[Archives] 8ème Conférence des Présidents de Cours suprêmes

Publié le 26 octobre 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux - Paris, Cour de Cassation

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Monsieur le Premier Président,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats,
Mesdames, Messieurs,

Les pays membres de l’Union européenne se sont engagés, depuis maintenant près de 15 ans, à mettre en place un espace de liberté, de sécurité et de justice, qui s’est concrétisé par des coopérations nouvelles et renforcées au service de nos concitoyens.
Mais, depuis plus longtemps, au sein d’un ensemble plus large, le Conseil de l’Europe œuvre quotidiennement pour rendre plus réelle la protection des citoyens contre toute forme d’arbitraire. Sa vigilance tout comme la qualité de ses débats et la force de ses prises de position sont incontestables.

Depuis sa création, le Conseil de l’Europe ne cesse de promouvoir les principes fondamentaux qui constituent aujourd’hui le patrimoine commun de notre continent. L’œuvre accomplie depuis la signature du Traité de Londres en 1949 a fortement contribué au progrès des libertés.

En effet, le Conseil de l’Europe constitue un instrument irremplaçable pour l’ancrage de la démocratie et la promotion des droits de l’homme dans une Europe élargie. Il permet de rassembler la famille européenne tout entière autour de valeurs communes.
J’ai ainsi eu l’occasion de rappeler l’engagement de la France au sein de cette institution en mai dernier, lorsque je me suis rendu à Strasbourg.

La France a toute confiance dans l’avenir de cette organisation, qui agit en pleine synergie avec l’Union européenne et l’OSCE. Le Conseil de l’Europe est devenu un véritable chef de file pour toutes les questions relatives aux droits fondamentaux, domaine où il dispose d’une très grande expertise. Lorsque les institutions européennes montrent qu’elles sont complémentaires, entre elles et avec les Etats, elles contribuent à rapprocher les citoyens européens.

Le Conseil de l’Europe s’est toujours montré soucieux d’associer l’ensemble des acteurs de l’institution judiciaire à ses travaux.

Dans cet esprit, la conférence des Présidents de Cours suprêmes constitue une instance originale. Elle favorise l’échange et le dialogue entre les cultures juridiques. Elle contribue à développer une culture juridictionnelle partagée qui prépare un terrain propice à la circulation des décisions de justice, à la reconnaissance mutuelle ainsi qu’aux coopérations qui se mettent en place aussi bien en matière civile que pénale.

Je suis donc heureux d’ouvrir aujourd’hui cette conférence en France, à Paris, un pays et une ville qui ont su faire la preuve de leur attachement aux libertés fondamentales et à la promotion des droits de l’homme. J’ajoute que c’est un réel honneur pour la France d’accueillir autant de hauts magistrats.

L’autorité morale des présidents présents dans cette salle, leur influence sur l’évolution du droit et la richesse de leurs analyses rendent cette manifestation tout à fait exceptionnelle.

Le thème retenu pour les travaux de votre huitième conférence est « l’accès aux cours suprêmes : tendances et perspectives ». Il s’agit, en effet, d’une garantie fondamentale de l’Etat de droit.

Qu’il s’agisse de l’accueil des justiciables, de l’aide juridictionnelle, de la représentation du justiciable devant la cour, du « filtrage » des affaires ou encore du dialogue avec les usagers, il existe dans tous ces domaines des traditions diverses en Europe qui ont amené les juridictions à élaborer leur propre modèle national. L’un des résultats les plus attendus de vos travaux sera sans doute d’identifier les grandes tendances et de nouvelles pistes de convergence.

Nos systèmes juridiques ont tous en commun les objectifs d’égalité d’accès à la justice, d’équité et de protection des droits fondamentaux.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme peut être amenée à statuer sur des affaires extrêmement sensibles, au cœur même des grands débats éthiques qui touchent notre société. Ses décisions sont donc lues avec attention, et certaines ont pu donner lieu à des modifications significatives de notre législation et de nos règles de procédure.

Ainsi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales participe au bon fonctionnement de la justice, en défendant le droit à un procès équitable et son corollaire le principe de l’ « égalité des armes ».

