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Loi du 23 mars 2019 : une réforme majeure de la procédure civile

Publié le 02 mai 2019

« Ce texte c'est plus de rapidité, de simplicité et de lisibilité pour le justiciable »

La simplification de la procédure civile est un des axes essentiels de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Interview de Thomas Andrieu, Directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la justice.

Thomas Andrieu - Crédit photos : Caroline Montagné/MJ/DICOM

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Quelles sont les principales mesures prévues par la nouvelle loi en matière de simplification de la procédure civile ?

D'abord une réforme du divorce. Le divorce contentieux sera à la fois beaucoup plus rapide et offrira, en même temps, de meilleures garanties de protection pour les personnes qui divorcent et pour leurs enfants.

Ensuite, une réforme des majeurs protégés. Elle prévoit plus de droits pour les personnes vulnérables qui pourront voter, se pacser ou se marier sans autorisation préalable. Elle prévoit également une grande simplification du contrôle fondée sur une confiance accrue envers les familles. Enfin, un juge recentré sur le cœur de son office, c'est-à-dire sur la protection.

Autre mesure : la création d'une juridiction nationale des injonctions de payer. Ce tribunal judiciaire spécialement désigné aura une compétence nationale pour connaître toutes les requêtes en injonction de payer actuellement traitées par les tribunaux d'instance et les tribunaux de grande instance. Cette nouvelle juridiction permettra une jurisprudence plus efficace, plus uniforme grâce à  des greffiers et à des magistrats spécialisés. Cela déchargera également les juridictions de droit commun de ce contentieux de masse.

On peut également mentionner la Caisse des dépôts et consignation, qui est le banquier de l'Etat, à qui on va confier les saisies sur rémunérations ou la réception des sommes dont la juridiction a ordonné la consignation. C'est autant de temps libéré pour le greffier dont ce n'est pas le cœur de métier de faire un travail de banquier.  

Enfin, dernière mesure essentielle : la possibilité de rendre des jugements sans audience lorsque les parties en sont d'accord, ce qui permettra d'adapter l'offre de justice à la demande des justiciables. Ce jugement sans audience sera également possible pour le règlement des petits litiges, la procédure sera dans ce cas exclusivement numérique. On attend de ces procédures de la simplicité, de la fluidité, une réduction des coûts et, bien sûr, de la rapidité.

Pourquoi fallait-il simplifier la procédure civile ? Qu'est-ce qui a inspiré ces mesures ?

Dès 1998, le rapport Coulon évoquait une crise de la justice civile dans sa triple fonction de production, de symboles et de régulation. Toutes les réformes de la procédure civile se sont données pour but d'adapter la justice de première instance aux évolutions de la société.

Le rapport Guinchard en 2008 invite à concilier le développement du traitement des contentieux très techniques, imposant une forme de spécialisation, avec la nécessité de rendre une justice plus lisible et plus proche du justiciable.

En 2013, c'est Pierre Delmas-Goyon qui invite à s'interroger sur la plus-value de l'intervention du magistrat. Dans quels contentieux, dans quelles procédures, dans quelles situations, l'intervention du magistrat est justifiée et dans quels domaines elle l'est moins ?

Tout cela est indissociable de l'organisation judiciaire. Le rapport Marshall de 2013 pose bien la question d'une juridiction unique de première instance.

C'est dans ce contexte que la garde des Sceaux lance, dès sa nomination, un chantier relatif à la procédure civile qui est confié à Frédérique Agostini, présidente de tribunal de grande instance, et à Nicolas Molfessis, Professeur de droit privé. Leur rapport invite à recentrer le juge sur son cœur de métier et sur son office juridictionnel, à réduire la distance avec le justiciable et à assurer la qualité et l'efficacité de la décision de première instance.

La particularité de la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 est de mettre en cohérence les réponses à tous ces défis. Il s'agit de mettre en lien le budgétaire, l'organisationnel et le procédural, tout cela dans un contexte radicalement nouveau qui est le numérique.

Le développement des modes de règlement amiable des différends est un axe essentiel de la loi du 23 mars 2019. Pourquoi fallait-il les réformer ? Quelles sont les principales dispositions ?

En développant les modes alternatifs de règlement des litiges, cette réforme vise à construire une société plus apaisée. C'est pour cela que la loi généralise le pouvoir d'injonction dont disposent les juges pour renvoyer les parties devant un médiateur lorsqu'ils estiment que c'est de nature à apporter une meilleure solution au litige.

Par ailleurs, pour les petits litiges, la loi étend le préalable obligatoire de tentative de médiation, de procédure participative ou de conciliation par un conciliateur de justice. La loi a précisé qu'en l'absence de conciliateurs, les parties sont dispensées de cette obligation.

Enfin, pour la première fois, le législateur crée un système de certification pour les plateformes qui offrent un service de médiation, de conciliation ou d'arbitrage en ligne. La loi offre aux consommateurs de services juridiques des garanties en matière de procédure et de protection des données personnelles.

