[Archives] "Après la prison, quelle réinsertion ?"
Publié le 07 décembre 2005
Discours de Clôture 2èmes rencontres parlementaires sur les prisons : thème "Après la prison, quelle réinsertion ?"
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, tout d’abord, de vous exprimer mon plaisir et ma satisfaction en tant qu’ancien parlementaire et actuel Garde des Sceaux, de revenir aujourd’hui dans cette Maison que je connais bien pour réfléchir avec vous à l’amélioration de notre système pénitentiaire.
Il me paraît, en effet, essentiel que la représentation nationale s’intéresse à cette grande administration et qu’elle lui accorde les moyens d’accomplir, dans des conditions satisfaisantes, ses missions de sécurité publique et d’insertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. Ce sont des missions vitales pour l’équilibre de notre société.
L’intérêt du Parlement pour les prisons ne date, certes, pas d’hier mais il est incontestable que les commissions d’enquêtes parlementaires sur les prisons, créées en 2000, ont fondamentalement modifié le rapport des parlementaires à l’univers carcéral.
Nul ne peut contester qu’il s’agit là d’une date importante marquant un changement profond dans l’approche politique de la question pénitentiaire.
Le plus important à mes yeux, c’est que l’intérêt des sénateurs et des députés s’inscrit, désormais, dans la durée.
Ainsi cette année, plus de 30 parlementaires se sont rendus dans les établissements pénitentiaires.
Au-delà des clivages politiques, des visions idéologiques et des déclarations de principe, des femmes et des hommes de bonne volonté, représentant la Nation oeuvrent avec pragmatisme, détermination et honnêteté à l’amélioration de notre système pénitentiaire.
L’organisation, aujourd’hui, de ces deuxièmes rencontres parlementaires sur les prisons est une illustration parfaite de cet état d’esprit.
Je ne doute pas que vos travaux axés sur les questions fondamentales de réinsertion et de récidive aient été riches, denses et fructueux.
Avant de vous exposer les grands axes de la politique que j’entends conduire en ce domaine, je souhaite préciser deux points qui me paraissent essentiels :
- Tout d’abord, je voudrais répéter avec force qu’opposer les deux missions de sécurité et de réinsertion assignées par la loi à l’administration pénitentiaire, comme on l’a fait trop souvent dans le passé, n’a pour moi aucun sens.
Les deux objectifs, loin d’être contradictoires, sont en effet dans la réalité intimement liés et l’administration pénitentiaire a besoin de ses deux « pieds » pour marcher.
La sécurité de la société est assurée lorsque la réinsertion d’un condamné est réussie et que disparaît le spectre de la récidive.
Inversement, quelle politique sérieuse d’accompagnement des détenus, de développement des activités culturelles, sportives, de travail et d’enseignement peut-on conduire au sein d’un établissement si la sécurité, et tout particulièrement celles des personnes, n’est pas garantie ?
- Ensuite, je souhaiterais vous dire que je ne crois pas au « grand soir », pas plus en matière pénitentiaire que dans d’autres domaines. Je ne pense pas, en effet, qu’une loi pénitentiaire suffise à régler toutes les difficultés. Près de trente années passées au Parlement m’ont, à cet égard, enseigné la modestie.
Je ne prétends pas, non plus, qu’il ne faille pas légiférer pour simplifier, moderniser et rendre plus lisibles certains aspects de notre droit pénitentiaire.
D’ailleurs la Loi d’orientation et de programmation pour la justice est une loi à forte connotation pénitentiaire ayant fixé des objectifs clairs, ambitieux et équilibrés en ce domaine pour la législature 2002/2007.
Je souhaite donc, pour les prochains mois, consacrer mes efforts à agir dans ce cadre pour rendre la prison au quotidien plus sûre et plus digne. Elle se doit d’être plus efficace pour les personnels, les détenus, les victimes et la société. Plutôt que de grandes déclarations, je pense que nous avons en la matière besoin d’avancées concrètes.
Comment l’administration pénitentiaire peut-elle favoriser la réinsertion d’un condamné alors même qu’on lui confie des personnes qui, avant leur entrée en prison, se trouvaient dans une situation de grande marginalité, de forte précarité d’une part et que la vie carcérale d’autre part emporte des effets désocialisants désormais bien connus ?
J’ai la conviction que cette apparente contradiction peut être dépassée et que le cadre très spécifique de la prison représente, dans certains cas, une occasion de réinsertion pour un condamné lui permettant de rompre avec une spirale d’échecs.
Il faut toutefois qu’un certain nombre de conditions se trouvent réunies :
- Tout d’abord, il convient que la décision de justice condamnant le délinquant soit une décision de qualité, mûrement réfléchie et correctement expliquée afin que la personne puisse la comprendre et l’accepter.
