[Archives] Célérité et qualité de la justice en appel - Discours M. Magendie
Publié le 25 juin 2008
Rapport de Monsieur Magendie, premier président de la Cour d'appel de Paris
Poursuivant votre œuvre de rénovation de notre justice, vous avez souhaité promouvoir une modernisation du procès civil afin de donner une plus grande efficacité à la justice du second degré.
Madame le Garde des sceaux,
Poursuivant votre œuvre de rénovation de notre justice, vous avez souhaité promouvoir une modernisation du procès civil afin de donner une plus grande efficacité à la justice du second degré.
C’est cette ambition et cet objectif qui ont guidé la Mission que vous m’avez fait l’honneur de me confier. Les propositions figurant dans le rapport que je vous remets ce soir visent, comme vous le souhaitiez, à garantir au justiciable qu’une décision effective sera rendue dans un délai raisonnable.
En d’autres termes, il s’agit de doter notre pays d’une justice conforme aux exigences européennes à travers une procédure d’appel garantissant aux citoyens l’effectivité de leurs droits.
La dernière refonte d’ensemble de l’appel remonte à 1972, alors que nous assistons à une inflation des contentieux judiciaires et alors que toutes les démocraties connaissent un mouvement profond de procéduralisation de la justice qui valorise l’autonomie des sujets et impose une recomposition du rôle du juge ainsi qu’une redéfinition de l’intervention des parties.
À l’heure où s’achève, par la remise symbolique et matérielle de ce rapport, notre exaltante mission, je vous renouvelle, Madame le Garde des sceaux, toute ma reconnaissance pour votre confiance.
Ce rapport est le résultat du travail d’une équipe de juristes reconnus pour leur professionnalisme comme à raison de leurs parcours respectifs.
La Mission comportait des praticiens magistrats, avoués, avocats, greffier, mais aussi des universitaires chargés de vérifier, les premiers, la faisabilité des réformes proposées, les autres, la pertinence théorique des préconisations.
Je peux témoigner de l’harmonie qui a régné dans un groupe pourtant si divers et de la très large convergence qui a présidé à nos travaux. Cela me paraît de très bon augure.
Malgré ce consensus, nous avons tenu à passer nos idées au crible de la critique non complaisante de spécialistes, à les soumettre à des techniciens du droit particulièrement pointus et vigilants.
Nous avons aussi entendu des universitaires et praticiens qui connaissent bien les procédures adoptées récemment par des pays voisins et qui s’avèrent infiniment moins mesurées que les nôtres.
Le procès d’appel, comme celui de première instance, nous renvoie à la gestion du temps. La célérité - je n’ai pas dit la rapidité - n’est qu’un des éléments parmi d’autres qui favorise une justice de qualité.
Le temps est nécessaire au procès, mais il doit être un temps utile ; c’est donc vers l’élimination du temps qui ne favorise pas la solution du litige que nous nous sommes orientés.
Eu égard à l’ampleur du chantier et à sa technicité, je me bornerai à relever les principales orientations du rapport.
Notre démarche nous a conduits, dans un premier temps, à nous poser la question de la conception de la voie d’appel à retenir puisque celle-ci commande les réformes à préconiser.
Le principe du double degré de juridiction constitue une évidente garantie de justice de qualité, alors même que sa valeur constitutionnelle n’a jamais été affirmée et qu’il ne figure pas parmi les droits garantis par la convention européenne en matière civile ; le double degré de juridiction doit être considéré comme un instrument particulier de la protection des droits de la défense.
Or, la procédure d’appel ne peut réaliser cet objectif que si elle répond elle-même aux critères de qualité d’une justice moderne résultant de standards européens. À cet égard, si la Cour européenne pose des standards très exigeants pour le droit au juge de première instance, elle relativise les obligations de l’État quant à l’organisation des juridictions de recours.
L’affaire ayant déjà été examinée en fait et en droit, la nécessité de permettre l’exécution des décisions dans un délai raisonnable peut autoriser les États à poser des restrictions plus nombreuses tenant à la recevabilité des recours, au formalisme procédural, aux délais d’exercice de ces recours, au renforcement des contraintes procédurales.
Ainsi, cette marge d’appréciation permet-elle au législateur d’organiser une rationalisation de la procédure d’appel, avec pour seule limite que les restrictions posées n’entraînent pas d’entraves substantielles au droit. C’est dans cette direction que nous nous sommes orientés en retenant la conception de l’appel voie maîtrisée d’achèvement.
La Mission a souhaité reconsidérer le régime de l’appel à la lumière des évolutions récentes mais en procédant avec mesure. Il s’agit simplement de modifier le dosage réalisé en 1972 entre la fonction d’achèvement et de réformation, en limitant le jeu de la fonction d’achèvement qui est maintenue au regard des avantages qu’elle apporte à l’effectivité du droit au juge.
Le choix d’une voie d’achèvement maîtrisée du litige évite les effets pervers qui s’y étaient jusque là attachés et qui se traduisaient pas la dissolution de la première instance, souvent considérée comme un galop d’essai, et par la transformation de l’appel en une seconde première instance.
C’est pourquoi la Mission propose de conférer à la cour le pouvoir de relever d’office l’irrecevabilité tirée de la nouveauté de la prétention.
En revanche, l’interdiction de moyens nouveaux risquerait d’introduire une entrave disproportionnée au droit au juge au regard de la nouvelle définition de l’autorité de chose jugée donnée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 juillet 2006.
