[Archives] Clôture de la convention SYMEV

Publié le 08 octobre 2010

Discours de Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

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Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Les maisons de vente accueillent bien plus que des transactions commerciales.

Ce sont des lieux de culture où s’expose le patrimoine dans sa profusion, sa richesse et sa diversité.

Ce sont des lieux d’excellence, où s’expriment le talent et le savoir-faire des professionnels. Je veux leur rendre hommage.

 

Ce sont aussi des lieux où les habitudes et les traditions sont parfois bousculées par les défis de la modernité.

Défi de la mondialisation.

Les ventes publiques s’internationalisent. Les acheteurs venus des pays émergents sont de plus en plus actifs. Les acteurs du marché de l’art doivent faire évoluer leur approche et leur stratégie.

Défi d’une demande différenciée, en pleine évolution.

Les attentes du public ne sont plus celles d’il y a trente ans, ni même quinze ans.

Dans les salles de vente, le mobilier du XVIIIe siècle côtoie les livres, les photographies d’art, les vieilles voitures, et même les fossiles de dinosaures.

Défi, plus récent, de la crise.

Le secteur n’a pas été épargné par la contraction des échanges économiques.

En 2009, le chiffre d’affaire mondial du marché de l’art a reculé de plus de 27%, même si une reprise s’amorce.

Mesdames et Messieurs,

Face aux défis, nous n’avons que trop tardé.

Paris était hier la première place internationale en matière de vente volontaires. Elle est aujourd’hui reléguée au 3e rang.   Je ne l’accepte pas.

Le savoir-faire français était hier le plus reconnu dans le monde. Il est aujourd’hui concurrencé, souvent dépassé, par celui de nos amis américains et britanniques.  Je ne m’y résigne pas.

Mon ambition est de rendre à la France son premier rang.

Ma volonté est de donner aux maisons de vente, et plus généralement à tous les professionnels concernés, les moyens de renforcer l’attractivité de notre pays.

Garde des Sceaux, ministre de la Justice, j’entends faire évoluer le droit pour y parvenir, avec les professionnels, avec les parlementaires, avec tous ceux qui croient en la capacité régulatrice de la loi.

La loi n’est pas l’ennemie des marchés.

Une règle de droit claire et acceptée par tous renforce la confiance.

Un cadre juridique adapté doit donner aux acteurs de la vente aux enchères les moyens de valoriser leurs atouts sur le marché international.

La confiance des clients dans les sociétés de vente volontaire exige une clarification des règles.

Je n’accepte pas que le comportement d’une poignée d’individus porte atteinte à l’honneur de la profession.

Je veux faire évoluer le régime disciplinaire vers plus de responsabilité, de déontologie et de transparence.

Renforcer la responsabilité d’abord.

L’actualité l’a hélas montré : certains intervenants peuvent commettre des fautes dans le cadre de leurs fonctions.

Pour mieux prévenir ce type de situations, j’estime nécessaire d’adapter le régime de responsabilité des sociétés de vente volontaire.

Aujourd’hui, si un expert commet une faute, la société assume une responsabilité solidaire. Je propose d’étendre ce régime à l’ensemble des tiers intervenant dans les ventes publiques, comme les transporteurs ou les manutentionnaires.

L’examen de la proposition de loi MARINI par l’Assemblée Nationale sera l’occasion d’en débattre.

Deuxième axe, améliorer la transparence.

Prévenir les conflits d’intérêt est une priorité.

Ceux-ci peuvent naître lors de l’intervention des prestataires extérieurs. On l’a vu.

Pour clarifier les obligations de chacun, je propose d’inscrire une nouvelle règle dans la proposition de loi MARINI : les prestataires ne pourront ni acheter les biens mis en vente aux enchères publiques, ni vendre de biens leur appartenant au cours de ces enchères.

Plus de transparence suppose aussi un meilleur suivi des biens mis aux enchères.

Aujourd’hui, le défaut de traçabilité des biens peut favoriser les infractions à la loi.

L’instauration du livre de police informatisé permettra aux sociétés de vente volontaire de tenir plus simplement la liste des objets qui leurs sont confiés. Elle réduira en outre les risques de fraude.

Des difficultés d’ordre technique ont ralenti la mise en place du dispositif. Je viens de relancer le travail intergouvernemental sur le sujet.

Je veux que toutes les sociétés de vente agréées soient dotées d’un livre de police informatisé au plus tard au printemps 2012.

Garantir la déontologie.

Les professionnels de la vente volontaire ne disposent pas aujourd’hui de code de déontologie, contrairement à la plupart des professions juridiques.

Je demande donc au Conseil des Ventes Volontaires de travailler à l’élaboration d’un tel document.

Si la proposition de loi est votée avant la fin de l’année, je souhaite pouvoir homologuer le texte avant l’automne 2011.

En cas de manquement aux obligations disciplinaires et déontologiques, le Conseil des Ventes Volontaires doit disposer de pouvoirs élargis.

Il doit pouvoir se constituer partie civile afin d’exercer sa vigilance.

Nous adapterons le régime de la prescription facilitera la compatibilité entre une action pénale et une action disciplinaire. La publicité des sanctions renforcera leur caractère dissuasif.

