers peuvent souffrir dans leur vie quotidienne. Je citerai à titre d’exemple ceux qui peuvent résulter des relations entre une banque et ses clients quels que soient le montant et la nature des opérations couvertes par le contrat passé, ou ceux qui peuvent survenir entre un opérateur de téléphonie mobile et ses abonnés. De même pourra être réparé le préjudice subi par les abonnés à un fournisseur d’accès à Internet du fait de l’impossibilité de se connecter ou du retard dans la mise en service.

En revanche dans un souci de sécurité juridique sont exclus du domaine de l’action les litiges dont la solution difficile relève de la mise en œuvre de mécanismes de droit complexes. Je pense aux atteintes à l’environnement ou aux dommages liés aux relations salariés-employeurs qui doivent rester de la compétence exclusive des conseils de prud’hommes. La réparation du préjudice corporel est également exclue. Ainsi, cette procédure ne pourra être utilisée en cas de catastrophe aérienne ou d’infection nosocomiale ayant causé un grand nombre de victimes.
Enfin, compte tenu du caractère simplifié de la procédure, l’action sera ouverte au consommateur dont le montant de la demande en réparation n’excède pas la somme de 2000 euros.

Ceci permet de s’assurer que les litiges en cause, par leurs caractéristiques de droit ou de fait, pourront être traités selon une procédure au formalisme plus adapté.

* La procédure devrait se dérouler ainsi.

Dans un premier temps, le juge se prononce sur la responsabilité du professionnel mais sans fixer le préjudice subi par les consommateurs qui ne sont pas parties à l’action. Si le professionnel est déclaré responsable, la décision fait l’objet d’une publicité selon des modalités fixées par le jugement. Le juge surseoit à statuer sur la liquidation des préjudices individuels des consommateurs, il leur impartit un délai pour adresser au professionnel concerné une demande d’indemnisation et fixe la date à laquelle l’affaire sera rappelée devant lui.

Chaque consommateur victime peut alors présenter une demande d’indemnité au professionnel lui-même tenu de faire une offre accompagnée d’un chèque. Si le consommateur accepte l’offre, il obtiendra ainsi immédiatement la réparation de son préjudice.

Il est prévu que le professionnel qui aura proposé une offre manifestement insuffisante ou aura refusé de satisfaire à une demande fondée d’indemnisation, puisse être condamné au profit du consommateur au paiement d’une pénalité égale à cinquante pour cent de l’indemnité allouée.

Si à l’expiration du délai de sursis à statuer, certaines demandes d’indemnisation n’ont pas été satisfaites, le juge statuera selon une procédure simplifiée, sans audience ni représentation obligatoires. Le contradictoire sera bien évidemment pleinement respecté et le juge pourra s’il l’estime nécessaire décider de la comparution des parties.

Pour une bonne administration de la justice dans l’intérêt de tous, la nouvelle procédure sera confiée à des tribunaux de grande instance spécialement désignés.

Enfin le texte prévoit que l’introduction devant le juge civil d’une action de groupe paralyse l’action pénale et déroge ainsi à la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l’état ». Une telle dérogation a été prévue afin d’éviter au professionnel attrait à une telle action de devoir parallèlement se défendre dans un litige pénal et contribue à orienter le contentieux du droit de la consommation vers les juridictions civiles.

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Au terme de cet exposé je voudrais souligner le pragmatisme et l’équilibre du nouveau dispositif qui devrait être prochainement soumis au Parlement.

Le pragmatisme se révèle au travers de la simplicité de la procédure et de la large place laissée à une solution négociée qui évite une judiciarisation excessive de la vie économique susceptible de mettre en péril la situation des entreprises.

L’équilibre de la rédaction est de nature à éviter les excès que l’on prête à certains systèmes étrangers. En effet, il n’y a ni règle de preuve intrusive comme dans la « discovery » américaine, ni dommages et intérêts punitifs, ni appréhension globale du préjudice subi par la collectivité des consommateurs. Est évitée également la rémunération des avocats en fonction du résultat de l’action, contraire à nos principes.

Ainsi selon le vœu du Président de la République, le projet de texte respecte les principes fondamentaux de notre procédure. Il ne contrevient pas au principe de prohibition des arrêts de règlement, issu de la Révolution française et qui empêche les juges de statuer par voie de disposition générale. Il ne modifie pas les principes qui régissent la charge de la preuve. Enfin, le professionnel comme les consommateurs seront traités de façon égale pendant toute la procédure.

C’est un texte placé sous le sceau de l’efficacité qui améliore la protection des consommateurs contre les abus dont ils sont victimes tout en préservant les droits des entreprises.

Je serai attentif aux conclusions de votre colloque. Je vous remercie.