[Archives] Bilan des zones de sécurité prioritaires

Publié le 13 mai 2013

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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18 minutes

L’action du ministère de la Justice dans le cadre du dispositif des zones de sécurité prioritaires relève de la mission « sécurité », qui incombe à ce ministère. Nous assurons cette mission de sécurité à travers l’élaboration de la loi pénale. Conformément aux dispositions contenues dans le code des procédures pénales, les procureurs de la République dirigent la police judiciaire. Nous veillons à la sanction des délinquants et des criminels, à la surveillance et à la réinsertion des détenus. Nous veillons à conduire des actions de prévention pour lutter contre la récidive. Nous veillons à accueillir et à informer les victimes. Vous savez probablement que ce gouvernement accorde une attention particulière aux victimes. Cette attention s’est traduite par une augmentation de 26% du budget consacré aux 173 associations, qui, bénévolement, accomplissent leurs missions auprès des victimes. Pour la seule année 2013, je veille à ce que la Chancellerie s’engage à ouvrir la centaine de bureaux d’aide aux victimes, qui manquaient jusqu’alors dans nos tribunaux de grande d’instance. Ce travail presque titanesque – une centaine de bureaux en une seule année – est possible grâce à la mobilisation et à l’énergie de celles et ceux, qui, sur le terrain, font vivre ces bureaux d’aide aux victimes. Surtout, ces personnes permettent l’insertion efficace de ces bureaux au sein de nos tribunaux de grande instance. Elles (les magistrats, les greffiers, les avocats ainsi que les responsables associatifs) assurent leur bon fonctionnement.

Le 19 mars dernier, à l’initiative de l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion de présenter les grandes orientations de cette mission « sécurité », qui incombe au ministère de la Justice. Je salue le travail acharné du président de la commission des lois, dont les répercussions retombent évidemment sur moi-même et sur le ministre de l’Intérieur, compte tenu des auditions et des sessions qui se multiplient. Je salue les parlementaires. Je vois Dominique BAERT et Jean-Pierre BLAZY. Je sais que Thierry BRAILLARD a dû nous quitter. Je salue François CORNUT-GENTILLE. Qui vois-je encore dans la pénombre ? En tout cas, je sais que Pierre-Alain MUET est avec nous, de même que Michel FRANCAIX. Merci à vous pour le travail continu que vous fournissez. Je salue aussi la présidente de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, ainsi que la représentante, l’adjointe du défenseur [termes non identifiés 2’57 à 2’58 (Madame MOTTE)] et vous, Madame JOURDAIN MENNINGER, merci pour le travail d’accompagnement que vous effectuez tous les jours.

J’ai souhaité que les orientations concernant la mission « sécurité » du ministère de la Justice soient claires. Bien entendu, il faut indiquer comment le ministère de la Justice est confronté, au quotidien, et principalement dans nos tribunaux, aux faits, à leur violence, aux souffrances que ces faits et cette violence induisent pour les victimes. De part ses différents services et ses différentes missions, il faut préciser comment le ministère de la Justice doit se soucier de l’exécution des peines prononcées par les magistrats, et aussi de la réparation des préjudices subis par les victimes. Il faut indiquer comment le ministère de la Justice doit entreprendre des actions de prévention pour lutter contre la récidive et éviter de nouvelles victimes. 

J’ai tenu à ce que les procureurs généraux et les procureurs participent de façon active à cette journée d’évaluation des zones de sécurité prioritaires. Merci, Monsieur le ministre de l’Intérieur, cher Manuel, d’avoir accepté aussi rapidement et aussi aisément de revoir la configuration des ateliers, de façon à ce que les procureurs de la République puissent apporter une pleine contribution à la réflexion et aux travaux. Cet après-midi, nous en avons vu le résultat avec les travaux de restitution.