Ces évolutions sont prévues par la proposition de loi.

Mesdames et Messieurs,

La loi sanctionne les comportements contraires à l’intérêt général. Elle peut aussi favoriser l’essor des acteurs économiques.

Ma responsabilité de Garde des Sceaux est de donner au secteur les moyens de développer sa compétitivité.

Certains obstacles à l’expansion du secteur sont de nature juridique. Je veux les lever, dès lors que la situation ne les justifie plus.

Trois priorités guident mon action.

Etendre les possibilités d’intervention des sociétés de vente volontaire.

L’interdiction faite aux sociétés de vente volontaire d’organiser des ventes de gré à gré est obsolète.

Le dynamisme des ventes de gré à gré contribue à l’essor du marché de l’art international. Il crée un avantage comparatif pour nos concurrents internationaux.

Lever cette interdiction, c’est ôter au secteur français de la vente aux enchères l’une de ses faiblesses structurelles.

C’est donner aux professionnels les moyens de développer une stratégie de développement plus compétitive et plus internationalisée.

La proposition de loi MARINI nous le permettra.

Deuxième priorité, adapter la fiscalité.

La fiscalité pesant sur le secteur peut constituer un handicap dans la concurrence internationale.

C’est, je le sais, l’une de vos préoccupations majeures.

Autant vous le dire tout de suite : une évolution sur la TVA des biens importés ne me paraît pas la meilleure solution.

Les négociations menées auprès des instances européennes pour d’autres secteurs ont été longues et complexes.

Mieux vaut faire preuve de lucidité et de pragmatisme.

En revanche, la question du droit de suite doit être clairement posée. Son application est pénalisante pour les professionnels français, d’autant plus que le Royaume-Uni a obtenu une dérogation.

Le ministre de la Culture, Frédéric MITTERRAND a saisi la Commission pour qu’un bilan de la directive sur le droit de suite soit réalisé. Il a eu raison de rappeler la Commission à cet engagement.

D’ores et déjà, je propose de réfléchir à une évolution de la position de la France sur ce sujet.

Je n’oublie pas que le droit de suite est une invention française. Pour autant, l’évolution de la concurrence internationale nous encourage à en modifier les termes, en faisant preuve du même pragmatisme que nos amis britanniques.

J’ai demandé au directeur des Affaires Civiles et du Sceau de conduire un groupe de travail sur ce sujet. Naturellement, je souhaite que vous y soyez associé.

Troisième priorité, enfin, moderniser les structures.

Je n’ignore pas que nous sommes chez Artcurial, et non chez Drouot.

Vous n’ignorez pas non plus que, la situation étant ce qu’elle est, j’ai demandé un rapport sur le fonctionnement de l’hôtel Drouot.

Aujourd’hui, Drouot est une maison connue et reconnue dans le monde entier, au même titre que ses principaux concurrents étrangers.

Pour conforter la place de Drouot et avec elle, le dynamisme du secteur tout entier, une évolution de son modèle économique est indispensable.

Ce modèle relève du droit privé. Son évolution dépend donc d’abord des actionnaires.

Pour autant, je l’affirme sans détour, les règles de l’actionnariat de Drouot sont incompatibles avec son développement économique. Elles éparpillent le capital. Elles découragent l’investissement.

Aujourd’hui, Drouot gagne de l’argent en louant des salles et en vendant un journal.

Est-ce là ce que les clients et les amateurs de Drouot attendent d’un acteur de renommée internationale ?

Il est temps de renoncer à la règle plafonnant à 5% le droit de vote des actionnaires.

Il est temps d’ouvrir le capital de Drouot à des personnes morales qui pourront apporter des capitaux dans le cadre d’une stratégie claire et globale.

Il est temps que Drouot parvienne à s’implanter dans les pays étrangers sous la forme de filiales et de bénéficier pleinement des effets de réseau.

Naturellement, il n’appartient pas au gouvernement de décider à la place des actionnaires, sauf à envisager la nationalisation. Rassurez-vous, je suis trop attachée à la liberté d’entreprendre pour le proposer !

Pour autant, je veux inciter tous ceux qui croient en Drouot et son avenir à faire bouger les lignes dans les plus brefs délais.

Si le statu-quo malthusien devait se confirmer, il faudra en tirer les conséquences lors du débat sur la proposition de loi MARINI. Chacun prendra ses responsabilités.


Mesdames et Messieurs,

Ma conviction est que le secteur de la vente aux enchères n’est pas assez conscient de ses atouts.

La France est une référence pour les collectionneurs et les amateurs d’art.

La richesse de son patrimoine, privé comme public, est un légitime motif de fierté.

Faudra-t-il se résoudre à voir tant de clients acheter des biens en France pour les revendre ailleurs ?

Faudra-t-il se résigner à sortir du marché mondial de l’art et des ventes aux enchères ?

Ce n’est pas ma conception des choses.

A nous de transformer nos atouts en avantages décisifs.

Il nous revient de donner au secteur des ventes aux enchères l’ampleur internationale qu’il mérite.

Il nous appartient, ensemble, de conforter le prestige de votre profession pour assurer, aujourd’hui comme hier et demain comme aujourd’hui,  le rayonnement de la France.