[Archives] 7e Congrès de l’Association française de droit constitutionnel
Publié le 25 septembre 2008
Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Monsieur le Vice-Président du Conseil d’Etat,
Messieurs les Présidents de la Commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat,
Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation,
Monsieur le Procureur général,
Monsieur le Président de l’Association française de droit constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Mesdames et Messieurs,
L'année 2008 restera une année particulièrement intense pour tous ceux qui observent et étudient le fonctionnement de notre vie institutionnelle. La révision constitutionnelle du 23 juillet a constitué une nouvelle étape dans la modernisation de notre démocratie. Cette modernisation est l'un des grands objectifs fixés par le Président de la République.
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses propositions de réforme se sont succédé. Certaines, même si elles n'ont pas abouti, ont durablement marqué la réflexion sur les institutions. Je veux plus particulièrement évoquer le souvenir du Doyen Georges Vedel et saluer le travail du comité qu'il présidait.
En cinquante ans, les révisions constitutionnelles importantes ont été rares. Le général de Gaulle et Michel Debré avaient posé les bases d'une République solide et stable.
- Il y a eu la révision de 1962 qui instaura l'élection du Président de la République au suffrage universel ;
- celle de 1974 qui a permis la saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou sénateurs,
- puis celle instaurant le quinquennat en 2000.
Il y aura désormais la révision de 2008. On l'annonçait impossible. Elle a été portée par une forte volonté politique. Rien n'obligeait Nicolas Sarkozy à conduire cette réforme. C'est pourtant lui qui a décidé, dès le début de son mandat, d'encadrer davantage les pouvoirs de l'Exécutif et de revaloriser le rôle du Parlement. Il a fallu convaincre et dépasser les clivages pour recueillir les trois cinquièmes des suffrages au Congrès.
Je veux saluer l'investissement considérable de Jean-Luc Warsmann et de Jean-Jacques Hyest. Ils ont su faire progresser les débats et trouver les meilleurs accords. Leur engagement a contribué très largement à la réussite de la révision constitutionnelle.
Cette révision donne de quoi nourrir les travaux et les réflexions des membres de l'Association française de droit constitutionnel.
Votre association est la rencontre unique entre les mondes du droit, de la justice, de la politique et de l'enseignement. C'est un lieu de qualité, d'échange et de réflexion. Je tiens à remercier le professeur Bertrand Mathieu et tous les membres de l'association pour les analyses très précieuses qu'ils ont fournies tout au long des travaux préparatoires à la révision.
Cette nouvelle constitution, vous la connaissez parfaitement. Vous avez été les acteurs ou les observateurs privilégiés des débats. Il vous appartiendra d'évaluer l'impact de cette réforme.
Si vous me permettez d'exprimer une conviction : l'originalité de notre régime institutionnel est préservée. Notre Constitution conserve sa plasticité. Les objectifs que nous nous étions fixés ont été réalisés :
- les pouvoirs de décision du Parlement ont été renforcés : maîtrise partagée de l'ordre du jour ; discussion en séance du texte adopté par la commission ; encadrement de l'usage du « 49.3 ». Nous allons vers une véritable coproduction législative.
- l'action du Président de la République est davantage encadrée. Le Président Sarkozy a accepté de se dessaisir de certaines de ses prérogatives : la liberté de nomination, le droit de grâce collective, la liberté de se représenter indéfiniment et l'engagement unilatéral des forces militaires à l'étranger. Lundi dernier, pour la première fois, le Parlement s'est prononcé sur la prolongation du mandat des forces françaises en Afghanistan.
Je ne vais pas revenir sur l'ensemble de la révision constitutionnelle et sur les travaux du Comité Balladur qui l'ont préparée. Il m'apparaît, en revanche, important de mettre en avant deux aspects de cette révision : le renforcement des droits des citoyens et la nécessité, pour ces derniers, de s'approprier la Constitution.
La révision constitutionnelle place les Français au cœur de la vie publique.
Trop longtemps, les Français ont eu le sentiment que la politique se faisait sans eux. On en connaît les conséquences : la montée de l'abstention et des extrémismes. Il fallait rétablir la confiance et rendre notre démocratie plus vivante.
En proposant de procéder à une vaste révision de notre Constitution, le Gouvernement s'est attaché à remettre les Français dans le jeu institutionnel en renforçant leur pouvoir et leur protection :
- Le droit d'initiative populaire : un référendum pourra être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenu par un dixième des électeurs. Ce n'est pas un droit virtuel : Monsieur Besancenot a déjà lancé une pétition pour l'organisation d'un référendum sur le statut de la Poste !
- La saisine du Conseil économique, social et environnemental et la reconnaissance d'un véritable droit de pétition.
- La création du Défenseur des droits : c'est une institution protectrice et au service de tous. Les droits fondamentaux seront encore mieux garantis à l'égard de l'administration. L'ancrage constitutionnel du Défenseur lui conférera une autorité morale indiscutable et des pouvoirs plus importants que ceux du Médiateur de la République.
- La question préjudicielle de constitutionnalité : notre pays, Louis Favoreu l'avait souligné, était très en retrait sur ce point. L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Belgique disposaient déjà d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori.
En France, il y avait un paradoxe : il était possible de contester les lois devant les tribunaux français au regard des conventions internationales, mais il n'était pas possible de les contester au regard de la Constitution. Désormais, on pourra le faire. C'est un progrès de l'Etat de droit. Cette innovation incitera les magistrats, les avocats et les justiciables à s'approprier notre Constitution.