Je veux rappeler que le ministère public est la colonne vertébrale de la politique pénale. En fait, ce ministère public constitue un pilier de l’Etat de droit. Les « parquetiers », comme on les appelle, sont des magistrats à part entière, comme les magistrats du siège. Ils sont recrutés selon les mêmes modalités. Ils suivent la même formation. Ils prêtent le même serment. Ils sont soumis à la même déontologie. Leur seule spécificité consiste dans leur appartenance à la « magistrature debout ». Conformément aux engagements du président de la République, j’ai veillé à consolider les conditions de leur impartialité. Au sujet de l’impartialité, nous savons tous qu’il ne suffit pas qu’elle soit. Il faut que le citoyen puisse y croire. L’impartialité peut être réelle. Néanmoins, elle peut faire l’objet de doutes. Pour ces raisons, conformément aux engagements du président de la République, nous avons décidé de mettre un terme aux instructions individuelles, de même qu’aux nominations de la haute hiérarchie. D’une part, nous les avons ouvertes à la transparence. D’autre part, je respecte l’avis émis par le Conseil supérieur de la magistrature. Si le Parlement en décide, ce que nous allons essayer d’inscrire dans la Constitution et dans la loi, est donc un avis émis et exécuté de façon conforme.

Je connais l’inventivité des magistrats du parquet. Ils ont été capables d’innover dans des conditions et des situations diverses. Par exemple, le fameux TTR (Traitement en Temps Réel) établit une relation extrêmement directe avec les forces de police. Il permet de faire remonter des procédures. Par conséquent, il réduit les délais, notamment les délais de réponse pénale. Par exemple, les parquets ont également su innover via la convocation par l’officier de police judiciaire. Jusque-là, une citation directe par huissier se faisait plus fréquemment. Cette procédure permet de gagner du temps. Nous pouvons accélérer la réponse pénale pour certaines procédures. Les magistrats du parquet ont su innover plus lourdement, par exemple, en créant les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD). Ces structures adoptent une méthode transversale. Elles associent d’autres partenaires. D’une certaine façon, elles préfigurent les modes d’action en vigueur dans les zones de sécurité prioritaires.

J’ai donc veillé à ce que les parquets généraux et les parquets soient impliqués de la façon la plus active, la plus directe et la plus immédiate dans ce dispositif conçu par le ministère de l’Intérieur. Le ministre de l’Intérieur, Manuel VALLS, a communiqué aux préfets, dès la fin du mois de juillet 2012, une circulaire annonçant les quinze premières zones de sécurité prioritaires et leurs modalités de fonctionnement. Dès le 21 août, j’ai moi-même diffusé une circulaire. Je l’ai adressée aux parquets généraux et aux parquets pour les informer de la façon dont ils seraient impliqués dans la création et le fonctionnement de ces zones de sécurité prioritaires. Cette circulaire de la Chancellerie a accompagné celle du ministre de l’Intérieur. En plus, nous faisons des déplacements en commun, nous partageons nos prises de position et nos méthodes de travail. Nous nous rencontrons fréquemment, peut-être pas tous les jours, mais au moins trois fois par semaine. Cher Manuel, j’apprécie à la fois la rigueur et l’exigence, qui sont vos qualités cardinales, Monsieur le ministre de l’Intérieur. Cette démarche envoie donc le signal renouvelé de la détermination du ministre de l’Intérieur et du ministère de la Justice de travailler ensemble. Nous voulons réussir les politiques publiques ayant pour raison d’être la sécurité des Français. Nous travaillons constamment en commun, de façon croisée. Ce travail est de mieux en mieux entendu parmi les magistrats, mais également parmi les forces de police et de gendarmerie. Nous illustrons notre travail en commun par diverses initiatives. Le ministre de l’Intérieur rencontre régulièrement des représentants des magistrats. Moi-même, j’ai rencontré plusieurs représentants syndicaux de la police. Ces relations sont toujours franches. Nous les souhaitons durables. Nous avons prévu de nous rencontrer régulièrement. Ayant en commun la responsabilité de la sécurité des Français, nous ferons régulièrement le point sur les dossiers que nous avons en commun.

