[Archives] 23èmes journées de Paris - Forum des huissiers de justice

Publié le 21 décembre 2007

Discours de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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9 minutes

Monsieur le Président, Paul Rochard,

Monsieur le Président Guy Duvelleroy, vous qui allez dans les tout prochains jours présider la Chambre nationale des huissiers de justice,

Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation,

Monsieur le Président du tribunal de grande instance de Paris

Chers Maîtres,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse d’intervenir aujourd’hui à l’occasion de ces 23e journées de Paris. Votre forum vous réunit traditionnellement chaque année, pendant deux jours au mois de décembre.

Je suis d’autant plus heureuse que je n’avais pu me rendre à votre congrès de Pau. Je vous avais adressé un message pour vous exprimer toute l’attention que je porte à votre profession. Je souhaite aujourd’hui vous le redire de vive voix.

Je tiens tout d’abord à rendre hommage à Paul Rochard. Je veux, Monsieur le Président, vous remercier pour tout ce que vous avez accompli à la tête de la chambre nationale des huissiers de justice.

J’ai particulièrement apprécié de travailler avec vous. Vous êtes un homme intègre, un homme de dialogue et toujours soucieux de l’avenir. La profession d’huissier vous doit énormément. Je tiens à le dire devant vos consoeurs et vos confrères.

Une page se tourne aujourd’hui. Monsieur le Président Guy Duvelleroy, je vous adresse mes plus sincères félicitations pour votre élection. Je suis certaine que nos relations seront constructives, comme elles l’ont été jusqu’à aujourd’hui avec votre prédécesseur. Vous serez pour moi un interlocuteur de qualité. Beaucoup de travail nous attend déjà. Vous en avez fait la liste dans votre discours Monsieur Rochard.

Aujourd’hui, vous me donnez l’occasion de m’adresser aux membres de la profession d’huissier de justice. C’est une opportunité pour faire un point sur les projets en cours qui vous concernent.

Vous êtes une profession pour laquelle j’ai un profond respect. Vous représentez l’efficacité de la Justice. Les Français ont un immense besoin de Justice. Ils attendent d’être écoutés. Ils attendent que leurs différends soient tranchés. Ils attendent qu’une décision de justice soit rendue et donc exécutée.

Un jugement ne règle pas un litige, s’il ne peut être exécuté. Des dommages et intérêts ne sont d’aucune aide si l’on ne peut les toucher.

Les huissiers font vivre la décision de Justice. C’est par votre action que la Justice devient une réalité. C’est par votre action que la Justice est exécutée. C’est également par votre action que la Justice est efficace.

Je le dis simplement. Sans vous, la Justice reste inachevée.

Depuis mon arrivée place Vendôme, j’ai mesuré votre engagement. Il n’est pas sans risque. Je pense tout particulièrement en ce moment à Maître Hervé Magat, huissier à Cadillac, et à ses proches. Je pense également à Maître Yves Dubois, huissier à La Chapelle la Reine. Ils ont tous les deux été agressés dans le cadre de leurs fonctions. C’est inacceptable. Maître Magat est heureusement sorti du coma le 11 octobre dernier, mais je sais qu’il restera gravement affecté par les suites de cet acte odieux.

J’ai souhaité me tenir personnellement informée de leur état de santé et j’ai d’ailleurs téléphoné à ses proches. Le monde judiciaire est une grande famille. Il est normal qu’elle se rassemble dans les moments difficiles. Le fait que l’agresseur de Maître Magat ait été remis en liberté hier, pour des raisons de procédure, n’enlève rien à ma détermination. J’ai demandé aux procureurs de la République de faire preuve de la plus grande fermeté dans leurs réquisitions : Il ne doit pas y avoir d’impunité pour ceux qui s’attaquent aux auxiliaires de la justice.

Ces deux événements douloureux montrent toute la difficulté de votre intervention. Ils montrent aussi l’importance de votre tâche. On ne peut admettre que certaines personnes fassent obstacles à l’exécution d’une décision de justice.

Votre rôle est essentiel. Je souhaite qu’il soit encore renforcé.

Je veux dynamiser l’organisation territoriale de la profession d’huissier (I) et étendre vos moyens d’action. (II)

I-                   Je veux dynamiser l’organisation territoriale.

L’organisation territoriale actuelle de votre profession n’est pas satisfaisante. Le cadre du tribunal d’instance est un cadre trop restreint. Il est un frein au développement de votre activité.

Le décret du 11 mai 2007 aétendu votre compétence au niveau du tribunal de grande instance. C’est une étape importante. Ce décret sera applicable au 1er janvier 2009. C’était votre souhait. Vous vouliez un peu de temps pour préparer la mise en œuvre de cette réforme.

