[Archives] Clôture des 5e assises sur les prisons en France

Publié le 12 février 2010

Discours de Mme Alliot-Marie, Ministre d’Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés

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6 minutes

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

Les prisons doivent être à même d'exercer leur triple mission : protéger la société, sanctionner les actes de délinquance et les actes criminels, mais aussi aider à la réinsertion des détenus.

 

A ce titre, elles jouent un rôle fondamental dans la lutte contre la récidive, et donc la protection de nos concitoyens.

 

Aujourd'hui, la loi pénitentiaire nous donne de nouveaux outils pour atteindre ces objectifs.

 

Elle correspond aussi à une nouvelle approche de la politique pénitentiaire.

 

Mesdames et Messieurs,

 

Je veux le dire devant les rapporteurs de la loi pénitentiaire au Sénat, Jean-René LECERF, et à l'Assemblée, Jean-Paul GARRAUD : la loi pénitentiaire est une grande loi. C'est une loi historique.

 

Ses objectifs étaient ambitieux :

 

- améliorer les conditions de vie en prison pour les détenus comme pour les personnels,

- clarifier une fois pour toutes les devoirs et les droits des détenus,

- favoriser les parcours individuels de détention pour mieux préparer la sortie de prison,

- développer les aménagements de peine pour garantir l'effectivité des sanctions prononcées.

 

Sur cette base, la loi pénitentiaire a donné lieu à un travail législatif remarquable.

 

Le Gouvernement et le Parlement ont échangé, dialogué, confronté leurs analyses, dans le respect des rôles et des sensibilités de chacun.

 

Nous n'avons pas toujours été d'accord, mais les débats ont toujours été constructifs, approfondis et passionnants.

 

Mesdames et Messieurs,

 

La loi pénitentiaire n'est pas une fin en soi. Elle est le point de départ d'une modernisation profonde de notre politique pénitentiaire.

 

J'entends renouveler les méthodes de travail tout en adaptant le cadre immobilier de notre politique.

 

Renouveler les méthodes de travail.

 

La politique pénitentiaire ne saurait se résumer à la gestion des flux.

 

C'est pourquoi j'ai décidé de mettre en œuvre une véritable stratégie au service de la lutte contre la récidive et pour la réinsertion.

 

Trois priorités guident mon action.

 

Différencier les réponses.

 

On ne traite pas un délinquant primo-arrivant comme un multirécidiviste.

 

On ne traite pas un détenu de courte peine comme un condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

 

On ne traite pas un détenu fragile comme un délinquant chevronné.

 

- On ne traite pas un détenu de droit commun comme un détenu présentant des troubles psychiatriques graves.

 

Pour améliorer la prise en charge de ce type de détenus, un programme de création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) est en cours.
La première ouvrira à Lyon en 2010.

 

Devant l'urgence et la gravité de la question, nous avons obtenu avec Roselyne BACHELOT qu'une UHSA au moins par région pénitentiaire soit construite sans attendre.

 

Deuxième priorité : faire de la détention un moment de reconstruction des personnes.

 

N'oublions jamais que les détenus ont, pour la plupart d'entre eux, vocation à revenir dans la société dont ils sont temporairement extraits.

 

Les prisons doivent être un lieu de reconstruction, et non de destruction des individus.

 

C'est pourquoi je suis déterminée à mieux prévenir les suicides en prisons.

 

J'ai décidé au mois d'août dernier de lancer un plan d'action. Le personnel pénitentiaire s'est mobilisé sous l'égide du professeur TERRA, qui préside le groupe de suivi.

 

Toutes les mesures du plan d'action ayant fait l'objet d'une expérimentation seront généralisées si l'évaluation est favorable.
Nous allons également renforcer nos liens avec le ministère de la Santé, en recherchant une meilleure implication des médecins sur le terrain et en menant une étude conjointe sur le suicide en milieu carcéral et le suicide en milieu libre.

 

Faire du temps de détention un temps de construction suppose aussi une meilleure préparation de la sortie.

 

- Cela passe par le développement des activités en détention.

 

C'est pourquoi la loi pénitentiaire crée une obligation d'activité pour le détenu : activité scolaire, d'apprentissage, professionnelle.

 

Pour développer le travail en détention, je veux multiplier les partenariats avec les entreprises.

 

Les entreprises d'insertion par l'économique pourront désormais participer au travail des détenus.

 

Les partenariats avec le MEDEF seront développés.

 

Je veux favoriser les initiatives pour développer les activités porteuses. C'est notamment le cas à Rennes où un centre d'appel téléphonique emploie 12 détenues.

 

- Cela passe aussi par les aménagements de peine.

 

Semi-liberté, placement à l'extérieur et placement sous surveillance électronique sont autant de moyens d'éviter que le détenu passe, du jour au lendemain, de l'incarcération à rien.

 

Troisième priorité : reconnaître le place et le rôle des personnels pénitentiaires.