À partir du mois de septembre, dès le 13 septembre, j’ai réuni, à la Chancellerie, les procureurs généraux et les procureurs concernés par les quinze premières zones de sécurité prioritaires. D’abord, j’ai souhaité qu’ils fassent une première estimation du fonctionnement de ce nouveau dispositif. Ensuite, j’ai souhaité qu’ils s’impliquent dans la définition des prochaines zones, le ministre de l’Intérieur ayant déjà annoncé la deuxième « vague » de zones de sécurité prioritaires.

Le 4 octobre, ayant pris en compte les estimations qui ont été exposées par nos magistrats, et ayant également pris en considération leurs interrogations quant à leur participation, notamment aux cellules de coordination, nous avons, via la direction des services judiciaires, diffusé une dépêche indiquant les conditions et les pratiques à partir desquelles ils peuvent efficacement s’impliquer dans ces nouvelles cellules de coordination.

Le 15 octobre, la deuxième « vague » des zones de sécurité prioritaires a été annoncée. Nous avons pu constater que 80% des propositions des parquets et parquets généraux étaient conformes. En tout cas, elles correspondaient, convergeaient, avec les propositions remontées par les préfets. Cela prouve que le travail, que nous encourageons sur le terrain, se réalise. Il se réalisait déjà depuis plusieurs années, mais de façon inégale sur le territoire, compte tenu des jonctions contradictoires et d’un certain nombre de confusions. La perception des réalités du terrain est partagée. Le travail conduit d’un côté par les magistrats, d’un autre côté par les préfets, aboutit à une appréciation convergente.

En février, nous avons présenté la circulaire de localisation des emplois. Dans le cadre de la création de 142 postes de magistrat, j’ai pu indiquer qu’une quarantaine de postes étaient réservés au parquet et que des postes supplémentaires seraient consacrés aux zones de sécurité prioritaires. Bien entendu, les procureurs généraux peuvent déjà, dans leurs effectifs, affecter provisoirement un ou deux magistrats. Depuis septembre, ils peuvent le faire dans les zones de sécurité prioritaires. Nos effectifs étant plus modestes que ceux de la police et de la gendarmerie, nous devons bien sûr travailler à la fois sur les méthodes de travail et sur les équipes.

En avril, les procureurs généraux ont fait remonter les rapports de politique pénale des procureurs. Ces rapports de politique pénale présentent une analyse et une évaluation des zones de sécurité prioritaires.

Enfin, mardi dernier, le 7 mai, j’ai réuni, à la Chancellerie, des procureurs généraux de façon à préparer ces journées d’évaluation. Nous avons partagé le bilan des premières ZSP. La circulaire, que je vous ai adressée Monsieur le ministre de l’Intérieur, est, depuis ce matin, à la disposition de tous les parquets de France et de l’Outre-mer.

Je sais bien que tout cela n’est pas suffisant. C’est pourquoi j’ai chargé l’Institut des Hautes Études sur la Justice (IHEJ) d’une étude sur « la mission de juger », sur le périmètre d’intervention du juge et sur son équipe d’assistants. Cette étude est achevée. Le rapport de mission me sera remis très prochainement. J’ai également mis en place deux groupes de travail, dont un sur « la mission de juger » et l’équipe d’assistants exerçant aux côtés des magistrats, qu’il s’agisse des magistrats du parquet ou des magistrats du siège. Les organisations syndicales siègent dans ces groupes de travail. Le rapport me sera remis à l’automne prochain. Au passage, je redis tout à fait publiquement au procureur général, Monsieur BEAUME, ainsi qu’au procureur Robert GELLI, que les procureurs généraux et les procureurs seront très fortement associés à ces travaux. Dès que les rapports seront remis, ils pourront notamment participer aux discussions qui s’ensuivront. Je répète qu’ils sont déjà représentés dans ces groupes de travail.