La nouvelle carte judiciaire prolongera, pour certains ressorts, les effets du décret du 11 mai 2007.

A terme, nous aurons 158 tribunaux de grande instance. 23 tribunaux de grande instance seront regroupés. Ces regroupements permettront de renforcer l’efficacité de la Justice.

Je sais que ces évolutions sont source d’inquiétudes. Le Président Rochard m’en a fait part à plusieurs reprises. Je voudrais vous dire au contraire qu’elles peuvent renforcer le dynamisme de votre profession. Elles vous offrent de nouveaux horizons. Elles sont une réelle opportunité :

  • La réforme de votre compétence territoriale va permettre à chaque étude d’étendre son champ d’action. La réforme de la carte judiciaire s’inscrira dans la même logique. En fusionnant certains ressorts de TGI, elle aboutit à harmoniser la taille des différentes juridictions. Il y aura moins de disparités en termes de nombre de justiciables et de nombre de décisions rendues par tribunal.
  • Cette extension de votre champ de compétence facilitera aussi le regroupement de votre activité. Ces regroupements sont nécessaires pour assurer la pérennité de vos études. Les limites du tribunal d’instance étaient trop petites pour pouvoir le faire. Désormais, vous pourrez constituer des structures plus compétitives et mieux armées face à la concurrence.

Plusieurs réunions de travail sur les regroupements se sont tenues à la Chancellerie. La Chambre nationale des huissiers de justice évidemment y a été associée. Il reste encore du travail à faire dans ce cadre. Il convient de poursuivre ces rencontres. Je fais confiance à Pascale FOMBEUR pour que celles-ci répondent à vos attentes. Dès le mois d’août 2008, les huissiers pourront déposer leurs demandes de regroupement auprès des procureurs. Les arrêtés de nomination seront publiés à partir du 1er janvier 2009.

Monsieur le Président Rochard, vous avez sollicité un délai supplémentaire. Vous souhaiter que la mise en œuvre du décret du 11 mai 2007 soit alignée sur le calendrier de la carte judiciaire. Je ne pense pas qu’il soit bon, et je crois que nous avons répondu, d’attendre davantage. Je comprends votre souhait. Mais, faire coïncider les calendriers renverrait à janvier 2011 l’application d’un texte paru en mai 2007. C’est beaucoup trop lointain.

Je tiens cependant à vous le dire aujourd’hui. Je tiendrai compte des situations particulières pour ceux dont l’activité pourrait être affectée par la réforme de la carte judiciaire. Lorsque nous nous sommes rencontrés, je m’y suis engagée. Vous m’avez indiqué, Monsieur le Président, que vous mettiez en œuvre une étude d’impact très précise. Elle va nous servir à évaluer ensemble comment aider ceux et celles qui ont légitimement besoin de l’être. Vous ne serez pas exclu des mesures d’accompagnement.

J’ai conscience des efforts qui vous sont demandés. Ils sont accompagnés de mesures concrètes :

  • votre tarif a été revaloriséde façon significative par le décret du 10 mai 2007,

  • j’ai souhaité que lesindemnités versées aux huissiers audienciers pour les audiences pénales soient augmentées. Le décret du 26 septembre 2007 a rendu cette augmentation effective. La circulaire d’application a été signée mercredi et a été diffusée dès hier.

Vous voyez que vos préoccupations sont prises en compte.

L’extension de votre compétence territoriale est une évolution importante. Elle n’est que l’un des aspects du renforcement de votre rôle.

II- Je veux également étendre vos moyens d’action.

 

La Justice vous demande beaucoup. En son nom, vous vous rendez dans des endroits où peu de gens se risquent. En son nom, vous allez à la rencontre de personnes en grande détresse. Sans cesse, l’autorité judiciaire vous demande d’être plus rapide et plus efficace. J’ai pleinement conscience de la difficulté de votre mission.

Plusieurs mesures sont indispensables pour vous aider.

Une première disposition vous permettra d’accéder aux dispositifs d’appel et aux boîtes aux lettres particulières des immeubles d’habitation. C’est une disposition simple et concrète. Je pense qu’elle vous aidera à assurer au mieux vos missions de signification.

