[Archives] Audition sur le projet de loi pénitentiaire - Assemblée Nationale

Publié le 08 septembre 2009

Discours de Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

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Aujourd’hui, notre responsabilité est de donner au service public pénitentiaire les moyens d’exercer ses trois missions : protéger la société, sanctionner les actes de délinquance et actes criminels, aider à la réinsertion des détenus.

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur, cher Jean-Paul GARRAUD,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Surpopulation carcérale, conditions de détention parfois choquantes : beaucoup a été dit sur les prisons françaises. Il faut aller au-delà de l’indignation, même légitime.

Aujourd’hui, notre responsabilité est de donner au service public pénitentiaire les moyens d’exercer ses trois missions : protéger la société, sanctionner les actes de délinquance et actes criminels, aider à la réinsertion des détenus.

C’est l’objectif du projet de loi pénitentiaire, adopté par le Sénat le 6 mars dernier. Il s’inscrit dans un processus de réformes engagé depuis 7 ans.

- Depuis 2002, des efforts sans précédent ont été faits pour moderniser nos prisons. En 2009, la livraison de 9 établissements nouveaux offre 5000 places supplémentaires. D’ici 2012, le nombre de places correspondra au nombre de détenus.

Pour autant, la réforme des prisons ne se limite pas à la gestion immobilière.

- Le projet de loi répond aux lacunes et insuffisances du droit pénitentiaire.

Un droit souvent régi par des normes réglementaires, alors qu’il porte sur l’exercice des libertés publiques, compétence du législateur.

Un droit complexe, mal ordonné, parfois obscur.

Un droit en décalage avec nos engagements européens

 

Ce projet de loi pénitentiaire vise à mieux définir les missions de l’administration pénitentiaire.

Il détermine les droits et devoirs fondamentaux des détenus.

Il précise les régimes, modes de prises en charge et modalités d’action des personnels.

Mesdames et Messieurs les Députés,

Tout projet de loi est perfectible.

Le texte a été largement amélioré par le Sénat, au cours d’un débat approfondi et constructif. Je suis naturellement ouverte aux améliorations que proposera votre Commission.

Je tiens à saluer le travail de votre rapporteur, M. Jean-Paul GARRAUD, et celui de votre Commission qui s’est pleinement saisie d’un débat engageant l’avenir de notre société.

 

Mesdames et Messieurs,

Certains qualifient la prison d’ « école du crime ». Il faut  en faire l’école de la lutte contre la récidive.

Le projet de loi pénitentiaire vise à :

-  moderniser la vie en prison (I)

-  développer et encadrer les modes de sanctions alternatifs ou complémentaires à l’emprisonnement (II).

I.  Améliorer la vie en prison concerne autant l’administration pénitentiaire que les détenus.

[A) L’administration pénitentiaire]

Les personnels de l’administration pénitentiaire sont confrontés aux risques, aux dangers, et aux enjeux du milieu pénitentiaire.

Ils exercent un métier difficile, souvent peu connu, facilement caricaturé.

Permettez-moi de saluer leur professionnalisme, celui des directeurs, des gardiens, de l’encadrement. Depuis mon arrivée place Vendôme, j’ai pu mesurer leurs qualités et je souhaite ici leur rendre hommage.

En leur donnant le statut de « force de sécurité intérieure », le projet de loi reconnaît leur juste place au sein de la chaîne de la sécurité.

Un code de déontologie encadrera l’administration pénitentiaire.

Garant du respect des normes éthiques en milieu carcéral, il améliorera l’efficience de l’administration pénitentiaire, les conditions d’exercice de ses missions et son image.

B) Les devoirs et droits des détenus sont mieux définis.

1) Le cadre d’exercice des droits et devoirs sera profondément rénové.

- Pour mieux préparer la sortie de prison, le parcours de détention sera individualisé.

Le régime de détention doit s’adapter à la personnalité, à la dangerosité et prendre en compte les efforts d’insertion.

A son arrivée, tout détenu devra adhérer à un parcours de peine personnalisé au sein duquel le condamné travaille, se forme ou se soigne.

Il sera ainsi mis un terme à l’égalitarisme injuste et inefficace qui a prévalu jusqu’ici.

- La question de l’encellulement individuel mérite un examen approfondi.

Les textes consacrant l’encellulement individuel sont nombreux et inappliqués du fait de dispositions prévoyant des exceptions ou un moratoire. Le texte voté par le Sénat n’échappe pas à la règle.

Je ne suis pas favorable à un nouveau moratoire.  Proclamer un principe que nous savons ne pas pouvoir appliquer nuit à la crédibilité et à l’autorité de la loi.

L’encellulement individuel n’est pas une panacée. Face à la fragilité des détenus et au risque du suicide, la cohabitation est parfois un gage de survie.

Le maintien du lien social justifie aussi que l’on s’interroge sur l’encellulement individuel.

Il me paraît préférable d’utiliser les 5 années à venir pour mettre en œuvre le principe de « libre choix du détenu », conforme aux règles pénitentiaires européennes. 