L’implication des procureurs généraux et des procureurs est forte, même si une question essentielle est celle de l’articulation de leur participation aux structures déjà existantes avec les cellules de coordination, qui ont déjà été créées. Pour ma part, je note l’évolution tout à fait favorable des relations entre les préfets et les procureurs de la République. Il y a quelques mois, la situation était relativement inégale sur le territoire. Ces relations sont d’une qualité qui ne cesse de s’accroître. Elles sont évidemment liées à la qualité des hommes, des procureurs et des préfets. D’ailleurs, je veux saluer tous les préfets qui sont dans la salle, en particulier, évidemment, le préfet Bernard BOUCAULT, mais aussi tous les préfets. Je souhaite vous exprimer toute ma gratitude pour la disponibilité dont vous avez fait preuve, lors de mes différents déplacements. Je salue la qualité des informations que vous nous remettez, lorsque nous vous sollicitons. Je dois un peu exprimer mes regrets pour les tracas que je vous procure depuis quelques semaines de façon très indirecte. Dans le pays, quelques contestataires ont décidé d’entraver les déplacements des ministres de la République. Je remercie les forces de l’ordre qui sont mobilisées à ces occasions. Justement, elles sont obligées de rétablir l’ordre. La qualité des relations entre le préfet et le procureur, qui co-préside l’état-major de sécurité, a permis une meilleure connaissance mutuelle et une plus grande efficacité de l’action. L’action est évidemment concertée, dans le respect des prérogatives de chacun.

Cette relation – je le disais – s’est institutionnalisée dans l’état-major de sécurité. Elle a des effets bénéfiques pour les missions de la police administrative, mais aussi pour l’ordre public et la police judiciaire. L’une des illustrations de cette maturité réside aussi dans le fait que la notion de « chaîne pénale » est remise en cause. Elle recule parce qu’elle a produit de la confusion et de l’inefficience. Un partenariat est solide et efficace s’il repose sur des compétences particulières, singulières et identifiées, si chacun apporte ses compétences, ses prérogatives et ses capacités, si chacun est en mesure de les rendre intelligibles à l’autre, de faire valoir ses contraintes juridiques, d’accomplir sa mission, et donc d’apporter sa part. Les procureurs le savent parfaitement. En dirigeant les enquêtes, ils voient bien la qualité des enquêteurs. Ce travail est particulier. Les officiers et les agents de police et de gendarmerie sont des professionnels. Ils effectuent ces enquêtes. Leur apport est singulier. Cet apport fait la force du travail d’enquête dirigé par le procureur. La police et la justice sont donc fortement liées mais distinctes. Ensemble mais avec leurs spécificités respectives, elles assurent l’efficacité de la politique publique. C’est ce que le président de la République appelle une justice efficace et diligente dans le respect des droits de chacun.

Il existe donc, évidemment, une autonomie de la justice. Cette autonomie n’est ni un acte de défiance, ni un prétexte à l’isolement, et aucun procureur ne le vit ainsi. Au contraire ! Cette autonomie pose un certain nombre d’exigences. Concernant les zones de sécurité prioritaires, nous avons décidé, dès la réunion du mois de septembre, et, à nouveau, en cette réunion du mois de mai, de considérer qu’une doctrine d’emploi judiciaire de ces ZSP devait être posée. Elle devra s’affiner au fur et à mesure des résultats, à partir des méthodes opérationnelles mises en œuvre. Nous continuons le travail ainsi, après l’avoir constaté pour les quinze premières zones de sécurité prioritaires.