 

Sans eux, aucune action n'est possible.

 

Ils effectuent un travail remarquable dans des conditions parfois très difficiles. Je veux le saluer.

 

Leur rôle dans l'accompagnement de la reconstruction des individus les expose à des situations critiques.

 

Je ne suis pas de ceux qui pensent que la violence exercée contre eux est un risque du métier, ou je ne sais quelle fatalité.

 

Pour étudier les voies et moyens de lutter contre les violences exercées sur les personnels, j'ai mis en place un groupe de travail à la chancellerie. Il est chargé de me faire des propositions concrètes au printemps.

 

La mise en œuvre de notre politique pénitentiaire exige la mise en place d'un cadre immobilier adapté.

 

Il n'y a pas d'un côté la politique pénitentiaire, et de l'autre sa dimension immobilière.

 

Le futur plan immobilier correspond aux ambitions et aux objectifs de notre politique pénitentiaire.

 

Il repose sur un triple refus.

 

Refus de la surpopulation carcérale.

 

5 000 places supplémentaires seront créées, comme le Président de la République l'a annoncé.

 

En 2017 la France sera dotée de 68 000 places de prison, dont 35 000 de moins de 30 ans, pour une population carcérale qui devrait logiquement diminuer.

 

Aujourd'hui, celle-ci s'élève à environ 61 000. Elle était de 62 300 au 1er janvier 2009.

 

Le développement des aménagements de peine devrait prolonger la tendance.

 

Refus de la vétusté.

 

12 300 places vétustes seront en effet fermées et remplacées par des places neuves.

 

Certains établissements devront être fermés.

 

Un premier plan, inspiré par la RGPP, recensait 83 structures devant fermer. J'ai réduit ce chiffre à une soixantaine, pour éviter la création d'établissements trop grands et inhumains.

 

Les fermetures interviendront entre mi 2015 et 2017.

 

Bien entendu, les élus et les autorités locales seront informés bien en amont. Certains se sont déjà manifestés pour évoquer la situation indigne de leur établissement.

 

Parallèlement, 22 nouveaux établissements seront ouverts, dont 11 d'ici fin 2015. Les recherches de terrains ont commencé.

 

Refus d'une conception déshumanisée de la prison.

 

Un scénario prévoyait des établissements de 1000 places : je l'ai rejeté.

 

J'ai décidé qu'aucun établissement ne dépasserait une capacité de 700 places, avec une seule exception : la maison d'arrêt de La Santé à Paris.

 

Un premier projet concernant La Santé prévoyait une capacité de 1400 places. J'ai décidé de le réduire à 1000.

 

Je l'ai dit, je n'hésite pas à le répéter : mon objectif est d'adapter nos prisons à la lutte contre la récidive.

 

Le programme immobilier traduira sur le plan architectural les prescriptions de la loi pénitentiaire.

 

L'encellulement individuel sera garanti, dans des cellules de 8,5 m2, donc impossibles à doubler.

 

L'application des régimes différenciés sera permise, dans le cadre des droits et devoirs des détenus prévus par la loi.

 

Le développement des activités sera facilité, avec l'objectif de proposer 5 heures d'activité par jour à chaque détenu.

 

Les liens familiaux seront préservés. Chaque établissement se verra doté d'une unité de vie familiale ou d'un parloir familial.
Les cours de promenades seront plus attrayantes. Il sera mis fin au « tout béton » qui gouverne le programme actuel.

 

Pour approfondir notre action, je veux développer un nouveau concept d'établissement : les établissements à réinsertion active.

 

Je veux rompre avec la logique d'uniformité des établissements pénitentiaires.

 

Il faut prendre en compte la différence des détenus, de leur profil, de leur dangerosité, de leur capacité de réinsertion.

 

Je veux rompre avec la logique d'inactivité.

 

Il n'est pas acceptable que des détenus en courte peine ou manifestant une réelle volonté de réinsertion soient contraints à l'oisiveté, enfermés dans leur cellule 22 heures sur 24.

 

Les établissements à réinsertion active réserveront une place plus importante aux espaces d'activités. Leur configuration renforcera les liens humains entre surveillants et détenus.

 

Mesdames et Messieurs,

 

La modernisation du service public pénitentiaire exigeait une loi fondatrice.

 

Elle nécessite aujourd'hui un travail déterminé, ouvert aux innovations, aux partenariats et aux méthodes nouvelles.

 

Ce travail, je veux le mener avec tous les hommes et les femmes qui veulent apporter la pierre à la modernisation de nos prisons : élus, associations, entreprises, citoyens.

 

Je conduirai ces chantiers en toute transparence, comme je l'ai toujours fait. C'est pourquoi j'ai décidé d'autoriser les journalistes à effectuer des stages dans les prisons en immersion totale.

 

Détermination, transparence, confiance : en modernisant les prisons d'aujourd'hui, nous préparons la société de demain.

 

Je vous remercie.