A cet égard, la prison ne doit plus être la peine de référence et il importe que chaque fois que c’est raisonnable et compatible avec l’intérêt des victimes, le juge puisse recourir à d’autres sanctions plus adaptées et plus efficaces (travail d’intérêt général, bracelet électronique, etc …).
- Il est également indispensable que le condamné participe activement au processus qui va lui être proposé, tant il est évident que l’on ne peut réinsérer quelqu’un contre sa volonté.
C’est là une évidence qui mérite d’être rappelée dans une société qui a parfois tendance à oublier l’importance de la responsabilité individuelle.
Mais la volonté de se réinsérer du condamné, si elle est indispensable, ne suffit pas à elle seule. Encore faut-il que la prison permette à celle-ci de s’exprimer dans les meilleures conditions.
- Pour cela, la prison, lieu de sécurité, doit aussi constituer un espace de droit favorisant la réinsertion.
La délinquance repose, en effet, avant tout sur la violence, les rapports de force et la négation des droits de l’autre.
Ce n’est qu’au sein d’une prison républicaine et citoyenne ayant proscrit tout recours à l’arbitraire et offrant d’autres valeurs que nous limiterons la récidive.
Lieu de sécurité, lieu de dignité et lieu d’apprentissage de la responsabilité et du respect, la prison, dans une démocratie comme la nôtre, doit être tout cela.
Elle n’y arrivera que si les valeurs d’humanité, de fraternité et de justice, fondatrices de notre pacte républicain ont toute leur place au sein de nos établissements.
Notre premier devoir est d’assurer la sécurité et la dignité aux personnes qui nous sont confiées.
- Pour offrir des conditions de détention dignes et acceptables, il faut rénover et accroître le parc pénitentiaire, c’est là une priorité absolue.
Contrairement à ce que l’on entend souvent, le nombre de détenus en France est comparable, parfois même inférieur, à celui de nos voisins européens (Grande Bretagne, Allemagne, Italie ou Espagne).
Il est donc illusoire de laisser croire à une diminution sensible du nombre de détenus.
La réponse au surencombrement carcéral, c’est la construction de prisons modernes respectant la dignité des personnes et garantissant leur sécurité. Là encore, tous nos voisins européens se sont engagés dans cette voie.
Faudrait il choisir une autre solution ?
Celle du numerus clausus par exemple qui interdirait d’incarcérer un délinquant condamné par un tribunal en cas de dépassement de la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires ?
Ainsi, en application de ce principe, il faudrait laisser en liberté un délinquant parfois violent au seul motif que le numerus clausus est atteint.
Quelle façon de respecter les droits des victimes que de remettre en liberté un tel délinquant !
Quelle conception du principe d’égalité que d’incarcérer en Bretagne et de libérer en Alsace celui qui a été condamné pour des faits similaires à la même peine d’emprisonnement !
On imagine l’incompréhension de nos compatriotes si ce principe avait été appliqué il y a quelques semaines lorsque l’insécurité régnait dans certains quartiers de nos cités.
Je préfère donc, et j’insisterai tout à l’heure sur ce point, le développement des aménagements de peine prononcés par les magistrats à l’application d’un principe dont le caractère systématique et brutal ne pourrait que heurter nos concitoyens et accroître leur incompréhension vis à vis de la justice.
La Nation a donc entrepris des efforts considérables pour ses prisons, d’autant plus considérables d’ailleurs qu’on a trop attendu pour le faire.
Alors qu’entre 1900 et 1986, seules 14.500 places ont été construites. Les gouvernements appartenant à l’actuelle majorité ont réalisé des efforts sans précédent pour moderniser le parc pénitentiaire.
En 1986, Albin Chalandon a lancé un programme ambitieux de construction de 13.000 places de prisons.
En 1994, c’est le programme de Méhaignerie qui a permis la construction de 4.000 places.
Enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la justice, votée en 2002 prévoit la construction de 13.200 places dont les premières verront le jour en 2007.
La situation dans les prisons françaises ne sera conforme à notre tradition humaniste qu’à la sortie de ce lourd programme immobilier.
Il est paradoxal de s’entendre, aujourd’hui, critiquer alors même que loin de discourir, nous agissons concrètement à l’amélioration de la sécurité des français et au respect de la dignité des détenus.
Il va de soi que ces établissements seront dotés des personnels nécessaires à leur fonctionnement.
Ainsi, la loi d’orientation et de programmation pour la justice a prévu, sur 5 ans, la création de 3.740 emplois pour l’administration pénitentiaire. En 2006, l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire accueillera d’ailleurs 2.300 élèves dont 1.700 surveillants et 300 travailleurs sociaux.
Cette politique de construction d’établissements pénitentiaires conduira à de réelles améliorations pour les détenus.
Les cellules seront plus confortables, les douches seront individuelles, les espaces de loisirs plus accueillants et les parloirs familiaux plus nombreux.