Bien sûr, la question de l’articulation avec les structures existantes se pose, notamment avec les GLTD, mais aussi avec les CLSPD, les CISPD, les comités intercommunaux, et l’état- major de sécurité. Ces structures visaient essentiellement à construire un diagnostic partagé. Ce diagnostic partagé définit les problématiques spécifiques aux délinquances localisées. Il définit des objectifs, des effectifs et des moyens. Ce diagnostic partagé inspire la politique pénale. Cette politique pénale doit se décliner sur le territoire. Autant il relève de ma responsabilité de définir la politique pénale pour l’ensemble du territoire, autant il relève de la responsabilité des procureurs généraux de décliner cette politique pénale générale dans leur ressort régional. Les procureurs, qui, eux, exercent directement l’action publique, doivent ajuster cette politique pénale dans leur propre territoire. D’ailleurs, la circulaire du ministre de l’Intérieur le précise. Elle rappelle que le procureur de la République définit seul la politique pénale sur son ressort. Cela se pratique au quotidien. Le procureur général doit garantir la cohérence des déclinaisons territoriales de la politique pénale. Bien entendu, cela suppose des exigences vis-à-vis des procureurs.

Parmi ces exigences, il est nécessaire d’évaluer les méthodes de travail à la fois qualitativement et quantitativement. Le taux d’élucidation doit s’améliorer. Par exemple, ce matin, nous avons vu que le taux d’élucidation s’est amélioré à la Duchère, mais tel est aussi le cas dans d’autres zones de sécurité prioritaires. Surtout, il faut faire en sorte que le péril, que fait peser la dissolution du lien social liée à ces actes de délinquance très enraciné, soit résorbé. Il est important de rétablir de la cohésion sociale dans nos quartiers et nos cités. Ces territoires sont particulièrement vulnérables.

Puis, cette exigence vis-à-vis des procureurs se pose évidemment dans leur relation à l’autre, donc à la police judiciaire. La circulaire du ministre de l’Intérieur offre une opportunité extraordinaire. La cellule de coordination de la sécurité intérieure et ce que le ministre de l’Intérieur appelle « la coopération renforcée » donnent aux procureurs l’occasion de participer à la définition et au déploiement des moyens de la police judiciaire. Le ministre de l’Intérieur le prévoit ! Cela fait partie des objectifs des cellules de coordination. Nous savons à quel point les effectifs et le déploiement des enquêteurs peuvent peser sur l’efficacité d’une enquête. Le fait de pouvoir, en amont, participer à la définition, à la désignation des enquêteurs et à leur déploiement est une chance extraordinaire, que les procureurs et les procureurs généraux apprécient à leur juste mesure, tout comme le Garde des Sceaux que je suis, bien entendu. Je le répète. Il faut exiger des résultats. L’exigence doit être à la fois qualitative et quantitative.

Ensuite, la question de la dérogation avec les autres instances se pose. Tout à l’heure, je parlais des GLTD. Les informations recueillies dans les GLTD peuvent être transmises aux états-majors de sécurité. De même, nous pouvons prendre les CODAF (Comités Départementaux Anti-fraude) en exemple. Les méthodes de partage du travail visent à faire en sorte que les cellules opérationnelles le soient le plus possible.

De plus, il faut que les états-majors de sécurité puissent s’adapter à ces nouvelles situations. Dans la circulaire que j’ai diffusée ce matin, il est suggéré que les états-majors de sécurité classiques se tiendront régulièrement. Les états-majors de sécurité ciblés sur les ZSP se tiendront également régulièrement. Mardi, lors de la séance de travail sur le bilan des premières ZSP, le procureur général, Jacques BEAUME, nous a précisé que l’état-major du Rhône avait décidé de mettre systématiquement à l’ordre du jour de ses réunions, qui ont lieu toutes les trois semaines, un point réservé aux zones de sécurité prioritaires. Cette méthode innovante peut faire recette et être utilisée ailleurs.