La loi de programmation et de réforme pour la justice modifie également la procédure de divorce…

Toute la procédure applicable au divorce contentieux a été revue en profondeur afin que le juge aux affaires familiales statue dans des délais raisonnables. En effet, en 2017, ses dossiers ont été traités, en moyenne, en 29 mois. C'est tout à fait excessif et cela génère des difficultés pour les familles.

Le nouveau système met donc fin à la double saisine. Avant la loi du 23 mars 2019, on avait une requête puis une assignation, ce qui était très mal compris. Aujourd'hui, il n'y aura plus qu'un seul acte, l'assignation, en début de procédure, et une seule phase procédurale. Chaque partie sera assistée, dès le début, d'un avocat pour mieux protéger ses droits. Comme avant la loi, le juge pourra toujours prononcer toutes les mesures provisoires nécessaires et notamment celles qui permettent de protéger les enfants.

C'est donc une réforme qui va mieux protéger les droits des personnes, tant par la présence de l'avocat que par une réduction significative des délais.

La loi du 23 mars 2019 étend les cas de représentation obligatoire par un avocat. Cela ne risque-t-il pas de porter atteinte à l'accessibilité de la justice ?

On veut défendre un accès utile à la justice. On ne veut pas laisser perdurer l'illusion pour les justiciables qu'ils peuvent efficacement se défendre sans avocat dans des contentieux extrêmement techniques.

La loi traite ainsi de deux cas spécifiques. Le premier, c'est devant le juge de l'exécution où on va imposer la représentation obligatoire, sauf en matière d'expulsion et lorsque la demande est inférieure à 10.000 €. Le deuxième cas, c'est en matière douanière, contentieux très technique.

Je tiens quand même à rassurer. Il n'est pas question d'étendre la représentation obligatoire par un avocat au contentieux de l'instance.

Le texte prévoit aussi la possibilité de règlement des litiges sans audience. Dans quels cas cela sera-t-il possible ?

La loi du 23 mars 2019 introduit deux possibilités nouvelles. D'abord, c'est la possibilité de juger sans audience, à l'initiative des parties et avec leur accord expresse, les contentieux relevant du tribunal de grande instance. Cette possibilité sera ouverte après que les parties aient pu faire valoir leurs arguments et transmettre leurs pièces par écrit. Le tribunal pourra toujours décider de la tenue d'une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de prendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande.

Un justiciable qui souhaite voir son affaire jugée ne doit pas être obligé de poser une journée de congés. Par exemple, un étudiant qui vit aujourd'hui à Toulouse et qui veut récupérer la caution d'un logement qu'il a occupé à Rennes n’a pas envie de se déplacer. Sa situation a vocation à être concernée par ces procédures sans audience.

L'autre innovation de la loi, c'est la possibilité de régler les petits litiges, de moins de 5.000 €, de manière intégralement dématérialisée, c'est-à-dire sans audience et complètement en ligne. Cette possibilité sera ouverte, au plus tard, au 1er janvier 2022.

Dans la loi du 23 mars 2019, il y a également des dispositions relatives à l'open data des décisions de justice…

Cette réforme clarifie en effet le droit applicable à l'open data. Elle réalise une conciliation que le Conseil constitutionnel a parfaitement validée entre une exigence démocratique, qui est la publicité des décisions de justice, et l'exigence, de même valeur constitutionnelle, qu'est la protection des données à caractère personnel.

Le principe, c'est désormais la mise à disposition du public, à titre gratuit et sous forme électronique, des décisions de justice. Néanmoins, les noms et prénoms des personnes physiques seront occultés lorsqu'elles sont parties ou tiers et les données d'identité des magistrats ou des membres du greffe ne pourront faire l'objet d'une réutilisation qui aurait pour but d'évaluer, d'analyser ou de comparer leurs pratiques.

La problématique de l'open data va cependant au-delà de la communication des décisions de justice aux tiers. La question qui est posée est celle de la constitution d'une base unique de jurisprudences avec l'ensemble des décisions des juridictions judiciaires françaises. Comment exploiter au mieux cette base au service de l'intérêt général, sans violer la protection des données personnelles ? Mon sentiment c'est que l'Etat doit se doter de capacités d'analyse, d'algorithmes n'ayant pas peur des mots. Le magistrat de demain ne sera pas un algorithme mais il aura des algorithmes à son service.  

Quand ces dispositions entreront-elles en vigueur et quels sont les textes d'application qui devront être pris ?

Cette réforme va entrer en vigueur, pour l'essentiel, au 1er janvier 2020 au moment de la création du tribunal judiciaire. L'année 2019 sera donc consacrée à la préparation des décrets d'application et à des concertations approfondies.

Pour conclure, cette réforme de la procédure civile sera, pour le justiciable, synonyme de rapidité, de simplicité et de lisibilité. C'est aussi un juge à l'office recentré. Ce sont aussi des modes alternatifs de règlement des différends plus attractifs. Ce sont également plus de droits fondamentaux notamment pour les personnes qui divorcent ainsi que pour les majeurs protégés. C'est enfin une manière d'adapter la justice au numérique afin d'offrir à chaque Français un service public de la justice de meilleure qualité.

Interview réalisée par le Ministère de la Justice – SG – DICOM – Damien ARNAUD