Pour remettre un acte à une personne, il faut la trouver. Les dispositifs de protections (codes, clés, passes électroniques) se sont développés. Ils ont compliqué votre travail. Vous n’arrivez plus à rentrer dans certains immeubles. Vous n’êtes plus en mesure de vérifier où réside la personne recherchée. L’action de la Justice est aujourd’hui soumise à l’autorité des digicodes ! C’est une situation complexe car elle se heurte au respect du droit de propriété. Elle est pourtant quotidienne et j’ai demandé à mes services d’aller le plus loin qu’il est possible pour faciliter vos missions. Nous réfléchissons à une disposition législative qui autoriserait le syndic à vous communiquer le code d’accès à un hall d’immeuble. Il serait également autorisé à vous fournir un passe. Vous pourriez ainsi accéder aux boîtes à lettres.

 

Cette mesure contribuera aussi à renforcer les droits de la défense. Elle facilitera la délivrance des actes à la personne même du destinataire. Les personnes seront mieux informées de leurs droits et devoirs.

Je veux également, c’est la deuxième disposition que nous envisageons, augmenter la valeur de vos constats.

Actuellement, dans les procédures judiciaires, vos constatations n’ont valeur que de simples renseignements.

Mais, en pratique, les procès-verbaux que vous dressez ont valeur de preuve. Cela tient à votre rigueur et à votre professionnalisme. Un constat d’huissier fait foi. Pour tous, c’est une preuve impartiale.

Je veux mettre le droit en conformité avec la pratique. Vos constatations matérielles auront donc une force probante, je m’engage à la renforcer. Cela résulte de votre statut d’officier public et ministériel. Vous avez un statut rigoureux et exigeant. Votre parole doit avoir une valeur particulière. C’est une question de bon sens et de cohérence.

La troisième mesure facilitera la recherche d’informations.Vous devez avoir accès à tous les renseignements utiles pour accomplir votre mission. C’est comme cela que vous gagnerez en efficacité.

Je veux que vous soyez autorisés à interroger directement certaines personnes publiques. Vous obtiendrez ainsi l’adresse d’un débiteur, celle de son employeur et celle de la banque où il a ouvert un compte. Votre travail sera simplifié. Vous ne serez plus obligés de passer par le procureur de la République. Vous aurez des droits élargis, comme en matière de recouvrement de pension alimentaire.

Le décret du 15 mai 2007 vous autorise à consulter le fichier FICOBA et vous avez, Monsieur le président Rochard, fait part des difficultés techniques que vous rencontrez pour le consulter. Le ministère de la justice va se rapprocher de celui de l’économie. L’accès dématérialisé au fichier FICOBA sera amélioré. Je demande à Pascale Fombeur de vous revoir avant la fin du mois de janvier 2008 pour vous tenir informés de ces avancées sur tous les dossiers.

Ceci me conduit à vous parler d’un sujet auquel je tiens tout particulièrement. L’accès à l’information sera amélioré grâce aux nouvelles technologies. Le 10 juillet dernier, j’ai signé un partenariat avec la Caisse des dépôts. Je souhaite que la communication électronique entre les juridictions et les études d’huissiers soit développée. La dématérialisation des échanges est une priorité. Elle simplifiera votre tâche. Vous pourrez bientôt transmettre des pièces sans avoir à vous déplacer au tribunal. Cela changera en profondeur notre façon de travailler.

Le futur code rassemblera toutes les règles relatives à l’exécution. Il constituera un cadre de référence. Il sera la suite logique du nouveau code de procédure civile.

*

 

Je vous propose des avancées concrètes.

La réforme de la carte judiciaire renforcera votre mission de conseil. Je sais que vous y êtes particulièrement attachés. Vous serez les interlocuteurs directs des justiciables. Vous leur donnerez les premiers renseignements.

Ces nouvelles mesures renforceront votre rôle dans notre société. Votre profession sera valorisée. J’ai entendu vos propositions, j’en tiendrai compte et vous serez associé au groupe de travail sur les contentieux.

Je vous soutiens également dans votre engagement pour l’avenir. L’avenir, c’est la recherche de la qualité. Nous mettrons en œuvre ensemble une formation continue obligatoire comme vous le souhaitez.

L’avenir, c’est également l’Europe. Je salue votre volonté de créer un Conseil européen des huissiers de justice. Votre voix doit être entendue à Bruxelles. Ce projet s’inscrit dans les objectifs de la présidence française de l’Union Européenne.

Comme je vous l’ai dit, Monsieur le Président, je suis prête à soutenir cette heureuse initiative.

Toutes ces mesures amélioreront l’efficacité de la Justice. Ses décisions seront plus rapidement mises en œuvre. Elles seront mieux expliquées et mieux acceptées.

Ce n’est que l’un des aspects de la réforme de la Justice. Mais c’est un point essentiel.

C’est par des réalisations concrètes que nous changerons la Justice. Je souhaite vraiment et sincèrement que nous la changions ensemble.

Je vous remercie.