Vous ai-je parlé du retour des formations ? Pas encore. Lors de la présentation de ma circulaire générale de politique pénale en Conseil des ministres, en septembre 2012, j’avais demandé au parquet de « faire retour » aux services des enquêtes de la suite réservée aux procédures sur lesquelles les enquêteurs avaient travaillé. Cette démarche me paraît légitime. Elle illustre le travail de coopération conduit entre le ministre de l’Intérieur et le ministère de la Justice. Sur le terrain, elle doit contribuer à une meilleure compréhension entre les parquets et les services des enquêteurs. En me déplaçant dans les juridictions, et en essayant d’observer l’application de cette disposition parmi d’autres, j’ai pu constater que les parquets n’avaient finalement pas été historiquement structurés pour faire remonter des informations, les rendre à ceux qui leur faisaient parvenir, autrement dit aux services des enquêtes et aux administrations qui saisissent les parquets. Par exemple, une structure comme TRACFIN n’a jusqu’à maintenant aucun retour. J’ai donc décidé de charger le secrétaire général, ainsi que les directions de la Chancellerie (la direction des affaires criminelles et la direction des services judiciaires) de me faire des propositions à la fois opérationnelles et pérennes, pour que cette remontée des informations se fasse de façon plus systématique. Dans certaines juridictions, elle se fait de façon orale, dans d’autres juridictions, de façon écrite. Nous avons commencé à travailler sur certains logiciels informatiques, mais nous allons mettre en place un dispositif plus systématique et pérenne.

On vient de me montrer un papier, qui me demande de conclure en cinq minutes. Je ne vous ai pas encore dit le quart de ce que j’avais prévu de vous dire. Je ne veux pas que le ministre de l’Intérieur rate son train. Je vais donc me frustrer profondément. Je vais vous libérer parce que j’abuse probablement de votre attention. Je veux juste dire deux ou trois choses essentielles.

D’abord, une question a été évoquée à plusieurs reprises. Il s’agit de l’échange des informations. Avec les cellules de coordination, il est évident qu’un plus grand nombre d’acteurs interviennent. Par conséquent, plus de personnes n’ont ni la qualité d’un procureur, ni la qualité d’un policier ou d’un préfet. La question des informations nominatives et celle du partage des informations se posent. Je sais que le député-maire de Saint-Dizier, CORNUT-GENTILLE, est très impliqué. Il va faire signer une charte de confidentialité. Je ne suis pas sûre que cela suffise. En tout cas, cet acte est une innovation. J’ai déjà interrogé la CNIL. Je ferai très vite remonter son avis. Des informations sont évidemment nécessaires. Dans un souci d’efficacité, certaines doivent être partagées, y compris avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse. En même temps, un risque lié aux libertés individuelles existe. Nous avons des textes de loi. Ils sont plutôt restrictifs. Nous devons fonctionner dans les limites de ces textes. Par conséquent, nous devons faire en sorte que la loi soit respectée. En même temps, nous devons être efficaces. La loi nous impose l’efficacité de nos politiques de sécurité.

Je veux saluer le rôle des élus, notamment celui des élus locaux. Les maires sont nombreux dans la salle. Certains sont venus de loin. La maire de Cayenne est présente. Sur la scène, nous avons entendu le maire de Mulhouse, Monsieur ROTTNER. Nous avons également entendu l’adjoint au maire de Grenoble, Monsieur SAFAR. Nous savons que l’adjoint au maire de Nantes, Monsieur NICOLAS, est également présent. Sur la sécurité, il conduit une action très novatrice avec le préfet et le procureur. Les maires sont actifs. J’ai également vu le maire d’Amiens et le maire des Mureaux. Surtout, les maires sont très inventifs. Bien entendu, il faut qu’ils soient associés à ces dispositifs. Il n’existera aucun succès possible sans la participation des maires.

Nous savons que la répression est indispensable, mais elle n’est pas suffisante. Le procureur général, Monsieur BEAUME, le disait lui-même. Nous ne pouvons pas rétablir l’ordre public et la paix publique dans ces quartiers et ces cités avec la seule répression. Le procureur, Sylvain CORDESSE, le confirmait. Il a rappelé la nécessité de l’individualisation et de la contextualisation, comme le procureur Eric LALLEMENT d’Evry. Évidemment, il faut l’intervention des autres forces. À Marseille, nous avons l’illustration de la nécessité de mobiliser toutes les autres administrations, y compris les autres ministères. Il est nécessaire de les mobiliser. Nous en voyons les résultats.