- La possibilité ouverte aux justiciables de saisir le Conseil supérieur de la magistrature : il s'agit d'une avancée particulièrement importante.
L'immense majorité des magistrats remplit sa mission avec rigueur et droiture. Mais il existe parfois des comportements défaillants face auxquels les justiciables ont peu de moyens d'action : ils ne savent pas toujours à qui s'adresser, ils ont peur des réactions de l'institution judiciaire. Quand vous êtes victime, il faut du courage pour dire à un juge qu'il ne vous a pas traité avec respect et humanité.
Dorénavant, les Français pourront saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour obtenir des explications, éventuellement des sanctions. Le CSM bénéficiera d'une indépendance renforcée et d'une composition plus ouverte.
Incontestablement, la révision du 23 juillet renforce la protection des libertés fondamentales. Elle se place dans la continuité de l'action entreprise par le Gouvernement, depuis un peu plus d'un an, pour développer les droits reconnus aux personnes.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté en est une illustration. Il a été institué pour mieux veiller au respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes détenues ou retenues.
Il faut maintenant que ces avancées se traduisent par des changements concrets pour les Français.
Pour rendre une démocratie vivante, il ne suffit pas de modifier la Constitution. Il faut élaborer rapidement les textes d'application, les mettre en œuvre effectivement, changer les pratiques.
Il faut aussi que les Français sachent qu'ils disposent de nouveaux droits, qu'ils constatent que nos institutions fonctionnent mieux et que la loi gagne en qualité. Ce sont les conditions du succès de la révision constitutionnelle.
L'ensemble des lois organiques et des lois ordinaires d'application de la révision du 23 juillet 2008 ont été mises en chantier dès le lendemain de son adoption par le Congrès.
Lors du Conseil des ministres du 17 septembre, le Premier ministre a présenté un projet de loi organique portant application de l'article 25 de la Constitution et un projet de loi ordinaire relatif à la commission prévue à ce même article 25 et à l'élection des députés.
Le projet de loi organique fixe le nombre des députés à 577 et met en œuvre le remplacement temporaire des parlementaires nommés au Gouvernement. Désormais, le député ou le sénateur qui aura dû quitter son siège pour devenir ministre retrouvera son mandat un mois après avoir quitté le gouvernement. Ce texte permettra de confier plus facilement des missions gouvernementales temporaires à certains parlementaires.
Le projet de loi met en place la commission indépendante chargée de donner un avis sur la délimitation des circonscriptions législatives.
C'est la première étape du redécoupage électoral demandé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel. L'objectif est de remédier aux écarts démographiques les plus importants : je connais, Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, votre souci de l'égalité de tous les Français devant le suffrage.
Le Parlement sera ensuite saisi des textes relatifs au Défenseur des droits, à la question préjudicielle de constitutionnalité, au Conseil supérieur de la magistrature. Il examinera également les projets concernant les nominations, la procédure parlementaire et les initiatives référendaires.
Notre objectif est également d'aider les Français à s'approprier la Constitution.
C'est un point essentiel. La première fonction d'une constitution, c'est de régler les rapports entre les pouvoirs. Pour nos concitoyens, cela peut paraître lointain. Aujourd'hui, avec les nouveaux droits reconnus, la Constitution a véritablement une portée pratique pour l'ensemble des citoyens. C'est pourquoi notre loi fondamentale doit être mieux connue et plus accessible.
Il ne sert à rien de créer de nouveaux droits s'ils demeurent inconnus et s'ils ne sont pas utilisés. Une démocratie qui fonctionne mieux, ce sont des citoyens plus informés.
Des citoyens en mesure d'apprécier le travail accompli par le Gouvernement et le Parlement.
Et donc des citoyens qui s'intéressent davantage à la vie publique.
Je veux ici exprimer ma gratitude aux constitutionnalistes. Votre implication dans la modernisation de la Constitution était souhaitée. Je pense en premier lieu aux membres du comité de réflexion sur la modernisation des institutions.
Je pense aussi à ceux qui ont bien voulu apporter leur expertise aux membres du Parlement, quelle que soit leur appartenance politique.
Plus largement, tous les constitutionnalistes ont fait vivre le débat par la richesse de leurs analyses et la diversité de leurs opinions. C'est aussi cela une démocratie vivante.
Vos analyses vont encore être précieuses pour la mise en œuvre de la réforme.
Votre rôle ne s'arrête pas là. Grâce à votre expérience acquise auprès des étudiants, grâce à votre souci de rigueur qui caractérise vos recherches, votre contribution est importante pour expliquer aux Français le contenu et la portée de la réforme constitutionnelle.
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Mesdames et Messieurs,
La responsabilité du Gouvernement est aujourd'hui de mettre en œuvre la réforme de la Constitution.
A mon sens, votre tâche à vous, constitutionnalistes, c'est d'aider les Français à comprendre le fonctionnement de nos institutions, c'est de les informer sur leurs droits.
Cette mission pédagogique est essentielle pour que la Constitution devienne notre bien commun.
Au nom du Gouvernement, je vous remercie de votre engagement au service du droit et, plus largement, au service de l'Etat de droit.
Je vous souhaite un beau 7e congrès et je vous remercie.