[Archives] 24èmes assises :compagnie nationale des commissaires aux comptes

Publié le 01 décembre 2011

Discours de Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés

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Monsieur le président de la Compagnie nationale (M. CAZES),

Monsieur le président de la commission des affaires économiques du parlement européen (Jean-Paul GAUZES),

Madame la présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes (Mme THIN),

Mesdames et Messieurs les commissaires aux comptes,

Mesdames et messieurs,

C’est pour moi un réel plaisir que de me joindre à nouveau à vous à l’occasion de ces 24èmes assises de la Compagnie.

2011 aura été une année riche pour votre profession. Lors notre précédente rencontre, la Commission européenne avait tout juste publié son livre vert  « Politique en matière d’audit : les leçons de la crise ». Aujourd’hui, alors que ses consultations sont achevées, elle a formulé ses propositions de réforme.

Le thème de vos assises, «le commissaire aux comptes, une valeur ajoutée incontestable», témoigne du dynamisme de votre profession et du caractère fondamental de votre mission dans l’économie actuelle et en particulier de votre contribution à la stabilité financière. 

Ainsi, à titre d’exemple, en avril dernier, dans le cadre de la mission confiée par le Premier Ministre à René RICOL, commissaire général à l’investissement, la Compagnie nationale a eu l’occasion de démontrer sa volonté de contribuer, grâce à un protocole d’assistance, à la transparence des procédures utilisées.

Vous donnez en effet aux utilisateurs de l’information financière une assurance quant à la régularité, à la sincérité et à la fidélité de cette information. Cette fiabilité, essentielle en période de crise, est au centre des préoccupations des régulateurs. Vous avez su vous adapter et vous moderniser pour faire face aux évolutions que la crise de ces trois dernières années a rendues nécessaires. Vous l’indiquiez très justement, Monsieur le président, les commissaires aux comptes ont su démontrer leur grande capacité de réaction.

Les défis à venir ne manqueront pas, au vu notamment de l’adoption hier par le collège des commissaires des propositions législatives sur l’audit. Je peux vous assurer ici de l’engagement du Gouvernement français à défendre, au cours des négociations qui s’annoncent à Bruxelles, notre conception de l’audit, dont les spécificités contribuent à sécuriser la sphère économique.

Améliorer la qualité de l’audit et lutter contre la concentration du marché sont des objectifs largement partagés, que vous n’aurez pas manqué d’évoquer lors de la table ronde consacrée à ce sujet cet après-midi. Toutefois, ces objectifs n’imposent pas de recourir à des moyens qui méconnaîtraient les atouts dont nous disposons. A cet égard, les propositions de la Commission doivent être examinées avec une grande attention.

I. Avant de développer plus précisément notre position sur les suites du livre vert, je tenais à vous féliciter, Monsieur le Président, du travail considérable effectué cette année, qui marque la détermination de votre profession à se moderniser.

1. En matière de pratique professionnelle, tout d’abord, les avancées ont été significatives :

-         L’année 2011 aura vu ainsi se concrétiser de nombreux travaux en matière de « normes d’exercice professionnel » dans des domaines aussi importants que celui de la communication sur les faiblesses du contrôle interne, de l’audit des comptes consolidés ou de la communication avec les organes chargés de la direction ou de l’administration de l’entreprise.  

-         De même, le groupe de travail mis en place par le Haut Conseil du commissariat aux comptes a conclu à la promotion d’une bonne pratique visant à éviter qu’un commissaire aux comptes ne se trouve en situation d’évaluer ses propres travaux. Je sais tout le rôle du Haut Conseil pour veiller au respect de la déontologie et à l’indépendance de votre profession et je voudrais remercier sa présidente, Madame Christine Thin, qui, par son action, permet au Haut Conseil de répondre pleinement à ces missions essentielles.

2. Comme vous le souligniez, Monsieur le président, ce processus de modernisation peut pleinement s’accomplir grâce à un accompagnement des professionnels..

On ne dira jamais assez, à cet égard, le rôle fondamental de la formation et je veux saluer à mon tour les travaux du comité scientifique, auquel participent mes services ainsi que le Haut Conseil. Ces réflexions contribuent à faire évoluer l’offre de formation, à la renouveler et la diversifier.

Outre cet effort pour la formation continue, la formation initiale se devait d’être modernisée. Les travaux tant attendus que nous avons engagés sur cette question sont désormais sur le point d’aboutir. Le décret réformant le certificat d’aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes a été soumis pour avis au Conseil d’Etat au mois de novembre. Cette réforme devrait permettre, comme vous l’avez rappelé, d’ouvrir l’accès à la profession de commissaire aux comptes à des jeunes diplômés au profil diversifié.

Votre profession a su ainsi s’adapter et évoluer. Ces évolutions ont été rendues possibles grâce à l’esprit de dialogue et l’étroite collaboration qui se sont établis entre vos instances, le Haut Conseil et mes services, et qu’il convient que nous préservions pour les dossiers importants à venir.

3. Cet effort de modernisation de votre profession passe aussi par une meilleure compréhension de votre rôle, notamment au sein des petites entreprises, où votre intervention est trop souvent remise en cause.