Cette option de l’appel voie d’achèvement maîtrisée a dû, dans un second temps, trouver sa traduction technique.
Par l’élaboration des principes qui pourraient guider le renouvellement de la voie d’appel, la Mission a souhaité la consécration d’un principe de concentration se traduisant par des exigences en termes de délais et par une conception plus dynamique de la mise en état.
Le principe présenterait de nombreux avantages :
- il replacerait les parties au coeur du procès et les restaurerait dans le jeu processuel ;
- il revaloriserait le principe d’initiative des parties ;
- il permettrait de garantir l’exercice effectif des droits de la défense en contribuant à une authentique loyauté procédurale, l’appelant comme l’intimé étant tenus d’exposer leurs prétentions et de produire leurs pièces dans un temps raisonnable.
Le principe de concentration se traduit notamment par des exigences en termes de délais. Il s’agit de passer d’une procédure purement séquentielle, qui générait d’importants délais inutiles, à un calendrier de procédure précis et fiable, adapté à la nature, à la complexité et aux particularités de l’affaire.
Nous nous trouvons, dans la nouvelle logique procédurale, dans une gestion moderne du temps du procès.
Dans les huit jours de sa déclaration d’appel enregistrée au greffe, l’appelant devra la faire signifier à l’intimé par acte d’huissier de justice, ce qui sera source de sécurité juridique et évitera des pertes de temps. L’intimé devra se faire représenter impérativement dans les quinze jours, à peine d’irrecevabilité.
Les pièces devront être échangées très rapidement pour permettre une discussion loyale et immédiate.
L’appelant, qui a bénéficié d’un délai d’un mois pour interjeter appel, disposerait désormais d’un délai de deux mois pour déposer ses conclusions au greffe de la juridiction d’appel. Ses conclusions devront concentrer les prétentions, moyens de fait et de droit ainsi que la critique du jugement rendu.
Afin d’assurer le strict respect de ce délai, gage de rythme efficace de traitement de l’affaire au deuxième degré de juridiction, la sanction doit être adaptée à l’objectif poursuivi. La Mission préconise donc que l’appel soit considéré comme non soutenu si l’appelant ne conclut pas dans ce délai de deux mois.
Un même délai serait imposé à l’intimé pour établir ses conclusions en défense. C’est dans ce délai de deux mois qu’il devra, s’il le souhaite, former un appel incident. Ce dernier n’est donc plus possible « en tout état de cause », mais limité dans le temps au délai pour répondre aux écritures de son adversaire.
En cas d’appel incident, l’appelant principal disposera pour répondre d’un délai de deux mois à compter du jour où celui-ci lui aura été signifié.
Comme l’appelant, l’intimé doit communiquer dès que possible ses pièces à l’adversaire, sans attendre l’expiration du délai. Pour en assurer le respect, il sera prévu, à titre de sanction, l’irrecevabilité des communications tardives de pièces.
Dans ce nouveau contexte procédural, le conseiller de la mise en état deviendra un véritable gestionnaire du temps de la phase de mise en état, afin que les parties accomplissent les actes de la procédure d’appel dans les formes et délais requis.
Doté d’un pouvoir d’injonction, il devrait disposer, avec l’accord des parties, du pouvoir de diminuer la durée des délais prévus ; il pourrait - à l’inverse - proroger le délai prévu en cas de justification d’une cause grave et légitime par l’une des parties.
Enfin, en cas de non respect de ces exigences, l’irrecevabilité du moyen ou de la prétention pourrait être prononcée pour assurer l’efficacité du principe de concentration.
La modélisation du procès d’appel nous a également beaucoup retenus, ne serait-ce que par l’importance qu’elle revêt dans la plupart des systèmes juridiques étrangers et au sein des juridictions communautaires.
Le principe de liberté formelle des écritures judiciaires a atteint ses limites ; il génère une insécurité généralisée. Les écritures inorganisées entraînent des inconvénients majeurs au regard du principe de contradiction et de sécurité juridique.
La structuration des conclusions d’appel nous est, en conséquence, apparue indispensable ; elle le sera d’autant plus que la transmission électronique vers laquelle on s’achemine ne pourra s’effectuer que sur la base de documents uniformisés.
L’office du juge et des parties s’en trouvera sécurisé.
Le conseiller de la mise en état devra pouvoir adresser aux parties une injonction d’avoir à mettre leurs écritures en conformité avec les règles de structuration et si les parties persistent à méconnaître ces exigences, il pourra être prévu que le juge ne serait pas tenu de répondre aux prétentions qui ne serai pas énoncées au : “Par ces motifs”.
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L’esprit de transaction et de modération qui a présidé à nos travaux devrait faciliter l’adhésion des professionnels du droit à ces préconisations qui sont dictées par la nécessité de moderniser notre justice civile, afin que l’acte de juger en appel réponde à toutes les exigences du procès équitable et soit de nature à conduire au bien juger qui redonnera confiance aux usagers du service de la justice.
Mais parce que ce renouveau de l’appel ne peut se faire sans l’appui diligent de l’ensemble de ses acteurs, il est suggéré, au-delà des préconisations présentées dans le rapport, de recourir à des guides de bonnes pratiques qui pourront être élaborés, dans la concertation et le dialogue, avec les différents protagonistes du procès d’appel.