Cela peut se justifier, sauf si sa personnalité, fragile ou dangereuse pour les autres, l’interdit.

C’est réaliste. Les statisticiens évoquent 75 000 personnes écrouées en 2012. L’achèvement du programme de construction nous permettra d’atteindre un total de 63 000 places, tandis que 10 000 détenus subiront leurs condamnations sous une autre forme que l’emprisonnement.

- Le quartier disciplinaire est un lieu symbolique de la prison. C’est aussi un lieu sensible.

Il est nécessaire dans certains cas. On y constate trop souvent des actes suicidaires.

C’est un lieu destiné à sanctionner des actes graves. Il doit aussi servir à une prise de conscience pour éviter la récidive.

La durée possible de séjour sera ramenée de 45 à 20 jours, et 30 jours uniquement en cas de violence.

Pour éviter le repli sur soi et la violence, l’usage de la radio et l’accès aux parloirs « familles » seront permis.

2) Lieu de détention, la prison n’est pas un lieu de non-droit.

Si elle protège la société et sanctionne, elle a aussi pour but la réintégration des détenus dans la société.

Il ne faut donc pas couper totalement le détenu de lien avec la société dans laquelle il a vocation à revenir.

Liberté d’opinion, de conscience et de religion sont reconnues au détenu.

Des droits plus concrets seront reconnus :

-  Le maintien des liens familiaux sera facilité par un accès élargi au téléphone.

- L’accès au travail sera réglementé par un « acte d’engagement » et le niveau de rémunération indexé sur le SMIC.

- Contre la pauvreté et l’indigence, une aide en nature ou en numéraire pourra être accordée au détenu si ses ressources ne lui permettent pas de vivre décemment.

- Pour faciliter les démarches administratives du détenu, il lui sera possible d’élire domicile auprès de l’établissement pénitentiaire.

 

II. Le développement de sanctions alternatives ou complémentaires à l’emprisonnement est le deuxième objectif du projet de loi.

A) Un double constat s’impose.

1er constat : le recours à l’incarcération n’est pas la seule sanction pénale possible.

Les aménagements de peine représentaient 10 % des effectifs des condamnés en 2007, et plus de 13% depuis le 1er janvier 2009.

Le recours au placement sous surveillance électronique s’est accru de 35 % en 2 ans.

2e constat : les sorties sèches sont une mauvaise solution.

Une sortie anticipée, préparée au cours de l’incarcération, est toujours préférable à une sortie qui n’impose rien au condamné, lequel passe, du jour au lendemain, de la prison à rien.

B) Le recours à des sanctions alternatives ou complémentaires à l’emprisonnement doit être recherché.

Que les choses soient claires : je ne propose pas non plus que les détenus soient remis en liberté, que des sanctions ne soient pas exécutées. Au contraire, je veux modifier la mise en œuvre de leur sanction.

1) Les seuils de peine exigés pour bénéficier d’un aménagement seront relevés.

Aujourd’hui, d’ores et déjà, les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à 1 an peuvent bénéficier d’un aménagement.

Le texte voté par le Sénat porte ce seuil à 2 ans.

Je ne suis pas favorable au seuil de 2 ans sans autres conditions. Les personnes condamnées à cette peine le sont rarement pour des vétilles. Beaucoup sont des récidivistes. Certains sont des condamnés sexuels.

Je souhaite donc que nos débats nous permettent d’avancer sur ce point sensible du projet de loi.

2) Les procédures d’aménagement de peine sont aujourd’hui trop lentes et trop lourdes.

 

L’aménagement de peine supposera un « projet sérieux d’insertion ». Ce n’est pas seulement un contrat de travail, difficile à obtenir.

 

C’est au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP)  que revient l’élaboration de l’aménagement de peine. Le projet de loi simplifie les démarches en même temps qu’il renforce le rôle de celui qui connaît bien le détenu.

Il reviendra au juge de l’application des peines de valider ou non la décision prise par l’administration.

3) Pour éviter les sorties sèches, même si aucun aménagement de peine n’a été prononcé, je propose un placement automatique sous surveillance électronique dans deux cas :

-  1er cas, le reliquat de peine est inférieur ou égal à 4 mois

-  2e cas, pour des condamnations inférieures à 6 mois s’il reste les deux tiers de la peine à effectuer.

Il s’agit d’un nouveau régime de détention, et non d’un aménagement de peine.

Par souci de cohérence, je souhaite que l’autorité détentrice du recours demeure le parquet, et non le juge de l’application des peines.

 

Mesdames et Messieurs les Députés,

Le projet de loi pénitentiaire renforce le cadre juridique de la sanction pénale tout en réduisant les risques de récidive.

En améliorant les conditions d’incarcération des détenus, il donne tout son sens à la peine d’emprisonnement.

En diversifiant les modes d’application de la sanction pénale, il adapte le service public pénitentiaire aux besoins de la société.

Parce que l’état de nos prisons reflète largement l’état de la société, nous devons accepter un débat lucide, serein et dépourvu d’a priori idéologique.

C’est l’esprit du projet de loi pénitentiaire. C’est le sens de la politique du Gouvernement.