Je me réjouis d’apprendre que vous avez travaillé à l’élaboration d’une « charte », visant à ce que l’auditeur organise une rencontre biannuelle avec l’entrepreneur afin d’instaurer une communication plus fluide et de favoriser ainsi une meilleure compréhension mutuelle.

Facteur de transparence et de confiance, cette règle devra bien sûr s’appliquer au regard des exigences de votre statut et notamment de l’un de ses fondamentaux : l’indépendance. Ce n’est que dans le respect de vos spécificités statutaires que l’ouverture au monde entrepreneurial, que vous préconisez par ailleurs, pourra donner une image fidèle de vos compétences.

 

II. Je voudrais maintenant en venir aux préoccupations de votre profession, face aux propositions de la Commission européenne.

 

1. Parce que l’indépendance de l’auditeur est la pièce maîtresse de la certification, la commission l’a placée au cœur de ses propositions. 

Le contexte économique et financier actuel contraint le contrôleur légal à être bien sûr un excellent praticien mais surtout un certificateur exprimant son opinion en totale indépendance. Il est de notre responsabilité de la préserver.

A ce titre, nous sommes favorables à certaines des mesures envisagées, telles le renforcement du rôle du comité d’audit, l’instauration d’une liste exhaustive de diligences liées à la mission de l’auditeur afin d’éviter les conflits d’intérêts ou encore les obligations de transparence imposées aux cabinets.

D’autres mesures sont toutefois à aborder avec beaucoup plus de prudence. C’est notamment le cas de l’ouverture totale du capital des sociétés d’audit.

Or, en supprimant les règles de seuil de détention par des professionnels des droits de vote des sociétés d’audit, la Commission s’engage sur une voie que nous ne pouvons suivre.

 

L’entrée dans le capital d’investisseurs de tous horizons est certes souhaitable pour favoriser l’émergence de cabinets de taille intermédiaire, mais elle doit demeurer dans une limite minoritaire car elle contient un risque majeur de perte d’indépendance des professionnels que vous êtes.

Qui peut penser que les véritables décideurs ne seraient pas les détenteurs du capital ?

Je considère que séparer indépendance et règles de détention de droits de vote ou de capital n’est pas viable. L’appel sans limite aux investisseurs externes aura l’effet pervers de créer des liens de dépendance.

2. Je sais qu’un autre point suscite des inquiétudes fortes de votre profession. Il s’agit de la rotation obligatoire des cabinets.

Nous ne pouvons contester qu’il est important d’éviter que se crée une trop grande familiarité entre la société contrôlée et le commissaire aux comptes.

Toutefois, il convient d’être attentif à la réalité du terrain et aux conséquences qu’une telle obligation de rotation entraînerait. La concentration du marché actuel de l’audit pourrait en effet aboutir à un blocage.

La mise en place au niveau européen, pour les plus grosses entreprises, du co-commissariat, ou le renforcement du rôle du comité d’audit seraient, à mon sens, suffisantes pour répondre au risque de familiarité entre le cabinet d’audit et la société auditée.

A cet égard, je regrette que le principe du co-commissariat ne soit plus retenu qu’à titre incitatif dans le projet adopté hier par la Commission. Le modèle français a pourtant fait ses preuves, le marché de l’audit étant dans notre pays l’un des moins concentrés. Si ce recul résulte de l’opposition de quelques Etats membres, ce sujet sera sans aucun doute à nouveau débattu au cours des négociations prochaines.

Par ailleurs, nous serons très vigilants pour préserver la qualité de l’audit. Or, l’interdiction envisagée pour certains cabinets de très grande taille d’exercer toutes activités « non audit »  afin d’instaurer des « firmes d’audit pur » ne nous apparaît pas opportune. Elle serait de nature, en privant ces acteurs de l’expertise acquise grâce aux prestations de conseil, à affaiblir la pertinence de leur diagnostic.

3. Enfin, j’en terminerai par là. Je veux vous dire que le Gouvernement est particulièrement attaché à la défense du commissariat aux comptes dans les petites et les moyennes entités.

La sécurité conférée par l’intervention du commissaire aux comptes est absolument nécessaire au développement des PME. Leurs dirigeants ont besoin de comptes fiables, sur lesquels ils pourront s’appuyer. Les banques qui les accompagnent doivent également pouvoir bénéficier des assurances données par la certification.

Le système français, et particulièrement la « norme d’exercice professionnel simplifiée », a d’ailleurs inspiré le législateur communautaire qui demande aux Etats membres de prévoir une adaptation des normes d’audit à la taille et à la spécificité des entreprises de taille moyenne ainsi que celles de petite taille.

C’est avec la plus grande vigilance que nous examinerons les propositions de modifications de la directive audit et la révision des directives comptables (4ème et 7ème directives). Certaines dispositions de ces projets demeurent très floues. Elles doivent être précisées : nous devons impérativement conserver l’unité de l’audit et éviter toute dégradation de la certification au niveau des petites entités. Je serai très attentif à préserver l’unité de la profession, de sa mission de certification et de son autorité de contrôle.

Vous pouvez compter sur le soutien du Gouvernement dans le cadre des négociations à venir pour défendre ces enjeux majeurs pour votre profession.

Je vous remercie.