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Quand les fleurs faillirent faner…

Publié le 24 juillet 2007

Hissées au panthéon de la littérature, Les Fleurs du mal de Baudelaire furent condamnées par la Justice du 2nd Empire

Portraits de C. Baudelaire et E. Pinard, Crédits : Y. Ozanam,  Ordre des avocats de Paris

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« Chef d’œuvre de réalité sauvage, un livre du plus grand style et d’une férocité magistrale ...»

Encensée par plusieurs critiques, l’œuvre de Charles Baudelaire a pourtant fait l’objet d’une véritable accusation publique. « ...l’odieux y coudoie l’ignoble, le repoussant s’y allie à l’infect » s'insurgeait un critique littéraire dans le Figaro du 5 juillet 1857.

Déclenchant par la même un rapport de la Direction Générale de la sûreté publique, le Procureur de l’Empire sera saisi.
Deux chefs d’accusation : offense à la morale publique et offense à la morale religieuse.

Retirées des ventes le 17 juillet 1857, les Fleurs du mal seront condamnées le 20 août de la même année. Outre le prononcé des amendes de 300 francs pour l’auteur et 100 francs pour ses éditeurs, six poèmes seront censurés. Seule sera retenue l’offense faite à la morale publique.

Au procès, deux hommes se font face. Ernest Pinard, substitut du procureur impérial, incarne la justice du second Empire. Charles Baudelaire, poète sans notoriété,  traîne une réputation d’être excentrique et tourmenté.

« Pour autant au banc des accusés, ce n’est pas l’homme qui est jugé mais sa prose » souligne avec soin le substitut impérial.

Prenant la parole le premier, Ernest Pinard interroge : « croyez-vous qu’on puisse tout dire, tout peindre, tout mettre à nu, pourvu qu’on parle ensuite du dégoût né de la débauche et qu’on décrive les maladies qui la punissent » ?

Contre cet argument, Charles Baudelaire a fixé son système de défense. Oui, il peint le vice non pas pour s’en délecter mais pour en afficher l’odieux et le rendre plus détestable encore. Ce vice, il souhaite en protéger ses lecteurs par ses vers aux finalités moralisatrices et non attentatoires.

Son avocat, Me Chaix d'Est-Ange, argue d’un procédé littéraire largement répandu et efficace. Il prend pour témoin Molière : « Les plus beaux traits d’une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire, et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts”.
L'avocat poursuit sa plaidoirie dans une longue évocation de l'histoire littéraire, citant Dante, Musset, Béranger, Théophile Gautier et encore Rabelais, La Fontaine, Rousseau, Voltaire... Pour conclure à « l’affirmation du mal n’est pas la criminelle approbation ; les poètes satiriques, les dramaturges, les historiens n’ont jamais été accusés de tresser des couronnes pour les forfaits qu’ils racontent, qu’ils produisent sur la scène».

« Vous comprendrez la désolation véritable et la douleur profonde de ce créateur sincère et convaincu ». Tandis que Me Chaix-d’Est-Ange insiste inlassablement sur les intentions loyales du poète, Ernest Pinard, inflexible, ne se laisse pas détourner de son chemin. Porté par sa mission de « sentinelle qui ne veut pas laisser passer la frontière», il livre des passages et signale certains des poémes comme “impressions malsaines”, niant du même coup toute unité à l'oeuvre.      

La décision sera rendue le jour même.

Sur l’attendu que « l’erreur du poète, dans le but qu’il voulait atteindre et dans la route qu’il a suivi, quelque effort de style qu’il ait pu faire, quelque soit le blâme qui précède ou qui suit ses peintures, ne saurait détruire l’effet funeste des tableaux qu’il présente au lecteur, et qui, dans les pièces incriminées, conduisent nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur», le Tribunal condamnera Charles Baudelaire.

Charles Baudelaire ne comprendra jamais le sens de ce procès. « C'est un terrible malentendu » déclarera-t-il, assuré d'échapper à la sanction à l'instar de Flaubert pour Madame Bovary.
Ironie de l’histoire, Ernest Pinard fut aussi le procureur ayant poursuivi le livre de Flaubert.

Le 31 mai 1949, par arrêt de la Cour de cassation, saisie par le président de la Société des Gens de Lettres, Charles Baudelaire sera réhabilité.

Entre temps, Les Fleurs du mal étaient devenues un classique de la littérature.

Salle d'audience supposée accueillir le procés - Crédits : C. Patureaux, cour d'appel de Paris

15ème chambre correctionnelle du TGI de Paris, l'une des quatre salles d''audience
supposée avoir accueilli le procès de la 6ème chambre correctionnelle du 20 aout 1857.

Avec les remerciements adressés à l'Ordre des avocats de Paris pour son concours iconographique, le montage photographique ayant été réalisé à partir des documents appartenant aux collections de l'Ordre.