La réalisation d’un tel programme prend nécessairement du temps. En attendant, nous ne sommes pas restés inactifs. Grâce à l’ouverture des 6 établissements lancés par Pierre Méhaignerie et à un programme de rénovation de bâtiments vétustes au sein des prisons, plus de 3.000 places ont été mises en service et des établissements vétustes ont pu fermer.
- Augmenter la capacité du parc pénitentiaire est nécessaire mais ce n’est pas suffisant. Encore faut-il que les structures pénitentiaires répondent aux besoins résultant de l’évolution de la délinquance et soient adaptées à la prise en charge d’un public difficile et de plus en plus diversifié.
La population pénale n’est pas homogène et tous les détenus ne doivent pas être pris en charge dans les mêmes conditions, c’est pourquoi je souhaite mettre en place des structures variées répondant aux problématiques de chaque détenu : - quartiers courtes peines tournés vers la préparation à la sortie pour les primo délinquants,
- établissements pour mineurs dont le fonctionnement sera irrigué par une logique éducative,
- unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) permettant d’accueillir les détenus atteints de troubles mentaux graves dans des conditions satisfaisantes de sécurité et de soins,
- maisons centrales hautement sécurisées au sein desquelles seront hébergés les quelques détenus ayant prouvé leur dangerosité, terroristes, truands fichés au grand banditisme, pervers, multirécidivistes.
- Mais ces structures pénitentiaires ambitieuses n’auront de sens que si la société dans son ensemble s’y investit.
Le détenu doit avoir accès aux différents droits et prestations offerts par d’autres institutions et services publics.
C’est là tout l’objet de la politique de décloisonnement et de partenariat engagé par l’administration pénitentiaire qu’il faut poursuivre et intensifier.
Je citerai, à titre d’exemple, les partenariats existant avec les hôpitaux ou l’éducation nationale qui ont permis des avancées sensibles en matière de soins, de prévention des suicides, de lutte contre l’illettrisme et d’apprentissage des savoirs.
Beaucoup a été fait mais il nous faut aller encore plus loin.
Il est, à cet égard, impératif que tout détenu qui le souhaite puisse exercer une activité utile : travail, formation, enseignement.
C’est un objectif ambitieux mais réaliste. Il nous faut donc nous engager résolument dans cette voie en partenariat avec les services en charge de l’emploi et de l’éducation.
Le combat pour la réinsertion ne peut, en effet, être gagné par le seul Ministère de la Justice, il faut que l’ensemble de la société se sente concerné.
Je souhaite enfin saluer l’intervention depuis l’été dernier des délégués du médiateur auprès des détenus apportant, s’il en était besoin, la preuve que la prison n’est pas l’ennemie du droit.
- La dynamique positive qui a pu être engagée en prison doit se poursuivre à l’approche de la sortie.
A cet égard, la loi du 9 mars 2004, constitue une véritable avancée en posant de façon très claire le principe de la préparation à la sortie au travers d’un aménagement de la fin de peine (semi-liberté, bracelet électronique, placement extérieur) permettant ainsi un soutien concret à la dynamique de réinsertion manifestée par le détenu.
Toutes les études, et ce n’est pas le député Warsmann qui me contredira, concluent en effet à la plus faible récidive des condamnés ayant bénéficié d’un suivi à leur sortie de prison.
Après avoir stagné durant de trop nombreuses années, les aménagements de peines ont connu une hausse sensible en 2004, mouvement qui paraît se confirmer en 2005 et je m’en réjouis.
Trop de difficultés subsistent encore pour les sortants de prison qui cherchent un travail et un logement. Il nous faut, sur ces deux domaines, accomplir des progrès sensibles par une action plus volontariste.
- La réinsertion est donc possible même si c’est un chemin difficile, semé d’embûches.
Elle dépend de la prise en charge du condamné par l’administration pénitentiaire qui doit tout mettre en œuvre pour que le temps d’emprisonnement constitue un temps socialement utile.
Je sais qu’elle le fait et je tiens à rendre ici un hommage solennel aux personnels pénitentiaires qui, jour après jour, assurent l’exécution des décisions de justice mais également éduquent, enseignent et accompagnent vers la réinsertion.
Elle dépend aussi du travail réalisé par le condamné sur lui-même et surtout du regard porté par la société sur la prison et ceux qui y sont détenus.
En ce sens, la récidive c’est l’échec du détenu bien sûr, l’échec de la prison sans doute, mais aussi et surtout l’échec de la société.
Cette certitude repose sur une conviction profonde : il n’y aura pas de sécurité durable tant que nous n’offrirons pas aux détenus les moyens de reprendre, le moment venu, leur place dans la société.
Dans leur immense majorité, ils ont vocation à le faire et notre devoir est de tout faire pour les y encourager. Cet impératif nécessite donc de donner à l’administration pénitentiaire les outils adaptés à sa mission.