[Archives] Clôture du séminaire national de la Voix de l'enfant

Publié le 21 septembre 2007

Discours du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice au Conseil économique et social

Je suis très heureuse de vous rencontrer à l’occasion du « séminaire national des permanences et unités d’accueil médico-judiciaires en milieu hospitalier pour les enfants victimes ». Je tiens à vous remercier chaleureusement pour votre invitation.

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Monsieur le Président du CES, Cher Jacques DERMAGNE,

Chère Carole Bouquet,

Monsieur le Président,

Mesdames les Parlementaires

Mesdames et Messieurs les Procureurs

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse de vous rencontrer à l'occasion du « séminaire national des permanences et unités d'accueil médico-judiciaires en milieu hospitalier pour les enfants victimes ». Je tiens à vous remercier chaleureusement pour votre invitation.

Je souhaite plus spécialement saluer votre directrice, Martine BROUSSE. Son travail quotidien assure le bon fonctionnement et le dynamisme des 74 associations que vous regroupez dans 86 pays dans le monde. A travers vous, Madame, je tiens à rendre hommage à tous les professionnels et bénévoles qui œuvrent dans vos associations pour le bien commun.

Naturellement, je souhaite également saluer Carole BOUQUET, porte-parole talentueuse et généreuse de la Voix de l'Enfant. Votre présence me touche beaucoup. Votre engagement est exemplaire. Je sais, Carole, que votre action va bien au-delà de la représentation.

Vous tenez aujourd'hui vos travaux au Conseil économique et social. C'est un beau symbole : cette grande institution est la tribune de la société française. Ses débats sont toujours le reflet de la vie quotidienne de nos concitoyens et de leurs préoccupations.

La Voix de l'enfant accomplit un travail admirable depuis plus de 25 ans.

Votre démarche est remarquable par son double aspect de réflexion et d'action sur le terrain.

La réflexion d'abord.

Vous avez joué un rôle précurseur dans la convention internationale pour les droits de l'enfant.

Les premiers Etats généraux de l'enfant ont alerté l'opinion. Ils ont nourri les débats de l'ensemble des acteurs du monde de la médecine et de la justice.

Vous avez porté une attention toute particulière aux enfants victimes d'infractions sexuelles.

Leur prise en charge vous paraît, je le sais, indissociable d'une politique de prévention des récidives. C'est un point sur lequel je vous rejoins parfaitement.

Le travail sur le terrain, ensuite.

C'est grâce à vous que les premières permanences d'accueil d'urgence ont ouvert leurs portes dans les hôpitaux en 1999. C'est une formidable initiative. Je tiens à la saluer, parce qu'elle apporte une vraie amélioration dans la prise en charge des enfants victimes.

Vos échanges sur les unités médico-judiciaires dédiées aux mineurs ont particulièrement retenu mon attention.

Permettez-moi, avant d'y revenir, quelques mots sur l'engagement du gouvernement auprès des victimes, et sa mise en œuvre par le ministère de la Justice.

1- Nous voulons apporter une réponse judiciaire adaptée en faveur des victimes

D'emblée je veux préciser que la première aide que nous devons apporter aux victimes, c'est la prévention de la récidive.

J'ai présenté en juillet un projet de loi au Parlement. A chaque instant du débat, je peux vous le dire, c'est aux victimes que je pensais. Notre responsabilité, c'est de protéger nos concitoyens et empêcher que se reproduisent les violences faites aux victimes.

La loi du 10 août 2007 renforce la lutte contre la récidive. Elle instaure un régime pénal adapté. Cette loi est appliquée.

118 décisions ont déjà été prises sur son fondement. 71 condamnations à des peines minimales ont été prononcées. A travers cette loi, nous adressons un message clair aux délinquants récidivistes. Ils ne peuvent plus ignorer ce qui les attend.

Nous allons également renforcer les mesures de sûreté pour la prise en charge des délinquants sexuels dangereux. Le Président de la République nous l'a demandé en août, après le dramatique événement de Roubaix. Nous y travaillons avec Roselyne Bachelot : il faut mettre en œuvre une réelle obligation de soins en détention et au delà.

L'affaire Evrard a mis aussi en évidence un vide dans notre législation : peut-on consciemment laisser sortir un prédateur sexuel qui a fini de purger sa peine, même quand on sait qu'il est encore dangereux ?

Nous réfléchissons à une formule d'hôpital fermé, comme il en existe dans d'autres pays de l'Union européenne. Ce sont des Etats parfaitement démocratiques et respectueux des droits de l'homme. Il nous faut trouver, à partir de leurs exemples, une voie efficace et respectueuse des grands principes de notre droit.

 

Plus ferme, la justice doit aussi se montrer plus humaine et plus attentive aux victimes.

Longtemps, vous le savez, les victimes ont été en butte au silence de la justice.

Le système judiciaire a progressé dans son attitude vis-à-vis des victimes, mais ces quelques pas sont encore insuffisants.

La justice doit donner une place aux victimes dans les procédures.

Elle doit pouvoir les écouter, afin que sa propre parole puisse être à son tour entendue.

Elle doit se donner les moyens d'accompagner et de guider les victimes jusqu'à la fin du parcours judiciaire de celui qui leur a fait du tort.

Ce sera la mission du juge dédié aux victimes que j'ai décidé d'instituer.

En cohérence avec l'existant, ce projet privilégie la coordination. Nous voulons donner aux victimes, ainsi qu'aux personnes qui les assistent ou les représentent, une réponse globale aux difficultés qu'elles rencontrent encore trop souvent.