Ce gouvernement a choisi l’action. Tel est le sens de ces zones de sécurité prioritaires. Il a choisi l’action plutôt que le tourbillon législatif, que nous avons connu. Cette situation d’insécurité n’est pas nouvelle. Elle n’est pas récente. Nous y sommes confrontés. Notre société y est confrontée depuis de nombreuses années. MONTAIGNE disait déjà qu’il n’est rien sujet à plus continuelle agitation que les lois. Dans ce pays, agiter les lois est une vieille pratique. Pendant plusieurs années, cela s’était calmé. Ces dernières années, l’inflation législative n’a pas résolu les problèmes. Nous l’avons vu. Nous parions sur notre réussite. Nous acceptons la mesure de notre action. C’est pourquoi nous travaillons à la mise en place d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs. Prendre la mesure de notre action revient à avoir le courage de dire que nous sommes engagés pour la sûreté des Français. Je parle de la sûreté telle que MONTESQUIEU l’entendait, autrement dit comme une vraie liberté, une liberté qui donne cette tranquillité d’esprit aux citoyens. Nous avons le devoir de consolider les institutions, parce que les institutions protègent les citoyennes et des citoyens les plus vulnérables. Nous devons faire en sorte que nos institutions résistent aux alternances, aux croyances, aux risques démocratiques, qu’elles résistent et renforcent la sécurité des Français. Nous avons cette obligation. Parmi les indicateurs de mesure, il existe les indicateurs quantitatifs sur le cadre de vie, la qualité de vie, mais surtout sur ce que ressentent les habitants, les citoyens. Il faut qu’ils retrouvent confiance dans l’Etat, qu’ils comprennent que la puissance publique est présente, qu’elle est de retour et qu’ils peuvent lui faire confiance. Nous avons cette obligation. Telle est la raison pour laquelle nous n’allons pas relâcher nos efforts.

Nous nous retrouverons prochainement. Entre-temps, Manuel VALLS et moi-même, nous poursuivrons notre travail. Nous allons apprécier toutes vos remontées. Nous allons les partager, entre nous. D’ailleurs, nous allons continuer à vous recevoir de façon croisée, Manuel VALLS, les magistrats, moi-même et les représentants des policiers. Nous allons surtout faire en sorte que les maires ne se sentent plus seuls. Longtemps, ils se sont battus seuls face à la loi des bandits et face à la désertion des services publics. Il faut qu’ils sentent bien que l’Etat est à leurs côtés, qu’ils peuvent s’adosser à son action.

J’avais des tas d’autres choses à vous présenter mais ce sera pour une autre fois. En quelques mots, je veux juste saluer la très grande qualité du travail qui a été fourni. Merci, Monsieur le ministre de l’Intérieur pour la façon dont ces travaux ont été organisés, pour la façon dont vous les avez vraiment ouverts au parquet, pour la façon dont vous faites en sorte que l’entente s’améliore, sur le terrain, entre les forces de police et la justice. Nous sortons d’une période durant laquelle les procédures rapides étaient privilégiées. Parfois, nous avons sacrifié les enquêtes qui demandaient du temps. Justement, nous voulons apporter des procédures solides. Nous avons parfois favorisé les comparutions immédiates. Aujourd’hui encore, il faut des comparutions immédiates, chaque fois qu’elles sont nécessaires, mais pas lorsqu’elles pénalisent les victimes. Bien entendu, il faut accepter que des enquêtes nécessitent du temps. Il faut respecter la qualité du travail fourni par les enquêteurs. Je salue donc la qualité des travaux, que j’ai pu apprécier grâce aux restitutions qui ont été faites. Il m’est venu une pensée d’ARISTOTE, compte tenu de tout ce que j’ai entendu. J’ai noté beaucoup de doutes dans ce que vous avez dit, beaucoup d’interrogations, un engagement à la réflexion. Cela m’a rappelé cette pensée d’ARISTOTE. Il disait : « L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit. » Tel est bien ce que vous nous avez démontré aujourd’hui.