Il requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

Pour ne parler que de la France, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a donné l’opportunité à la justice française, par l’intermédiaire de la Cour de Cassation, de participer activement à la construction d’une Europe fondée sur ces valeurs.

La Cour de Cassation a réformé en profondeur sa procédure, en 2002 et 2003, pour se mettre en conformité avec les exigences de l’article 6 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Le principe de l’« égalité des armes », auquel la Cour de Cassation a toujours démontré un attachement particulier, s’est ainsi trouvé renforcé par une meilleure communication des pièces aux parties et un plus grand respect du principe du contradictoire.

Je sais que la haute Juridiction s’est attachée également à mettre en œuvre des outils particulièrement performants d’accueil des justiciables. L’expérience française sera abordée au cours des tables rondes de cette journée, mais je souhaiterais saluer tout particulièrement cette démarche qui répond à une demande des citoyens. En effet, la Cour de cassation s’est engagée à apporter rapidement une réponse concrète aux attentes des usagers, alors même que sa procédure est écrite et que la représentation y est obligatoire, ce qui entraîne en théorie une distanciation avec l’usager.

De même, le développement du site Intranet de la Cour a permis de mettre en ligne une information riche et variée concernant aussi bien la diffusion de la Jurisprudence, des Arrêts de l’Assemblée Plénière, le calendrier des Affaires, le rapport annuel de la Cour ainsi que de nombreux éléments statistiques.

Ces initiatives concourent de manière effective au rapprochement des citoyens avec l’institution judiciaire.

La confrontation de nos expériences est riche d’enseignements, car elle permet d’exposer loyalement les difficultés rencontrées sur le terrain ainsi que les solutions mises en œuvre pour y remédier dans nos pays respectifs.

J’ajouterais que ce dialogue entre les juridictions sur leurs pratiques est devenu un aspect incontournable de la mondialisation juridique.

Vous le savez, ce mouvement lancé par les entreprises privées est accentué par les échanges d’étudiants et d’enseignants, mais aussi de magistrats, qui forment désormais une communauté de juristes aptes à utiliser tous les ressorts des différentes législations.

Dans ce domaine, régalien par excellence, chaque système juridique, qu’il soit de common law ou d’inspiration romano-germanique, doit faire la preuve de ses mérites et s’adapter en permanence aux besoins d’un monde qui change.

La France, et l’ensemble des pays de tradition romano-germanique, disposent d’acquis indéniables. De nombreux pays, partout dans le monde, se sont inspirés du code civil et de nos traditions juridiques. La constitution de l’ordre juridique international et communautaire n’est pas non plus étrangère au dynamisme juridique de la France.

Notre droit est un droit écrit facilement accessible et compréhensible par tous les justiciables. Le caractère précis de ses règles laisse cependant une large place au travail d’interprétation du juge afin de l’adapter aux évolutions de la société. Les influences réciproques entre la loi, la jurisprudence, la pratique et la doctrine ont forgé sa richesse, sa flexibilité et sa modernité. Il a su s’adapter à la complexification croissante de la vie actuelle, notamment dans le monde des affaires, tandis que les grands principes sur lesquels il s’est construit restent les garants de sa cohérence et de sa pérennité.

C’est pourquoi je suis un partisan du dialogue et de la convergence des systèmes juridiques et non pas de leur uniformisation. J’ai ainsi lancé il y a quelques mois la Fondation pour le droit continental, chargée de développer des partenariats dans le but de favoriser la diversité des modèles juridiques. J’espère qu’elle jouera à l’avenir un rôle important dans le développement de ces échanges.

Mesdames et Messieurs,

L’intégration européenne a profondément modifié le travail des juridictions qui ont du prendre en compte de nouvelles normes juridiques.
La jurisprudence des cours suprêmes doit également s’adapter à ces évolutions. La conférence que vous organisez répond à ces changements en recherchant, par le dialogue, à assurer le respect des libertés fondamentales sur notre continent. Nul doute que c’est l’ensemble de la communauté juridique européenne qui sera attentive aux résultats de vos réflexions.

Je vous souhaite des travaux fructueux et je vous remercie de votre attention.