Il ne s'agit pas de conférer à un magistrat un rôle de conseil, incompatible avec l'essence de ses fonctions. Il ne s'agit pas non plus d'ajouter une structure supplémentaire Il s'agit de proposer un dispositif de coordination, doté d'objectifs clairs pour mobiliser les différents acteurs qui ont à cœur d'apporter une réponse adaptée à toutes les victimes : les associations d'aide aux victimes, des associations comme les vôtres auxquelles je rends un hommage appuyé mais aussi aux avocats.

L'indemnisation des victimes doit également être revue.

Je travaille avec le fonds d'indemnisation des victimes à élargir les conditions donnant droit à une réparation. L'indemnisation, quel que soit son montant, est un message fort. Elle joue un rôle essentiel dans le soutien et la considération que nous voulons manifester aux victimes.

Enfin, des voix se sont élevées ces derniers temps pour dénoncer une prétendue confusion entre justice et thérapie.

La justice ne prétend pas réparer la souffrance des victimes.

Elle doit en revanche les défendre dans leur isolement et leur détresse.

Elle doit les restaurer dans le sentiment de leur dignité.

Il reste cependant une catégorie de victimes à laquelle la justice doit, plus qu'à toute autre, apporter son aide et sa protection.

Ce sont les enfants.

2- les enfants victimes traitées spécifiquement

La souffrance de ces enfants est d'autant plus vive, d'autant plus terrible que, bien souvent, elle s'accompagne d'une certitude : ils sont convaincus d'être coupables de ce qui leur est arrivé.

Coupables de la maltraitance que leur a fait subir un proche.

Coupables des mauvais gestes qu'on leur a imposés.

Coupables, enfin, pour la sanction que la Justice prononcera à l'encontre d'un parent, d'un ami.

La Justice, dans ce cas, a un rôle essentiel pour apaiser et considérer cette souffrance.

C'est un rôle difficile.

Comment recueillir la parole de l'enfant, à l'école, au commissariat, ou à l'hôpital sans entretenir chez lui le sentiment confus de sa faute ?

Comment lui faire redire son histoire, sans qu'il ne craigne qu'on le soupçonne de mensonge ?

Comment lui faire comprendre qu'il a raison de parler, et que son père, sa mère, doit être puni ?

C'est en réponse à cette difficulté que la Voix de l'enfant a développé les permanences d'urgence dans les hôpitaux et les unités médico-judiciaires.

Cette démarche, adoptée en fonction de particularismes locaux, est doublement justifiée.

D'abord, parce qu'elle tient compte avant tout de la souffrance de l'enfant.

Dans ces unités, l'enfant est accueilli, examiné et soigné en un même lieu.

Il ne témoigne qu'une seule fois, dans une pièce aménagée pour lui, et qu'on a voulue la plus rassurante et la plus chaleureuse possible.

L'audition filmée permet de ne pas faire répéter à l'enfant son histoire, quatre, cinq, voire six fois - comme cela arrive souvent - et dans ces lieux intimidants que sont les locaux de la police, le bureau du magistrat ou le tribunal.

Cette démarche est également justifiée, car elle scelle un véritable partenariat entre les médecins, pédiatres, psychiatres et psychologues, les magistrats et les services enquêteurs, les conseils généraux et les associations membres de la Voix de l'enfant.

Tous ont ainsi la possibilité d'intervenir dans une unité de temps, de lieu et d'action qui sert la cause de l'enfant.

Cette méthode est cohérente dans la mesure où elle est respectueuse de la souffrance de l'enfant et de sa vérité. La vigilance est donc de rigueur dans la poursuite de votre action.

Sa mise en œuvre coûte cher.

Il faut trouver 15 000 euros pour le seul matériel d'enregistrement.

Presque autant pour aménager une pièce, afin d'en faire un espace accueillant et sûr.

Ici, je tiens à saluer le mode de financement original que vous avez su imaginer.

Votre partenariat avec un opérateur téléphonique, SFR, a contribué au financement de 16 unités médico-judiciaires à ce jour. 16 autres sont en projet.

Les témoignages qui vous ont été apportés, tout au long de la journée, illustrent la qualité de ce que vous avez entrepris. Ils témoignent de la mobilisation de tous les acteurs. Vous avez rappelé à juste titre l'intérêt de la réponse globale qu'apportent ces structures en milieu hospitalier.

Elles sont une chance supplémentaire pour l'enfant. Elles sont aussi une chance pour les enquêteurs qui gagnent grâce à elles un temps précieux.

La chancellerie suit avec attention les initiatives de la Voix de l'enfant.

Je souhaite vous accompagner dans votre action en faveur de l'enfance en danger.

Mes services réfléchissent actuellement à deux nouvelles mesures inspirées de votre expérience. Je souhaite vous les soumettre et que, les uns et les autres, vous me fassiez part de vos réactions.

D'abord, il serait souhaitable de recourir à des enregistrements audiovisuels lors des audiences, afin d'éviter la confrontation directe entre l'enfant et celui ou celle qui l'a maltraité.

Nous pouvons également envisager de filmer systématiquement la première audience, afin que l'enfant n'ait pas à répéter son histoire lors d'une éventuelle audience d'appel.

C'est cela, véritablement, le sens de la justice.

C'est cela, justement, qui est au cœur de la mission du juge. Une mission passionnante mais difficile. Je veux rendre hommage aux magistrats et en particulier aux juges des enfants.

Savoir écouter, savoir interroger la parole de l'enfant. Notre devoir, en toutes circonstances, c'est d'entendre l'enfant.

C'est ce que nous ferons avec l'aide des médecins et des thérapeutes, avec l'aide des enquêteurs, avec l'aide des enseignants et des travailleurs sociaux qui prennent l'enfant en charge.

 

Je conserve une conviction profonde : sans droits de l'enfant, il n'y a pas de droits de l'homme.

Je vous remercie.